2. Le IIe Reich
On se trouve donc après 1871 avec un nouveau Reich constitué de 25 États, lesquels
demeurent toutefois dotés d'une assez large autonomie; mais l'existence d'un exécutif fédéral
et le caractère autoritaire de l'ensemble hâtent l'homogénéisation de l'ensemble (sur les plans
financier et judiciaire, notamment). La nouvelle Allemagne dispose d’un parlement national
élu au suffrage universel; mais le chancelier n'étant pas responsable devant lui (il ne répond
qu’à l'empereur), l’Allemagne n’est donc pas un régime parlementaire (comme l’est par
exemple la Grande-Bretagne). De plus, le Reich ayant un caractère fédéral assez décentralisé,
la Prusse, qui représente environ 60% de l’ensemble, maintient un système électoral qui
pondère la représentation des divers ordres. Sur le plan de la légitimité, le nouvel Empire
accorde une importance considérable à son caractère protestant, par opposition à l’Autriche
catholique : ceci permet de rassembler les protestants prussiens et non prussiens, les libéraux
et les conservateurs protestants, mais offrait le désavantage de perpétuer la division entre
Allemands catholiques et protestants. Par ailleurs, l’opposition entre nationalisme
(démocratique) et particularisme (dynastique) n’avait plus de consistance à partir du moment
où l’Empire national s’était réalisé sous l’autorité d’un monarque.
De 1871 à 1879, Bismarck, qui s'appuie au Parlement sur le groupe des «libéraux-
nationaux», qui ont largement renoncé à leurs revendications démocratiques initiales : il crée
la monnaie et la banque communes et lutte contre l'influence catholique (Kulturkampf).
Devant la montée du mouvement ouvrier allemand, que traduit la création du Parti social-
démocrate allemand en 1869, Bismarck répond par la répression - il fait voter en 1878 une loi
anti-socialiste très sévère - mais entreprend du même coup un vaste programme de réformes
sociales (assurances maladie, accident, vieillesse, invalidité), dans lequel on peut voir une
première mouture de l’État-Providence.
La population allemande croît considérablement durant cette période : elle passe de 41
millions en 1871 à 68 millions en 1914, ce qui contraste avec la France dont la population
croît beaucoup moins vite. Les progrès de l'industrie sont extraordinaires et l'Allemagne
devient bientôt le premier État industriel d'Europe. Cette prospérité la protège de troubles
révolutionnaires, mais le parti social-démocrate, libéré des lois anti-socialistes, continue
d'attirer massivement les ouvriers: avec 4 millions de votes en 1912, il devient le premier parti
d'Allemagne. Mais le parti est de moins en moins révolutionnaire et de mieux en mieux
intégré à la société allemande (le sociologue G. Roth parle à ce propos d'«intégration
négative»).
Bismarck doit se retirer en 1890, suite à l'accession au trône du nouvel empereur,
Guillaume II. La politique extérieure de l'Allemagne, jusqu’alors marquée par une très grande
prudence, devient beaucoup plus aventureuse, tournée vers la conquête de colonies. Une Ligue
pangermaniste est créée et divers groupes racistes proclament le droit des peuples porteurs de
culture à coloniser les peuples inférieurs. L'éclatement de la Première guerre mondiale, pour
laquelle les responsabilités sont partagées (mais où l’Allemagne porte celle d’une politique
particulièrement irréfléchie), voit «l'union sacrée» entre tous les partis : un seul député
socialiste, Karl Liebknecht, fils du co-fondateur du parti, votera éventuellement contre l'octroi
des crédits militaires. Très vite, l’Allemagne, alliée à l’Autriche-Hongrie et à l’Empire
Ottoman, se trouve à combattre sur deux fronts. La guerre, la première où les moyens de
destruction techniques sont déployés massivement, est particulièrement meurtrière. Toutefois,
à partir de 1916, le mécontentement devant la stabilisation du front donne lieu à des divisions
au sein du parti social-démocrate et à manifestations pacifistes, organisées par des opposants