Cours n°2 - Jean Ferrette

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Cours de mobilité sociale (2)
Vendredi 21 avril 2006
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Égalité des
conditions
Inégalité des
conditions
Mobilité
Égalité des
chances
(socialisme
révisionniste)
Renouvelle
ment des
élites
(Pareto)
Immobilité
Reproduction
égalitaire
(objectif
communiste)
Reproduction
inégalitaire
(Aristocratie)
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3.1.2 L’acteur ou le système?
Les paradigmes de la mobilité sociale
Paradigme: définition
– «règles admises et intériorisées comme « normes » par la
communauté scientifique, à un moment donné de son histoire, pour
délimiter et problématiser les « faits » qu'elle juge dignes
d'étude ».
Kuhn , La Structure des révolutions scientifiques 1962
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• Or les paradigmes peuvent entrer en crise lorsqu’ils
•  échouent à expliquer certains faits
•  aboutissent à des anomalies théoriques.
• Leur fondement est extra-scientifique, c’est-à-dire infalsifiable
• Seules les théories sont falsifiables, donc scientifiques.
• Les paradigmes sont utiles et nécessaires car ils constituent des
« matrices disciplinaires » (Kuhn) et des « programmes de recherche »
(Lakatos).
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Ils ont donc deux aspects :
• Ils sont féconds,
• car ils « servent à définir ce qui devrait être étudié, quelles questions
devraient être posées et quelles règles devraient être utilisées dans
l’interprétation des résultats obtenus » (G. Ritzer) .
• Ils conservent une forte composante idéologique, c’est-à-dire de
parti pris partisan ou de représentation inconsciente héritée du
monde.
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• Georges Lukacs (1885- 1971)
• refuse l’existence d’une science sociale
•  il existe des relations étroites entre pensée et
action .
• La connaissance que tout être social peut avoir de
lui-même ne peut être que conscience, et non science.
•Max Weber (1864-1920) admet que les sciences sociales
sont subordonnées aux questions que le chercheur pose à
une réalité sociale n’ayant elle-même de signification qu’en
fonction de valeurs et d’intérêts sociaux spécifiques ;
•mais il ne renonce pas pour autant à la dimension
scientifique de la recherche, à condition que le chercheur
contrôle son rapport aux valeurs en recourant à des procédés
de démonstration fondés sur les règles de la logique, et donc
universellement acceptables.
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Le système davantage que l’acteur: une
façon spécifique de poser un problème
sociologique
– « Les trajectoires sociales (immobilité et
différentes formes de mobilité) s’expliquentelles par les structures sociales et leurs
évolutions, qui les contraignent ou les rendent
possibles, ou bien les structures sont-elles le
résultat, instable ou provisoire, de l’action des
individus ? » Dominique Merllié
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– Ce n’est pas seulement s’interroger sur le sens d’une
causalité.
– Il existe un autre enjeu :
– savoir si ce sont les hommes qui font l’histoire et
savent quelle histoire ils font pour ce qui les concerne ;
– ou s’ils sont les jouets de structures agissant en réponse
à des pressions macro-économiques (ou macro-sociales,
par le jeu des « effets pervers ») auxquelles se
soumettent les agents.
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L’organicisme de Sorokin
• Ce qui est en jeu c’est la reproduction de la structure.
• Celle-ci résulte de l’approfondissement de la division sociale du
travail ;
• la structure s’explique par sa fonction
• chaque place par sa fonctionnalité.
• La mobilité sociale n’est pas autre chose que le mécanisme par lequel
les sociétés assurent le recrutement des individus et des groupes
capables d’occuper une position pour remplir efficacement les
fonctions qui y sont attachées.
• QUESTION: par quels moyens cette circulation a-t-elle lieu?
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Les « agences » de distribution
•
•
•
•
Il en est deux majeures : la famille et l’école.
d’autres,
 « canaux de la circulation sociale »
 « orifices », « escaliers » et autres « élévateurs »
entre strates
• EXEMPLES: l’armée, les églises, les partis
politiques, les syndicats.
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Chacun de ces canaux obéit à
un processus en trois temps :
• 1. il évalue les individus par rapport à la fonction sociale ;
• 2. il les sélectionne,
• 3. Il les distribue.
•
•
•
•
•
•
•
•
Le premier tri:
les « qualités générales »
 la famille, de l’école, de l’église.
« la distribution sociale »
 les institutions professionnelles
Objectifs:
ni sous-production, ni surproduction
chacun doit trouver sa place.
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•  Toute la mobilité observée est structurelle, car elle résulte du
fonctionnement d’agences qui ont pour objet de répondre aux
exigences de la structure.
•  Il ne peut y avoir de mobilité nette, puisque les individus ne
peuvent circuler selon leurs seuls mérites : ce n’est pas l’individu qui
se fraie un chemin, c’est la structure qui le distribue.
• Ce modèle est explicitement organiciste : un corps, la société, dispose
des moyens de son renouvellement par l’affectation de ses éléments
aux endroits où ils pourront le mieux remplir leurs fonctions.
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L’explication fonctionnaliste
– Par la suite, l’école américaine (Davis, Moore, Parsons) s’attachera surtout
à démontrer la fonctionnalité de la stratification sociale.
– Leur credo repose sur trois principes :
– L’inégalité sociale est fonctionnelle
– La structure sociale est fluide
– La mobilité sociale est l’élément « stratégique » (qui permet les
ajustements).
– La théorie de Lipset-Etterberg-Bendix
– Pour ces auteurs la mobilité sociale est la combinaison de deux processus :
une offre de statuts vacants et un échange entre positions, auxquels
s’ajoute l’analyse des facteurs de motivation à la mobilité ascendante.
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D’où viennent les statuts vacants?
•
•
•
•
leur répartition varie, sous le double effet :
de la division technique du travail
de la fécondité différentielle des individus.
La mobilité verticale répond à la nécessité de compenser ces variations
par des échanges démographiques.
• Pour qu’il y ait échanges de positions, il faut que tous les individus
possèdent la même capacité, qui leur est garantie, à entrer en
compétition pour les statuts.
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La théorie de Blau
(1918-2002)
et
Duncan
(1921-2004)
En 1967 Blau et Duncan publient The American
occupational structure, étude de la stratification et de
la mobilité sociale aux Etats-Unis et dans les pays
industriels.
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• La méthode ne se veut plus métrologique (étude de la mesure) mais
également explicative ; non plus seulement comparative, mais
analytique.
• Sociétés modernes
• + d’universalisme et d’ « achievement » (l’accomplissement),
• - de particularismes d’ « ascription »(l’assignation).
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Ce phénomène s’explique par
trois causes :
– Le progrès technologique et économique, qui
augmente le nombre de places en haut de
l’échelle .
– La mobilité géographique, qui affaiblit les liens
familiaux.
– La fécondité différentielle entre catégories
sociales.
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– L’universalisme est donc un ensemble de conditions permissives
de la mobilité sociale.
– Celle-ci résulte de conduites individuelles normativement orientées
vers certaines fins socialement valorisées. C’est le changement
structurel qui procède de l’évolution des modèles culturels.
– Le rôle essentiel est donné ici aux motivations individuelles, le
changement structurel en est le résultat. Il s’agit sans doute du
paradigme le plus individualiste, et aussi le plus en phase avec
l’idéologie libérale américaine.
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Les travaux de l’INED.
En France, ce fut longtemps l’Institut National des Etudes
Démographiques (INED) qui étudia, seul, les phénomènes de mobilité.
• Ces études commencent avec l’enquête nationale menée en 1950:
• Mobilité sociale et dimension de la famille
• première à prendre en compte quatre générations au lieu de deux.
Elles se poursuivent avec les travaux d’ Alain Girard (1951), centrés
sur les lycées et les facultés.
• En 1961 il publie aux éditions de l’INED un ouvrage intitulé La
réussite sociale en France. Il dessine une « écologie » de la réussite
sociale par l’étude des « circonstances extérieures, familiales et
sociales susceptibles d’avoir exercé une influence sur la vie des
personnes choisies en fonction de critères simples attestant leur
réussite ».
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Ses études portent sur
• des personnalités contemporaines
• d’anciens élèves des grandes écoles
• des « personnages illustres du passé »
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• Il souligne le rôle de frein joué par la famille dans le changement
social :
• « Tant qu’elle continuera à remplir, dans la société, les fonctions
essentielles qui demeurent les siennes, d’identification sociale et de
perpétuation du nom, comme d’éducation du petit enfant, il paraît bien
difficile d’assurer à tous l’égalité complète des chances
(La réussite sociale en France p. 353) »
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Pour P.Longone (1970)
• c’est la consommation, en entraînant des changements dans la structure
de la production et donc des emplois, qui est à l’origine de la mobilité
sociale :
• « Les modifications dans la consommation déclenchent celles de la
production ; l’engouement pour l’automobile depuis 1950, pour la
télévision depuis 1955 a été générateur d’un essor rapide des métiers
et des professions nécessaires à l’étude, à la production, à la vente et à
l’entretien de ces objets. (…) L’application du revenu ainsi rendu
disponible à des consommations relevant de secteurs à plus haute
productivité (d’abord industriels) accroît les emplois… »
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Il recourt à l’appui de sa thèse à
la loi d’Engel
« … la mobilité sociale reflète finalement, dans une large mesure, la
variabilité des besoins et de la consommation. » (P.Longone 1970)
• à mesure que les besoins élémentaires sont satisfaits, la structure de la
consommation se déplace vers d’autres besoins (santé, culture…)
entraînant des créations d’emploi dans ces secteurs.
• C’est cette variation dans la structure de la consommation (part moins
grande pour l’alimentation, plus grande pour le cinéma) qui va
entraîner des déplacements d’individus d’une catégorie vers l’autre.
•
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Pierre Bourdieu (1930-2002)
• 1964 Les Héritiers le
consacrent comme l’intellectuel
de la « reproduction sociale »
• En 1970 dans La reproduction il
présente la mobilité
sociale comme facteur de
conservation et un procédé
individualiste dans lequel seuls
quelques uns s’en sortent
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• « …. la mobilité contrôlée d’un nombre limité d’individus peut
servir la perpétuation de la structure des rapports de classe ;
ou, en d’autres termes, à condition de supposer possible la
généralisation à l’ensemble de la classe de propriétés qui ne
peuvent sociologiquement appartenir à certains membres de la
classe que dans la mesure où elles restent réservées à
quelques-uns, donc refusées à l’ensemble de la classe en tant
que telle. » (Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron 1970,
pages 69/70)
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•
Loin d’être incompatible avec la reproduction de la structure des
rapports de classe, la mobilité des individus peut concourir à la
conservation de ces rapports, en garantissant la stabilité sociale par la
sélection contrôlée d’un nombre limité d’individus, d’ailleurs modifiés
par et pour l’ascension individuelle, et en donnant par là sa crédibilité
à l’idéologie de la mobilité sociale qui trouve sa forme accomplie dans
l’idéologie scolaire de l’Ecole libératrice ».
«
page 206
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– Dans la suite de ces auteurs, mais de manière
cette fois-ci explicitement marxiste et engagée,
d’autres ont nié toute pertinence à cette
problématique au motif que quelles que soient
les circulations entre les places, la seule chose
qui importe est qu’il y a reproduction de ces
places.
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Nicos Poulantzas
« L’aspect fondamental de la reproduction des rapports sociaux –des
classes sociales- n’est pas celui des « agents », mais celui de la
reproduction des places de ces classes ».
• (Les classes sociales en France 1974, p.291)
• Ce qui prime, ce n’est pas la « structure », mais sa reproduction.
• Il ne concéder aucun rôle à l’école dans la reproduction des classes
sociales puisque, « pour la classe ouvrière (..) ce rôle dominant revient
en fait directement à l’appareil économique lui-même, à l’entreprise ».
(Page 275).
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Baudelot et Establet:
• le problème essentiel n’est pas la reproduction des statuts individuels,
mais celle des classes sociales :
• « ce qui importe au fonctionnement du mode de production capitaliste,
ce n’est pas que les fils héritent de la classe sociale de leur père, mais
bien que la classe ouvrière, en tant que classe exploitée, opprimée,
dominée, et la classe bourgeoise, en tant que classe exploitante,
oppressive, dominante soient constamment reproduites ». (Baudelot et
Establet L’école capitaliste en France1971 p. 315).
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Le paradigme systémique de
Raymond Boudon (Né en 1934)
• La logique du social
• « les faits sociaux sont le résultat non intentionnel d’actions
intentionnelles ». (Boudon 1979) Si l’acteur a la maîtrise de ses
décisions, la portée de celles-ci lui échappe.
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•
•
•
•
« l’individualisme méthodologique » va de pair avec un fort déterminisme
structurel.
La « demande sociétale de compétences » (les besoins de la structure) ne peut
pas toujours satisfaire une offre individuelle de qualifications. Selon les cas,
les titres scolaires peuvent s’accompagner d’une baisse, d’une augmentation
ou d’une constance du statut hérité.
Boudon formalise des processus médiateurs.
Les perceptions subjectives de la réalité sont ainsi reliées aux décisions. C’est
la représentation des contraintes (ou du champ des possibles) qui sera
intermédiaire entre la structure et les décisions des acteurs. Chaque décision
est une anticipation des chances objectives.
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Les relations Structures
scolaires/Structures sociales.
• La sociologie française s’est surtout intéressée au
lien existant entre accès au diplôme et origine
sociale.
• Il y a effectivement un lien origine/diplôme
• MAIS le lien diplôme/statut semble, lui,
davantage soumis à caution
• C’est ce que Boudon a nommé le « paradoxe
d’Anderson ».
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• Paradoxe : une élévation du niveau scolaire ne
s’accompagne pas nécessairement d’une élévation sociale.
• il relève qu’il y a deux fois moins de fils situés à un niveau
social plus élevé que de fils situés à un niveau d’instruction
plus élevé.
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Niveau
d’instruction du
fils par rapport à
celui du père
Statut social du fils par
rapport à celui du père
Plus
élevé
134
Plus
élevé
Sembl 23
able
Plus
7
bas
Total
164
Sembl Plus
able
bas
61
96
Total
33
24
80
16
22
45
145
107
416
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291
Raymond Boudon conclut ainsi son livre
• L’inégalité des chances :
• « une diminution de l’inégalité des chances
scolaires n’est pas incompatible avec la
stabilité de la structure de la mobilité que
les données disponibles mettent en
évidence. »
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Reprenant le paradoxe cité ci-dessus, il
évoque deux moments dans un trajet de vie :
• l’allocation d’une position dans la structure
scolaire
• l’allocation d’une position dans la structure
sociale
• Dans le premier cas, chaque individu évalue depuis sa position sociale
le risque, le coût et le bénéfice le choix d’un cursus scolaire.
L’ensemble du processus est modélisable puisqu’il est un « processus
de décision rationnel dont les paramètres sont la fonction de la
position sociale ».
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Au sein du second processus, on distingue
deux stades ou deux variables :
• l’origine sociale (effet de dominance)
• Le niveau d’instruction (effet
méritocratique)
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Comment expliquer ce paradoxe ?
•  la structure scolaire se modifie plus vite que la
structure sociale.
•  La réduction de l’inégalité des chances
scolaires ne résulte pas d’une réduction des
inégalités socio-économiques, mais de
l’augmentation générale de la demande
d’éducation sous l’effet de facteurs endogènes , et
dans une moindre mesure, exogènes (changements
économiques et technologiques).
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CONCLUSION
• Quel que soit le paradigme, le rôle attribué à la structure,
sa production ou sa reproduction, le rôle des différentes
agences…
• … les explications proposées gravitent davantage autour
du pôle du système que de celui de l’acteur.
• Font cependant exception Blau et Duncan, pour des raisons
idéologiques, certains démographes de l’ INED, repris en
1978 par Scardigli, et des auteurs attachés aux « récits de
vie » (Terrail) qui se sont attachés aux caractéristiques de
l’acteur pour découvrir les facteurs de la mobilité.
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