plus tard, par la voix chaude de notre regretté confrère Léopold Sédar
Senghor, que ce mot a trouvé son sens moderne et sa capacité à mobiliser les
hommes. Le président du Sénégal, également attaché à la négritude et à la
francité, termes qu’il avait inventés pour définir l’avenir des civilisations
que la colonisation avait un temps rapprochées et sa propre identité, affirma
en 1962 l’existence de la francophonie. Des décombres du colonialisme où
se mêlaient, écrivait ce grand Africain, la boue et l’or, il retira les pépites, le
trésor, ce qu’il nommait « l’outil merveilleux », la langue française.
Dans un monde où les peuples issus de la disparition
des empires cherchaient une voie propre – mouvement
des non-alignés mais aussi Commonwealth –, le
président Senghor et ceux qui le rejoignirent, le prince
Norodom Sihanouk, le président Bourguiba, le Nigérien Hamani Diori, tous
émancipés de la tutelle française, inventèrent un ensemble culturel et
linguistique dont la langue française était le trait d’union. L’originalité du
projet francophone saute aux yeux. Il n’a jamais été, à l’instar des non-
alignés, un rejet d’autres systèmes ou alliances. Il n’est pas non plus, comme
le Commonwealth, le simple maintien des solidarités de l’empire disparu. Il
dépassa d’emblée le cadre des anciennes possessions françaises et fut ouvert
à tous ceux qu’unit l’amour ou la connaissance du français. C’est une
internationale de l’esprit, de la langue et de la culture, à partir de laquelle
vont être forgées ensuite des solidarités politiques et économiques. À sa
manière, le président Senghor, élève brillant de l’enseignement français, a
ressuscité à l’échelle des cinq continents le monde français du XVIIIeisiècle,
la « république des lettres » qui illuminait l’Europe.
Quarante ans après que l’idée en eut été avancée, plus d’un siècle après
l’apparition du mot, que représente la francophonie ? Une institution, née en
1986 au sommet des chefs d’État et de gouvernement réunis à Paris qui
proclamèrent alors la naissance de la communauté francophone. Depuis lors,
cet ensemble n’a cessé d’affirmer son existence lors des sommets de chefs
d’État. Le plus récent les a réunis la semaine passée à Ouagadougou,
témoignant que, même lorsque les pays d’Afrique vivent des heures
troublées, la francophonie peut les rassembler. La vocation de cet ensemble
est de réunir ses membres autour de la langue française et autour de valeurs
communes dont la France a offert le modèle : aspiration à la liberté des
peuples, développement démocratique des sociétés. En 2002, au sommet de
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L’originalité du projet
francophone saute aux
yeux.