La tension est particulièrement exacerbée au CHU Mustapha-Pacha. De par son statut de plus grand hôpital
d’Algérie, il est assimilé au bout du parcours, c’est-à-dire la structure sanitaire de laquelle le patient ne saurait
être renvoyé ailleurs. Les urgences de ce CHU enregistrent presque 800 passages par jour. Ce qui donne
approximativement 240 000 cas admis ou explorés par an. “Le chiffre réel est plus élevé car certains patients
passent en consultation sans s’identifier”, précise-t-on. Le nombre important de malades engendre, par
moment, des situations conflictuelles entre eux ou leurs parents et les personnels médical et paramédical.
“Le malade arrive aux urgences avec au moins cinq accompagnateurs. Il est d’emblée méfiant vis-à-vis des
médecins et des infirmiers. Ces derniers font face, de leur côté, à beaucoup d’insuffisances. Parfois, un médecin
laisse son patient et fait le tour des services pour chercher un médicament ou un consommable. Son malade
s’impatiente, ses parents aussi ainsi que les patients qui attendent leur tour. Le personnel est agressé
verbalement, voire physiquement. L’environnement et les conditions professionnels sont contre nous”, nous
relate-t-on.
Les évacuations tardives compliquent davantage le quotidien des praticiens.
“Les gens ne sont pas formés aux premiers gestes de secours ni informés sur les urgences. On nous ramène
souvent des accidentés ou des arrêts cardiaques en retard. Quand on les perd, on nous accuse de n’avoir rien
fait”, témoignent des médecins urgentistes. “On ne peut pas le nier, des ruptures de médicaments et de
consommables nous pénalisent aussi. Nous puisons, autant que possible, dans les réserves Orsec”, poursuivent
nos interlocuteurs.
Face à la violence et à l’agressivité, des contraintes identiques sont subies aux urgences du CHU de Bab El-
Oued. “Une bagarre éclate au marché, et ils viennent à vingt avec les blessés. Nous sommes confrontés
quotidiennement à l’agressivité et même la violence. Chacun veut passer en premier, souvent par la force. Nous
faisons face aussi à des transferts sauvages. La semaine dernière, nous avons reçu une évacuation de Chlef
sans être avertis au préalable”, affirme le Pr Aït Slimane. “L’absence de la hiérarchisation des soins fait que le
CHU s’occupe des problèmes de santé publique au détriment des soins de haut niveau”, relève un
administrateur de la structure hospitalière. Il est recommandé, en effet, de n’orienter vers les CHU que les
urgences graves, celles légères pouvant être prises en charge dans les structures sanitaires de proximité. “Le
principe de régulation des soins n’existe pas chez nous. Conséquence, nous vivons souvent douloureusement
un refus d’admission d’un malade. Nous ne pouvons pas résoudre tous les problèmes aux urgences de Bab El-
Oued, qui n’ont que dix lits”, regrette le Pr Aït Slimane.
Le déficit des paramédicaux, l’autre urgence
Une vingtaine de médecins urgentistes exercent au PU de Bab El-Oued. L’équipe médicale est, selon le
responsable du service, assez bien étoffée. Le déficit se fait ressentir, néanmoins, cruellement du côté des
paramédicaux.
“Un infirmier ne doit pas rester, selon les normes, plus de cinq ans aux urgences en raison de la pénibilité de la
tâche. J’ai, avec moi dans ce service, des paramédicaux depuis plus de 20 ans”. C’est justement le manque de
paramédicaux qui empêche la réception de la totalité des unités du PU du CHU Mustapha-Pacha. Les nouveaux
locaux, aménagés dans un bloc de R+2, ont été inaugurés en septembre 2011. Le rez-de chaussée est dédié à
l’accueil, le diagnostic-exploration, le déchoquage, l’hospitalisation provisoire et la salle d’attente. Le premier
étage est réservé à la chirurgie, tandis que le deuxième au soin intensif médical. Le troisième niveau abrite les
activités pédagogiques. Trois unités, cumulant 60 lits, forment la partie hospitalisation du service. Actuellement,
47 places sont occupées. Il reste une unité de 13 lits encore fermée pour manque de personnel. “200 postes
budgétaires sont ouverts aux paramédicaux au CHU Mustapha. 40 sont affectés aux urgences.
Malheureusement, nous ne trouvons pas d’infirmiers à recruter. Il y a un déficit national. C’est pour cette raison
que nous ne pouvons pas ouvrir la dernière unité”, affirment des praticiens travaillant aux urgences de
Mustapha-Pacha. Au-delà, dans ce CHU, comme partout ailleurs, des places d’hospitalisation sont occupées par
des patients qui ne relèvent pas des urgences, et parfois même pas du médical. Trois personnes, dépendantes à
vie de l’appareil respiratoire, sont hospitalisées aux urgences médicochirurgicales du CHU Mustapha depuis
quatre ans. “La durée d’hospitalisation est de 24 heures à plusieurs semaines, voire à vie”, nous confirme-t-on.