
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 51 - septembre/octobre 2009
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etite mouche blanche
venue de la zone tropi-
cale,
Bemicia tabaci
a
récemment envahit tout
le Bassin méditerranéen. Cet
insecte encore appelé aleurode, est
un piqueur-suceur comme d’autres
ravageurs de l’ordre des hémi-
ptères tels que cochenilles, puce-
rons, psylles, punaises etc. Cette
espèce vorace est polyphage mais
apprécie particulièrement les
tomates. Outre les dégâts causés
directement aux cultures, l’aleu-
rode est vecteur de phytovirus très
virulents pour les cultures légu-
mières et ornementales sur tous les
continents. Ainsi son introduction
et son acclimatation ont favorisé
l’apparition, puis la dissémination
rapide de graves viroses sur les
cultures légumières. La tomate,
culture à forte valeur ajoutée, est la
plus fortement touchée, en particu-
lier par le
Tomato Yellow Leaf Curl
Virus
qui peut entrainer la perte
totale de récolte. Face à ce fléau,
un partenariat s’est développé
entre des chercheurs1du Centre de
biologie et de gestion des popula-
tions de Montpellier et une Jeune
équipe tunisienne (Bemigest) asso-
ciée à l’IRD pour s’attaquer à la
« Gestion du problème
Bemisia
Recherches
es invasions biologiques
d’espèces dites non indi-
gènes, ou exogènes, sont
désormais considérées
comme une des plus grandes menaces
pour la santé publique, écologique et
économique de la planète. Comme
souvent en biologie, la forme et la
taille des organismes les plus grands
donc les plus visibles conditionnent
les modes de pensée et les actions qui
en découlent. Les plus petits envahis-
seurs, que sont les microbes, les virus
et autres micro-organismes, occupent
pourtant une place essentielle, sinon
majeure, à l’heure d’envisager ces
processus.
Ainsi, certaines espèces invasives
véhiculent de nombreux agents res-
ponsables de maladies. Répertorié en
1953-54 en Afrique continentale, le
virus responsable du Chikungunya
s’est répandu en 2005-2006 à l’Île de
la Réunion en se servant du vecteur
Aedes albopictus
lui-même d’origine
extérieure à cette île. Parfois, des
oganismes vivants intentionnellement
importées pour l’agriculture, l’horti-
culture ou l’élevage de nouveaux
animaux de compagnie, ont pu
s’échapper vers des espaces naturels
déversant aussi des agents infectieux,
dont ils étaient les réservoirs, vers
des populations démunies de toute
résistance. L’histoire des introduc-
tions d’espèces en Amérique du Nord
regorge ainsi d’exemples démontrant
l’importance des parasites et autres
pathogènes invasifs dans la régu-
lation des faunes endémiques. La
colonisation de ce continent par les
Européens aura eu le même effet
sur l’extermination de populations
natives par les maladies qu’ils véhi-
culaient !
La mondialisation a engendré une
explosion des transports transconti-
nentaux, et cette mobilité accrue est
aussi vraie pour les animaux, les
plantes, et les nombreux passagers
clandestins dont ils peuvent être les
hôtes habituels. L’écologie des
maladies infectieuses se préoccupe
aujourd’hui de comprendre les consé-
quences des échanges planétaires de
biens et de personnes dans la ren-
es « ennemis » sont nom-
breux, sur terre comme
sur mer, végétal ou ani-
mal. En Nouvelle-Calé-
donie, ils se nomment cerfs rusa ou
cochons sauvages, tortues de Floride
ou encore merles des Moluques.
Mais les plantes ne sont pas en
reste, avec plus de 2 002 espèces de
plantes introduites sur cette île d’où
la mise en place d’une action sur les
espèces végétales exotiques enva-
hissantes, au laboratoire de bota-
nique et d’écologie végétale appli-
quées de l’IRD Nouméa.
« Avec 76 %
d’espèces végétales endémiques
,
rappelle Vanessa Hequet, en charge
de ce projet,
la Nouvelle-Calédonie
abrite une flore exceptionnelle,
aujourd’hui menacée par le dévelop-
pement de nombreuses espèces exo-
tiques envahissantes. »
C’est le cas de l’agave, qui
« fait par-
tie de nos jours du paysage calédo-
nien »
, alors qu’elle fut en réalité
introduite en 1866 comme plante à
fibres par Pancher, lors de l’exposi-
tion inter-coloniale de Melbourne.
Cette espèce, présente dans tous les
milieux dégradés sur terrains non
miniers, bloque la régénération
naturelle des autres plantes en for-
mant des tapis denses impéné-
trables. Elle colonise les terrains
ouverts et rocailleux de manière
agressive.
Autre exemple, le lantana, qui aurait
été importé d’Australie à Wagap
comme plante ornementale, puis
acclimaté à la mission de Saint-
Louis vers 1868. Cet arbuste épi-
neux peut atteindre une dizaine de
mètres de hauteur et reste malheu-
reusement apprécié pour ses fleurs
aux couleurs flamboyantes et
variées, allant du rouge au jaune.
« Et pourtant,
avertit Vanessa
Hequet,
le lantana est particulière-
ment envahissant dans les cultures
Les îles, ces écosystèmes fragiles
’outremer français avec
ses centaines d’îles
héberge une biodiversité
de première valeur mon-
diale. Mais ces milieux insulaires
présentent également une fragilité
écologique considérablement accrue
par rapport aux écosystèmes conti-
nentaux. Structures écologiques
incomplètes, comme par exemple,
l’absence de prédateurs pour cer-
taines espèces, tailles des popula-
tions et aires de distributions
réduites et faible connectivité biolo-
gique avec les écosystèmes voisins
en font des espaces particulièrement
vulnérables aux invasions biolo-
giques de toutes sortes.
Sciemment ou involontairement
introduites sur ces îles, de nom-
breuses espèces étrangères ont fait
souche et prospéré à l’excès, entraî-
nant de profonds bouleversements au
sein des écosystèmes et des popula-
tions d’origine peu « armés » face à
ces envahisseurs.
« Prédation sur les
espèces indigènes, dégradation du
couvert végétal, érosion des sols,
compétition pour l’espace et les res-
sources, transmission de parasites et
d’agents pathogènes, ou encore
modifications des interactions bio-
tiques, sont quelques-uns des effets
les plus délétères occasionnés par
ces espèces invasives »
, explique
Eric Vidal, spécialiste en biologie de
la conservation à Institut Méditer-
ranéen d’Écologie et de Paléo-
écologie. Sur les quatre derniers
siècles, les extinctions d’espèces ont
été soixante fois plus fréquentes au
sein des espaces d’outremer qu’en
métropole, et près de 1 000 taxons
terrestres présents sur les îles fran-
çaises d’outremer sont répertoriés
par la liste mondiale des espèces
menacées de l’
UICN
1. Pour Eric Vidal,
« la responsabilité de la France est
non seulement évidente mais incon-
tournable, ses îles concentrant une
part importante des espèces les plus
sérieusement menacées d’extinc-
tion »
. Ainsi, plus d’une quarantaine
d’espèces d’oiseaux, souvent endé-
miques, présentes sur les îles fran-
çaises d’outremer sont actuellement
considérées comme menacées d’ex-
tinction à court terme du fait de
l’impact exercé par des vertébrés
introduits.
« La situation qui prévaut en
Polynésie française où les taux d’en-
Histoire de nouvelles rencontres !
Haro
sur les tomates
Un enjeu pour
la biodiversité
calédonienne
contre de populations hôtes invasives
avec des agents pathogènes rési-
dents, ou d’agents pathogènes inva-
sifs avec des faunes ou des flores
endémiques.
Les invasions d’espèces sont aujour-
d’hui des phénomènes mondiaux,
mais elles apparaissent plus fré-
quemment dans les îles et les pénin-
sules conformément à deux théories
écologiques aujourd’hui anciennes.
La première théorie, dite insulaire,
décrite dans les années 60 par
MacArthur et Wilson indique, entre
autres, que de nombreuses niches
écologiques sont vacantes dans les
îles et les péninsules, et qu’une inva-
sion biologique, si elle réussit, pourra
bénéficier de cette absence. La
seconde, due à Elton au cours de la
décade précédente, précise que les
biomes riches en espèces sont moins
permissifs aux invasions biologiques ;
c’est peut être pour cette raison que
nous observons moins de succès
d’invasions dans les zones inter-
tropicales, mais cependant ce sont
aussi des régions pour lesquelles
nous possédons moins de données.
Comme dans l’exemple du Chikun-
gunya à la Réunion, assisterons-nous,
à l’avenir, à plus d’épidémies émer-
gentes dans les îles ? La théorie éco-
logique prédit que oui !
●
Contact
UMR
Génétique et Évolution des
Maladies Infectieuses
démisme atteignent des records est
des plus alarmantes »
, souligne Eric
Vidal, pour qui
« les situations d’ur-
gence liées aux espèces invasives foi-
sonnent »
. Il en appelle à
« intensifier
les actions de recherche et d’exper-
tise pour diagnostiquer ces situations
à risque, comprendre les méca-
nismes écologiques et démogra-
phiques en jeux et hiérarchiser les
priorités d’intervention »
. Ces inter-
Quand les espèces invas
Quand Felis silvestris catus, notre
chat domestique retourne à l’état
sauvage, il change non seulement
de nom pour s’appeler le chat
« haret », mais devient un préda-
teur dévastateur pour nombre d’es-
pèces indigènes. Une synthèse
mondiale à laquelle a participé l’IMEP
dresse un bilan complet des consé-
quences de son introduction sur les
risques d’extinction d’espèces indi-
gènes des îles de la planète. Notre
cher matou impacte plus de
150 espèces de vertébrés insulaires,
considérées comme sévèrement
menacées d’extinction globale. Sur
les 400 dernières années, le chat
haret serait impliqué dans l’ex-
tinction définitive d’au moins
32 espèces de vertébrés insulaires
endémiques, majoritairement des
oiseaux, notamment des passe-
reaux et des pétrels des îles du
Pacifique. ●
Espèce invasive : le chat !
ventions passent notamment par le
développement de programmes dits
de « biosécurité » pour détecter et
prévenir les invasions, ainsi que par
des opérations de restauration écolo-
gique et d’élimination ou de contrôle
des populations invasives. Elles sont
couplées à des actions complémen-
taires de conservation des espèces
menacées et associées à un suivi des
réactions de l’écosystème et des
populations cibles.
« L’établissement
de partenariats avec les acteurs
locaux de l’environnement est indis-
pensable pour garantir que les
recherches débouchent sur des
actions locales de préservation de la
biodiversité »
, souligne Eric Vidal. Le
chercheur insiste encore sur la
récente création du GOPS2, dont l’IRD
est un des partenaires, qui devrait
efficacement contribuer au dévelop-
pement des recherches consacrées
aux espèces invasives dans les îles
françaises du Pacifique Sud.
●
1. Liste rouge des espèces menacées, éditée
par l’Union Internationale pour la Conser-
vation de la Nature
2. Grand Observatoire de l’environnement
et de la biodiversité terrestre et marine du
Pacifique Sud
Contacts
UMR
Institut Méditerranéen d’Écolo-
gie et de Paléoécologie
en cultures légumières ». Sans
remettre en cause fondamentale-
ment l’utilisation des insecticides,
il s’agit de limiter l’impact de rava-
geur-vecteur sur la production de
tomates dans un contexte de viabi-
lité économique et de durabilité des
pratiques agricoles, conformément
aux exigences nouvelles de qualité
et de respect de l’environnement.
Concrètement, les recherches2sont
centrées sur la dynamique spatio-
temporelle des interactions
Bemisia
-
biodéfenseurs, la structuration
génétique (cette espèce possède
une grande diversité génétique) et
la biodémographie des populations
de
Bemisia
et des auxiliaires de
lutte, l’épidémiologie du couple
Bemisia-Tomato Yellow Leaf Curl
Virus
et enfin sur l’élaboration et
l’optimisation des stratégies de
protection biologique intégrée.
●
1. Génétique des populations, dynamique
des populations, épidémiologie.
2. Financées par un projet ANR intitulé
Bemisiarisk (2007-2009) et un financement
État-Région intitulé Climbiorisk (2008-
2010)
Contact
Olivier Bonato, UMR
Centre de biolo-
gie et de gestion des populations
,
L'aleurode est une petite mouche
blanche de quelques millimètres
de long.
Todiramphus Gambieri en danger
critique d’extinction sur la liste
rouge de l’UICN. Il ne survit plus
qu’à Niau ayant disparu des
Gambier. Ses effectifs s’élèvent à
120 individus.
Agave.
Les biomes riches en espèces apparaissent moins
permissifs aux invasions biologiques par d’autres
espèces, mais aussi à celles d’agents pathogènes.
© SOP Manu - Anne Gouni
© IRD/O. Bonato
© IRD/ J. Orempuller
qg