L’issue de la relation physiologique entre un
Hyménoptèreparasitoïde et son hôte, obligatoire-
ment marquée par la mort d’un des deux protagonistes,
dépend de leurs capacités respectives à mettre en œuvre
des stratégies de virulence ou de résistance à l’égard de
l’organisme adverse. Déterminées génétiquement et
soumises à de fortes pressions de sélection (Godfray
2000 ; Dupas et al. 2003), les stratégies de virulence
tendent à optimiser la survie de l’œuf ou de la larve du
parasitoïde face aux contraintes physiologiques impo-
sées par le développement et le système immunitaire de
l’hôte. Ces stratégies définissent donc directement les
limites de la pathogénicité des parasitoïdes.
P. Lawrence (1986, 1990) fut la première à introduire
les notions de «conformité» et de «régulation » dans le
domaine des interactions entre les parasitoïdes et les
programmes de développement de leurs hôtes. Selon cet
auteur, ces notions distinguent avant tout des espèces
Résumé Les Hyménoptères parasitoïdes ont développé de nombreuses stratégies de virulence pour
permettre la survie de leur descendance aux dépens d’une gamme d’insectes-hôtes généralement
restreinte. Cette diversité est telle qu’elle suggère l’existence d’autant de stratégies de virulence origi-
nales que de systèmes hôtes-parasitoïdes. Dans le domaine des interactions entre les parasitoïdes et le
développement de leurs hôtes, il est admis que les stratégies parasitaires peuvent être scindées en deux
grandes tendances, selon que le parasite régule ou se conforme à la croissance de l’insecte parasité.
Nous proposons de redéfinir de manière similaire (stratégies de « régulation » ou de « conformité »), les
stratégies parasitaires vis-à-vis du système immunitaire des hôtes,jusqu’à présent qualifiées d’«actives »
ou de « passives ». En effet, de récentes études menées sur certains modes d’évitement de la réaction
d’encapsulement (ectoparasitisme, « mimétisme » moléculaire) nuancent la nature « passive » de ces
mécanismes de virulence et laissent présager d’une ère nouvelle pour la compréhension de leurs bases
moléculaires. La présente revue s’attache donc : 1) à souligner la diversité des moyens employés par les
Hyménoptères parasitoïdes pour se conformer à la réponse immunitaire de leurs hôtes ou pour la régu-
ler ; 2) à examiner les principaux facteurs parasitaires mis en œuvre dans le cadre de ces stratégies ainsi
que leurs cibles physiologiques ; et 3) à évaluer l’intérêt fondamental et appliqué des recherches menées
dans ce champs d’investigation.
Abstract Relationships between parasitoid Hymenoptera and the immune system of their hosts:
The « active »and « passive » mechanisms redefined.Hymenopteran parasitoids developed various
strategies for the survival of their offspring at the expense of a generally limited range of insect hosts.
Such a diversity suggests the existence of original strategies of virulence for almost each host-parasitoids
system. In the field of host development-parasitoids interactions, it is often admitted that parasitic strate-
gies split in two categories, depending on the ability of the parasitoid to conform to host physiology or to
regulate it. We propose to define in a similar view parasitoids strategies interacting with hosts immune
system, up to now qualified as « active » or « passive », as strategies of « conformity » or « regulation ».
Indeed, recent studies dedicated to particular mechanisms of hosts immune system avoidance (ectopar-
asitism, molecular « mimicry») shade light on their « passive » nature and could open a new area in the
understanding of their molecular basis. The aim of this report is to underline, through a new descriptive
approach, the diversity of ways used by parasitoid Hymenoptera to counteract their hosts immune system.
We will: i) summarize the literature related to parasitoids strategies to conform to hosts immune response
or to regulate it; ii) examine their underlying physiological factors; and iii) present the main research outlook
enable by the studying of such strategies of virulence.
Interactions Hyménoptères parasitoïdes –
systèmes immunitaires hôtes :
Les mécanismes «actifs » et « passifs » redéfinis
Sébastien J. M. M
OREAU
Unité Assemblage et Réplication du VHC,
CNRS UPR 2511, Institut de Biologie de Lille,
1rue Calmette, BP 447, F-59021 Lille cedex, France.
Ann. Soc. entomol. Fr. (n.s.), 2003, 39 (4) : 305-314. ARTICLE
305
*Corresponding author. E-mail : [email protected]
Accepté le 26-09-2003.
parasitoïdes, «conformers» ou «regulators», qui synchro-
nisent leur croissance avec celle de l’hôte ou au contraire,
qui modifient le cycle de développement de l’insecte
parasité. Une telle conception a depuis été remise en
cause par la description de plusieurs parasitoïdes présen-
tant à la fois des traits de type «conformers » et «regula-
tors» (Vinson 1988; Mackauer & Sequeira 1993; Harvey
1996 ; Strand 2000). S’il est vrai que la classification
proposée ne saurait rigoureusement s’appliquer aux para-
sitoïdes eux-mêmes, elle reste néanmoins pertinente pour
qualifier leurs stratégies de développement; l’interven-
tion de différentes stratégies, de «conformité » ou de
«régulation », au cours du développement d’un même
parasitoïde n’a en effet rien d’incompatible.
Sur le plan des interactions avec le système immu-
nitaire hôte, il est encore souvent considéré que les para-
sitoïdes présentent soit des stratégies d’immunosup-
pression « actives », soit des mécanismes « passifs »
d’évitement de la réaction d’encapsulement (Coudron
1991 ; Strand & Pech 1995a;Vass & Nappi 2000 ;
Schmidt et al. 2001). Les stratégies «actives», princi-
palement caractérisées chez des espèces endoparasitoïdes,
reposent sur des facteurs maternels ou ovo-larvaires
(virus, particules de type viral, protéines venimeuses et
ovariennes, tératocytes) et sont de loin les plus étudiées
(Coudron 1991; Strand & Pech 1995a). Elles peuvent
altérer sévèrement la réponse immunitaire de l’hôte dont
la mise en place nécessite plusieurs étapes successives :
détection du corps étranger, recrutement des cellules
immunitaires (hémocytes), formation d’une capsule par
les hémocytes autour de l’intrus, et mélanisation de la
capsule (Coudron 1991;Ratcliffe 1993 ; Sugumaran &
Kanost 1993 ;Locker 1994 ;Strand & Pech 1995a;
Schmidt et al. 2001;Sorrentino et al. 2002). Les méca-
nismes «passifs» regrouperaient quant à eux, différentes
adaptations physiologiques et comportementales permet-
tant à certains parasitoïdes de se développer sans alté-
rer les capacités immunitaires de leurs hôtes. Ils concer-
neraient notamment les espèces dont les œufs sont soit
pondus dans des hôtes ayant un système immunitaire
immature, soit protégés par des capacités de «mimé-
tisme» moléculaire, soit capables d’effectuer leur déve-
loppement hors d’atteinte des hémocytes (ectoparasi-
tisme, endoparasitisme dans des organes inaccessibles)
(Strand & Pech 1995a).
Le terme même de mécanisme « passif», suggéré par
l’absence d’effet immunosuppresseur observé, nie intrin-
sèquement l’existence de molécules effectrices suscep-
tibles d’intervenir dans la protection des œufs parasi-
toïdes. Or, des études récentes font apparaître que
certains mécanismes « passifs » impliquent l’interven-
tion activede facteurs physiologiques et moléculaires
pouvant interférer avec la formation d’une capsule hémo-
cytaire (Asgari et al. 1998; Kinuthia et al. 1999; Richards
&Edwards 1999, 2000a). Par analogie avec le distin-
guo de P. Lawrence, ces mécanismes pourraient donc
participer, ne serait-ce que localement, à une « régula-
tion» de la réponse immunitaire de l’hôte au même titre
que les facteurs dits «actifs ». D’autres mécanismes, en
revanche, relèveraient d’avantage d’une «conformité »
aux défenses immunitaires, pouvant être définie par la
faculté d’un parasitoïde à échapper aux défenses cellu-
laires ou humorales de l’organisme qu’il parasite sans en
altérer directement l’efficacité. Là encore, des adapta-
tions physiologiques et moléculaires prennent une part
active dans l’évitement de l’encapsulement. Ces
remarques soulignent la possibilité de substituer à la
dichotomie «mécanismes passifs – mécanismes actifs »,
une classification introduisant les notions de stratégies
de « conformité » ou de « régulation » vis-à-vis de la
réponse immunitaire des hôtes, à l’image des stratégies
mises en œuvrepar les parasitoïdes envers le dévelop-
pement des insectes parasités.
Loin de vouloir initier une polémique sémantique,
cette proposition vise, à travers la présente revue, à souli-
gner la diversité des moyens employés par les
Hyménoptères parasitoïdes pour lutter contre le système
immunitaire de leurs hôtes, et d’en prendre plus préci-
sément la mesure grâce aux nouvelles données dispo-
nibles en ce domaine. Nous verrons notamment, grâce
àla présentation de modèles originaux, que différentes
adaptations comportementales et physiologiques
peuvent contribuer aux succès parasitaires d’espèces
endoparasitoïdes ou ectoparasitoïdes pourvues ou non
de capacités immunosuppressives. Cette synthèse, loin
d’être exhaustive, visera également à évoquer les prin-
cipales perspectives fondamentales et appliquées atten-
dues des recherches menées en ce domaine.
I. Stratégies de « conformité»
au système immunitaire de l’hôte
I.1. Sélection d’hôtes immunodéficients
Les stratégies de «conformité » au système immunitaire
de l’hôte se définissent par la faculté d’un parasitoïde à
échapper aux défenses cellulaires ou humorales de
l’organisme qu’il parasite sans en altérer directement
l’efficacité. Ceci peut être notamment réalisé en infes-
tant des hôtes dont le système immunitaire est déficient
ou immature, ce qui suppose l’existence de capacités de
sélection ou de discrimination de la partde certaines
femelles parasitoïdes. Ainsi, les Trichogrammes, endo-
parasitoïdes oophages, parasitent des œufs de Lépi-
doptères dépourvus d’hémocytes à ce stade de dévelop-
pement. Dans une même perspective, l’endoparasitoïde
306
S.J. M. M
OREAU
Braconide Asobara tabida pondrait préférentiellement
ses œufs dans des larves de Drosophila subobscura (Diptère
Drosophilide) (van Alphen & Janssen 1982), hôte natu-
rellement incapable d’encapsuler ce parasitoïde (Baker
1979, Eslin & Doury com. pers.). Ces stratégies ne sont
toutefois pas partagées par l’ensemble des Hyménoptères
parasitoïdes. Brodeur & Vet (1995) ont en effet démon-
tré que les espèces et les stades hôtes préférentiellement
sélectionnés par les endoparasitoïdes Cotesia rubecula et
C. glomerata (Braconides) ne présentent pas les plus faibles
niveaux d’encapsulement envers ces deux parasitoïdes.
Ceci rappelle que le choix d’un hôte s’effectue à l’issue
de la perception et de l’acceptation d’un ensemble
complexe de paramètres par les femelles parasitoïdes
(espèce, taille, age, sexe, état parasité et statut nutrition-
nel de l’hôte…) parmi lesquels le statut immunitaire de
l’hôte peut tenir une place plus ou moins prépondérante.
Les femelles d’A. tabida peuvent aussi agir en clep-
toparasitoïdes en pondant dans des hôtes dont le système
immunitaire a été inactivé par un précédent parasitoïde
tel que Leptopilina boulardi (Eucoilide) (Kraaijeveld
1999). Les facteurs à l’origine de la discrimination entre
des hôtes parasités ou non, présentant donc des capaci-
tés immunitaires différentes, ne sont pas encore connus.
Toutefois, Galis & van Alphen (1981) ont montré que
les femelles d’A. tabida sont capables de détecter des
kairomones produites par des larves de drosophiles. De
plus, le dépôt de phéromones de marquage par des
femelles parasitoïdes a été mis en évidence chezplusieurs
espèces lors de l’oviposition (Vinson & Guillot 1972;
Guillot et al. 1974; Barrera et al. 1994; Ueno & Tanaka
1996). Ces phéromones produites par la glande de
Dufour,qui sont répulsives dans certains cas, pourraient
au contraire attirer d’éventuels cleptoparasites tels
quA. tabida. L’Encyrtide Anagyrus kamali possède égale-
ment une capacité de discrimination des hôtes favori-
sant la survie de ses œufs. Les femelles d’A. kamali
pondent préférentiellement dans les jeunes larves de
Maconellicoccus hirsutus (Hemiptère Pseudococcide) dont
les défenses immunitaires sont moins développées que
celles des larves âgées (Sagarra et al. 2000). En outre il
n’est pas rare d’observer 3 à 5 œufs parasitoïdes dans les
hôtes adultes, ce qui suggère que le superparasitisme
puisse être aussi utilisé pour lutter contre un système
immunitaireplus performant.
I.2. Développement à l’abri
des défenses immunitaires
Certains endoparasitoïdes effectuent leur développe-
ment au sein de tissus hôtes inaccessibles aux défenses
immunitaires. C’est notamment le cas de Platygastérides
endoparasitoïdes dont les premiers stades de dévelop-
pement se déroulent dans le tube digestif ou les ganglions
nerveux de leurs hôtes Diptères (Strand & Pech 1995a).
L’endoparasitoïde A. tabida,évoqué précédemment,
présente une stratégie voisine d’évitement du système
immunitaire de Drosophila melanogaster (Diptère
Drosophilide) (Kraaijeveld & van Alphen 1994 ;
Monconduit & Prévost 1994). Grâce aux propriétés
adhésives de leur chorion, les œufs d’A. tabida s’atta-
chent rapidement aux tissus des hôtes (corps gras, tissus
nerveux, tube digestif, trachées…) ce qui est supposé
limiter leur accessibilité aux hémocytes circulant dans
l’hémolymphe (Eslin et al. 1996; Moreau et al. 2003).
Le déterminisme génétique et les bases moléculaires de
ce mécanisme de protection demeurent inconnus.
Toutefois, une étude récente a fait apparaître que l’ad-
hésion durable aux tissus hôtes nécessite d’abord un
accolement rapide, puis le maintien de l’intégrité chorio-
nique (Moreau 2002). Une protéine hydrophobe de
80 kDa, uniquement présente à la surface d’œufs adhé-
sifs dA. tabida,pourrait êtreassociée à la seconde étape
du processus d’adhésion.
II. Stratégies de « régulation »
du système immunitaire de l’hôte
II.1. Altération locale des capacités d’adhésion
des hémocytes de l’hôte
Les facteurs qui interfèrent directement avec la mise en
place de la réaction immunitaire de l’hôte ont été très
étudiés chez les espèces endoparasitoïdes. Agissant très
précocement, certains facteurs peuvent inactiver loca-
lement l’attaque de l’œuf parasitoïde par les hémocytes
circulants. Ainsi, les œufs du Braconide Cardiochiles
nigriceps possèdent une enveloppe glycoprotéique
fibreuse qui leur permettrait d’éviter l’encapsulement
par les hémocytes de Heliothis virescens (Lépidoptère
Noctuide) (Davies & Vinson 1986). La surface des œufs
de l’endoparasitoïde Venturia canescens (Ichneumonide)
possède plusieurs facteurs agissant également dans ce
sens (Schmidt & Schuchman-Feddersen 1989). Lors de
leur sortie des ovarioles, les œufs de V. canescens se
couvrent de particules de type viral produites par les
cellules du calice (Feddersen et al. 1986). Une protéine
présente sur ces particules, et donc à la surface des œufs
du parasitoïde, possède des homologies antigéniques
avec la protéine hémolymphatique P42 de l’hôte Ephestia
kuhniella (Lépidoptère Pyralide) (Schmidt et al. 1990).
La protéine P42 est naturellement synthétisée en faibles
quantités par les hémocytes et le corps gras de l’hôte et
surexprimée en cas d’infection bactérienne. Elle limite
l’adhésion des hémocytes, et participerait donc au méca-
nisme endogène de contrôle de l’activité des cellules
307
Interactions Hyménoptères parasitoïdes – systèmes immunitaires hôtes
immunitaires (Berg et al. 1988). En se couvrant d’une
protéine homologue à P42, les œufs du parasitoïde évite-
raient ainsi l’adhésion des hémocytes sur leur surface
(Schmidt et al. 1990). Un cas similaire d’homologies
antigéniques a été observé entre des protéines de l’en-
veloppe des polydnavirus endosymbiotiques de Cotesia
kariyai (Braconide) et celles de l’hémolymphe de l’hôte
Pseudaletia separata (Lépidoptère Noctuide) (Hayakawa
&Yazaki 1997).
En outre, le chorion des œufs de V. canescens contient
une protéine de type hémomucine capable de former
un complexe avec les lipophorines de son hôte (protéines
hémolymphatiques de transport lipidique) (Kinuthia et
al. 1999). La formation d’un complexe hémomucine-
lipophorine participe normalement à la coagulation de
l’hémolymphe des insectes (Theopold & Schmidt 1997).
Kinuthia et al. (1999) ont suggéré que la formation
d’une réaction de coagulation limitée sur la surface des
œufs de V. canescens permettrait à ceux-ci d’être recou-
verts par des protéines de l’hôte. Ce mécanisme a été
initialement interprété comme une stratégie de «mimé-
tisme» diminuant les risques pour les œufs d’être détec-
tés comme corps étranger par les hémocytes. Toutefois,
les lipophorines sont connues pour inhiber l’adhésion
des hémocytes, chez la blatte Periplaneta americana
(Blattaria Blattide) (Coodin & Caveney 1992), ce qui
suggère l’existence d’un mécanisme anti-adhésif dépas-
sant le simple camouflage. Un autre endoparasitoïde,
Cotesia rubecula (Braconide) possède à la surface de ses
œufs une protéine de 32 kDa qui empêche également
l’adhésion des hémocytes de son hôte Pieris rapae
(Lépidoptère Pieride) (Asgari & Schmidt 1994; Asgari
et al. 1998). Cette protéine aux propriétés anti-adhé-
sives est produite par les cellules du calice de la femelle
parasitoïde et intégrée à la surface des œufs. L’analyse
de sa séquence primairearévélé la présence d’un motif
de liaison au hyaluronane, un glycosaminoglycane connu
pour affecter l’adhésion, la motilité et la croissance cellu-
laire (Nelson et al. 1995). Ces différents exemples
montrent que les facteurs de virulence développés par
ces parasitoïdes dépassent sensiblement le caractère
«passif » qui leur a été souvent attribué (Strand & Pech,
1995a;Schmidt et al. 2001).
II.2. Immunosuppression totale
Outre ces altérations précoces et localisées des capacités
d’encapsulement de l’hôte, certains endoparasitoïdes ont
développé des stratégies agissant avec un délai plus grand
et parfois en complément de celles évoquées précédem-
ment. Ainsi, la protection de l’endoparasitoïde Asobara
citri (Braconide) vis-à-vis du système immunitaire de
D. melanogaster résulte à la fois d’une incapacité des
hémocytes à adhérer à la surface des œufs parasites et
d’une sévère altération de l’organe hématopoïétique des
larves hôtes (Moreau et al. 2003). Différemment, le déve-
loppement des œufs de V. canescens bénéficie de l’action
d’un inhibiteur de protéases à sérine, produit par les
cellules du calice et qui altère l’activité des hémocytes de
E. kuhniella (Beck et al. 2000). Les polydnavirus produits
par les femelles de C. rubecula provoquent quant à eux
d’importants changements dans les propriétés de surface,
la structure du cytosquelette d’actine et dans les capaci-
tés d’adhésion des hémocytes de P. rapae environ 6 heures
après leur injection (Asgari et al. 1996). Enfin, le rôle
immunosuppresseur des protéines ovariennes de
Campoletis sonorensis (Ichneumonide) est relayé par l’ef-
fet à plus long terme des polydnavirus de cette même
espèce (Luckhart & Webb 1996 ; Webb & Luckhart
1994 et 1996; Cui et al. 2000). L’action de ces différents
facteurs assure donc la continuité de la protection initiée
par les protéines de surface des œufs contre le système
immunitairede l’hôte.
La suppression de l’encapsulement par des polyd-
navirus (ou virus à ADN multiples) a été initialement
rapportée par Edson et ses collaborateurs (1981). Si ces
virus endosymbiotiques ont été décrits chez une
cinquantaine d’espèces parasitoïdes, près de 30000 autres
espèces en seraient également pourvues (Webb 1998 ;
Whitfield 2002). Deux principaux groupes de virus à
ADN multiples phylogénétiquement et morphologi-
quement distincts, les Ichnoviridae et les Bracoviridae,
ont été caractérisés (Fleming 1992; Shelby & Webb
1999; Federici & Bigot 2003). L’expression des gènes
de ces virus se fait durant leur cycle de réplication, exclu-
sivement réalisé dans les cellules du calice des femelles
parasitoïdes, ou dans certains tissus hôtes tels que les
hémocytes (Fleming & Summers 1991 ; Strand et al.
1992; Harwood et al. 1994 ; Volkoff et al. 1995 ; Cui
&Webb 1996 ; Gruber et al. 1996; Yamanaka et al.
1996, Cui et al. 1997; Stoltz & Makkay 2000; Trudeau
et al. 2000; Pasquier-Barre et al. 2002).
Les polydnavirus peuvent altérer sévèrement les
hémocytes des hôtes en provoquant une désorganisa-
tion de leur cytosquelette (Tanaka 1987a;Li & Webb
1994 ; Strand 1994 ; Asgari et al,1997), l’induction
d’une apoptose (Strand & Pech 1995b), ou une inhi-
bition de leurs capacités d’adhésion (Strand et al. 1997,
1999 ; Stettler et al. 1998). L’activation du « système
phénoloxydase» est normalement nécessaire à la méla-
nisation des capsules formées par les hémocytes autour
des œufs parasitoïdes (pour revue voir Marmaras et al.
1996). Cette cascade enzymatique constitue également
une cible privilégiée des virus à ADN multiples (Stoltz
&Cook 1983;Lavine & Beckage 1995; Strand & Pech
1995a; Doucet & Cusson 1996 ;Carton & Nappi
308
S.J. M. M
OREAU
1997). Ainsi, les activités de plusieurs enzymes du
«système phénoloxydase» (phénoloxydase, dopachrome
tautomérase, DOPA décarboxylase) de l’hôte H. vires-
cens sont fortement réduites après l’injection des polyd-
navirus du parasitoïde C. sonorensis (Shelby & Webb
1999; Shelby et al. 2000). En outre, les virus peuvent
perturber d’autres fonctions immunitaires telles que la
synthèse de composés anti-bactériens (cécropine et lyso-
zyme) (Shelby et al. 1998) ou des éléments clés de la
réponse anti-microbienne (attacine, lectines, protéases
àsérine) (Gillespie et al. 1997; Faye & Kanost 1998).
L’action des virus à ADN multiples nécessite parfois
la présence de venin pour supprimer totalement les
défenses immunitaires de l’hôte (Kitano 1982, 1986;
Tanaka 1987b, Stoltz et al. 1988; Strand & Noda 1991).
Dans le modèle Pseudaletia separata Cotesia kariyai,
les virus seuls réduisent de 50 % l’encapsulement de
corps étrangers implantés artificiellement dans l’hôte,
tandis que l’action conjuguée du venin et des virus inhibe
complètement l’encapsulement (Tanaka 1987b).
Des travaux récents ont permis de préciser les carac-
téristiques biochimiques et structurales des protéines
immuno-suppressives de certains polydnavirus. Des
motifs répétés de type EGF (« Epidermal Growth
Factor ») ont été identifiés dans les séquences de protéines
virales des Braconides Microplitis demolitor et C. kariyai
(Trudeau et al. 2000 ;Tanaka et al. 2002). Ils contri-
bueraient à l’inhibition des capacités d’adhésion des
hémocytes des hôtes exprimant les protéines virales à
leur surface après infection. Par ailleurs, la protéine CrV1
codée par le génome du polydnavirus de Cotesia rube-
cula contiendrait un motif de type «glissière à leucine »
(Asgari & Schmidt 2002). Ce domaine serait nécessaire
à l’internalisation de CrV1 dans les hémocytes des hôtes,
étape préalable à la désorganisation du cytosquelette des
cellules immunitaires par cette protéine.
Les particules de type viral produites, selon les
espèces, dans la région du calice ou dans une glande
annexe du système reproducteur des femelles (Feddersen
et al. 1986;Rizki & Rizki 1990a), se distinguent des
polydnavirus par une absence d’acides nucléiques. Elles
sont également capables d’altérer la morphologie et le
fonctionnement des hémocytes des hôtes. C’est notam-
ment le cas des particules de type viral de l’Eucoilide
Leptopilina heterotoma,endoparasitoïde de larves de
drosophiles. Injectées lors de la ponte, elles modifient
la morphologie de certaines populations hémocytaires
et les rendent inaptes à édifier une capsule autour de
l’œuf parasitoïde (Rizki et al. 1990;Rizki & Rizki 1991).
De telles particules pourraient également prendre part
aux importantes altérations de l’organe hématopoïé-
tique, observées chez des larves de D. melanogaster infes-
tées par L. heterotoma ou Ganaspis xanthopoda
(Eucoilide) (Chiu et al. 2000). Deux souches d’un autre
Eucoilide, Leptopilina boulardi,qui se distinguent par
leurs niveaux de virulence envers D. melanogaster,présen-
tent des particules de type viral de morphologies
distinctes (Dupas et al. 1996). Seules les particules de
la souche virulente sont capables d’altérer la morpho-
logie des lamellocytes des hôtes parasités, hémocytes
essentiels à la formation des capsules cellulaires (Russo
et al. 2001). Il a récemment été démontré que cette alté-
ration est due à une protéine de 35 kDa localisée au
niveau des particules de type viral de L. boulardi et appar-
tenant à la famille des Rho-GAP, enzymes habituelle-
ment impliquées dans la régulation du cytosquelette
d’actine (Labrosse et al. 2003).
Plusieurs auteurs ont par ailleurs rapporté les capa-
cités immunosuppressives des tératocytes, cellules issues
de la dissociation de la séreuse extra-embryonnaire de
certains Braconides, Trichogrammatides ou Scelionides
(pour revue, voir Dahlman 1990). L’existence de cellules
de type tératocytes est également suspectée chez
l’Ichneumonide Diadromus pulchellus (Rouleux-Monin
et al. 1999). Les tératocytes ne se divisent pas après leur
libération dans l’hémolymphe de l’hôte, mais leur
diamètre augmente souvent considérablement (Salt
1968; Barratt & Sutherland 2001; Hotta et al. 2001).
En raison de leur apparition tardive, les tératocytes ne
semblent agir qu’en complément des effets immuno-
suppresseurs de facteurs plus précoces. Ainsi, chez
C. kariyai,les virus endosymbiotiques et le venin parti-
cipent à l’inhibition de l’encapsulement des œufs, tandis
que les tératocytes protégeraient les larves parasitoïdes
nouvellement écloses (Tanaka & Wago 1990). En parti-
culier,les tératocytes les plus âgés synthétiseraient un
inhibiteur de la phénoloxydase encore non identifié
(Tanaka & Wago 1990).
II.3. Capacités immunosuppressives
des ectoparasitoïdes
Siles interactions entreles endoparasitoïdes et le système
immunitaire de leurs hôtes sont bien documentées, peu
d’informations sont en revanche disponibles sur les éven-
tuels facteurs immunodépresseurs participant à la viru-
lence des ectoparasitoïdes (Strand & Pech 1995a). A tel
point que certains auteurs considèrent l’ectoparasitisme
lui-même comme un mécanisme «passif »d’évitement
des défenses immunitaires (Coudron 1991; Strand &
Pech 1995a;Vass & Nappi 2000; Schmidt et al. 2001).
Toutefois, des études récentes risquent de modifier sensi-
blement cette conception. Richards & Edwards (1999)
ont en effet montré que les populations hémocytaires
des larves du Lépidoptère Lacanobia oleracea (Noctuide)
augmentent en réponse à l’infestation par l’ectoparasi-
309
Interactions Hyménoptères parasitoïdes – systèmes immunitaires hôtes
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