Le plan d’attaque des lymphocytes T
contre les tumeurs
Notre système immunitaire peine à éliminer efficacement les tumeurs. Décrypter les stratégies qu’il met
en place permettra d’accroître son effet sur les cellules tumorales et par conséquent les perspectives
cliniques de l'immunothérapie anticancéreuse. A l'Institut Curie, grâce à l'utilisation de la microscopie à
deux photons, des chercheurs de l'Inserm et du CNRS viennent de montrer, pour la première fois, in
vivo et en temps réel, la manière dont les lymphocytes T infiltrent une tumeur solide pour la combattre.
Méthodiques, ces « défenseurs » encerclent les positions ennemies et « patrouillent » jusqu'à
rencontrer une cellule tumorale, qu'ils ont au préalable appris à reconnaître. Là, ils s'arrêtent pour
l’éliminer, avant de reprendre leur ronde. La vitesse de progression élevée des lymphocytes T signe soit
l’absence de l’adversaire, soit la défaite du système immunitaire sur le champ de bataille.
Ce scénario est publié dans The Journal of Experimental Medicine.
Comment une tumeur est-elle être détruite par les lymphocytes T ? Le scénario vient d'être visualisé par des
chercheurs de l'Institut Curie. Les images originales obtenues et assemblées en douze séquences vidéo,
résultent d'une étroite collaboration entre un spécialiste de la microscopie à deux photons, Luc Fetler, chercheur
Inserm dans l’Unité CNRS/Institut Curie « Physico-chimie Curie »1, et des immunologistes notamment
Alexandre Boissonnas dans l'Unité Inserm « Immunité et Cancer »2 à l’Institut Curie.
La défense de notre organisme contre une infection ou une tumeur repose sur une kyrielle d'acteurs, les uns
généralistes, les autres très spécialisés. Les lymphocytes T cytotoxiques font partie de cette seconde catégorie.
Pour cela, ils disposent à leur surface d’un récepteur membranaire complémentaire de l’antigène des cellules
pathologiques à éliminer. Alertés par la présence de cet antigène, les lymphocytes T sont activés. Après avoir
identifié une cellule infectieuse ou tumorale, ils se lient à elle et lui envoient une charge mortelle d'enzymes.
Quand les lymphocytes T infiltrent une tumeur…
Avant les travaux d’Alexandre Boissonnas et Luc Fetler, personne n'avait observé à l'échelle cellulaire ce qui se
passe lorsque les cellules T activées arrivent dans une tumeur solide. Original, le modèle expérimental
développé par ces chercheurs de l'Institut Curie dévoile la stratégie adoptée par ces cellules pour détruire la
tumeur.
La reconnaissance de l'antigène tumoral détermine le comportement des lymphocytes T. Pour arriver à
cette conclusion, les chercheurs ont observé dans un modèle animal le cheminement des lymphocytes T dans
des tumeurs dotées d'un antigène, l'ovalbumine (OVA), et des tumeurs servant de contrôle, qui en sont
dépourvues. Quand les tumeurs atteignent 500 à 1000 mm3, huit à dix jours après l'injection de cellules
tumorales avec ou sans antigène, les chercheurs injectent aux souris un grand nombre de cellules T spécifiques
de l'antigène OVA.
Que se passe-t-il après le jour du transfert ? Comme attendu, seule la tumeur dotée de l’antigène OVA
disparaît, et ce au bout d'une semaine. Dans l'intervalle, le microscope à deux photons (voir encadré) permet de
scruter la scène in situ sur les premiers 150 micromètres de la tumeur. Il est possible de saisir à chaque prise
de vue, une photographie des différentes populations de cellules, des vaisseaux sanguins et des fibres de
collagène. Et avec plusieurs images successives, de reconstituer la trajectoire d'un lymphocyte T.
Les chercheurs ont ainsi examiné les protagonistes, lymphocytes T et cellules tumorales, à deux périodes
distinctes de l’évolution tumorale. Dans la tumeur dépourvue d'antigène, les cellules T « patrouillent » sans
cesse à bonne vitesse (environ 10 micromètres par minute), quel que soit le stade d’évolution. En revanche,
dans la tumeur dotée de l’antigène, le comportement des lymphocytes T varie : lorsque la tumeur s’arrête de
grossir, en raison de l’injection des lymphocytes trois à quatre jours avant, les défenseurs patrouillent lentement
(4 micromètres par minute) et s’arrêtent fréquemment. Leur vitesse moyenne plafonne à 4 micromètres par
1 UMR 168 CNRS/Institut Curie « Physico-chimie Curie » dirigée par Jean-François Joanny
2 Unité U653 Inserm/Institut Curie « Immunité et cancer » dirigée par Sebastian Amigorena