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L’enjeu du salaire
B. Friot
Introduction
Pas un livre résistant, livre qui dit « oui » : aux institutions du salaire telles que forgées par les
luttes du siècle dernier, qui suscite une méfiance même parmi les militants les plus engagés.
1 Le salaire, du pouvoir d’achat au pouvoir économique
Il faut opérer un déplacement du regard sur la question du salaire : l’idée dont il faut sortir
c’est que « le salaire est un pouvoir d’achat à la mesure du travail fourni ». Cela entraîne deux
dérives de pensées : l’idée de « minorité sociale »et celle de « contrepartie ».
a) La minorité sociale
Ca renvoie à la définition classique du salarié : en échange de la subordination à un
employeur qui prend les risques, il a droit à la sécurité de ses ressources. Une part du droit du
travail s’est construite -dessus, sur cette structure asymétrique qui entretient une vision du
salaire comme ce qui est à un mineur social, c’est-à-dire un pouvoir d’achat pour satisfaire
à ses besoins. Attention, que le salaire soit lu comme le prix de la force de travail n’a pas
toujours fait du travailleur un être réduit à ses besoins : il y a eu une époque, celle de la classe
ouvrière organisée, l’affirmation du salaire comme prix de la force de travail a été le
vecteur d’une affirmation des salariés comme classe de producteurs (« nous sommes volés
puisque payés à la valeur de notre force de travail et non pas à hauteur des produits de notre
travail »). Depuis, cette proposition a été marginalisée par la revendication d’augmentation
des salaires, et non plus de suppression des profits : cela a comme conséquence que la « force
de travail » n’est plus un concept explicatif de l’exploitation capitaliste mais quasiment une
donnée de nature (chacun aurait une force de travail, y compris les fonctionnaires ou les
indépendants). La dénonciation du capitalisme a été remplacée par une dénonciation des
inégalités dans un capitalisme banalement défini par la soif de profit. En dénonçant la plus-
value, la classe ouvrière a peu dénoncé la valeur-travail ou le marché du travail, et a donc
dans le même temps conforté la convention capitaliste du travail. Elle n’a pas posé la question
de la définition de la valeur.
b) La contrepartie
Cette représentation du salaire nous obnubile. Par exemple, c’est elle qui empêche de
comprendre le fonctionnement du système de retraite par répartition, qui nous fait voir la
retraite comme un salaire « différé » et non pas « socialisé ». Il faut s’en défaire.
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La ligne de crête à suivre est de sortir de l’alternative mortifère entre la social-
démocratie de gauche et les alternatives minoritaires : dans les deux cas, il y a volonté
de sortir du capitalisme par des solutions qui en réalité confortent la convention
capitaliste de la valeur. Il faut bien comprendre ce qu’on a sous les yeux, dans les
institutions du salaire, et s’appuyer sur ce déjà émancipateur pour avancer vers une
autre définition de la valeur, la suppression du marché du travail et de la propriété
lucrative.
2 Qu’est-ce que travailler ?
Il faut s’aider des catégories marxistes pour voir que l’enjeu du salaire n’est pas sa hausse
mais un changement dans la définition de la valeur économique. Dans le capitalisme, le
travail abstrait est la dépense d’énergie humaine qui, définie par sa durée, sert de mesure de la
valeur économique (dans une économie qui repose sur l’extraction de plus-value) : par la
réduction des personnes à des forces de travail. Le capitalisme a inventé l’abstraction du
travail dans une forme qui permet le profit lié à la propriété lucrative, et au passage il a libéré
la valeur économique des rapports sociaux qui la naturalisaient.
a) Valeur d’usage et valeur économique
La valeur d’usage peut ne pas être une valeur économique, mais l’inverse n’est pas vrai. La
valeur économique dépend de l’institution dans laquelle s’inscrit la production de valeur
d’usage (ex : le café fait par la femme au foyer ou le serveur du restaurant). L’attribution
d’une valeur économique à des valeurs d’usages dépend des rapports sociaux fondamentaux
d’une société, donc de rapports de pouvoir (ex : le paysan qui fait une offrande aux Dieux
produit des valeurs d’usage mais ne travaille pas ; le vassal dans une société féodale produit
des valeurs d’usage mais le travail n’est pas la mesure de ce qu’il produit pour son seigneur).
C’est la légitimité de ces rapports sociaux, toujours réaffirmée (rites, etc.), qui fonde la
convention de la valeur propre à chaque société. La valeur n’existe que socialement.
b) Travail concret et travail abstrait
Définition savante la plus courante du travail : une action intentionnelle sur la nature en vue
de produire des valeurs d’usage. Tout à fait insuffisant : cette définition du travail exprime
l’invariant anthropologique du travail, c’est incontestable, mais la dynamique des sociétés
repose aussi sur ce qui, parmi ces VU, sont désignées comme VE. Le langage courant
exprime bien le problème : un chômeur dit « je cherche du travail » comme s’il ne travaillait
pas, alors que par exemple s’il milite dans une association quelconque il travaille au sens
anthropologique du terme. En fait, le langage courant désigne comme « activité » la
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production de VU non reconnue comme VE. Il faut aller plus loin : dans la convention
capitaliste de la valeur, il faut dissocier le travail concret (qui met en œuvre des technologies
et un savoir-faire spécifique pour produire tel bien ou service spécifique) du travail abstrait (la
dimension « production de valeur économique », mesurée par le temps de travail, un travail
homogénéïsé). Dans le langage courant, ça renvoie à « activité » et « travail », l’un étant
associé à la liberté et l’autre à la contrainte (la liberté se paie d’une absence de production de
VE).
En inventant l’abstraction du travail, le Capital est progressiste, car il découple la VE du
pouvoir du chef de clan, du prêtre ou du Prince, et libère la production de VU jusqu’alors
bridée par les conventions liées à ce pouvoir. En plus, chacun devient un producteur
potentiel : c’est l’acte même de produire qui est le fondement de la VE, pas le fait de produire
en tant que membre de telle caste, de telle famille, de tel sexe, etc. Toute remise en question
de l’abstraction du travail serait une régression. Mais pour autant, le Capital n’a aboli ces
rapports de pouvoir que pour les remplacer par d’autres : le capitalisme repose sur le fait que
des propriétaires lucratifs (moyen de production, portefeuille financier), décident des
marchandises qui vont être produites par des forces de travail qu’ils achètent sur un marché du
travail : lorsqu’ils vendent ces marchandises, ils récupèrent la survaleur que ces forces de
travail ont produites.
c) Propriété lucrative et propriété d’usage
Propriété d’usage : jouissance d’un patrimoine que l’on consomme soi-même : une maison
que l’on habite, un terrain qu’on cultive, une machine avec laquelle on travaille. Elle n’est
source d’aucun revenu.
Propriété lucrative : le propriétaire n’utilise pas soi-même son patrimoine : une maison ou un
terrain loué, une machine sur laquelle on fait travailler quelqu’un d’autre (idem dans le cas
d’un portefeuille financier). La propriété permet de tirer un revenu qui est non pas du
travail du propriétaire mais du travail d’autrui.
La propriété lucrative interdit la propriété d’usage : les salariés d’une entreprise n’utilisent pas
outils et bâtiments à leur guise, les locataires d’un appartement doivent le rendre comme ils
l’ont trouvé, etc. L’extension de la propriété d’usage passe par l’interdiction de la propriété
lucrative.
d) Les rapports de production capitalistes
D’un côté des propriétaires lucratifs. De l’autres des personnes réduites dans l’activité de
production à des forces de travail, produisant de la VE sans avoir de maîtrise sur les VU
qu’elles produisent ou non ou sur la manière dont elles produisent : ils sont contraint
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d’inscrire leur capacité de production de VU dans une marchandise le CV qu’il porte sur
le marché du travail dans l’espoir d’un propriétaire lucratif les achètera. Une fois achetée, les
forces de travail vont produire des marchandises, et à ce moment-là le propriétaire lucratif
pourra en récupérer la VE. Celle-ci sera nécessairement supérieure à celle de la force de
travail, c’est cette différence qui constitue la survaleur.
Au passage, le souci constant d’augmentation de la survaleur conduit à réduire en permanence le temps
de force de travail par unité produite, le problème étant que ce gain s’obtient à l’aide davantage de
technologie et donc en consommant plus de capital, ce qui réduit le taux de profit : cette dérive ne se
résout que par des crises périodiques qui réduisent le capital sur-accumulé ou alors étendent
indéfiniment le champ de la production.
Dans le capitalisme, la VE d’un bien ou d’un service est ainsi mesurée par le temps de travail
abstrait nécessaire à sa production. Attention, c’est sur le marché que la VE se réalise, mais
elle est produite dans la production. Les tomates vendues par un paysan indépendant ne sont
pas par conséquent des marchandises capitalistes : il participe à un mode de production
dominé au sein du mode de production dominant.
e) La naturalisation de la VE, masque du pouvoir économique
La question centrale c’est : comment est définie la VE ? Qui en décide ou plutôt, en détient les
clefs ? Nous sommes dans une période de crise, il faut en profiter car la convention capitaliste
de la valeur vacille : soit elle s’étend, soit on l’abat. Que dit le pouvoir ? Que la VE c’est la
VU, qu’il n’y a pas de rapports de pouvoir (vieille technique !), la monnaie sert à troquer des
VU selon la loi de l’O&D, les prix et quantités renvoyant aux préférences des
consommateurs. Au bout du compte, ce serait les consommateurs qui décideraient de la VE :
on retrouve le « pouvoir d’achat ». D’un autre côté, les travailleurs sont productifs car ils
produisent des VU dont tout le monde a besoin, et donc les autres sont inutiles.
On voit l’enjeu à définir, pour le pouvoir, ce qu’est le salaire ! Une contrepartie contre des VU
produites, qui entretient les salariés dans un rôle de mineurs sociaux alors qu’ils pourraient
tous être des majeurs sociaux égaux grâce à l’abstraction du travail inventée par le capital lui-
même.
f) Les conventions du travail en conflit
La convention capitaliste de la valeur et du travail, c’est les institutions dans lesquelles est
produite la VE dans le capitalisme sur la base du travail abstrait. On compte parmi ces
institutions fondatrice de la VE capitaliste : la propriété lucrative ; le marché du travail ; la
création monétaire par le crédit bancaire (anticipation de la valeur produite). Mais dans la
réalité de ce qui est défini comme travail aujourd’hui, l’acception capitaliste s’est doublée
d’une autre, subversive : les institutions précitées peuvent déjà être remplacées par celles
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d’une autre convention du travail déjà là, la convention salariale => le PIB inclut davantage
de travail que le seul travail capitaliste : le travail des fonctionnaires par exemple est
comptabilisé, alors que c’est un travail produisant du non marchand et fait par des gens qui ne
sont pas des forces de travail. Comme il n’y a pas d’essence de la valeur, la convention
capitaliste doit en affronter d’autres.
3 Quel salaire ?
Le salaire est une institution considérable : 60% du PIB va au salaire. Sa part a augmenté
entre 1945 et 1980, à cause de la baisse de celle des travailleurs indépendants : si on tient
compte de la croissance du poids des salariés dans la population active par contre, la part
salariale est en déclin régulier des années 1950 aux années 2000. Sur cette longue période, les
salaires ont tendance à croitre moins vite que la productivité. Le problème n’est pas
l’ultralibéralisme, c'est-dire les excès du capitalisme, mais son cœur.
a) Salaire total, net, brut
Salaire total (celui dont on va parler le plus couramment ici) = salaire net + cotisations
employeurs et salariés. Ajout des cotisations au salaire net considérable : pour les salaires >
1.6 SMIC, elles représentent 83% du salaire net. 40% du salaire passe donc sous forme de
cotisations. Moins vrai pour les salaires < 1.6 SMIC, à cause de la réduction Fillon. Vrai
recul, car 1.6 SMIC = salaire médian.
b) La feuille de paie
3 types de contributions sociales : cotisations sociales (nettement majoritaires, calculées
comme % du salaire brut et qui va à des caisses socialisées), contributions fiscales (impôts sur
le revenu), contributions hybride (% du salaire mais qui va ailleurs que dans des caisses
socialisées, ex : logement, formation professionnelle continue, etc.). Tout ça c’est DU salaire
mais pas MON salaire : je ne mets pas des sous au frigo pour quand je serais vieux ou malade,
mais je finance la reconnaissance d’une valeur non marchande produite par les soignants, les
retraités, etc. Ce flux de monnaie en leur direction retourne ensuite aux marchandises quand il
sera dépensé, c’est un flux de monnaie dans deux sens, une opération blanche.
c) La dynamique des cotisations sociales
Histoire des différentes institutions de salaire socialisé pp. 60-71.
4 La qualification et sa réforme
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