Société, Médecine et Eglise : l’impossible dialogue ? « La bioéthique, une question d’aujourd’hui pour demain » Sancey-Le-Long / 26 janvier 2010 Sébastien KLAM Paradoxe de l’humanité de l’homme : Fragile Puissante 1. Fragile : Poids des guerres mondiales et fragilité de la paix Menace sur la vie en raison de fléaux nouveaux ou d’épidémies Survalorisation de l’autonomie Perte de repères Indifférence religieuse marquée Burn-out 2. Puissante : Entrée dans une science technicisée sans limites Science : religion du salut Passage du « biolithique » à l’«anthropogénie » Triptyque « sauver la vie/soutenir la vie/favoriser la vie » Capitalisme : religion du profit Règne de l’IBM sur l’ADN La vie se fait violence… « Vie » = BIOS (grec) « Violence » = BIA (grec) Vie est le féminin grec de la violence Violence est le masculin grec de la vie Vie et violence intimement liées ! Puissance de la vie et fragilité de la vie ! Vulnérabilité commune à l’humanité de l’homme Face à cette réalité de l’humanité : - Sommes-nous condamnés à la désespérance ? - Devons-nous subir notre histoire ? - La vie n’est-elle qu’un échec permanent à travers la radicalité de sa finitude ? - Peut-on encore trouver un sens à l’existence ? Société : lieu où l’homme est appelé à se construire, s’épanouir, se lier Médecine : lieu duquel se lit un service rendu à l’humanité de l’homme Eglise : lieu d’où jaillit une espérance pour l’homme Société Honorer la vocation de tout homme : répondre OUI à la vie Eglise Médecine - Société : « En même temps, c’est cette expérience personnelle et professionnelle qui me fait refuser la fatalité du désespoir. Notre société recèle de trésors de bonne volonté et de générosité incarnés pour beaucoup par les bénévoles et les salariés associatifs. Ils sont les anonymes de notre système. On en parle très peu mais ils se mobilisent chaque jour, dans l’ombre du quotidien, pour apporter aide et soutien à tous ceux qui sont renvoyés dans les coins sombres de notre planète. Je les admire, j’en suis fier (…) les valeurs qu’ils expriment incarnent ce qu’il y a de meilleur en l’homme. » (JF Mattéi, Humaniser la vie. Plaidoyer pour le lien social, Paris, Florent Massot, 2009, p. 13) - Médecine : « L’exercice médical et soignant ne vaudra qu’à la hauteur de l’éveil des consciences mettant au jour la vocation médicale de l’homme. Vocation, parce qu’il s’agit de l’appel reçu à venir au secours d’autrui, de l’homme, parce que la réponse donnée met au jour le sens même de l’humain, médicale, parce que cela se passe dans l’intime où tout se joue. » (Alain Cordier, « La vocation médicale de l’homme. Inquiétude et professions de santé », in Emmanuel Hirsch (dir.), Médecine, éthique et société. Comprendre, réfléchir, décider, Paris, Vuibert, coll. Espace Ethique, 2007, p.48.) - Eglise : « La dignité de la personne doit être reconnue à tout être humain depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle. Ce principe fondamental, qui exprime un grand "oui" à la vie humaine, doit être mis au centre la réflexion éthique sur la recherche biomédicale, qui acquiert de plus en plus, dans le monde d’aujourd’hui, une grande importance. » (Dignitas Personae, n°1, p. 33) RESPECT DIGNITE PERSONNE HOSPITALITE RESPECT : - Vient du latin respectus, action de se tourner pour regarder derrière soi (temps d’arrêt volontaire de ses activités et retournement pour reconnaître une autre présence) - Ethique de la main tendue - Le respect permet à la relation d’exister : existence de la subjectivité, possibilité de la présence - Le respect appelle la responsabilité : l’autre a du prix à mes yeux devoir de non-abandon et de non-indifférence - Le respect = attention particulière à l’autre considéré comme un partenaire participant à la construction du monde Société : « L’attention qu’une société porte aux plus faibles et aux plus vulnérables trahit son degré de civilisation. » (Didier Sicard, L’éthique médicale et la bioéthique, Paris, PUF, coll. Que sais-je?, 2009, p. 100) Médecine : « L’éthique nous expose toujours à nos responsabilités en termes de vie et de mort. Cela confère une valeur absolue à nos efforts au service de la personne. Le soin prend dès lors cette dimension de relation essentielle, unique, de vivant à vivant. Une éthique de la fragilité et du respect s’efforce de se substituer à l’inexorable mouvement où se dissipe l’humanité d’une existence. » (Emmanuel Hirsch, Le devoir de non-abandon. Pour une éthique hospitalière et du soin, Paris, Cerf, 2004, p. 269) Eglise : Si le droit à la vie et à la mort naturelle n’est pas respecté, si la conception, la gestation et la naissance de l’homme sont rendus artificielles, si des embryons humains sont sacrifiés pour la recherche, la conscience commune finit par perdre le concept d’écologie humaine et, avec lui, celui d’écologie environnementale. Exiger des nouvelles générations le respect du milieu naturel devient une contradiction, quand l’éducation et les lois ne les aident pas à se respecter ellesmêmes (…) Les devoir que nous avons vis-à-vis de l’environnement sont liés aux devoirs que nous avons envers la personne considérée en elle-même et dans sa relation avec les autres. » (Benoît XVI, L’amour dans la Vérité, Paris, Bayard/Cerf/Fleurus, 2009, p. 89) DIGNITE : - Vient du latin dignus, méritant : la dignité se reconnaît et s’éprouve dans la relation qui m’unit à l’autre - « Il est bien des merveilles en ce monde, il n’en est pas de plus grande que l’homme » (Sophocle) idée d’une transcendance de l’homme, d’une valeur infinie qui lui est attribuée - Le christianisme renforce cette conviction en présentant la dignité comme une qualité intrinsèque à l’homme en tant que créature de Dieu appelée à partager sa vie la dignité ne dépend pas de la qualité de la vie : donnée intemporelle, elle ne se mesure pas, ne se quantifie pas… une personne ne peut être plus digne un jour qu’un autre, au risque d’établir des catégories d’humains - « La dignité est donc inhérente à l’humanité nue, et même (surtout) à la plus indigne de notre attention. Sophocle faisait dire à Œdipe : "C’est quand je ne suis plus rien que je deviens vraiment un homme." » (Paul Valadier, « Dignité incertaine », in Laennec, 2/2006, p. 12) Société : « Inscrite désormais dans le préambule et l’article premier de la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948, la dignité est tout le contraire d’une convenance personnelle. Elle est l’affirmation que l’homme est reconnu comme ayant une valeur absolue. » (Jean Léonetti, Rapport d’information fait au nom de la loi 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, p. 161) Médecine : « Prendre soin d’autrui, c’est accepter la responsabilité qui nous incombe à son égard. C’est attester la dignité de son être en dépit de son apparence, parce qu’il demeure une personne. » (MarieSylvie Richard, « Vers une nouvelle conception du soin », in Laennec, 1/2005, p. 8) Eglise : « Assurément, la naissance du Sauveur a libéré cette "grande joie", mais, à Noël, le sens plénier de toute naissance se trouve également révélé, et la joie messianique apparaît ainsi comme le fondement et l’accomplissement de la joie qui accompagne la naissance de tout enfant (…) Dans cet événement de salut, en effet, l’humanité reçoit non seulement la révélation de l’amour infini de Dieu qui "a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique" (Jn 3, 16), mais aussi celle de la valeur incomparable de toute personne humaine. » (Jean-Paul II, L’Evangile de la Vie, Paris, Mediaspaul, 1995, p. 3-5) PERSONNE : - Personne vient du latin persona, du grec prosopon signifiant le masque de théâtre puis, par extension, le rôle représenté par ce masque (personnage joué par l’acteur) tournant important avec la représentation juridique du droit romain affirmant que la personne n’était plus une fiction, mais une réalité, la vérité : ensemble des facultés et des charges conférées à un être afin de lui permettre de réaliser son rôle dans le jeu de la vie et de la cité - Le christianisme accorde une grande valeur à la personne, image et ressemblance de Dieu haute vision de l’être humain, corps et âme Société : « C’est avec Kant, auteur décisif dans l’évolution du concept, que la personne devient une catégorie morale : la personne est non seulement sujet de droits, mais surtout ce à quoi chacun doit un respect absolu. La personne a une dignité, c’est-à-dire une valeur absolue, par opposition aux choses qui n’ont qu’un prix, une valeur d’échange et peuvent être de ce fait utilisées comme simple moyen (…) "Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours et en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen." » (Danielle Moyse, « Le concept de personne dans le champ du handicap », in Emmanuel Hirsch (dir.), Médecine, éthique et société. Comprendre, réfléchir, décider, op. cit., p. 615) Médecine : « La dignité est le signe intangible de notre commune humanité, dans l’extrême faiblesse, l’extrême détresse, et jusque dans l’impuissance de la mort. Rejoindre et soutenir celui qui est isolé par la souffrance ultime, ruiné par une débâcle qui anéantit toute volonté de survie, c’est se refuser à la solitude absolue de la douleur humaine, en rappelant et en exprimant la fraternité toujours possible de notre communauté. C’est vouloir assumer une volonté sociale première qui veut que la valeur de l’autre, quelle que soit son épreuve, demeure inépuisable. » (Emmanuel Hirsch, Le devoir de non-abandon, op. cit., p. 68-69) Eglise : « De ces deux dimensions, humaine et divine, on comprend mieux la raison de la valeur inviolable de l’homme : il a une vocation éternelle et est appelé à communier à l’amour trinitaire du Dieu vivant. Cette valeur s’applique à tous sans distinction. Par le simple fait qu’il existe, chaque être humain doit être pleinement respecté. » (Dignitas Personae, n°8, p. 45) HOSPITALITE : - Vient du latin hospitalis forgé sur hospes, celui qui reçoit de l’autre ou hostis, étranger (ami ou ennemi) en recevant l’hostis, l’hospes se met au même niveau que lui : il y a égalisation de la relation - L’hospitalité est un geste de compensation, de mise à égalité, de protection dans un monde où l’étranger n’a pas originellement de place : il ne peut y avoir hospitalité sans inégalité de place et de statut entre deux types d’hôtes (celui qui reçoit et celui qui est reçu) - « L’hospitalité se construit sur l’expérience d’une hostilité du monde et d’une nécessaire solidarité de l’espèce : aux hommes revient de se serrer les coudes, de pratiquer la générosité, d’accueillir le voyageur quel qu’il soit. En ce sens, on peut dire que toute éthique, dans la mesure où elle sert notre corps périssable et fragile, est en réalité une bioéthique : elle a le souci de la vie. Elle reconnaît en l’homme le périssable. » (France Quéré) L’hospitalité est cette aptitude à accueillir l’autre dans la durée, sans a priori, sans conditions : c’est faire preuve de solidarité Société : « Espace social privilégié, l’hôpital constitue dans sa nature même une valeur déterminante qui inspire et marque nos conceptions de la responsabilité humaine. Historiquement parlant, l’œuvre des hospitaliers témoigne d’un engagement profond au service de la personne en situation de demandes souvent urgentes (…) Il fonde une éthique du respect et de la relation. » (Emmanuel Hirsch, Le devoir de non-abandon, op. cit., p. 42) Médecine : « (…) l’hôpital n’est pas seulement un lieu de charité, un dépôt de mendicité, un espace de purs soins techniques, ou une entreprise de compétitivité, mais il constitue aussi une scène où peut se retravailler, au travers de l’orientation de la trajectoire de soins, la trajectoire de la vie. » (François Danet, Où va l’hôpital?, Paris, DDB, 2008, p. 195) Eglise : « (…) les soignants doivent être formés de manière à pouvoir accomplir le geste juste au moment juste, prenant aussi l’engagement de poursuivre les soins. La compétence professionnelle est une des premières nécessités fondamentales, mais à elle seule, elle ne peut suffire. En réalité, il s’agit d’êtres humains, et les êtres humains ont toujours besoin de quelque chose de plus que des soins techniques corrects. Ils ont besoin d’humanité. Ils ont besoin de l’attention du cœur. Les personnes qui œuvrent dans les institutions caritatives de l’Eglise doivent se distinguer par le fait qu’elles ne se contentent pas d’exécuter avec dextérité le geste qui convient sur le moment, mais qu’elles se consacrent à autrui avec des attentions qui leur viennent du cœur, de manière qu’autrui puisse éprouver leur richesse d’humanité (…) Celui qui pratique la charité au nom de l’Eglise ne cherchera jamais à imposer aux autres la foi de l’Eglise. Il sait que l’amour, dans sa pureté et dans sa gratuité, est le meilleur témoignage du Dieu auquel nous croyons et qui nous pousse à aimer. » (Benoît XVI, Dieu est amour, n°31, p. 6364) Médecine, Société, Eglise : Impossible dialogue ? NON ! Au service de l’homme, la médecine, la société et l’Eglise appellent à une juste présence et une juste valorisation de l’humanité de l’homme. Qu’est-ce que l’Eglise a à dire en particulier ? « On a parlé d’anthropotechnie pour signifier la main mise de la technique qui tend à devenir la mesure de l’homme et de ses désirs. Il est urgent de revenir à une anthropologie qui soit une parole (logos) réfléchie sur l’homme (anthropos) et sa destinée. Seule une telle parole permettra de discerner les voies cohérentes pour l’homme du XXIe siècle. Le dialogue est chemin de discernement (…) Il s’inspire de rencontres avec des personnes en situation douloureuse et avec leurs accompagnateurs, qu’ils soient présents dans le monde médical ou dans la pastorale de la santé. Il se nourrit de l’expérience vécue avec des personnes handicapées, physiques et mentales (…) Ce questionnement se réjouit aussi des avancées scientifiques grâce auxquelles des pathologies sont guéries. Il se souvient des progrès accomplis par l’humanité quand a été enfin reconnu le caractère inviolable de la dignité humaine. » Groupe des Evêques, Bioéthique. Questions pour un discernement, Paris, Lethielleux/DDB, p. 14-15 l’Eglise propose à la société et la médecine un chemin qui soit à la hauteur de l’humanité de l’homme Existence d’une éthique anglo-saxonne élaborée par Beauchamp (médecine) et Childress (théologien) dans l’ouvrage Pinciples of biomedical ethics construction des décisions éthiques dans le domaine de la médecine suivant quatre principes : - le respect de l’autonomie de la personne - la bienfaisance - la non-malfaisance - la justice principlisme : règles à tenir dans la pratique médicale ou de recherche Autonomie : respect de la personne et capacité de l’individu à décider pour luimême. En pratique, il s’agit d’obtenir du patient un consentement libre et éclairé pour qu’il participe au processus de décision. Non-malfaisance : Primum non nocere… Devoir d’évaluer les risques/bénéfices d’une recherche ou d’une pratique médicale en vue de préserver la santé, de soulager la souffrance, de prolonger la vie. Bienfaisance : supprimer le mal en soulageant la souffrance, la douleur. Procurer des bienfaits au malade en trouvant la juste mesure entre les risques et les bénéfices d’une intervention médicale. Promouvoir le bien en améliorant les handicaps, préservant la santé. Justice : répartir équitablement les avantages et les bénéfices. Affirmation de la règle de nondiscrimination. Ce principe s’applique dès lors qu’il y a une pénurie face à laquelle une sélection doit être faite selon des critères justes, équitables et transparents. Le principlisme entendu d’un point de vue chrétien… AUTONOMIE : « Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faitesle aussi pour eux » (Lc 6, 31) JUSTICE : « Je veux donner à ce dernier autant qu'à toi : n'ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon bien ? » (Mt 20, 14-15) BIENFAISANCE : « Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver » (Jn 12,47) NON-MALFAISANCE : «Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit ; et ton prochain comme toi-même. » (Lc 10, 27) L’Eglise dans le monde de ce temps, particulièrement auprès des jeunes : « La dignité appartient à l’être humain du fait - Lieu d’accueil même qu’il existe (…) Elle est une affirmation de la valeur absolue de l’homme, quel qu’il soit - Lieu d’écoute et quelle que soit sa manière de vivre. » - Lieu d’accompagnement (Evêques de France) - Lieu d’encouragement « (…) les chrétiens doivent - Lieu de libération donc trouver et se donner les moyens d’être présents et - Lieu de témoignage effectivement actifs dans le - Lieu de Vie champ économico-socio« Toute vraie rencontre avec Dieu s’opère nécessairement à travers la médiation de la rencontre de l’homme (…) C’est à travers, et à travers seulement, cette épaisseur humaine que Dieu se laisse "voir" et "toucher" (…) Dieu n’enferme jamais quelqu’un dans un échec (…) Dieu est un donneur d’avenir. » (Xavier Thévenot) politique. Sinon, leur foi restera cantonnée dans un domaine dit spirituel, où l’on aura les mains pures que parce qu’on n’aura pas de mains. On ne fera alors, au mieux, que lier des fardeaux qu’on demandera à d’autres de porter, sans les bouger soimême le moins du monde. » (Mgr Joseph Doré) Et toi, que fais-tu de ta vie ? « Vois, je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur, moi qui te commande aujourd’hui d’aimer le Seigneur ton Dieu, de suivre ses chemins, de garder ses commandements, ses lois et ses coutumes (…) Tu choisiras la vie pour que tu vives, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix et en t’attachant à lui. C’est ainsi que tu vivras et que tu prolongeras tes jours, en habitant sur la terre que le Seigneur a juré de donner à tes pères Abraham, Isaac et Jacob. » Dt 30, 15-16 ; 19-20