Vol. 107 - Novembre 2013 José-Philippe PÉREZ…
Commentaires sur l’enseignement de la quantique
en CPGE
par José-Philippe PÉREZ
IRAP - 31400 Toulouse
Robert CARLES
CEMES - 31055 Toulouse
et Olivier PUJOL
LOA - 59650 Villeneuve-d’Ascq
RÉSUMÉ
Dans cet article, les auteurs commentent les cinq rubriques des nouveaux
programmes de quantique en CPGE (Classes préparatoires aux grandes écoles), lesquels
sont caractérisés par l’accent mis sur la physique, en dehors de tout formalisme ; ils
soulignent l’intérêt d’une analyse dimensionnelle pour obtenir des ordres de grandeur
décisifs et précisent les points significatifs du programme, sans omettre quelques aspects
historiques et épistémologiques, selon eux indispensables.
INTRODUCTION
Après avoir tenté de répondre à la question « Peut-on enseigner la physique quan-
tique en CPGE ? » [1], se pose naturellement la question de comment l’enseigner, dès
lors qu’elle figure explicitement dans les programmes d’enseignement de ces classes.
Même si ces progammes sont suffisamment précis, la réponse à cette question reste déli-
cate, comme chaque fois qu’un enseignement est introduit à un niveau de base nécessai-
rement peu technique, mais dans ce cas-ci avec, en outre, des problèmes d’interprétation
délicats liés à l’épistémologie non intuitive de la quantique. Ces problèmes n’ont-ils pas
fait dire au physicien Richard FEYNMAN, en 1965, que « personne ne comprend vraiment
la phy sique quantique » [2], au mathématicien René THOM que « la mécanique quantique
était le scandale intellectuel du XXesiècle » [3], et à l’épistémologue argentin Mario
BUNGE, certainement moins provocateur et plus juste, que « la quantique illustre parfai-
tement la thèse selon laquelle la science ne peut pas éviter d’être imbibée de philoso-
phie » [4]. Dans ce contexte, nous recommandons la lecture du texte de réflexion sur la
quantique écrit par Jean-Marc LÉVY-LEBLOND en 1999 [5].
Dans les anciens programmes de physique en CPGE, la référence à la quantique
était à peine mentionnée (cf. étude du mouvement d’une particule dans un champ central),
et par conséquent ne pouvait être envisagée que sous la forme d’une ouverture marginale
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[6]. Il en est tout autrement avec les nouveaux programmes. Dans notre récent ouvrage
Quantique, fondements et applications [7], que nous destinons à des étudiants de licence,
de master et à des agrégatifs, nous avons privilégié un développement progressif, péda-
gogiquement compatible avec ces nouveaux programmes de CPGE ; précisément, dans
la première partie du livre, nous adoptons volontairement une démarche historique et
épistémologique, en reléguant dans une seconde partie, technique, tout ce qui relève d’un
formalisme mathématique avancé. En effet, dans cette phase préliminaire mettant en avant
l’interprétation des fondements et l’illustration par des applications concrètes, l’utilisa-
tion d’un tel formalisme nous a semblé superflue, confortant notre devise pédagogique
« un maximum de physique avec un minimum de formalisme ».
Dans le texte qui suit, nous apportons, sur les cinq rubriques du programme, des
précisions inspirées par notre travail de réflexion [7] ; en conclusion, nous rappelons les
principales postures philosophiques qui ont accompagné le développement scientifique et
technique de la quantique.
1. RELATIONS FONDAMENTALES
1.1. Contribution de Planck
La contribution de PLANCK, qui date de 1901 [8], peut être résumée ainsi : en cher-
chant à interpréter la courbe de rayonnement qui donne l’exitance (puissance rayonnée
par unité de surface émettrice) d’un corps noir en fonction de la fréquence d’émission,
PLANCK est conduit à formuler une hypothèse à laquelle il n’adhéra que difficilement : la
proportionnalité entre les échanges élémentaires d’énergie entre matière et rayonnement
et la fréquence de ce dernier, soit :
avec
Le choix de la lettre hpour désigner cette constante n’est pas sans signification puisque
c’est l’initiale du verbe allemand « helfen » qui signifie « aider », conformément à l’aide
qu’y voyait PLANCK pour l’interprétation recherchée. Cette constante, à laquelle PLANCK
n’accordait à tort que peu d’avenir, porte désormais son nom, seule constante d’essence
quantique parmi les six constantes fondamentales de base : la constante de Newton G, la
constante d’Einstein c, la charge élémentaire e, la masse de l’électron , la masse du
proton et h(notations internationales).
Depuis, on introduit, préférentiellement à la fréquence, la pulsation du rayonnement
(fréquence angulaire pour les Anglo-saxons), et par conséquent la constante :
avec
Cependant het ne présentent aucune différence fondamentale ; seule l’explicitation ou
non du facteur dans l’écriture de la phase d’une onde nous fait privilégier hou :
. On retrouve ce même choix dans l’utilisation de la transformée de Fourier :
hfoD=
,h6626 10 J s
34
-
#$.
me
mp
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h'fo~D==
,
h
2105 10 J s
34
-
#$'.
r
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'
'
tt2ro ~=
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on travaille soit avec les fréquences ( explicité) soit avec les pulsations. Comme le
suggère Hermann WEYL [9], peu importe : on aurait pu faire comme si PLANCK avait posé
et non .
1.2. Ordres de grandeur
L’analyse dimensionnelle donne rapidement accès à des ordres de grandeur décisifs
à partir des six constantes précédentes. Par exemple, avec le modèle de Niels BOHR de
l’atome d’hydrogène, on trouve aisément, en mettant en avant les paramètres pertinents
que sont , le coefficient caractéristique de l’interaction et omni-
présent, une longueur ou une énergie caractéristiques :
et
soit le rayon de l’atome de Bohr et le double du rydberg.
Dans ce contexte, on retrouve aussi les grandeurs de PLANCK par une analyse dimen-
sionnelle combinant , cet G, selon la construction du cube de la physique [10] :
et
respectivement, durée, longueur et énergie de Planck.
1.3. Contribution d’Einstein : quantification du rayonnement
Avec son interprétation originale de l’effet photoélectrique par la quantification du
rayonnement incident d’énergie (« Lichtquants »), Albert EINSTEIN valorisa la
constante h[11]. Cependant, le saut qualitatif fut d’importance, puisque, dans ce cas,
selon lui, c’est l’énergie du rayonnement qui est quantifiée.
Il en résulta une controverse avec la communauté des physiciens conduite par
PLANCK, notamment sur l’opportunité de quantifier le rayonnement [12], controverse qui
durera jusque dans les années 1970 lorsque la preuve expérimentale de la quantification
du rayonnement fut établie avec l’utilisation de sources à émission séparée de photons et
de photodétecteurs à haut rendement quantique.
L’effet Compton [13] ou diffusion d’un photon par un électron libre peut aussi être
interprété à l’aide de la quantification du rayonnement. En 1924, le physicien américain
Arthur COMPTON prédit complètement les résultats expérimentaux obtenus en considérant
hf~D=
hfoD=
me
qe4
e
22
0
rf=
_i
'
,
mq 52 9 nm
ee
2
2
'.
,
mq 27 2 eV
ee
2
4
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'
,
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/
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12 43
-
#
'.x=
dn
,,
G
c195 10 122 10JGeV
/
P
512
919
##
'..f=
dn
,cc
G162 10 m
/
PP 3
12 35
-
#,'.x==
dn
hfo=
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cette diffusion comme une collision relativiste élastique entre un électron libre et un
quantum d’énergie et de quantité de mouvement . Il fut conduit à intro-
duire la longueur appelée depuis la longueur d’onde Compton. Notons
qu’une analyse dimensionnelle du problème physique considéré, à partir des paramètres
pertinents , cet h, permet de faire apparaître naturellement cette longueur ; la pulsa-
tion correspondante est la pulsation Compton pour l’électron :
Remarques :
1) La relation entre et , ou la période correspondante , permet d’en-
visager un moyen de dématérialiser l’étalon de masse [14].
2) Le mot « photon » a été introduit en 1926 par le physico-chimiste américain Gilbert
LEWIS.
1.4. Contribution de Louis de Broglie
L’hypothèse selon laquelle on peut associer à tout objet physique, de quantité de
mouvement pet d’énergie , une onde monochromatique plane, de vecteur d’onde
et de pulsation , a été proposée par Louis DE BROGLIE en 1924, alors
qu’il n’était soumis à aucune contrainte expérimentale, cela à partir d’une analogie entre
la mécanique et l’optique que l’Irlandais William HAMILTON avait, semble-t-il, perçue
avant lui [15]. Cette fonction d’onde monochromatique plane a pour expression, en nota-
tion complexe :
La pulsation Compton apparaît naturellement lorsqu’on précise l’expression de
l’énergie de l’objet physique libre. En effet, l’énergie de cet objet, d’expression
, étant le facteur relativiste, est la somme de son énergie cinétique
et de son énergie de masse [16]. Il en résulte pour la pulsation :
avec
Le plus souvent, le terme de phase de Compton est omis dans l’écriture de
la fonction d’onde, ce qui ne change rien dans la confrontation expérimentale puisque les
détecteurs ne sont sensibles qu’au carré du module de cette fonction.
1.5. Longueur d’onde de de Broglie
Il résulte de ce qui précède l’expression de la longueur d’onde de de Broglie :
phco=
ho
hmc
Ce
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me
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,
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C
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DB
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Dans l’approximation non relativiste, on obtient évidemment . En
revanche, avec des objets ultrarelativistes pour lesquels , on trouve
. Cette dernière expression, qui devient exacte pour , restitue la longueur d’onde
du rayonnement électromagnétique puisque .
Retenons que la valeur de ne coïncide avec celle de la longueur d’onde élec-
tromagnétique que dans le seul cas des photons, de masse nulle. La confusion entre
et , qui est une erreur grave, est souvent constatée, pas uniquement parmi les étudiants
débutants (cf. épreuve du baccalauréat 2013 à Pondichéry).
Notons que, comme p, la longueur d’onde de de Broglie dépend du référentiel
considéré, ce qui est le cas aussi pour une onde électromagnétique [16], mais pas méca-
nique [17].
1.6. Expérience de Davisson et Germer
L’hypothèse broglienne fut expérimentalement confirmée, de façon irréfutable, en
1927, par les physiciens américains Clinton DAVISSON et Lester GERMER, en étudiant la
diffraction des électrons de quelques dizaines d’électronvolts d’énergie par un mono-
cristal de nickel [18]. Comme en diffraction des rayons X, l’intensité diffractée est maxi-
male selon certaines directions que l’on obtient en remplaçant la longueur d’onde optique
par la longueur d’onde broglienne .
1.7. Dualité onde-corpuscule : à consommer avec modération
Curieusement, à la lecture des programmes, il semble que l’expression « dualité
onde-corpuscule » soit revenue à la mode, alors que pour certains auteurs et non des
moindres, comme le physicien allemand Werner HEISENBERG [19], elle présente l’incon-
vénient de réduire le comportement des objets physiques considérés à celui des limites
classiques corpusculaire et ondulatoire. En effet, si des électrons peuvent avoir un
comportement uniquement corpusculaire ou uniquement ondulatoire, selon les circons-
tances expérimentales, il n’existe en aucun cas de dualité d’essence, les deux aspects
corpusculaire et ondulatoire étant contradictoires. Ajoutons que, dans certaines expé-
riences, le comportement est simultanément corpusculaire et ondulatoire. D’autres auteurs,
qui avaient pointé cet oxymoron, ont même proposé des néologismes : FEYNMAN suggéra
malicieusement « partonde » ou « ondicule » [20], BUNGE et LÉVY-LEBLOND [21]
« quanton ». Sensibles à l’argument, nous avons adopté l’expression « objet physique »
pour désigner une entité complexe élémentaire dont la nature est plus riche et plus
complexe que les limites auxquelles on pourrait être tenté de la réduire.
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