FRIOT-Lenjeu-du-salaire

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L’enjeu du salaire
B. Friot
Introduction
Pas un livre résistant, livre qui dit « oui » : aux institutions du salaire telles que forgées par les
luttes du siècle dernier, qui suscite une méfiance même parmi les militants les plus engagés.
1 – Le salaire, du pouvoir d’achat au pouvoir économique
Il faut opérer un déplacement du regard sur la question du salaire : l’idée dont il faut sortir
c’est que « le salaire est un pouvoir d’achat à la mesure du travail fourni ». Cela entraîne deux
dérives de pensées : l’idée de « minorité sociale »et celle de « contrepartie ».
a) La minorité sociale
Ca renvoie à la définition classique du salarié : en échange de la subordination à un
employeur qui prend les risques, il a droit à la sécurité de ses ressources. Une part du droit du
travail s’est construite là-dessus, sur cette structure asymétrique qui entretient une vision du
salaire comme ce qui est dû à un mineur social, c’est-à-dire un pouvoir d’achat pour satisfaire
à ses besoins. Attention, que le salaire soit lu comme le prix de la force de travail n’a pas
toujours fait du travailleur un être réduit à ses besoins : il y a eu une époque, celle de la classe
ouvrière organisée, où l’affirmation du salaire comme prix de la force de travail a été le
vecteur d’une affirmation des salariés comme classe de producteurs (« nous sommes volés
puisque payés à la valeur de notre force de travail et non pas à hauteur des produits de notre
travail »). Depuis, cette proposition a été marginalisée par la revendication d’augmentation
des salaires, et non plus de suppression des profits : cela a comme conséquence que la « force
de travail » n’est plus un concept explicatif de l’exploitation capitaliste mais quasiment une
donnée de nature (chacun aurait une force de travail, y compris les fonctionnaires ou les
indépendants). La dénonciation du capitalisme a été remplacée par une dénonciation des
inégalités dans un capitalisme banalement défini par la soif de profit. En dénonçant la plusvalue, la classe ouvrière a peu dénoncé la valeur-travail ou le marché du travail, et a donc
dans le même temps conforté la convention capitaliste du travail. Elle n’a pas posé la question
de la définition de la valeur.
b) La contrepartie
Cette représentation du salaire nous obnubile. Par exemple, c’est elle qui empêche de
comprendre le fonctionnement du système de retraite par répartition, qui nous fait voir la
retraite comme un salaire « différé » et non pas « socialisé ». Il faut s’en défaire.
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 La ligne de crête à suivre est de sortir de l’alternative mortifère entre la socialdémocratie de gauche et les alternatives minoritaires : dans les deux cas, il y a volonté
de sortir du capitalisme par des solutions qui en réalité confortent la convention
capitaliste de la valeur. Il faut bien comprendre ce qu’on a sous les yeux, dans les
institutions du salaire, et s’appuyer sur ce déjà là émancipateur pour avancer vers une
autre définition de la valeur, la suppression du marché du travail et de la propriété
lucrative.
2 – Qu’est-ce que travailler ?
Il faut s’aider des catégories marxistes pour voir que l’enjeu du salaire n’est pas sa hausse
mais un changement dans la définition de la valeur économique. Dans le capitalisme, le
travail abstrait est la dépense d’énergie humaine qui, définie par sa durée, sert de mesure de la
valeur économique (dans une économie qui repose sur l’extraction de plus-value) : par la
réduction des personnes à des forces de travail. Le capitalisme a inventé l’abstraction du
travail dans une forme qui permet le profit lié à la propriété lucrative, et au passage il a libéré
la valeur économique des rapports sociaux qui la naturalisaient.
a) Valeur d’usage et valeur économique
La valeur d’usage peut ne pas être une valeur économique, mais l’inverse n’est pas vrai. La
valeur économique dépend de l’institution dans laquelle s’inscrit la production de valeur
d’usage (ex : le café fait par la femme au foyer ou le serveur du restaurant). L’attribution
d’une valeur économique à des valeurs d’usages dépend des rapports sociaux fondamentaux
d’une société, donc de rapports de pouvoir (ex : le paysan qui fait une offrande aux Dieux
produit des valeurs d’usage mais ne travaille pas ; le vassal dans une société féodale produit
des valeurs d’usage mais le travail n’est pas la mesure de ce qu’il produit pour son seigneur).
C’est la légitimité de ces rapports sociaux, toujours réaffirmée (rites, etc.), qui fonde la
convention de la valeur propre à chaque société. La valeur n’existe que socialement.
b) Travail concret et travail abstrait
Définition savante la plus courante du travail : une action intentionnelle sur la nature en vue
de produire des valeurs d’usage. Tout à fait insuffisant : cette définition du travail exprime
l’invariant anthropologique du travail, c’est incontestable, mais la dynamique des sociétés
repose aussi sur ce qui, parmi ces VU, sont désignées comme VE. Le langage courant
exprime bien le problème : un chômeur dit « je cherche du travail » comme s’il ne travaillait
pas, alors que par exemple s’il milite dans une association quelconque il travaille au sens
anthropologique du terme. En fait, le langage courant désigne comme « activité » la
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production de VU non reconnue comme VE. Il faut aller plus loin : dans la convention
capitaliste de la valeur, il faut dissocier le travail concret (qui met en œuvre des technologies
et un savoir-faire spécifique pour produire tel bien ou service spécifique) du travail abstrait (la
dimension « production de valeur économique », mesurée par le temps de travail, un travail
homogénéïsé). Dans le langage courant, ça renvoie à « activité » et « travail », l’un étant
associé à la liberté et l’autre à la contrainte (la liberté se paie d’une absence de production de
VE).
En inventant l’abstraction du travail, le Capital est progressiste, car il découple la VE du
pouvoir du chef de clan, du prêtre ou du Prince, et libère la production de VU jusqu’alors
bridée par les conventions liées à ce pouvoir. En plus, chacun devient un producteur
potentiel : c’est l’acte même de produire qui est le fondement de la VE, pas le fait de produire
en tant que membre de telle caste, de telle famille, de tel sexe, etc. Toute remise en question
de l’abstraction du travail serait une régression. Mais pour autant, le Capital n’a aboli ces
rapports de pouvoir que pour les remplacer par d’autres : le capitalisme repose sur le fait que
des propriétaires lucratifs (moyen de production, portefeuille financier), décident des
marchandises qui vont être produites par des forces de travail qu’ils achètent sur un marché du
travail : lorsqu’ils vendent ces marchandises, ils récupèrent la survaleur que ces forces de
travail ont produites.
c) Propriété lucrative et propriété d’usage
Propriété d’usage : jouissance d’un patrimoine que l’on consomme soi-même : une maison
que l’on habite, un terrain qu’on cultive, une machine avec laquelle on travaille. Elle n’est
source d’aucun revenu.
Propriété lucrative : le propriétaire n’utilise pas soi-même son patrimoine : une maison ou un
terrain loué, une machine sur laquelle on fait travailler quelqu’un d’autre (idem dans le cas
d’un portefeuille financier). La propriété permet de tirer un revenu qui est né non pas du
travail du propriétaire mais du travail d’autrui.
La propriété lucrative interdit la propriété d’usage : les salariés d’une entreprise n’utilisent pas
outils et bâtiments à leur guise, les locataires d’un appartement doivent le rendre comme ils
l’ont trouvé, etc. L’extension de la propriété d’usage passe par l’interdiction de la propriété
lucrative.
d) Les rapports de production capitalistes
D’un côté des propriétaires lucratifs. De l’autres des personnes réduites dans l’activité de
production à des forces de travail, produisant de la VE sans avoir de maîtrise sur les VU
qu’elles produisent ou non ou sur la manière dont elles produisent : ils sont contraint
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d’inscrire leur capacité de production de VU dans une marchandise – le CV – qu’il porte sur
le marché du travail dans l’espoir d’un propriétaire lucratif les achètera. Une fois achetée, les
forces de travail vont produire des marchandises, et à ce moment-là le propriétaire lucratif
pourra en récupérer la VE. Celle-ci sera nécessairement supérieure à celle de la force de
travail, c’est cette différence qui constitue la survaleur.
Au passage, le souci constant d’augmentation de la survaleur conduit à réduire en permanence le temps
de force de travail par unité produite, le problème étant que ce gain s’obtient à l’aide davantage de
technologie et donc en consommant plus de capital, ce qui réduit le taux de profit : cette dérive ne se
résout que par des crises périodiques qui réduisent le capital sur-accumulé ou alors étendent
indéfiniment le champ de la production.
Dans le capitalisme, la VE d’un bien ou d’un service est ainsi mesurée par le temps de travail
abstrait nécessaire à sa production. Attention, c’est sur le marché que la VE se réalise, mais
elle est produite dans la production. Les tomates vendues par un paysan indépendant ne sont
pas par conséquent des marchandises capitalistes : il participe à un mode de production
dominé au sein du mode de production dominant.
e) La naturalisation de la VE, masque du pouvoir économique
La question centrale c’est : comment est définie la VE ? Qui en décide ou plutôt, en détient les
clefs ? Nous sommes dans une période de crise, il faut en profiter car la convention capitaliste
de la valeur vacille : soit elle s’étend, soit on l’abat. Que dit le pouvoir ? Que la VE c’est la
VU, qu’il n’y a pas de rapports de pouvoir (vieille technique !), la monnaie sert à troquer des
VU selon la loi de l’O&D, les prix et quantités renvoyant aux préférences des
consommateurs. Au bout du compte, ce serait les consommateurs qui décideraient de la VE :
on retrouve le « pouvoir d’achat ». D’un autre côté, les travailleurs sont productifs car ils
produisent des VU dont tout le monde a besoin, et donc les autres sont inutiles.
On voit l’enjeu à définir, pour le pouvoir, ce qu’est le salaire ! Une contrepartie contre des VU
produites, qui entretient les salariés dans un rôle de mineurs sociaux alors qu’ils pourraient
tous être des majeurs sociaux égaux grâce à l’abstraction du travail inventée par le capital luimême.
f) Les conventions du travail en conflit
La convention capitaliste de la valeur et du travail, c’est les institutions dans lesquelles est
produite la VE dans le capitalisme sur la base du travail abstrait. On compte parmi ces
institutions fondatrice de la VE capitaliste : la propriété lucrative ; le marché du travail ; la
création monétaire par le crédit bancaire (anticipation de la valeur produite). Mais dans la
réalité de ce qui est défini comme travail aujourd’hui, l’acception capitaliste s’est doublée
d’une autre, subversive : les institutions précitées peuvent déjà être remplacées par celles
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d’une autre convention du travail déjà là, la convention salariale => le PIB inclut davantage
de travail que le seul travail capitaliste : le travail des fonctionnaires par exemple est
comptabilisé, alors que c’est un travail produisant du non marchand et fait par des gens qui ne
sont pas des forces de travail. Comme il n’y a pas d’essence de la valeur, la convention
capitaliste doit en affronter d’autres.
3 – Quel salaire ?
Le salaire est une institution considérable : 60% du PIB va au salaire. Sa part a augmenté
entre 1945 et 1980, à cause de la baisse de celle des travailleurs indépendants : si on tient
compte de la croissance du poids des salariés dans la population active par contre, la part
salariale est en déclin régulier des années 1950 aux années 2000. Sur cette longue période, les
salaires ont tendance à croitre moins vite que la productivité. Le problème n’est pas
l’ultralibéralisme, c'est-à-dire les excès du capitalisme, mais son cœur.
a) Salaire total, net, brut
Salaire total (celui dont on va parler le plus couramment ici) = salaire net + cotisations
employeurs et salariés. Ajout des cotisations au salaire net considérable : pour les salaires >
1.6 SMIC, elles représentent 83% du salaire net. 40% du salaire passe donc sous forme de
cotisations. Moins vrai pour les salaires < 1.6 SMIC, à cause de la réduction Fillon. Vrai
recul, car 1.6 SMIC = salaire médian.
b) La feuille de paie
3 types de contributions sociales : cotisations sociales (nettement majoritaires, calculées
comme % du salaire brut et qui va à des caisses socialisées), contributions fiscales (impôts sur
le revenu), contributions hybride (% du salaire mais qui va ailleurs que dans des caisses
socialisées, ex : logement, formation professionnelle continue, etc.). Tout ça c’est DU salaire
mais pas MON salaire : je ne mets pas des sous au frigo pour quand je serais vieux ou malade,
mais je finance la reconnaissance d’une valeur non marchande produite par les soignants, les
retraités, etc. Ce flux de monnaie en leur direction retourne ensuite aux marchandises quand il
sera dépensé, c’est un flux de monnaie dans deux sens, une opération blanche.
c) La dynamique des cotisations sociales
Histoire des différentes institutions de salaire socialisé pp. 60-71.
4 – La qualification et sa réforme
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a) Qualification VS certification
La qualification c’est différent de la certification, même si le vocabulaire courant les
confond. La certification est la reconnaissance d’un certain niveau de savoir et de savoir-faire
nécessaire à la maîtrise de la technique de production d’une ou plusieurs VU, à travers un titre
scolaire. La qualification renvoie à l’autre dimension de la production, à la production de VE,
elle atteste que le poste / la personne qui est qualifiée participe à un certain niveau à la
création de VE et a donc droit à tel niveau de salaire. Ce sont deux ordre différents de la
réalité : certifier n’est pas qualifier, sauf à mélanger VE et VU et donc à naturaliser la
convention capitaliste du travail.
b) La qualification, alternative à la valeur-travail ?
Trois supports de qualification connus : le grade, l’emploi, le diplôme protégé.
-
Le grade de la fonction publique : acquis par concours, garanti un niveau de traitement
et des droits de carrière quel que soit le poste auquel on est nommé. Le grade ne
préjuge pas du concret des taches : qu’un officier de même grade soit à terre ou en
bateau, au combat ou à l’intendance, son salaire sera le même. Encore 150 échelles
indiciaire en 1929, grille unique avec 4 corps en 1948, avec écarts de salaires réduit
dans le même temps de 1 à 20 à 1 à 8. Evidemment critères de qualification encore
plus transversaux, puisque 4 niveau de qualification (même s’il existe des échelons au
sein de chaque niveau)
-
L’emploi du secteur privé : au 20ème siècle, s’est construit en associant une
qualification, mais au poste de travail cette fois. C’était une réaction pragmatique face
à la réduction des personnes à des forces de travail : la qualification associée à un
poste codifie le salaire sur la base d’un travail abstrait qui n’est pas défini par le temps
de travail nécessaire à la production/reproduction de la FT (même si beaucoup ont
tenté des lectures en ce sens) ou aux taches du poste. La qualification est définie ex
antes, avant toute production.
-
Le diplôme protégé des professions libérales : là, ce sont des professions qui se sont
organisées pour faire d’un diplôme le support d’une qualification exprimée par un
barème d’actes professionnels, avec d’autre critères que la simple dépense de FT.
c) Qualifier le poste ou la personne ?
Deux situations possibles de qualification, selon que c’est le poste ou la personne qui est
qualifiée. Dans la fonction publique : c’est la personne, qui ne détient pas son poste mais son
grade, donc sa qualification ; et qui a non pas un emploi à vie mais un salaire à vie, sa
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qualification lui valant salaire quelles que soient l’implication, la productivité, l’assiduité, etc.
Au contraire, dans le privé, c’est le poste qui est qualifié : c’est la seule manière de faire qui
soit compatible avec le capitalisme, qui a besoin d’un marché du travail. Le grade supprime la
fonction d’employeur, ce qui ne veut pas dire qu’elle supprime la hiérarchie ou les
« entrepreneurs », notion qui renvoie au TC alors que celle d’ « employeur » renvoie au TA.
Dans la fonction publique, pas de prise d’otage où la nécessaire autorité hiérarchique se
double du pouvoir de faire exister ou disparaître autrui comme producteur de valeur. Attribut
de la personne, le grade ne s’éteint pas avec le fin du service (pour la pension pas de
cotisations telles quelles, jeu d’écriture mais sans flux réel de monnaie). Le diplôme protégé
des professions libérales est une forme simplement atténuée de la convention capitaliste du
travail, sauf quand il est solvabilisé par le salaire socialisé comme dans le cas des
professionnels de santé (proches au final des fonctionnaires).
Les réformateurs s’en prennent à la qualification sous toutes ses formes. Il a fallu créer
l’emploi contre le job pour imposer la qualification, il faudra le remplacer par la qualification
personnelle si on veut éviter un retour au job. La qualification de la personne est doublement
subversive : elle s’attaque à la valeur-travail (comme la qualification du poste) ET au marché
du travail. De plus elle s’étend, même au cours des dernières décennies : l’emploi public a
progressé de plus d’1/3 entre 1980 et 2008, deux fois plus vite que l’emploi total. La
qualification personnelle a même gagné le privé : les retraités ont un salaire à vie, et sont donc
qualifiés personnellement. Toute l’œuvre des réformateurs est là : détruire la fonction
publique statutaire, développer les pensions comme salaire différé et non socialisé (projet de
la CFDT de retraite à point !), casser les marchés internes du travail au sein des entreprises
pour faire passer tout le monde sur le marché général du travail (flexisécurité).
5 – La cotisation et sa réforme
La cotisation c’est du salaire socialisé, ponctionné directement sur la VA : c’est différent du
salaire fondé sur l’emploi, ou encore de l’impôt sur le revenu, ça change le sens de la VE. De
plus, en ponctionnant la VA au nom du salaire socialisé pour financer la santé ou la vieillesse,
qui jusque là l’étaient par le prêt ou l’investissement, elle met en évidence l’inutilité de la
propriété lucrative et du crédit lucratif. La croyance dans l’épargne comme accumulation de
valeur peut être également combattue par son biais : ce qui s’accumule dans l’épargne n’est
pas de la valeur, mais des droits sur la valeur qui sera en cours de production quand l’épargne
sera transformée en monnaie, c’est un droit de propriété sur la monnaie future en circulation.
Il faut distinguer épargne lucrative et épargne d’usage. L’épargne d’usage permet de se
constituer une propriété d’usage : on ouvre un compte sur un livret en vue de l’achat d’une
voiture ou d’un appartement, et l’épargnant d’usage ne ponctionne dans cette affaire aucune
valeur produite par le travail d’autrui. L’épargne lucrative est une épargne que l’on ne
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consomme pas mais dont on tire un revenu, elle fonctionne comme l’épargne d’usage mais
avec une différence d’échelle concernant les rendements et dépôts et donc que le revenu de
l’épargnant sera ponctionné sur le travail d’autrui : il arrive avec des titres de propriété sur la
monnaie, il en convertit en monnaie par exemple deux millions pour investir et ensuite
ponctionner le travail des autres, ses deux millions provenant déjà d’autres ponctions : qui
peut accumuler 2 millions par son travail ?
La croyance dans une accumulation de valeur dans des titres financiers est l’un des dogmes
les moins discutés du moment, alors même que « les marchés » étalent leur nocivité depuis
2007 : la prétendue monnaie virtuelle crée dans la bulle financière s’est révélé pour ce qu’elle
était quand la bulle a éclaté, un droit à ponctionner sur la valeur que nous sommes en train de
créer. Ces titres qui ne valaient plus rien, ils ont eu le poids politique d’obtenir qu’une
création monétaire viennent les solvabiliser, et ensuite que la planche à billet ne tourne pas, et
que cette monnaie corresponde bien à la valeur économique que 10 ans d’Austérité vont
permettre de ponctionner. Ce n’est possible que parce que nous les honorons comme des
dieux : « les marchés sont inquiets », « malgré des décisions courageuses, les marchés
s’affolent toujours ». Contre cette croyance, la cotisation nous donne la clef de la suppression
et la propriété lucrative et du crédit : étendre au financement et à l’investissement son
principe.
La cotisation connait une différence de taille avec l’impôt : elle est prélevée sur la VA, et est
donc une ponction de valeur concurrente à celle réalisée au nom de la propriété lucrative ou
du prix de la FT. L’impôt est ponctionné après coup, après la production dans un cadre qui
conforte les institutions de la convention capitaliste de la valeur. C’est pour ça que les
réformateurs s’acharnent dessus.
6 – Salaire universel et souveraineté populaire
Le 20ème siècle n’est pas que le siècle des totalitarismes, c’est aussi le siècle des prémices du
salariat. La cotisation, le grade, le salaire socialisé, toutes ces institutions auxquelles plus du
1/3 du PIB est affecté peuvent être généralisées dans un PIB entièrement voué au salaire
socialisé, dans un salaire pour tout-e-s, un salaire universel. « Salarié » serait un terme
générique, comme « citoyen », désignant toute personne dotée d’une qualification et donc
d’un salaire par un droit politique le jour de sa majorité. Tant que nous ne voyons pas la
subversion introduite jusqu’ici par les luttes ouvrières pragmatiques, nous n’avons pas de
tremplin pour des luttes révolutionnaire et sommes condamnés à faire plus que le PS (dans
une perspective de social-démocratie de gauche) ou à faire à côté (du système) dans des
dissidences locales. Faire la révolution est à notre portée, en imposant les institutions du
salaire à la place des institutions du capital, en faisant advenir le salariat pour rendre la
peuple pleinement citoyen. Le salaire universel comporte 3 dimensions.
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a) Un droit politique attaché à la personne
Toute personne à compter de sa majorité est capable de décider de la valeur économique et de
la produire : c’est un droit irrévocable, ce qui apparente le SU au suffrage universel. Deux
objections. 1 - « Le peuple est incapable » : déjà ça ne veut rien dire, et ensuite le suffrage
universel a eu des effets positifs parce que c’est une institution capable de susciter les
capacités qu’elle postule, grâce à des institutions-soutiens (éducation civique, partis, médias,
etc.) ; pour le SU aussi des institutions naîtront. 2 – « certains ne feront plus rien » : c’est un
truc qu’on prête toujours aux autres, et puis mieux vaut ne rien faire que des trucs nocifs
comme produire des armes. On pourrait commencer par l’attribution du niveau 1 de
qualification aux cohortes des 18-22 ans, pour se faire la main (4% du PIB) : les entreprises
paieront une cotisation « salaire » de 4% et n’auront pas à payer les salariés de ces cohortes
qu’elles embaucheront.
b) La carrière salariale
Il faut qu’il y ait une possibilité de carrière, d’améliorer sa qualification. On peut par exemple
imaginer une hiérarchie de 1 à 4, avec des salaires allant de 1500 € à 6000 €. Chacun à sa
majorité aurait le niveau 1, et ne pourrait que progresser à l’ancienneté au sein d’un même
niveau et de niveau en niveau par épreuve de qualification. Qui va décider, et sur quels critère,
de la qualification ? Ce sera le terrain des conflits, évidemment : c’est un enjeu de pouvoir
décisif, décidant de la définition de la valeur et donc des priorités de production des VU. Ce
conflit ne s’arrêtera jamais, on ne peut l’ignorer (ce qui reviendrait à laisser se développer des
formes précapitalistes de rapports sociaux prenant en charge la définition de la valeur) ou le
contenir (en disant « salaire unique » par exemple) : il faut le prendre en charge
démocratiquement, dans un lieu politiquement assumable. Sur la base du SU irrévocable et
de la qualification, entrer et sortir (y compris contre son gré) d’un collectif de travail,
entretenir un réseau de pairs, se former, changer de statut (fonctionnaire à privé, de membre
d’une entreprise à indépendant), sera beaucoup plus simple et sécurisé qu’aujourd’hui.
c) La maîtrise populaire de l’investissement et de la création monétaire
La qualification permet d’en finir avec le marché du travail, mais reste largement théorique
tant que la propriété lucrative subsiste et que la création monétaire est le fait des banques
commerciales à l’occasion des prêts aux entreprises. Il faut maîtriser l’investissement en
remplaçant la propriété et le crédit lucratif par la propriété et le crédit d’usage. Aujourd’hui la
propriété lucrative extorque 35 % du PIB et font des travailleurs les otages d’une
accumulation financière qu’ils investiront quand et où ils veulent (peu au demeurant, 20%) ;
et l’espace de liberté qui était ouvert par le financement des dépenses publiques par les
banques centrales est fermé depuis 40 ans. Il ne faut pas revenir à ce passé révolu rendant le
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tout acceptable dans un compromis social-démocrate, mais nous appuyer sur la réussite de la
Sécu pour transformer l’exaspération populaire en bataille politique pour le remplacement de
la propriété lucrative par une ponction sur la VA à hauteur de 30% qui ira au salaire socialisé
pour financer l’investissement. Une cotisation économique en quelque sorte, dont on peut
imaginer que 15 points reviendrons aux entreprises pour être affectés à l’autofinancement,
tandis que 15 autres points feront l’objet d’une cotisation collectées par des caisses
d’investissement décentralisées et gérées démocratiquement (pour financer les produits
marchands non encore rentables, les services publics, etc.). L’assèchement du profit permettra
la maîtrise de l’investissement et sa progression, considérable puisque délesté des
remboursements et des taux d’intérêts.
Evidemment, cela implique que les entreprises deviennent – à des niveaux et selon des formes
variées - des propriétés d’usages, qui permettront de travailler mais ne rapporteront aucun
revenu, qu’elles soient individuelles (en cas de travail indépendant) ou collectives. Aucune
plus value ne sera possible à leur session, aucun dividende ne sera versé. Dès que le collectif
sera de deux personnes, la propriété devra être partagée. L’entreprise sera donc un collectif de
qualifié, copropriétaire d’usage de leur outil de travail, avec une hiérarchie, des entrepreneurs,
toutes fonctions inhérentes à une activité collective faite d’innovation. L’entreprise
embauchera et pour cela elle devra être attractive, ne disposant pas du marché du travail
comme instrument de pouvoir. Elle licenciera, mais le salarié partira avec sa qualification et
son salaire.
L’autre bras armé de la souveraineté populaire sont la maîtrise et le changement d’occasion de
la création monétaire. Créer de la monnaie est nécessaire pour anticiper la production
supplémentaire de valeur. Le crédit actuel à deux objets lucratifs : le 1er est le prêt de la
monnaie déjà existante ponctionnée par les propriétaires lucratifs moyennant intérêts, qui sera
supprimé et remplacé par la cotisation économique ; le 2nd est le fait des banques
commerciales lorsqu’elles prêtent au-delà de leur dépôts, la monnaie portée au compte de
l’emprunteur, détruite lors du remboursement du prêt, vient en supplément de la monnaie
existante. Il faut supprimer cette seconde forme également : une anticipation cohérente de la
valeur nouvelle serait de créer de la monnaie à l’occasion de l’attribution des qualifications
nouvelles, pour chaque cohorte à son entrée en majorité salariale et pour chaque effectif de
salariés atteignant tous les ans une nouvelle qualification. Evidemment, ces institutions
monétaires devront également être indépendantes (des entreprises, des syndicats, des
organisations de branches, des caisses d’investissement, etc.), gage d’une démocratie sociale
conflictuelle et dynamique.
d) L’affectation de toute la VA au SU
Si on suit le programme précédemment dessiné, toute la VA sera affectée au SU selon 4 partie
dont 3 sous forme de cotisation : l’autofinancement des entreprises, la cotisation salaire, la
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cotisation économique et la cotisation sociale. Cette dernière, à laquelle serait affecté les 20%
du PIB restant (dans l’ordre 100% - 15% - 50% - 15% = 20 %), servirait à financer la part des
consommations gratuites ne relevant ni du salaire ni de l’investissement (dépenses de
fonctionnement de type petit matériel ou énergie des écoles ou des hôpitaux).
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