Détresse des patients et impuissance des praticiens: Toute

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A la une / Reportage
Au cœur des urgences médicochirurgicales des CHU de Bab El-Oued et Mustapha-Pacha
Détresse des patients et impuissance des
praticiens
Le CHU de Bab El-Oued enregistre annuellement près de 90 000 évacuations aux urgences
médicochirurgicales. La pression est encore plus grande sur le CHU Mustapha-Pacha, qui consigne
environ 700 passages par jour, soit presque 240 000 par an. Son statut de plus grand hôpital
d’Algérie le confine dans son rôle de destination finale aussi bien pour les urgences simples que
pour les cas les plus complexes. Les urgentistes se plaignent des conditions difficiles dans
lesquelles ils exercent, tandis que les citoyens se révoltent contre le temps d’attente qu’ils jugent
trop long.
Le hall d’entrée du pavillon des urgences du CHU Lamine-Debaghine de Bab El-Oued (ex-Maillot) est plutôt
fluide en cette fin de matinée du 5 août. Quelques malades, en majorité accompagnés de parents, s’identifient
au poste de triage. D’autres attendent devant les cabines de consultation. L’ambiance, en apparence, tranquille
de ce service, est toutefois trompeuse. “Aux urgences surviennent des événements non programmés. En un
moment, c’est calme. L’instant d’après, c’est la pression”, souligne le Pr Ahmed Aït Slimane, chef du PU. Depuis
le début du Ramadhan, l’affluence est particulièrement grande après le f’tour. “Les gens mangent goulûment.
Ils souffrent après de problèmes d’indigestion et autres”, rapporte notre interlocuteur. Le pavillon des urgences
du CHU Lamine- Debaghine reçoit annuellement près de 90 000 évacuations pour motifs divers. Il a enregistré
82 795 passages en 2008, quelque 87 467 en 2009, plus de 89 000 en 2010, environ 90 000 en 2011… Les
statistiques enflent d’année en année. Dans un quartier aussi populaire que celui de Bab El-Oued, toutes les
urgences, graves ou légères, prennent systématiquement le chemin de l’hôpital Maillot, comme on continue à
l’appeler communément. Cela va du traumatisme causé par un accident sur la voie publique ou domestique aux
blessés des bagarres de rue, aux crises d’asthme, de fièvre élevée, de détresse cardiaque ou petits maux sans
gravité… “Sur vingt personnes qui arrivent, en même temps, il y a une probabilité d’une urgence vraie”,
soutient le Pr Aït Slimane. Le triage, qui doit — dans l’absolu — déterminer la priorité de passage, selon la
gravité des cas, n’est pas réellement pratiqué, même si l’on assure, du côté des praticiens, que “les personnes
en détresse vitale sont prises en charge immédiatement”.
Il n’en demeure pas moins qu’au paroxysme de l’activité du service, le temps d’attente se prolonge largement
au-delà de la demi-heure admise. Une contrainte très mal vécue par les patients et leurs parents. “J’ai emmené
mon fils de dix ans, victime d’une chute, aux urgences de Mustapha. J’ai attendu longtemps, alors que le petit
se tordait de douleur, avant qu’un médecin ne l’examine. Il l’envoie faire une radio qui révèle une fracture de
l’os”, se rappelle un père de famille. Les témoignages du genre sont légion. “Je défie quiconque qui affirmera
que le temps d’attente dans ce service est supérieur à 30 minutes”, riposte un professeur exerçant aux
urgences dudit centre hospitalo-universitaire (tous nos interlocuteurs dans cet hôpital ont requis l’anonymat car
nous n’étions pas autorisés par le ministère de tutelle à réaliser notre reportage à Mustapha-Pacha). “Nous
recevons des cas très compliqués. Leur exploration exige beaucoup de temps. Alors les parents s’énervent”,
explique notre vis-à-vis. “Les urgences, de par le monde, sont les services médicaux les plus critiqués. Ils
réunissent à la fois de vrais malades, de faux patients, des médecins dépassés et des parents angoissés. Ce
sont les lieux de la détresse humaine”, ajoute-t-il.
Les évacuations tardives compliquent la tâche des praticiens
La tension est particulièrement exacerbée au CHU Mustapha-Pacha. De par son statut de plus grand hôpital
d’Algérie, il est assimilé au bout du parcours, c’est-à-dire la structure sanitaire de laquelle le patient ne saurait
être renvoyé ailleurs. Les urgences de ce CHU enregistrent presque 800 passages par jour. Ce qui donne
approximativement 240 000 cas admis ou explorés par an. “Le chiffre réel est plus élevé car certains patients
passent en consultation sans s’identifier”, précise-t-on. Le nombre important de malades engendre, par
moment, des situations conflictuelles entre eux ou leurs parents et les personnels médical et paramédical.
“Le malade arrive aux urgences avec au moins cinq accompagnateurs. Il est d’emblée méfiant vis-à-vis des
médecins et des infirmiers. Ces derniers font face, de leur côté, à beaucoup d’insuffisances. Parfois, un médecin
laisse son patient et fait le tour des services pour chercher un médicament ou un consommable. Son malade
s’impatiente, ses parents aussi ainsi que les patients qui attendent leur tour. Le personnel est agressé
verbalement, voire physiquement. L’environnement et les conditions professionnels sont contre nous”, nous
relate-t-on.
Les évacuations tardives compliquent davantage le quotidien des praticiens.
“Les gens ne sont pas formés aux premiers gestes de secours ni informés sur les urgences. On nous ramène
souvent des accidentés ou des arrêts cardiaques en retard. Quand on les perd, on nous accuse de n’avoir rien
fait”, témoignent des médecins urgentistes. “On ne peut pas le nier, des ruptures de médicaments et de
consommables nous pénalisent aussi. Nous puisons, autant que possible, dans les réserves Orsec”, poursuivent
nos interlocuteurs.
Face à la violence et à l’agressivité, des contraintes identiques sont subies aux urgences du CHU de Bab ElOued. “Une bagarre éclate au marché, et ils viennent à vingt avec les blessés. Nous sommes confrontés
quotidiennement à l’agressivité et même la violence. Chacun veut passer en premier, souvent par la force. Nous
faisons face aussi à des transferts sauvages. La semaine dernière, nous avons reçu une évacuation de Chlef
sans être avertis au préalable”, affirme le Pr Aït Slimane. “L’absence de la hiérarchisation des soins fait que le
CHU s’occupe des problèmes de santé publique au détriment des soins de haut niveau”, relève un
administrateur de la structure hospitalière. Il est recommandé, en effet, de n’orienter vers les CHU que les
urgences graves, celles légères pouvant être prises en charge dans les structures sanitaires de proximité. “Le
principe de régulation des soins n’existe pas chez nous. Conséquence, nous vivons souvent douloureusement
un refus d’admission d’un malade. Nous ne pouvons pas résoudre tous les problèmes aux urgences de Bab ElOued, qui n’ont que dix lits”, regrette le Pr Aït Slimane.
Le déficit des paramédicaux, l’autre urgence
Une vingtaine de médecins urgentistes exercent au PU de Bab El-Oued. L’équipe médicale est, selon le
responsable du service, assez bien étoffée. Le déficit se fait ressentir, néanmoins, cruellement du côté des
paramédicaux.
“Un infirmier ne doit pas rester, selon les normes, plus de cinq ans aux urgences en raison de la pénibilité de la
tâche. J’ai, avec moi dans ce service, des paramédicaux depuis plus de 20 ans”. C’est justement le manque de
paramédicaux qui empêche la réception de la totalité des unités du PU du CHU Mustapha-Pacha. Les nouveaux
locaux, aménagés dans un bloc de R+2, ont été inaugurés en septembre 2011. Le rez-de chaussée est dédié à
l’accueil, le diagnostic-exploration, le déchoquage, l’hospitalisation provisoire et la salle d’attente. Le premier
étage est réservé à la chirurgie, tandis que le deuxième au soin intensif médical. Le troisième niveau abrite les
activités pédagogiques. Trois unités, cumulant 60 lits, forment la partie hospitalisation du service. Actuellement,
47 places sont occupées. Il reste une unité de 13 lits encore fermée pour manque de personnel. “200 postes
budgétaires sont ouverts aux paramédicaux au CHU Mustapha. 40 sont affectés aux urgences.
Malheureusement, nous ne trouvons pas d’infirmiers à recruter. Il y a un déficit national. C’est pour cette raison
que nous ne pouvons pas ouvrir la dernière unité”, affirment des praticiens travaillant aux urgences de
Mustapha-Pacha. Au-delà, dans ce CHU, comme partout ailleurs, des places d’hospitalisation sont occupées par
des patients qui ne relèvent pas des urgences, et parfois même pas du médical. Trois personnes, dépendantes à
vie de l’appareil respiratoire, sont hospitalisées aux urgences médicochirurgicales du CHU Mustapha depuis
quatre ans. “La durée d’hospitalisation est de 24 heures à plusieurs semaines, voire à vie”, nous confirme-t-on.
Quand les médecins font dans le social
À Bab El-Oued, les médecins se plaignent de devoir faire, par moment, du social. “Nous avons, dans le service,
une femme qui n’a plus de problème de santé, mais qui occupe une place car elle n’a pas où aller. Nous
affrontons aussi des parents qui ne veulent pas se soumettre à la décision médicale de sortie d’un malade
estimant qu’il a toujours besoin de soins. Cela nous fait mal de recevoir un jeune qui présente un problème aigu
mais récupérable et qu’on ne lui trouve pas de place”, affirme-t-on. Pourtant, le coût d’une journée
d’hospitalisation en réanimation du pavillon des urgences est estimé entre 1 000 et 1 200 euros. “C’est facile
d’accabler un médecin, alors que nos moyens sont limités”, soulignent nos interlocuteurs. Les urgences de
Maillot sont pratiquées dans des espaces exigus, qui ne rendent pas aisé le travail de l’équipe médicale et
paramédicale. Les consultations se font dans de petits box sans intimité et non isolés des bruit et chahut qui
parviennent de la salle d’attente attenante. Pour un gain d’espace, la salle de soins dispose de fauteuils. Dans
celle réservée aux patients mis en observation, les lits sont séparés par des rideaux. L’unique espace qui
répond relativement aux normes est incarné par la salle de déchoquage. “Le projet d’établissement prévoit la
délocalisation des services de neurologie et de chirurgie générale vers un nouveau bloc à construire. J’hériterai
de leurs locaux. Le service sera mieux organisé”, informe le Pr Aït Slimane Ahmed.
S. H.
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