nous couler dans ce moule du temps. Quand on veut suivre un autre schéma, « on n'a pas le
temps ». Car il faut trouver le temps à l’intérieur de séquences juxtaposées, et donc en
éliminer ou en écarter certaines. Cela demande un effort de choix fondamental que beaucoup
ne savent pas, ne peuvent pas ou ne veulent pas faire.
Comme ce temps est contraignant, bien des gens, et surtout les jeunes, se réfugient dans un
autre temps que j'appellerai le « temps court », c'est-à-dire le temps des évènements, des
instants éphémères, qui se remplacent en permanence. Une sorte de « hit parade » du temps,
auquel d'ailleurs répondent les jeux vidéo, le surf sur Internet, la télécommande et le zapping
à la télévision, les flashes d’informations, les spots de publicité, ou les clips de musique…
Ces mots courts sont dans la logique du « temps court » dont on se grise, sorte de drogue
psychologique, toujours renouvelée. Il s’agit non pas de gérer son temps mais de faire le plus
de choses possibles dans la diversité des instants. Je pense que la télécommande, le zapping,
le replay du magnétoscope, et les jeux vidéo ont changé la culture des jeunes face au temps et
donc créé un conflit avec l'école. La relation au temps est différente des époques précédentes,
dans la mesure ou, par le zapping, on peut changer de vie ou changer de plaisir. On n'aime pas
cette émission ? Clic ! On appuie sur un bouton et on passe à autre chose. Cette notion est
ancrée chez les jeunes qu'on forme dans l’environnement « non zappable » de l’école
En effet, on ne peut pas zapper l’école. On ne peut pas zapper le programme. On est là
pendant 1 heure ou 2, dans le cadre de la semaine, avec le cahier de textes, les devoirs. On ne
peut pas appuyer sur un bouton et changer d’environnement. Ce n'est pas possible. C’est
même interdit. Ce qui crée une tension de plus en plus palpable dans les classes.
Deuxième point : pour les jeunes, un événement n'est pas vraiment réel si on ne peut pas le
revoir grâce au « replay ». L'accident de voiture, l'avion qui s'écrase… cet homme qui va
mourir sous vos yeux car son parachute ne s'est pas ouvert ; le but qu'on vient de marquer, il
faut le revoir..... Le replay a créé une notion de réversibilité qui entre en conflit avec la non
réversibilité de la formation dans le cadre de la classe. On ne peut pas revenir en arrière, c'est
la filière, on a choisi. D'où la difficulté des choix pertinents, et le fait que beaucoup de jeunes
ne veulent pas choisir, ou ne veulent pas chercher à choisir, et se confinent dans une sorte de
situation non pas de confort mais de difficulté à décider de la filière à suivre. Parce qu'ils
sentent que c'est irréversible.
Ces notions de temps et de durée me paraissent importantes. A côté du « temps long » et du «
temps court », il faut apprendre ce que j’appelle le « temps large », un temps qui, lui, s'empile,
du temps parallèle. Savoir s'organiser pour créer un « capital-temps », avec une bonne
bibliothèque, une bonne utilisation d'Internet, un bon réseau de relations, de professeurs, un
carnet d’adresses bien rempli. Cette possibilité de créer un capital-temps va générer des «
intérêts temporels » c'est à dire du temps qu'on peut replacer, réinvestir d'une manière plus
souple que les séquences évoquées précédemment.
Ensuite l'espace : Pour les élèves, il a également changé. Mac Luhan l'a expliqué dès les
années 60. Pour lui, les enfants vont « brûler les écoles ». Il y aura de la violence dans les
classes, parce qu'ils ne pourront plus supporter l'autorité ; parce que leur espace,
l'environnement dans lequel ils sont confrontés à l'acquisition des connaissances, est entré en
mutation.
L'environnement de la classe était riche, varié. Il y avait des cartes de géographie, des
squelettes, des grenouilles dans des bocaux, des photos, des films, aux premiers stades de
l’audiovisuel. Par contraste, l'environnement extérieur, la rue, étaient pauvres, avec peu de
publicité, peu de devantures de magasins attrayantes. Pas d'Internet, pas de télévision avec
100 chaînes, pas de Loft Story en temps réel...