Céline Loubières
2004
©
Cet article est protégé et ne peut être reproduit ou copié sans l’autorisation de l’auteur.
En cas de citation celle-ci doit mentionner : l’auteur (Nom et prénom), le titre, la rubrique du site Internet,
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Pratiques médicales et diversités culturelles
Céline Loubières
En raison de leurs différences culturelles, la prise en charge médicale des patients
migrants1 suscitent depuis plusieurs années, de nombreuses interrogations et réflexions chez
certains professionnels de santé. En effet, de nombreux articles mettent en avant des situations
au cours desquelles des soignants ont rencontré des situations difficiles face à certains patients
migrants, difficultés qu’ils attribuent à la culture d’origine de ces derniers.
Pour mieux comprendre et aborder ces patients, les soignants se tournent de plus en plus vers
les sciences humaines et sociales et leurs chercheurs considérés comme spécialistes de la
culture de l’autre. Dans ce contexte on peut noter une augmentation des formations en
anthropologie à l’attention des professionnels hospitaliers.
Ces formations peuvent être considérées comme l’expression d’un malaise vécu et ressenti
par les professionnels de santé lorsqu’ils se trouvent confrontés à des patients qui n’ont pas les
mêmes références culturelles ou bien qu’ils sont face à l’expression d’une souffrance ou à des
perceptions de la maladie qu’ils ne comprennent pas.
Si ces formations ont un intérêt majeur à la fois pour les soignants et pour les patients dans la
mesure où une collaboration entre les sciences sociales et les sciences de la santé peut
permettre une meilleure compréhension et appréhension des liens existants entre savoirs
populaires, culturels et perception de la maladie, il apparaît toutefois que face à un sentiment
d’incompréhension, à l’impression d’être dans une impasse thérapeutique, certains
professionnels de santé se tournent peut être trop rapidement vers une explication culturaliste.
En faisant le choix d’appréhender systématiquement par la culture les difficultés qu’ils
peuvent être amenés à rencontrer avec des patients migrants, les soignants refusent
d’envisager que les difficultés puissent venir de l’organisation du système médical lui-même.
En cela nous pouvons penser qu’ils s’inscrivent dans le concept du bon et du mauvais patient,
les malades migrants étant les mauvais patients dans la mesure où ils ne parviennent pas à
s’adapter au système médical.
Toutefois, quelles que soient les raisons qui amènent un professionnel de santé à
suivre des formations en anthropologie ou bien à s’intéresser aux cultures d’origines des
patients migrants, qu’il soit à la recherche de réponses d’ordre culturel ou bien qu’il souhaite
simplement améliorer sa prise en charge, il est intéressant de s’attarder sur les différentes
questions que cela soulève.
L’existence à la fois de ces difficultés de prise en charge et de ces formations pose une
première question qui consiste à savoir si le système médical dans son ensemble et
l’institution hospitalière en particulier devraient ou non intégrer la diversité culturelle à son
fonctionnement en créant par exemple des consultations propres aux migrants.
Puis dans un second temps se pose la question qui consiste à savoir comment intégrer et
prendre en charge la diversité culturelle à la pratique médicale lorsque cela s’avère utile ?
1 Dans l’étude de ces populations, plusieurs notions peuvent être utilisées telles que « immigré, émigré, migrant
ou encore étranger ». Bien que l’on puisse reprocher au terme de « migrant » d’être trop général et de peu décrire
et préciser les étapes du processus migratoire, nous avons cependant fait le choix dans cet article de l’utiliser
pour évoquer toutes les personnes d’origine étrangère qui sont, ou qui ont connu une situation de migration.
Céline Loubières
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Il semble en effet qu’avant même de s’interroger sur les outils ou les disciplines pouvant
servir à une prise en charge de la diversité culturelle, il est essentiel de s’interroger sur la
pertinence et l’utilité à la fois pour les patients et pour les soignants de créer des consultations
spécifiques aux patients migrants.
Nous tenterons donc dans ce texte de répondre en premier lieu à la question d’une part
de la nécessité d’une prise en charge médicale propre aux patients migrants qui intègrerait la
culture, et d’autre part sur le rôle que devrait éventuellement jouer l’institution hospitalière
dans ces prises en charge.
Puis dans un deuxième temps nous tenterons de présenter une partie plus théorique qui
énumèrera les différentes disciplines pouvant aider les professionnels de santé à mieux
comprendre et mieux appréhender des prises en charge médicale de patients migrants qui
nécessiteraient une prise en compte de références culturelles.
I. Intégrer les diversités culturelles à la prise en charge médicale : rôle de l’institution
hospitalière et pertinence de la démarche.
La question qui nous intéresse dans cette partie est donc de savoir si l’hôpital en tant
qu’institution a un rôle à jouer dans l’intégration des cultures d’origines à la prise en charge
médicale. Il serait en effet possible pour l’institution hospitalière de créer une consultation
transculturelle qui prendrait en charge les patients migrants au travers de références des
cultures d’origines.
Comme l’explique I. Papadacci Stephanopoli (directeur d’hôpital), dans un article
intitulé « L’hôpital prend-il en compte les diversités culturelles ? », le rôle jouer par l’hôpital
dans la prise en compte des diversités culturelles est complexe et paradoxale dans la mesure
où a priori « il n’appartient pas au système hospitalier français de prendre forcément en
compte les différences », mais que dans un même temps, il est possible dans une certaine
mesure de les intégrer à son fonctionnement.
Selon l’auteur, « le système hospitalier français est le reflet de la société française qui est bâtie
sur des principes qui sont à la base de la démocratie, et de ce fait, le service public hospitalier
doit être un service public qui ne peut qu’être laïc ». Et d’ajouter qu’il ne « paraît pas sain que
l’on établisse dans un tel système une distinction suivant les catégories culturelles ».
Toutefois, malgré ces propos l’auteur développe l’idée ; et c’est là que réside toute
l’ambiguïté de la prise en compte des différences au sein de l’hôpital ; qu’il ne s’agit pas non
plus de nier les différences culturelles ou religieuses et que l’institution hospitalière peut,
voire se doit, de prendre en compte ces différences lorsque celles-ci sont compatibles avec la
mission de l’hôpital public. Dans cette optique il est possible de constater que dans de
nombreux établissements hospitaliers, il existe une certaine garantie des rites essentiels et des
croyances. On peut en effet noter au sein de certains établissements l’existence de lieux de
recueillement œcuméniques, ou encore la possibilité de respecter les interdits alimentaires liés
à la religion.
Ainsi, bien que la prise en compte des diversités culturelles ne s’inscrive pas dans les
fonctions de l’hôpital nous pouvons constater que celles-ci sont intégrées, dans une certaine
mesure, dans son fonctionnement quotidien.
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L’hôpital a donc un rôle á jouer dans l’intégration des diversités culturelles à son organisation
et à son fonctionnement, mais seulement tant que cela reste compatible avec sa mission
d’hôpital public et que sa laïcité ne se trouve pas menacée.
Si selon l’auteur, dans le domaine de la prise en compte des diversités culturelles, de
nombreux éléments restent encore à explorer comme la connaissance de certaines croyances,
de certains rites pour une meilleure approche ou une meilleure écoute, cela ne se fera non pas
par l’institution hospitalière mais par l’émergence des associations au sein de l’hôpital.
Cet article nous permet de penser que bien que l’hôpital en tant qu’institution ait une
part de responsabilité dans l’intégration des spécificités culturelles à la prise en charge
médicale, cette responsabilité est toute relative et que la prise en compte ou non de ces
différences doit se faire avant tout soit dans le cadre du colloque singulier entre le soignant et
le patient, soit par des acteurs extérieurs comme des associations, et ce, essentiellement au cas
par cas et à la demande du patient.
Nous pouvons en effet penser que la mise en place de consultations spécifiques aux
patients migrants n’est pas la solution la plus adaptée pour offrir une meilleure prise en
charge. Ce genre de consultations pourrait avoir comme effet de stigmatiser les patients
migrants qui pourraient se voir systématiquement orientés vers ces consultations en raison de
leurs origines culturelles.
Il ne s’agit pas pour nous de nier l’intérêt des consultations transculturelles, qui ont pu
prouver leur efficacité dans de nombreux cas, mais plutôt de mettre en garde contre les
recours qui seraient trop systématiques ou les orientations trop rapides vers ces consultations.
Ce genre de prise en charge a son intérêt mais seulement si le choix d’y recourir est laissé au
patient. Autrement dit, si l’on veut réellement apporter une prise en charge plus adaptée aux
patients migrants cela ne peut se faire qu’en les considérant au travers de leur universalité et
non plus seulement en tant que sujet culturel.
On voit donc à quel point la question de la prise en compte des diversités culturelles est
complexe. En effet, l’intérêt que portent les professionnels de santé aux différences culturelles
ou bien la création de consultations spécifiques aux migrants ont leur importance, dans la
mesure où cela prouve que l’autre ne nous laisse pas indifférent et que l’on considère ses
particularités ; mais dans un même temps il est essentiel de ne pas oublier l’universalité de
chaque individu et de laisser la possibilité à chacun de choisir sa prise en charge.
Toute la difficulté réside donc dans l’effort à fournir pour garder une juste mesure et ne pas
basculer dans une prise en charge trop culturaliste ou trop universaliste.
Il faut en effet éviter que l’une prenne le pas sur l’autre au risque de n’avoir qu’une approche
tronquée et parcellaire du patient, voire que certains patients ne se sentant pas compris
échappent au système de santé.
Afin d’éclaircir ce que nous avons tenté de développer, à savoir qu’un seul modèle de prise en
charge ne peut pas être adapté à tous les patients migrants, nous allons illustrer nos propos par
un article de Chantal Crenn (anthropologue) intitulé « Une consultation pour les migrants à
l’hôpital ».
Dans cet article l'auteur appuie sa réflexion sur l’activité d’une association de
médecine transculturelle intégrée à l'hôpital de santé publique de Bordeaux, qui propose de
prendre en compte les spécificités culturelles et sociales des malades.
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L'équipe qui prend en charge les patients au sein de cette association est constituée d'un
médecin psychotérapeute et anthropologue, de médecins, d'interprètes ou encore de
travailleurs sociaux, tous d'origines diverses: ivoirienne, marocaine ou française.
L'objectif des consultations est de permettre aux malades d'exprimer leur souffrance avec la
particularité, d'une part d'amener les soignants à prendre conscience de leurs propres modèles
de pensée, ceci pour mieux aider les patients, et d'autre part de prendre en compte la culture
de référence ainsi que de le parcours migratoire de ces patients.
La méthode employée dans le cadre de ces consultations est une méthode de soins dite
complémentariste; autrement dit, le comportement du malade est perçu dans un premier temps
au travers de la psychologie et de la psychanalyse, pour une approche thérapeutique, puis au
travers de l'anthropologie pour une approche complémentaire.
Dans ce contexte, la problématique des soins est organisée autour des conditions d'insertion
dans la société d'accueil, ou encore des problèmes psychopathologiques liés à la
transplantation.
Les différents patients qui se trouvent pris en charge par ces consultations sont envoyés suite à
des demandes émanant de médecins des hôpitaux et de centre médico-sociaux de la
communauté urbaine de Bordeaux, ainsi que de médecins généralistes ou d'associations d'aide
sociale.
Les demandes de ces acteurs sont pour la plupart motivées par une surdétermination
culturelle, un échec des traitements médicaux ou sociaux, ou encore par une admiration de la
culture de l'autre.
Ces consultations sont donc portées sur la culture d'origine du patient et pour montrer que
parfois la culture ne suffit pas pour une bonne prise en charge, l'auteur décrit le parcours
migratoire et l'itinéraire thérapeutique d'un patient.
Le cas de ce patient, du fait de sa forte résistance à la consultation, a permit à l'auteur de
signifier qu'il ne faut pas, sous prétexte que l'on reconnaît l'impact des données culturelles
dans le processus de soin, omettre de prendre en compte « l'interrelation » entre les divers
ordres de facteurs (sociaux, politiques, économiques, culturels) qui influent sur la santé.
Atteint d'un infarctus du myocarde ce patient originaire de Tunisie a été envoyé à la
consultation par un psychiatre qui se trouvait dans une impasse pour soulager sa douleur.
Dès le début de la prise en charge ce patient est réticent à la démarche de la consultation qui
tente de prendre en compte la dimension sociale de son existence ainsi que de faire des
allusions à sa culture d'origine. Selon lui, cette démarche lui est proposée en raison des échecs
de la biomédecine et ne fait que s'éloigner de la maladie dont-il souffre.
Ainsi, dès que le groupe qui le prend en charge tente d'établir un lien entre sa maladie et la
manière dont cette souffrance peut être interprétée dans son pays, ce patient renvoie les
thérapeutes au problème organique qui le préoccupe et estime que ces éléments d’ordre
culturels ne l'aideront en rien.
Malgré ses réticences, ce patient continu à se rendre aux consultations et justifie sa
participation en expliquant que malgré tout, cela peut l'aider à long terme et ce n'est qu'après
plusieurs séances qu'il se racontera non pas au travers de ses origines culturelles mais au
travers de son parcours migratoire et de son appartenance sociale.
Dés lors, dans ce cas particulier, il apparaît pour le groupe que la référence culturelle au
Maghreb n'apporte rien à la résolution des troubles.
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Si ce patient refuse de faire référence à ses origines c'est avant tout parce que cela le renvoie à
un statut d'immigré qu'il ressent comme négatif.
A l'inverse, en se définissant au travers de son appartenance sociale et professionnelle, la
classe ouvrière, il se situe alors dans une place davantage comprise par la société: celle de
force de travail.
En d'autres termes, il apparaît que la référence à son pays d'origine le renvoie à une position
d'immigré et non à celle de citoyen.
Ainsi, selon l'auteur, dans la mesure où la société renvoie à ce patient une image négative de
son ethnicité, il ne lui est pas possible d'accepter une prise en charge axée sur sa culture
d’origine.
Enfin, toujours selon l'auteur, ce traitement médical différentiel apporte la preuve
supplémentaire que ce patient n'est pas considéré comme faisant partie de la société française
puisqu'il y a stigmatisation en le prenant en charge dans une consultation spécifique.
Cet exemple illustre bien le fait que l’approche médicale des patients migrants est
complexe et ne peut se limiter à un seul modèle de prise en charge. Comme le décrit cet
article, le modèle culturaliste mis en place dans cette consultation ne correspond pas aux
besoins de ce patient qui préfère être considéré en tant qu’ouvrier, travailleur et non
uniquement comme un immigré d’origine tunisienne. Il semble dès lors que les difficultés de
prise en charge de ce patient aient pour origine davantage le manque de temps accordé à
l’écoute ou à la formulation du discours médical, plus qu’à une incapacité du patient à
s’intégrer au système de santé français.
Ce cas permet de mettre en avant toute la difficulté liée à la prise en charge des patients
migrants.
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