Prophéties royales et littérature apocalyptique dans l'Égypte ancienne (présentation originale: Youri Volokhine) Texte latin, qui traduit un texte original en grec (disparu). L’Asclepius circulait dans le monde romain du IIIe siècle (il est parfois faussement attribué à Apulée). Ce texte est une compilation de lambeaux traduits du grec d’un « Discours parfait ». Il a été connu tout au long du Moyen Âge. Codex copte de Nag Hammadi (Khénoboskion). En 1947, on découvrit dans une jarre près du village de Nag Hammadi en Haute Egypte, une importante documentation datant du IIIe au Ve siècle. La majorité des textes sont gnostiques ; il y figure également un évangile apocryphe « les Paroles secrètes de Jésus », ou Evangile de Thomas (connu aussi par un papyrus fragmentaire d’Oxyrhynchos). Enfin, on y trouve une anthologie hermétique conservant une longue partie du modèle de l’Asclépius. Asclepius 24-25 : « Petite apocalypse » (trad. Festugière) Ignores-tu donc, Asclépius, que l’Egypte est l’image du ciel ou, pour mieux dire, le lieu où se transfèrent et se projettent ici-bas toutes les opérations que gouvernent et mettent en oeuvrent les forces célestes? Bien plus, s’il faut dire tout le vrai, notre terre est le temple du monde entier. Et cependant, puisqu’il convient aux sages de connaître à l’avance toutes les choses futures, il en est une qu’il faut que vous sachiez. Un temps viendra où il semblera que les Egyptiens ont en vain honoré leurs dieux, dans la piété de leur cœur, par un culte (religio) assidu: toute leur sainte adoration échouera, inefficace, sera privée de son fruit. Les dieux, quittant la terre, regagneront le ciel; ils abandonneront l’Egypte; cette contrée qui fut jadis le domicile des saintes liturgies (religio), maintenant veuve de ses dieux (uidata numinum), ne jouira plus de leur présence. Des étrangers rempliront ce pays, cette terre, et non seulement on n’aura plus d’observances (religio), mais, chose plus pénible, il sera statué de prétendues lois sous peine de châtiments prescrits, de s’abstenir de toute pratique religieuse, de toute acte de piété ou de culte envers les dieux. Alors cette terre sainte, patrie des sanctuaires et des temples, sera toute couverte de sépulcres et de morts. O Egypte, Egypte, il ne restera de tes cultes (religio) que des fables, et tes enfants, plus tard, n’y croiront même pas; rien ne survivra que des mots gravés sur les pierres qui racontent tes pieux exploits. Le Scythe, ou l’Indien, ou quelque autre pareil, s’établira en Egypte. Car voici que la divinité remonte au ciel; les hommes, abandonnés, mourront tous, et alors, sans dieu et sans hommes, l’Egypte ne sera plus qu’un désert. C’est à toi que je m’adresse, fleuve très saint, c’est à toi que j’annonce les choses à venir: des flots de sang te gonfleront jusqu’aux rives et tu les déborderas, et non seulement tes eaux divines seront polluées par ce sang, mais il les fera sortir de leur lit, et il y aura beaucoup plus de morts que de vivants; quant à celui qui aura survécu, ce qu’est qu’à son langage qu’on le reconnaîtra pour Egyptien: dans ses façons d’agit il paraîtra un homme d’une autre race (alienus). Pourquoi pleure, Asclépius? L’Egypte elle-même se laissera entraîner à bien plus que cela, et à bien pire: elle sera souillée de crimes bien plus graves. Elle, jadis la sainte, qui aimait tant les dieux, seul pays de la terre où les dieux fissent leur séjour en retour de sa dévotion, elle, qui enseignait aux hommes la sainteté et la piété, donnera l’exemple de la cruauté la plus atroce (…). La cosmologie Egyptienne et le thème de la fin des temps Séparation du ciel et de la terre. D’après le sarcophage de Nebtaouy, MMA, New York. La conscience de la menace: Seth harponnant le serpent Apopi Papyrus de Herouben (B) (Musée du Caire) Une représentation du monde: un espace délimité. 1 L’« ouroboros » (ce qui entoure le monde) 1 2 L’Occident 3 L’Orient 4 3 5 4 La barque solaire 6 2 5 Les provinces d’Egypte 6 Les pays étrangers L’idée d’un cataclysme général sr ḥn.t « le pélican prédira » «(…) O Maître de l'horizon, fais une place à Ounas! car si tu ne tiens pas prête une place pour Ounas, alors Ounas jettera une malédiction sur mon père Geb: “La terre n’a plus de porte-parole, Geb n’a plus de gardien” et quiconque Ounas trouvera sur son chemin sera dévoré! Le Pélican prédira, l’Oiseau(le Pélican)-Eclatant se manifestera, le Grand se dressera, l'Ennéade se mettra à crier (disant): “Le pays (lit. la terre) est détruit, et les deux extrémités des montagnes (bordant la vallée) se réunissent, les deux rives se rejoignent, les routes sont impraticables aux voyageurs, et les terrasses sont détruites pour ceux qui voudraient y monter” Textes des Pyramides 254 § 277-279 (pyramide d’Ounas) (env. 2325 av. J.C.). Papyrus Salt 825 (IIIème s. av. J.-C.): « Rituel pour la conservation de la vie en Égypte » (Derchain Papyrus Salt 825, p. 137) Ce [n’est pas] éclairé pendant la nuit et le jour n’existe pas. Une lamentation est faite (deux fois) [dans le ciel] et sur la terre. Les dieux et les déesses se mettent les mains sur la tête, la terre est dévastée, le soleil ne sort pas, la lune tarde, elle n’existe pas. Le Noun vacille, la terre chavire ; le fleuve n’est pas navigable… Tout le monde gémit et pleure. Les âmes, les dieux, les déesses, les hommes, les esprits « bienheureux » (akhou), les morts, les bestiaux petits et grands…, pleurent, pleurent beaucoup, beaucoup. Monologue d’Atoum, le dieu-créateur J'ai instauré des millions d'années entre moi et ce fatigué de cœur, le fils de Geb (= Osiris); ensuite je serai assis avec lui en un seul endroit, et les buttes deviendront des villes et les villes des buttes, chaque maison ruinera l'autre. CT VII, 467e-468 b Texte des Sarcophage du Moyen Empire (2033-1786 av. J.-C.) Le dieu-créateur Atoum s’adresse à Thot: « “O Thot, que faut-il faire des Enfants de Nout (msw Nwt) ? Ils ont créé les guerres, ils ont suscité des querelles, ils ont créé le mal, ils ont formé les révoltes, ils ont massacré, ils ont procédés à des emprisonnements. Assurément, ils ont abaissé ce qui était grand, dans tout ce que j'ai créé...” ». Extrait du Livre des Morts, chap. 175 (Nouvel Empire): « Formule pour ne pas mourir à nouveau ». P. Barguet, Livre des Morts, LAPO, Paris, 1967, p. 260. Trois versions de ce texte sont connues à la XIXe dynastie. Naville, Tb, pl. CXVIIII (Leyde T 5, Rê); Budge, BD, p. 458 ( BM 10470, Ani) (circa 1590-1292 av. J.-C.). « Aussi Thot, répond à Atoum: “Tu ne dois pas tolérer (lit. voir) le mal, tu ne dois pas supporter (cela). Ecourte leurs années, retranche à leurs mois, puisqu'ils ont fait une destruction sournoise (lit. cachée, imn) de tout ce que tu as créé (…).” » Le défunt s’inquiète de son sort : « (…) “(Et ) qu'en est-il de ma durée de vie ?”, demande le défunt. Et Atoum lui réplique: “Tu es destiné à des millions de millions d'années, et (avant) je ferai que tu atteignes le grand âge. Mais moi, oui, je détruirai tout ce que j'ai créé. Cette terre reviendra à l'état de Noun, à l'état de flot, comme à son début. Je suis ce qui restera, avec Osiris, quand je me serai transformé à nouveau en serpent, que les hommes ne peuvent connaître, que les dieux ne peuvent pas voir (…).” » La présence d’une menace extérieure: le serpent du naufragé (Conte du Naufragé 114 sq., P. Ermitage 1115, XIIe dynastie) (114) « Vois, le dieu a permis que tu vives, puisqu’il t’a amené en cette île du ka, dans laquelle il n’y a rien qui ne se trouve. (…) (125) cette île, où j’étais avec mes compagnons, et mes enfants dans leur groupe. Nous étions au total 75 serpents, mes enfants et mes compagnons (…). Or, une étoile vint à tomber, et ceux-ci sous son action prirent feu. Cela arriva alors que je n’étais pas avec eux. Ils brûlèrent sans que je fusse au milieu d’eux. Je (faillis) mourir à cause d’eux que je trouvai en un seul monceau de cadavres (…) ». Prophétie de Néferty (XIIe dynastie; p. Ermitage n° 1116b): « conte prophétique » raconté par le prêtre Néferti au pharaon Snéfrou (IVème dynastie, env. 2630-2609, à propos des malheurs futurs de l’Égypte et de l’avènement du pharaon Amény (=Amenemhat Ier, fondateur de la XIIème dynastie). (rédaction: env. 1900 av. J.-C.; mise sur papyrus, XVIIIe dyn, env. 1450 av, J-C.) « Paroles dites par le prêtre-lecteur Néferti (…) alors qu’il méditait sur ce qui devait arriver dans le pays et qu’il évoquait la condition de l’est (de l’Egypte), quand les Asiatiques feraient irruption avec leurs forces, qu’ils terrifiaient les cœurs de ceux qui sont à la moisson, et qu’ils enlèveraient les attelages en train de labourer. (…) Les éléments perturbés Comment donc sera ce pays? Le disque solaire sera voilé, il ne brillera plus de façon que les hommes puissent (le voir); on ne vivra plus, car les nuages (le) recouvriront. Les hommes seront anéantis du fait de son absence. Je vais dire ce que j’ai devant les yeux: je n’annonce pas ce qui n’est pas ce qui n’existe pas. Les fleuves d’Egypte étant sec, on pourra traverser l’eau à pied (…) la rive se transformera en l’eau en rive. Le vent du sud s’opposera au vent du nord (…). Les étrangers en Egypte Un oiseau d’origine étrangère (drdr) pondra dans les marais du Delta (…). Les ennemis ont fait leur apparition à l’est, les Asiatiques descendent en Egypte. Le palais sera dans la détresse, personne ne le secourra (…) Les animaux du désert boiront aux fleuves d’Egypte (…). Le pays en crise (…) On fera des flèches en bronze, et on demandera du pain avec du sang. On rira d’un rire morbide. On ne pleurera plus à cause de la mort (…). Chacun n’aura plus de pensées que pour soi-même. On ne fera plus de cérémonies de deuil (…). Je te montre le fils comme ennemi, le frère comme adversaire, un homme assassin de son père (…). Les ténèbres à la place du jour (…) Le soleil s’éloignera des hommes. Il se lèvera bien quand c’est l’heure, mais on ne saura plus distinguer qu’il est midi (…). Le visage ne sera plus ébloui quand il le regardera, les yeux ne seront pas humides d’eau. Il sera dans le ciel comme la lune, mais son trajet sera le même, ses rayons seront visibles comme avant. Le pays bouleversé Je te montre le pays sens dessus dessous. Celui qui était fort est désormais faible. On saluera celui qui avant saluait. Je te montre l’inférieur maintenant au-dessus du supérieur (…). On vit dans le cimetière. Le pauvre acquerra de grands trésors (…). Ce sera fini de la province d’Héliopolis d’être le pays berceau de tout dieu (…). Annonce d’un roi-sauveur Mais voici qu’un roi viendra du sud, nommé Amény (…). Il prendra la couronne blanche, il prendra la couronne rouge (…). Réjouissez-vous hommes de son temps! (…). Les Asiatiques tomberont par l’effet de la terreur qu’il inspire, les Libyens tomberont devant sa flamme. Les ennemis seront livrés à sa colère (…). On (re)construira les Murailles-du-Prince, et on ne permettra plus que les Asiatiques descendent en Egypte. Ils demanderont de l’eau, à la manière habituelle, pour permettre à leurs troupeaux de boire. Le droit reviendra à sa place, le mal ayant été repoussé dehors. Qu’il se réjouisse celui qui verra (cela), et qui se trouvera alors au service du roi ». Allusion à une recréation du monde? « (…) ce qui a été créé est dans l'état de ce qui n'a pas été créé, puisse Rê (re)commencer à fonder, car la terre est complètement détruite, sans qu'il n'en reste rien (…). » W. Helck, Die Prophezeiung des Nfrt.tj, 1970, p. 19 IV c Les Lamentations d’Ipouer (P. Leiden I 344 r°). Ms. XIXe dynastie ( rédaction originale: c. 1850-1600 av. J.-C..) Roland Enmarch, The Dialogue of Ipuwer and the Lord of All, Oxford, 2005. « (…) Khnoum ne façonne plus (les hommes) à cause de l’état du pays » (2.4) « (…) Hélas, le cœur (des hommes) est devenu violent. La maladie (iadet) est à travers le pays. Le sang est partout. Rien ne manque à la mort » (2.5) « (…) Hélas, des multitudes de morts sont charriés par le Nil. La tempête est leur sépulcre, et la salle d’embaumement est inondée » (2.6.) « (…) Hélas, le pays tourne comme une roue de potier. Le voleur est riche, le riche est devenu un miséreux » (2.8) « (…) Hélas, le Nil est devenu de sang, et les hommes s’y abreuvent » (2.10) « (Hélas), le désert a envahi le pays. Les provinces sont dévastées. Des peuplades étrangères (pdjtyw rwty) sont venues en Egypte […] il n’y a plus d’Egyptiens (= d’hommes, rmt) nulle part » (3.1) « Hélas, l’or, le lapis-lazuli, l’argent, la malachite, le bronze (…) parent le cou de la servante » (3.2) « Hélas, tout le bétail, leur cœur pleure, et les troupeaux sont en lamentations à cause de l’état du pays « (5.5) « Voyez, les secrets du pays, dont les limites sont inconnues, sont divulgués. Le palais royal est abattu, à l’instant » (7.4) « La Basse Egypte pleure; les greniers du roi sont devenus le bien de tous, et le palais est sans revenus » (10.3) http://ohr.edu/yhiy/article.php/838 Inscription d’Hatchépsout au Spéos Artémidos (XIXème dynastie) « (...) j’ai remis en bonne condition ce qui était en décrépitude, j’ai redressé ce qui était en ruine depuis le temps où les Asiatiques (Âamou) étaient au milieu du Delta à Avaris, avec des nomades (Chémaou) parmi eux, détruisant tout ce qui avait été faits ; ils gouvernaient dans l’ignorance de Rê ; on n’agissait plus selon l’ordre divin jusqu’à ce que vint Ma Majesté (...) ». Urkunden IV, 390 Bibliographie: Assmann, Jan. 1975. Zeit und Ewigkeit im alten Aegypten: ein Beitrag zur Geschichte der Ewigkeit. Abhandlungen der Heidelberger Akad. der Wissenschaften. Phil.-hist. Klasse 1975, Abh. 1. Heidelberg: C. Winter. Assmann, Jan. 1989. « Königsdogma und Heilserwartung. Politische und kultische Chaosbeschreibungen in ägyptischen Texten ». In Apocalypticism in the Mediterranean World and the Near East. Proceedings of the International Colloquium on Apocalypticism. Uppsala, August 12-17, 1979, édité par David Hellholm, 2ème éd., 345-377. Tübingen: Mohr. Bergman, Jan. 1989. « Introductory Remarks on Apocalypticism in Egypt ». In Apocalypticism in the Mediterranean World and the Near East. Proceedings of the International Colloquium on Apocalypticism. Uppsala, August 12-17, 1979, édité par David Hellholm, 2ème éd., 51-60. Tübingen: Mohr. Bickel, Suzanne. 1994. La cosmogonie égyptienne, avant le Nouvel Empire. Orbis biblicus et orientalis 134. Fribourg Suisse : Göttingen: Editions universitaires ; Vandenhoeck & Ruprecht. Derchain-Urtel, Maria-Theresa. 1974. « Die Schlange des Schiffbrüchigen ». Studien zur altägyptischen Kultur 1: 83-104. Devauchelle, Didier. 1994. « Les prophéties en Égypte ancienne ». In Prophéties et oracles II. En Égypte et en Grèce ancienne, édité par Jésus-Maria Asurmendi, 6-31. Suppléments au Cahier Évangile 89. Festugière, André-Jean, et A. D. Nock, éd. 1992. Corpus Hermeticum. Tome II. Traités XIII-XVIII. Asclepius. 5e tirage revu. Paris: Les Belles lettres. Schott, Siegfried. 1952. « Altägyptische Vorstellungen vom Weltende ». Studia Biblica et Orientalia 12: 319-330.