1 l`eau de mer : bien plus que de l`eau salée 2

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Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
1
La géochimie marine est l’étude du comportement et de la répartition des
éléments chimiques dans l’océan. Elle s’intéresse non seulement aux réactions
chimiques et biologiques auxquelles ces éléments prennent part et mais aussi aux
conditions dans lesquelles ces éléments sont introduits dans l’océan, puis transportés
et enfin éliminés de l’océan. En cela, au même titre que la géochimie terrestre, elle
détermine des stocks d’éléments chimiques et leurs flux entre les différents
compartiments de l’océan (par exemple entre l’eau de mer et le plancton, ou entre
l’eau et le sédiment déposé au fond) permettant ainsi d’établir des bilans.
Tous les éléments et les composés chimiques, qu’ils soient naturels ou
anthropiques (fabriqués par l’homme comme les pesticides ou les produits de la
fusion thermonucléaire) transitent dans l’océan. Ils y sont introduits par les fleuves, le
ruissellement, l’atmosphère et les vents (pour les poussières) ainsi que, pour certains
d’entre eux par le volcanisme et l’hydrothermalisme sous-marin. Ensuite, ils restent
plus ou moins longtemps au sein de l’eau de mer. En effet, selon qu’ils sont solubles
et transportés passivement par les courants ou insolubles et transportés rapidement
vers le fond par la chute des particules marines, selon qu’ils entrent dans la chaîne
alimentaire ou qu’ils soient sans valeurs nutritives, les parcours des éléments
chimiques dans l’océan sont très différents. Tous ces éléments chimiques et les
molécules qu’ils forment peuvent potentiellement servir à mettre en évidence et
quantifier des flux de matière dans l’océan. Alors que les océanographes physiciens
mesurent des courants et mettent en équation les mouvements de l’eau de mer, les
géochimistes observent la propagation des éléments chimiques comme autant de
colorants transportés dans l’océan. Ainsi l’étude certains éléments mineurs ou en trace
peut apporter des contraintes majeures sur les mouvements de l’océan. On parle de
traceurs. Le géochimiste fait donc des « va et vient » constants entre la
compréhension des comportements chimiques des traceurs (souvent à l’échelle
microscopique) et celle de leur déplacements (souvent à l’échelle de l’océan).
Les parcours des éléments chimiques dans l’océan sont décrits sous forme de
cycles biogéochimiques au cours desquels les traceurs peuvent subir des
transformations chimiques répétées (le préfixe « bio » souligne l’importance de la
biologie dans ces transformations). Ces cycles ne sont cependant pas des circuits
fermés dans l’océan : il y a en permanence des échanges avec l’extérieur qui doivent
être quantifier pour comprendre le rôle exact de chaque traceur ainsi que les effets de
l’activité anthropique sur l’ensemble de la composition chimique de l’océan.
Deux traceurs ayant des cycles globalement très différents peuvent
néanmoins faire un bout de chemin ensemble : on dit que ces cycles sont couplés. Par
exemple, pour étudier le cycle du carbone, les géochimistes s’intéressent aussi aux
cycles des nitrates, des phosphates, de l’oxygène et aux cycles d’éléments exotiques
comme le thorium ou le radon afin de comprendre différents aspects du comportement
du carbone dans l’océan. Ainsi, l’étude des cycles biogéochimique est toujours
pluridisciplinaire.
La composition chimique de l’eau de mer est le résultat de l’ensemble des
cycles biogéochimiques. C’est donc à travers l’étude de quelques cycles que nous
l’eau de mer : bien plus que de l’eau salée
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La composition chimique du sel (c’est à dire l’abondance relative des ions
majeurs les uns par rapport aux autres) est remarquablement constante quelque soit la
salinité de l’eau de mer (pourvue qu’elle ne soit pas trop faible). Ceci a été remarqué
la au XIXieme siècle par Dittmar qui a analysé 77 échantillons d’eau de mer
provenant de différentes profondeurs lors du tour du monde du Challenger (18731876). Une conséquence pratique de cette observation est que le dosage de l’un des
Tableau 1 : Abondance des constituants majeurs de l’eau de mer
espèce
Concentration
(g/kg)
H 2O
964,85
Na+
10,77
Mg2+
1,290
Ca2+
0,4121
K+
0,399
Sr2+
0,0079
Btotal
0,0045
Cl19,354
SO422,712
HCO3-+CO320,118-0,146
Br0,0673
F0,0013
D’après Copin-Montégut (1996)
Tout le monde sait que l'eau de mer est salée. La salinité de l’eau de mer est
définie comme le poids de sel contenu dans 1 kg d’eau (quand tous les carbonates ont
été transformés en oxydes, le brome et l’iode remplacés par le chlore et que toute la
matière organique a été complètement oxydée). Sa valeur moyenne dans l’océan est
de 34,5‰. Cette concentration est très élevée : en évaporant 30 litre d’eau de mer, on
obtient environ 1 kg de sel alors qu’on ne récupère que de l’ordre de 3 g de substance
dissoute en évaporant 30 l d’eau de rivière. La salinité varie notablement d’un point à
l’autre de l’océan (autour de 32‰ dans les mers arctiques, plus de 38‰ en
Méditerranée) sous l'effet de l'évaporation, des apports d’eau douce et localement de
la formation de glace de mer. Ce sel est constitué essentiellement des ions Na+, K+,
Ca2+, Cl-, SO42-... Si tous les éléments de la classification périodique peuvent être
détectés dans l’eau de mer, seuls ceux listés dans le tableau 1 contribuent
significativement à la salinité. On les appelle les éléments majeurs par opposition aux
autres qui sont quantitativement mineurs.
Pourquoi l'eau de mer est elle salée?
allons aborder les nombreux phénomènes qui régulent la composition chimique de
l’eau de mer.
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D’autres ions restent moins longtemps dans l’océan. C’est par exemple le cas du
calcium : apporté par les rivières, il est éliminé « plus rapidement » de l’eau de mer à
l’échelle du million d’années par les êtres vivants qui se fabriquent des coquilles en
CaCO3 et qui s’accumulent dans les roches calcaires. le premier facteur qui détermine
la composition chimique de l’eau de mer, est le temps moyen de séjour des éléments
chimiques au sein du réservoir océanique, que l’on appelle « temps de résidence »
Tableau 2 : Abondance des constituants majeurs des eaux de rivière
espèce
Concentration
(g/kg)
H2O
999,901
Na+
0,00515
Mg2+
0,0335
Ca2+
0,0134
+
K
0,0013
Cl0,00575
SO420,00825
HCO3-+CO320,0520
SiO2
0,0104
D’après Meybeck (1979)
Ainsi, pour déterminer la salinité de l’eau de mer, il n’est pas nécessaire de mesurer la
concentration de tous les ions du tableau 1 : Il suffit de mesurer la concentration des
ions chlorures ou de mesurer la conductivité de l’eau de mer (qui dépend directement
de son contenu en ions et de la température).
Pour comprendre la constance de ces rapports, il faut s’intéresser à la fois à
l’origine et au devenir du sel dans l’océan. Les ions dissous dans l’océan ont plusieurs
sources possibles, la principale étant constituée par les rivières. Cependant, à l’opposé
de l’eau de mer (tableau xxx), les eaux de rivière sont plus riches en Ca2+ qu'en Na+,
plus pauvres en Cl- qu'en Na+ et leur teneur en silice est bien plus élevée dans les
rivières que de l’eau de mer. Toutes ces différences impliquent que l'évaporation de
l’eau de rivière ne peut pas expliquer à elle seule la composition chimique de l’eau de
mer. Si le Na du sel de table est bien apporté à l'océan par les rivières, le Cl est lui
apporté par le volcanisme sous-marin (voir paragraphe xx). Toute la question est de
comprendre pourquoi, une fois que les éléments chimiques sont introduits dans
l’océan, leurs proportions relatives changent au sein du liquide : en d’autres termes
pourquoi Na devient 25 fois plus concentré que Ca (Tableau 1). Les ions Na+ et Clsont très solubles et restent dans l'océan environ 70 millions d'années avant d’être
éliminés sous forme de sel gemme (NaCl) dans des zones de très forte évaporation,
sortes de marais salants naturels.
S (g/kg) = 1.80655 Cl (g/kg)
ions majeurs donne la teneur des autres ions majeurs et donc la salinité. Par exemple,
la salinité est reliée à la chlorinité par la relation de proportionnalité
Quantité
Quantité
=
ΣFlux entrant ΣFlux sortant
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Les rivières et estuaires
Les rivières sont le principal vecteur d’ions dissous des continents vers les
océans. Cependant, les zones de mélange entre l’eau douce et l’eau de mer et que
nous rassemblerons sous le nom générique d’estuaires jouent le rôle de filtre chimique
vis à vis des apports continentaux. Dans l’eau douce, les fines particules sont en
suspensions grâce à leur charge électrique de surface qui les maintient à distance les
unes des autres. L’augmentation de la salinité permet la neutralisation de ces charges
électriques par les ions en solution et entraîne la floculation des particules sous l’effet
des forces de Van der Vals. Les particules sédimentent alors sous l’effet de leur poids
et de la diminution de la turbulence de l’eau. Lors de cette floculation-sédimentation,
certains éléments chimiques sont absorbés sur les particules et entraînés vers les
sédiments (Fig. 1).Dans les sédiments, une partie des éléments chimiques peut être
remise en solution. Ceci ne touche cependant que les éléments les moins solubles et
ne concerne pas des éléments très solubles comme Na ou Cl.
Dans le cas de l’océan global alimenté par les rivières, la quantité totale est la
concentration moyenne de l’élément multipliée par le volume moyen de l’océan (1,36
1021 l, Tableau 1.2). Le flux entrant est le débit total des fleuves multiplié par la
concentration moyenne des rivières. Les quantités d’éléments contenus dans l’océan
sont en général plus facile à déterminer que les flux entrants et sortants (parfois aussi
appelés termes sources et puits). Dans ce qui suit, nous proposons un premier
inventaire des termes sources-puits. Il sera détaillé et compléter au fil des chapitres.
τ élément =
Temps de résidence
On définit le temps de résidence, τelement, comme le rapport entre la quantité
d’élément présent au sein d’un réservoir donné (Quantité) et les flux total d’apport (ou
de départ) de ce élément à ce réservoir (ΣFlux):
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Le volcanisme et l’hydrothermalisme
Les bassins océaniques sont parcourus par des chaînes de montagnes sous
marines hautes de 2 à 3 km qui sont le siège d’un volcanisme intense (lequel est une
des manifestations de la tectonique des plaques). Parmi les gaz émis lors des
L’atmosphère
Le vent transporte sur de grandes distances des particules arrachées à la
surface des continents ou formées dans l’atmosphère. Au contact avec l’eau de mer,
ces particules se dissolvent partiellement libérant des éléments chimiques. L’impact
de ces apports est globalement faible par rapport à celui des rivières. Cependant, il
peut être significatif pour les métaux insolubles qui sont efficacement stoppés par les
estuaires (voir chapitre particules marines). Des quantités non négligeables de
phosphates et de nitrates peuvent être également dissoutes à partir de particules
transportées par le vent depuis les continents vers l’océan ouvert.
L’atmosphère échange des quantités importantes de gaz avec l’océan. Ces
flux seront discutés plus loin. Ces gaz (à l’exception notable de CO2) ne rentrent pas
en compte dans l’estimation de la salinité qui ne concerne que des espèces non
volatiles.
Figure 1 : Comportement du Fer et du Plomb dissous dans un
estuaire. Dès l’arrivée de l’eau douce dans l’estuaire, Pb est
éliminé par adsorption sur des particules qui sédimentent. Au
contraire, du Fer est remis en solution par la dissolution de
minéraux transportés par la rivière ou de sédiments remis en
suspension par les courants de marée. D’après [Braungardt, 2003
#836].
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L’élimination des éléments chimiques
La composition chimique de l’eau de mer dépend non seulement des apports
mais aussi de la vitesse à laquelle chaque élément est éliminé de l’océan. Nous avons
déjà vu que certains éléments dissous sont perdus lors de la circulation de l’eau de
mer dans la croûte océanique. D’autres éléments sont incorporés dans des composés
volatiles et perdus par diffusion dans l’atmosphère. C’est le cas, par exemple, des
composés azotés qui peuvent être transformés par les bactéries en N2 volatile. C’est
également le cas du dimétyl-sulfate qui est produit par le plancton qui l’utilise comme
antigel et qui est volatile : dans l’atmosphère, il s’oxyde et forme des gouttelettes
microscopiques d’acide sulfurique qui contrôle la formation des nuages. Cependant, le
principal puits d’éléments chimique est la sédimentation de matière particulaire au
fond de l’océan. Les ions sont incorporés à ces particules sous l’effet de l’activité
biologique (synthèse de matière organique, formation de squelettes et de coquilles
pour le calcium et la silice par exemple, formation d’oxydes de Mn par des
bactéries…) ou par des réactions chimiques abiotiques (absorption d’éléments
chimiques sur des oxydes de fer ou de Mn, sur des argiles…). Enfin, d’autres
éléments sont piégés directement dans les sédiments (sulfates, pyrite) où à leur surface
dans de nodules de Mn. Le rôle des particules marines et des sédiments sera détaillé
éruptions, on trouve Cl2 qui est à long terme la principale source d’ions Cl- de l’océan
(si les rivières apportent des ions Cl-, ces derniers proviennent essentiellement des
embruns marins transporté par le vent et de l’érosion des roches salines d’origine …
marine ; ceci n’enrichit donc pas l’eau de mer en Cl par rapport à Na).
Le volcanisme sous-marin est à l’origine d’une autre source d’éléments pour
l’océan : les fluides hydrothermaux. A l’origine de ces fluides, on trouve de l’eau de
mer qui s’infiltre et qui circule dans la croûte océanique. A l’approche des zones
volcaniques, elle s’échauffe, réagit avec les roches environnantes pour former les
fluides hydrothermaux. Ces fluides ressortent à des températures allant jusqu’à 350°C
par des cheminées appelées « fumeurs noirs » car les panaches qu’elles éjectent sont
rendus noirs par la précipitation d’hydroxydes et de sulfures de fer. Durant leur
parcours dans la croûte océanique, la composition chimique des fluides évolue
fortement :
- Quand ils sont encore froids, ils perdent une partie de leurs cations par
réaction avec la croûte: Li, Ba, Rb, K, Ca2+, UO3,… et en particulier Mg2+ dont la
concentration est virtuellement nulle dans les fluides hydrothermaux « purs » (non
mélangés avec de l’eau de mer).
- Au fur et à mesure que les fluides percolent, ils s’échauffent et
deviennent acides et réducteurs. Ils dissolvent alors de nombreux éléments chimiques
tels que Li, Ba, Rb, K, Sr et de nombreux métaux.
Au total, les apports hydrothermaux sont significatifs par rapport aux rivières
dans le cas des éléments les plus solubles (Li, Sr, Mn). Les métaux (Cu, Ni, Co…)
sont rapidement précipités lors du mélange des fluides hydrothermaux avec l’eau de
mer froide et oxydante créant ainsi des dépôts métallières au voisinage des fumeurs
noirs. Fe et Mn, dont l’oxydation est un peu plus lente, sont transportés sur des
distances plus grandes et ils précipitent pour former des croûtes de Fe et de Mn dans
des zones de faible sédimentation.
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Notion de traceurs conservatifs et non conservatifs
Qu’en est-il des autres éléments chimiques ? Les éléments majeurs ne sont
qu’une dizaine alors que la table de Mendeleïev comporte 52 éléments stables.
Certains composés mineurs sont chimiquement inertes et leur faible abondance dans
l’océan reflète simplement leur faible abondance sur Terre. D’autres éléments
(comme le fer ou le phosphore) sont des constituants majeurs des roches terrestres,
mais on ne les trouve qu’à l’état de trace dans l’océan. Leur temps de résidence est
très court car ils sont activement éliminés de l’océan par des réactions chimiques ou
biologiques. Leur comportement pourra donc être plus ou moins découplé de celui des
masses d’eau.
Ce découplage s’observe sur des section hydrographiques (Fig 2 et 3). A
première vue, les principales masses d’eau (NADW, AABW, AAIW et CDW)
identifiées sur les sections θ et S sont également reconnaissables sur les sections d’O2
(oxygène dissous) ou de PO4 (phosphates dissous). La répartition de O2 et PO4 est
donc en partie déterminée par le mélange des masses d’eau. Cependant, on observe
des différences :
(1) Dans le Pacifique Nord, les eaux profondes sont très homogènes en
température et salinités car la seule source d’eau profonde se trouve au sud. Vers 1000
m de profondeur, on trouve des eaux très pauvres en O2 et très riches en PO4 qui ne
correspondent pas au cœur d’une masse d’eau identifiable par des valeurs extrêmes de
température ou de salinité. Malgré leur faible température, les eaux profondes sont
pauvres en oxygène, ce qui témoigne du fait qu’elles ont quitté la surface depuis
longtemps.
(2) Dans les eaux superficielles de le l’Atlantique et du Pacifique, les teneurs
de PO4 sont faibles quelles que soient la température et la salinité. Les teneurs en O2
et en PO4 ne sont donc pas uniquement déterminées par des mélanges de masses
d’eau : l’activité biologique joue un rôle important.
au chapitre IX. Pour chaque élément, il s’établit un équilibre entre les apports et les
départs qui détermine le stock contenu dans l’océan.
Comme nous l’avons défini en début de paragraphe, le rythme auquel un élément est
apporté comme l’efficacité ou la difficulté avec laquelle un élément est éliminé de
l’océan détermine son temps de résidence. Ce temps de résidence doit être comparé
au temps de mélange de l’océan sur lui même, c'est-à-dire le temps moyen que met
une particule d’eau à faire le circuit Atlantique-Indien-Pacifique et retour (voir
chapitre X), et qui est de l’ordre de 1000 ans. Les temps de résidence des ions majeurs
se comptent en millions ou en dizaines de millions d’années. Ils sont donc très longs
par rapport au temps de mélange de l’océan. Les ions chimiquement assez inertes sont
donc très bien « mélangés » dans l’océan. Voilà pourquoi le sel a une composition
constante dans l’océan. C’est parce que les ions majeurs sont très inertes
chimiquement que la salinité permet de tracer les masses d’eau : elle n’est pas
modifiée par les réactions chimiques ou biologiques dans l’océan. La salinité est donc,
comme la température, un traceur conservatif qui ne peut être modifié que par
mélange quand une masse d’eau est isolée de la surface.
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Figure 2. Section hydrographique N-S de l’océan Atlantique. a)
Température potentielle. b) Salinité. c) oxygène dissous. D)
Phosphates.
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On dit que les éléments nutritifs, dont les concentrations sont modifiées sans
que la masse d’eau soit au contact avec l’atmosphère, sont des traceurs nonconservatifs. Leur utilisation est plus délicate que celle des traceurs conservatifs car
leur comportement dépend à la fois de phénomènes d’addition ou de soustractions liés
à la biologie, mais aussi de la circulation et du mélange des masses d’eau.
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Afin de comprendre le rôle de l’activité biologique sur la répartition des
éléments chimiques, reportons-nous à des profils verticaux de phosphate, silicate,
carbone inorganique et oxygène dissous analysés dans le Pacifique Nord (Fig. 4).
Dans le Pacifique Nord, il apparaît clairement que la concentration en Phosphates est
nulle en surface, maximale vers 1000 m de profondeur fond (3 μmol/kg) et qu’elle
reste à des niveaux élevés entre 1000m et le fond (entre 2,5 et 3 μmol/kg). Dans
l’Atlantique Nord les tendances sont identiques, même si les concentrations
intermédiaires et profondes sont plus faibles (1,8 et 1,5 μmol/kg respectivement). Ces
profils résultent de l’action simultanée des êtres vivants et de la circulation océanique.
Le cycle des éléments nutritifs et le rôle de l’activité biologique
Profils des sels nutritifs (ou nutriments) dans l’eau de mer
Figure 3. Section hydrographique NS de l’océan Pacifique. a) Température
potentielle. b) Salinité. c) oxygène dissous. D) Phosphates. D’après l’Atlas
ewoce..références
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L’énergie lumineuse étant indispensable, la photosynthèse se déroule à la
surface de l’océan, dans la zone photique qui reçoit de la lumière et dont l’épaisseur
est d’environ 100 m. D'autres éléments que le carbone sont indispensables à la
CO2 + H2O + énergie lumineuse ⇒ CH2O + O2
Cycles de vie dans l’océan
A la base des écosystèmes marins, on trouve la photosynthèse (Fig. 5): des
algues souvent microscopiques utilisent l'énergie du Soleil pour transformer le CO2
dissous dans l'eau de mer en carbone organique qui entre dans la constitution de
toutes les molécules organiques (sucres, lipides, protéines…). La photosynthèse est
souvent résumée par la réaction :
Figure 4 : Comparaison des profils de concentration de
différents composés dans l’Atlantique Nord et le Pacifique Nord.
Ronds bleus : Atlantique Nord. Carrés rouges : Pacifique Nord
D’après l’Atlas…et tracé à l’aide d’ODV
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A la surface de l'océan, les concentrations en NO3-, en PO43- ou en H2SiO3 (la
silice dissoute qui sert à la fabrication de coquilles de silices pour des algues, les
diatomées ou des animaux comme les radiolaires) sont souvent pratiquement nulles:
ces éléments nutritifs sont entièrement consommés par le phytoplancton pour la
photosynthèse. Ils sont dits limitants car leur absence limite la photosynthèse. Le
cycle des éléments limitant dans les eaux de surface sera détaillé au chapitre xx.
Il y a un signe « moins » devant le coefficient de l’oxygène car cet élément est produit
par la photosynthèse alors que P, N et C sont consommés. Soulignons que ces
rapports caractérisent les proportions dans lesquelles les éléments sont consommés
par l’activité biologique mais qu’ils ne correspondent pas, en général, à leurs rapports
de concentrations dans l’eau de mer. En fait, seul le rapport P/N est
approximativement le même dans la matière organique et l’eau de mer (de l’ordre de
1/15-1/16). Le contrôle étroit que les nitrates et les phosphates exercent sur la
production biologique n’est probablement pas étranger à cela (voir chapitre VII).
P/N/C/O = 1/16/106/-138
Cette réaction traduit la réduction de CO2 et de NO3- (ici représenté par esprit
de simplification par l’acide nitrique HNO3 pour équilibrer les charges) en hydrates de
carbone et en acides aminés (ici représenté par l’ammoniac) et à l’incorporation de
Phosphate pour la synthèse de diverses molécules. Les rapports entre les différents
coefficients stœchiométriques de cette réaction sont appelés les rapports de Redfield
(Redfield montra dans les années 60 ? que plancton est toujours plus ou moins
composé des mêmes proportions de carbone, d’azote et de phosphate). On note ces
rapports
106 CO2 + 16 HNO3 + 1 H3PO4 + 122 H2O + énergie lumineuse
⇒ (CH2O)106 (NH3)16 (H3PO4) + 138 O2
constitution des êtres vivants: l’azote fournie par les nitrates (NO3-) permet la
synthèse des acides aminés et des protéines, les phosphates (PO43-) entrent dans la
structure de l’ADN et des molécules transportant l’énergie (ATP), les sulfates
procurent le soufre nécessaire à la synthèse d’un acide aminé particulier (la cystéine).
On peut représenter très schématiquement la formation de matière organique par
l'équation:
On peut maintenant facilement interpréter en partie l’évolution verticale de la
concentration en phosphate (Fig. 4) : les concentrations nulles en surface sont dues à
la consommation par le plancton, alors que les concentrations élevées en profondeur
avec un maximum à 1000 m sont dues à la reminéralisation bactérienne, qui est
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(CH2O)106 (NH3)16 (H3PO4) + 138 O2
⇒ 106 CO2 + 16 HNO3 + 1 H3PO4 + 122 H2O + énergie chimique
D’autres éléments nutritifs comme le carbone inorganique dissous (qui
rassemble le CO2, les ions carbonates et bicarbonates, voir la suite du chapitre), le
calcium ou le barium (dont le rôle pour l’activité biologique n’est pas compris, même
si son cycle semble clairement lié à cette activité par exemple à travers la fabrication
de tests en sulfate de strontium très riche en barium) sont également des éléments
nutritifs (leurs concentrations sont plus faibles dans les eaux de surface que dans les
eaux profondes) mais elles ne sont jamais nulles: ces éléments nutritifs ne sont donc
pas donc pas limitants.
La matière organique formée par le phytoplancton est consommée par
différents types de zooplancton et tôt ou tard elle quitte les eaux de surface en chutant
vers le fond sous différentes formes: agrégat de cellules de phytoplancton sénescentes
ou mortes, matières fécales ("les cacas"), cadavres de zooplancton... Au cours de sa
chute, cette matière organique est consommée par des bactéries et des animaux pour
leur alimentation. La matière organique est oxydée et transformée en éléments
minéraux : en profondeur, les concentrations en éléments nutritifs re-augmentent donc
pour atteindre un maximum autour de 1000 m. Globalement, elles produisent la
réaction inverse de la photosynthèse avec consommation d’oxygène et libération de
sels nutritifs dans l’eau de mer: c’est la reminéralisation ou la respiration.
Figure 5 : Cycle simplifié des éléments nutritifs dans les
eaux de surface et les eaux profondes.
PO43-
enrichissement en
sédimentatio
circulation des eaux profondes
reminéralisation
photosynthés
Océan
Pacifique
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Les éléments nutritifs qui subissent des transformations chimiques et/ou
biologiques répétées qui définissent des cycles « biogéochimiques ». Prenons le cas
des phosphates dont le cycle est relativement simple. Les molécules de Phosphate sont
apportées à l'océan par les rivières. Cependant, la contribution directe des rivières
n’est sensible que dans les zones côtières (c’est particulièrement le cas pour les rejets
de nitrates liés à l’agriculture qui fertilisent l’eau de mer et peuvent entraîner des
« marées vertes » sur les plages). En fait, l’alimentation en PO4 des eaux de surface se
fait essentiellement par un recyclage interne de PO4 dans l’océan, c'est-à-dire par
remontée des eaux profondes riches en phosphates au moment des mélanges
hivernaux et/ou dans les zones d’upwelling (voir chapitre VII) . Dans les eaux de
Figure 6 : Evolution de la composition chimique des eaux
profondes. Au cours de la circulation thermohaline, celles-ci
s’enrichissent en sels nutritifs en recevant les produits de la
reminéralisation dus à l’activité biologique.
Atlantique
Rôle de la circulation sur la forme des profils
Il reste encore à expliquer pourquoi les concentrations profondes en
phosphate, silice et carbone inorganique sont plus élevées dans le Pacifique que dans
l’Atlantique (on vérifiera sur les figures 2 et 3 qu’il s’agit bien de tendances
systématiques). Il ne faut jamais perdre de vue que l’océan est en mouvement et que
tout profil vertical reflète l’importance relative des transports dus aux courants par
rapport aux réactions chimiques ou biologiques. Revenons sur la circulation des
masses d’eaux. Nous verrons au chapitre X que les eaux profondes circulent depuis
l’Atlantique Nord jusqu’au Nord du Pacifique sur une durée de temps de l’ordre de
1000 ans. Durant ce parcours, les eaux profondes sont enrichies progressivement en
éléments nutritifs par la reminéralisation de la matière organique (Fig. 6). De façon
symétrique, la concentration en oxygène dissous diminue au fur et à mesure de la
reminéralisation ce qui explique également la différence Pacifique-Atlantique. Toutes
ces transformations traduisent le vieillissement des eaux profondes.
maximale aux profondeurs intermédiaires, comme en témoigne le profil vertical
d’oxygène qui accuse un minimum autour de 1000 m. En l’absence de lumière, les
phosphates s’accumulent passivement. Le même processus explique les profils du
carbone inorganique dissous et de la silice.
transport
particulaire
Conservatif
(Na+, Cl- …)
sédimentation
transport
en solution
rivière
Nutritif
(NO3- …)
sédimentation
dissolution
rivière
Lithogènes
(Al, Ti …)
sédimentation
dissolution
scavenging
apports éoliens
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La différence entre le temps de mélange de l'océan sur lui-même (qui est le
reflet de la dynamique de la circulation thermohaline) et le temps de résidence d'un
traceur détermine le profil de concentration des éléments chimiques:
-. Les éléments conservatifs ayant des temps de résidence très long par rapport au
temps de mélange de l'océan, leurs concentrations sont en général homogènes.
Figure 7 : Impact des interactions dissous-particulaire et donc du
temps de résidence sur les profils de concentration de différents
composés
océan profond
océan de surface
rivière
surface, PO4 est rapidement assimilé par l'activité biologique pour fabriquer des
molécules organiques. Pris dans la chaîne alimentaire, PO4 est expédié sous forme de
particules vers les eaux profondes. Sous l'effet de la dissolution de la matière
particulaire, PO4 est libéré dans les abysses. Cette redissolution est très efficace: dans
l’océan ouvert seulement 1% de la matière organique qui chute depuis la surface est
enfouie dans le sédiment (nous verrons au chapitre x que cette proportion est plus
forte dans les zones côtières). Dans les eaux profondes, la molécule de PO4 n’est pas
consommée : portée par le courant elle reste environ 1000 ans dans les abysses
jusqu’à ce que les eaux profondes retournent en surface. Là, elle est à nouveau
consommée par le phytoplancton et le cycle recommence. Il faut entre 20000 et 80000
ans (soit entre 20 et 80 cycles) pour que cette molécule de phosphate quitte enfin
l'océan en étant fixée sur une particule qui réussit à atteint le sédiment et qui y est
définitivement enfouie. L’évolution des profils d’éléments dissous dépend donc des
interactions dissous–particulaires (Fig. 7)
α
2
[O ]
Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
demer
=
POeau
2
15
Les gaz dans l’eau de mer
Compte-tenu de l’importance de gaz comme O2 ou CO2 en géochimie
marine, d’introduire des notions sur leur comportement dès maintenant (la cinétique
des échanges de gaz entre l’océan et l’atmosphère sera traitée ultérieurement). A la
surface de l’océan, les gaz de l’atmosphère se dissolvent dans l’eau de mer. La
composition chimique de l'atmosphère est présentée dans le tableau 3. L'abondance
des gaz y est exprimée par la pression partielle, c'est à dire par la contribution des gaz
à la pression atmosphérique totale. Dans les conditions habituelles de température et
de pression, les principaux gaz de l'atmosphère ont un comportement de gaz parfait.
Pour O2 par exemple, on peut écrire: PO2atm = n O2RT/V. Si de l'eau de mer est laissée
assez longtemps en contact avec l'atmosphère, le contenu en gaz dans l'eau de mer
s'équilibre avec celui de l'atmosphère et la concentration en gaz dissous dans l'eau est
donnée par la loi de Henry:
[O2]* = α PO2atm
(1)
où α est le coefficient de solubilité de O2 et [O2]* représente la solubilité de O2 dans
l'eau de mer (la solubilité a donc la dimension d’une concentration). Différents
paramètres affectent α:
− α dépend fortement de la température : α augmente quand la température
diminue si bien que les gaz sont plus solubles dans l’eau froide que dans l’eau chaude
(Fig 8, on pensera pour s’en rappeler qu‘une bouteille de boisson gazeuse ouverte
préserve mieux ses bulles au réfrigérateur qu’au soleil).
− α dépend également de la nature du gaz (une molécule légère est moins
soluble qu'une molécule lourde; une molécule polaire (comme CO2) est plus soluble
qu'une molécule apolaire (comme O2).
- Enfin, α dépend faiblement de la salinité mais dans le cadre de cet ouvrage,
cet effet peut être négligé. Les coefficients de solubilité de différents gaz sont
présentés dans le tableau 3.
Afin de comparer le contenu en gaz de l’atmosphère et de l’eau de mer, on
définit la pression partielle en O2 dans l’eau de mer:
- Les éléments nutritifs (ex: NO3-, PO4, C, H2SiO4) ont un temps de résidence global
très long par rapport au temps de mélange de l'océan puisqu’ils sont activement
recyclés avant de disparaître dans le sédiment ; en revanche, ils ont une distribution
hétérogène dans l'océan car leur consommation active en surface et leur recyclage en
profondeur maintient une forte différence de concentration entre les eaux de surface et
les eaux profondes.
- Les éléments dont les temps de résidence sont très courts par rapport au temps de
mélange de l'océan (ex: Al,Th...) parce qu’ils sont peu solubles et très vite soustraits
par le flux de particules n'ont pas le temps d'être bien homogénéisés et leurs
concentrations sont très hétérogènes et fortement influencées par les apports
extérieurs (Fig. 7).
Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
16
Attention, la concentration en O2 dans l'eau de mer ([O2]) n'est égale à la
solubilité de O2 ([O2]*) que lorsque qu'il y a équilibre entre l'eau et l'air (donc si PO2eau
de mer
= PO2atm). L’eau de mer est alors saturée en oxygène (% saturation = 100%). Si %
saturation < 100%, l’eau est sous-saturée en O2 alors que si % saturation > 100%, elle
est sur-saturée en O2.
Le déséquilibre entre l’océan et l’atmosphère a différentes causes. Une sursaturation peut provenir :
- d’une augmentation de la température,
- de la production d’O2 par la photosynthèse
- dans une moindre mesure de l’entraînement de bulles d’air à quelques
mètres de profondeur par des vagues déferlantes (effet de la pression sur la solubilité
des gaz).
% saturation = [O2]/ [O2]* ×100
On définit également le degré de saturation de l’eau de mer par rapport à
l’oxygène:
Figure 8 : Variation du contenu en O2 des eaux de surface. La
courbe rouge représente la solubilité de O2. Les points
correspondent à des mesures faites dans les eaux de surface.
D’après ?
où [O2] représente la concentration en O2 dissous dans l'eau de mer. PO2eau de mer est la
pression partielle en O2 de l'air à l'équilibre avec cette eau de mer.
Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
17
Définition de l’AOU : le fait que les pressions partielles d’O2 s’équilibrent assez vite
entre les eaux de surface et l’atmosphère, et que cet équilibre dépend au premier
ordre de la température, permet de recalculer la concentration en O2 d’une masse
d’eau lorsque celle-ci était en équilibre avec l’atmosphère. Il suffit pour cela de
connaître sa température potentielle, qui est sa température ramenée à la pression
Exercice:
En 1980, la pression partielle du CFC12 était de 300 × 10-12 atm. Déterminez la
concentration en CFC12 de l’eau de mer à l’équilibre avec cette atmosphère pour une
température de 25°C.
Tableau 3 : Solubilité des gaz dans l’eau de mer
Solubilité à 25°C
Gaz
Pression
α à 0°C 2
α à 25°C 2
3
-3
-1
-3
partielle
(10 mol.kg .atm (10 mol.kg-1.atm1
1
1
(µmol.kg -1)
dans l'air (atm)
)
)
N2
0,78084
0,794
0,507
383
O2
0,20946
1,670
1,019
207
CFC11
26,61
7,30
Ar
0,00934
1,830
1,117
10,1
He
0,00000524
1,68 10-3
CFC12
64,99
20,7
0,00036
62,87
28,40
9,6
CO2
1
pour une pression totale Ptotale = 1 atm, 2 pour une eau de salinité 35‰, 3 pour une
eau de salinité 35‰ et à 25°C à l'équilibre avec l'atmosphère. D'après CopinMontégut, 1996 et [Warner, 1985 #903].
Quand une eau est au contact avec l’atmosphère, le déséquilibre tend à se
résorber par la diffusion du gaz entre l’eau et l’air (Voir chapitres x et y). Dans le cas
de l’oxygène, il faut environ entre 1 semaine et 1 mois pour résorber une différence de
pression partielle entre les eaux de la couche mélangée et l’atmosphère (Voir chapitre
y). Ce temps est court par rapport au cycle saisonnier si bien que la concentration en
O2 de la couche mélangée est en général en proche de l’équilibre avec l’atmosphère. Il
en va de même pour la plupart des autres gaz, à l’exception notable de CO2 dont nous
reparlerons dans la suite du chapitre.
Au contraire, une sous-saturation d’O2 peut provenir :
- d’une baisse de la température,
- de sa consommation par la respiration sont les principales causes de
variation du degré de saturation de O2.
- et du mélange entre des masses d’eau de température différentes (on
constatera sur la figure 8, que la relation entre la solubilité de O2 et la température
n’est pas linéaire et qu’un mélange entraîne une légère sursaturation).
3
3,5
AOU (μmol/kg)
50
60
70
2,5
4
1,2
34,95
35,05
PO4 (μmol/kg)
1,25
1,3
1,35
35,00
Salinité (‰)
Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
4000
3500
3000
2500
2000
1500
2
40
4000
3500
3000
2500
2000
1500
θ (°C)
1,4
35,10
18
Relations entre les différents traceurs
Pour illustrer quantitativement l’influence de la biologie et du mélange par
les masses d’eau sur la répartition des éléments nutritifs, intéressons nous maintenant
à des échantillons prélevés dans l'Atlantique Nord entre 1700 et 4000 m de
profondeur pour lesquels on a analysé θ, S, PO4 et AOU (Fig. 9).
Extraire la fraction conservative d’un traceur
atmosphérique, c’est à dire sa température quand elle était en contact avec
l’atmosphère. La différence entre la valeur initiale (supposée égale à la solubilité) et la
concentration effective mesurée dans l’eau de mer est appelée l’utilisation apparente
de l’oxygène (UAO en francais, AOU pour Apparent Oxygen Utilisation en anglais)
AOU = O2 saturation - O2 in situ
C’est la quantité d'oxygène utilisée par la respiration depuis que la masse d’eau n’est
plus à l'équilibre avec l'atmosphère. Ce paramètre est fondamental car il permet
d’estimer de suivre l’évolution des masses d’eau qui ne sont plus en contact avec
l’atmosphère. Au cours du vieillissement des eaux le long de la circulation
thermohaline, ce paramètre évolue de façon opposée à la concentration en oxygène.
Profondeur (m)
Profondeur (m)
2,0
2,0
2,0
2,5
2,5
2,5
3,0
θ (°C)
3,5
3,5
3,5
θ (°C)
3,0
θ (°C)
3,0
4,0
4,0
4,0
4,5
4,5
4,5
40
120
2,0
140
160
180
200
45
2,0
50
55
60
65
70
75
1,10
1,15
1,20
1,25
1,30
1,35
1,40
2,5
2,5
Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
0,00
1,00
2,00
3,00
4,00
5,00
6,00
1,15
1,20
1,25
1,30
1,35
1,40
1,45
34,90
34,95
35,00
35,05
1,45
50
3,0
3,5
3,5
θ (°C)
θ (°C)
3,0
AOU (μmol/kg)
60
4,0
4,0
70
19
4,5
4,5
80
Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
20
où PO4 et UOA sont la concentration en phosphate et l’Utilisation apparente en O2 de
la masse d’eau. Le coefficient de -1/138 est le rapport de Redfield entre PO4 et O2 : il
permet de convertir la quantité d’oxygène utilisée en quantité de PO4 reminéralisé
PP représente donc la concentration en PO4 que devait avoir la masse d'eau
lorsqu'elle était en équilibre avec l'atmosphère d’où le terme de Phosphate Préformé
(initiaux). Le paramètre PP est utile pour discriminer entre la NADW (PO = 0.80
µmol/kg, concentration faible car il y a consommation de PO4 en surface) et la
AABW (PO = 1,6 µmol/kg, concentration forte car le mélange vertical important
remonte des eaux riches en PO4 et le manque de lumière limite la photosynthèse et la
consommation de PO4 en surface : les eaux quittent donc la surface avec une forte
Phosphates Préformés = PO4 + UAO × (-1/138)
Construction de paramètres conservatifs
Les cycles des principaux éléments nutritifs sont couplés entre eux comme le
montrent les équations 1 et 2. Il est donc en principe possible de reconstituer
l’évolution de la concentration d’un élément nutritif à partir de celle d’un autre dont le
cycle biogéochimique est mieux connu. Une des applications de ce principe est la
construction de traceurs conservatifs à partir des éléments nutritifs. Par exemple, on
définit les Phosphates Préformés (Preformed Phosphate):
En revanche, il n'y a pas de relation linéaire entre θ (conservatif) et AOU ou
PO4 (non conservatifs). En effet, AOU ou PO4 dépendent non seulement du mélange
des masses d’eau mais aussi de la reminéralisation de la matière organique
particulaire. En profondeur, les bactéries et les animaux consomment de l'oxygène (ce
qui fait augmenter l'AOU) et rejettent des phosphates dans des proportions
correspondant au rapport de Redfield O/P. On peut s’en convaincre à partir des
données ci-dessus. Ayant estimé α partir de l’équation x, on calcule AOUmel et PO4 mel
qui sont les concentrations qu’auraient les échantillons si AOU et PO4 étaient des
paramètres conservatifs:
AOUmel = α AOU1 + (1- α) AOU2
PO4 mel = α PO4 1 + (1- α) PO4 2
On en déduit les variations de concentration en AOU et en PO4 liées à la
reminéralisation:
ΔAOU = AOU - AOUmel
ΔPO4 = PO4 - PO4 mel
On peut enfin calculer le rapport ΔAOU/ΔPO4 qui est le rapport dans lequel
l'oxygène est utilisé et le PO4 rejeté durant la reminéralisation. Malgré une certaine
dispersion, ces valeurs sont relativement comparables à la valeur de Redfield.
Il est donc possible de déconvoluer la part relative du mélange et de la
reminéralisation dans l'évolution de la concentration des traceurs non conservatifs
dans l'eau de mer.
Dans un premier temps, on utilise les éléments conservatifs pour déterminer
s’il existe des relations de mélange entre ces échantillons. La relation linéaire entre θ
et S (Fig 10) indique que les échantillons proviennent du mélange entre une eau froide
et modérément salée (NADW) et une eau plus chaude et plus salée (origine
Méditerranéenne). Les proportions de mélange des masses d’eau 1 et 2 dans les
échantillons intermédiaires sont données par :
α = (θm - θ2)/(θ1 - θ2)
35,10
Figure 10: Variations S, θ, PO4, AOU ΔPO4 et ΔAOU dans
l'Atlantique Nord.
Figure 9: Variations verticales de S, θ, PO4 et AOU dans
l'Atlantique Nord.
Salinité (‰)
PO4 (μmol/kg)
²AOU (μmol/kg)
PO4 (μmol/kg)
AOU (μmol/kg)
²AOU/²PO 4
−
3
+
Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
2−
3
[CO ][H ]
[HCO ]
K2 =
HCO3− ⇔ CO32− + H +
2
[CO ]
K1 =
CO2 + H 2O ⇔ HCO3− + H +
−
3
+
[HCO ][H ]
21
(y)
(x)
Le système des carbonates
Le CO2 n'est pas un gaz tout à fait comme les autres. Alors que pour
l'oxygène, la concentration [O2] mesurée dans une eau de surface est généralement
proche de la solubilité [O2]*, les concentrations en carbone inorganique dissous dans
les eaux de surface sont de l'ordre de 2000 µmol.kg-1 alors que la solubilité du CO2 ne
dépasse pas 23 µmol.kg-1 (tableau 3). D'où vient une telle différence? Dans l'eau de
mer, le CO2 dissous ne représente qu'environ 1 % du carbone inorganique dissous.
2Les espèces majoritaires sont les ions bicarbonates (HCO3-) et carbonates (CO3 ) qui
représentent respectivement 89% et 10% du carbone inorganique dans l'océan. En
effet, CO2 est un diacide qui se dissocie selon les réactions suivantes:
La chimie du carbone
Le carbone joue un rôle important dans la chimie de l’eau de mer à divers
titres :
- c’est le principal constituant de la matière organique ;
- les différentes formes de carbone inorganique dissous déterminent le pH de l’eau de
mer,
- par le contrôle qu’il exerce sur la teneur en CO2 de l’atmosphère, le cycle océanique
du carbone est au cœur de très nombreux programmes de recherche océanographique.
Le chapitre VIII lui étant plus particulièrement consacré nous ne décrirons ici que
quelques principes de base.
concentration de PO4). Cependant, il faut utiliser ce type de traceurs avec prudence
car ils dépendent de nombreuses hypothèses, en particulier sur les rapports de
Redfield. On préfère aujourd'hui le traceur PO4* à PP:
PO4*= PO4 +O2/175 -1,95 µmol/kg
(ce qui correspond à un rapport de Redfield P/O de 1/-175 et à une concentration de
l'oxygène à saturation indépendante de la température). NADW et AABW sont
particulièrement bien identifiées sur la base du traceur PO4* (PO4*= 0,73 ± 0,03
µmol/kg dans la NADW, PO4*= 1,63 ± 0,03 µmol/kg dans la AABW).
De la même manière, on peut définir les nitrates préformés d’une masse d’eau. Ces
paramètres viennent augmenter le nombre de paramètres « conservatifs » utilisables
pour déterminer le nombre et les proportions de masses d’eau présentent dans un
mélange donné, à un endroit donné.
Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
22
Notons que pour un calcul précis, il est nécessaire de prendre également en
compte les Borates qui se trouvent dans l’eau de mer à 80 - 90% sous forme d’acide
borique (B(OH)3) et sous forme d’ions borates (B(OH)4-) pour les 10 - 20 % restant.
La proportion acide borique/ ion borate est déterminée par l‘équilibre :
B(OH)3 + H2O <--> B(OH)4- + H +
qui dépend du pH. A 25°C, pression atmosphérique et pour une salinité de 35‰, KB =
2,526 × 10-9.
Le pH de l’eau de mer varie en fonction de la température et de la proportion
des ions carbonates et du CO2 dissous : à température égale, une eau de mer prélevée
en surface et appauvrie en CO2 par la photosynthèse est un peu moins acide qu’une
eau prélevée en profondeur et dans laquelle beaucoup de carbone organique a été
reminéralisé en CO2.
Figure 11 : Concentration des espèces chimiques du système des
carbonates en fonction du pH.
pHeau de mer = - log10([H+]) ≈ 8.
CO2 + CO32- + H2O Æ> 2 HCO3C’est donc l’équilibre des carbonates qui fixe le pH de l’eau de mer. A partir
2des équations 2 et 3 et des proportions relatives de CO2 dissous, HCO3- et CO3
données ci-dessus, on calcule aisément que [H+] ≈ 10-8 mol. Il suit que
K1 et K2 sont des constantes dépendant de la température et de la pression (à 25°C,
pression atmosphérique et pour une salinité de 35‰, K1 = 1,392 × 10-6 mol et K2 =
1,189 × 10-9 mol).
L’inventaire des acides et des bases présentes dans l’eau de mer indique que
2CO2 dissous et CO3 sont respectivement l’acide le plus fort et la base la plus forte
dans l’eau de mer. Ils réagissent ensemble selon la réaction suivante :
Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
Figure 12 : Le système des carbonates sur la section
Geosecs 115B (26W, 28N).
23
précipitation d'un solide
Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
24
CaCO3 peut précipiter sous différentes formes cristallographiques : la plus courante
est la calcite (forme hexagonale) mais on trouve également de l’aragonite (forme
orthorombique). La stabilité de CaCO3 dépend de la valeur du [Ca2+][CO32-] de l’eau
de mer par rapport à son produit de solubilité Ks (à 25°C, pression atmosphérique et
pour une salinité de 35‰, Ks-calcite = 4,47 × 10-7 mol2.kg-2 et K s-aragonite = 6,76 × 10-7
mol2.kg-2). Ks-calcite et K s-aragonite augmentent sensiblement avec la pression (de l’ordre
d’un facteur 2 entre 0 et 5000 m de profondeur. La concentration de Ca2+ étant assez
constante dans l’océan, ce sont surtout les variations de CO32- qui déterminent la
stabilité des carbonates (Fig. 13):
- si [Ca2+][CO32-]<Ks , le milieu est sous saturé par rapport à CaCO3 qui tend
à se dissoudre spontanément ;
- si [Ca2+][CO32-] = Ks , le milieu est saturé vis à vis de CaCO3 qui est stable ;
- si [Ca2+][CO32-] > Ks, le milieu est sur-saturé vis-à-vis de CaCO3 qui, en
théorie, peut précipiter spontanément.
Bien que cette dernière condition soit remplie dans les eaux de surface et
dans une bonne partie des eaux profondes, la précipitation de CaCO3 n’y est jamais
spontanée: elle est toujours contrôlée par des algues ou des animaux qui se fabriquent
des coquilles. Inversement, des organismes vivants dans des eaux profondes pauvres
en carbonates forment des coquilles alors que [Ca2+][CO32-]<<Ks. Contrairement aux
apparences, il n’y a pas de contradiction entre la précipitation de CaCO3 dans un
environnement sous-saturé et les lois de la thermodynamique: les organismes vivants
ont simplement la faculté de créer des micro-environnements dont la composition
chimique est sensiblement différente de celle de l’eau de mer environnante et dans
lesquels[Ca2+][CO32-]>>Ks ce qui permet la précipitation de CaCO3.
Ca2+ + CO32- = CaCO3
Les ions carbonates participent à la formation d’un minéral, le carbonate de
calcium (CaCO3) selon la réaction :
Le carbonate de calcium
Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
25
Le carbone organique
Si l’essentiel du carbone contenu dans l’océan est sous forme de carbone
inorganique, une partie du carbone océanique est contenu dans la matière organique.
Le Carbone Organique Dissous (COD) ne représente que quelques pourcents du
On définit aussi la profondeur de compensation de la calcite (ou de
l’aragonite) comme la profondeur à partir de laquelle on ne trouve plus ces minéraux
dans les sédiments : cette profondeur dépend à la fois de la lysocline (le point de
compensation se trouve nécessairement en dessous de la lysocline) et du flux de
sédimentation d’organismes calciques (elle sera d’autant plus profond que ce flux est
grand)
Il en résulte de cette baisse de CO32- une remontée de la lysocline depuis
l’Atlantique Nord (~ 4500 m) jusqu’au Pacifique Nord (~3000 m)
CO2 + CO32- + H2O Æ 2 HCO3-
La lysocline est la profondeur à partir de laquelle un cristal (ici de calcite ou
d’aragonite) sera susceptible de se dissoudre puisque l’eau dans laquelle il est devient
sous-saturée par rapport à ce cristal. Sur la figure 13, la lysocline se rencontre à 3400
m pour l’aragonite et 1000 m plus profond pour la calcite.
La reminéralisation de la matière organique dans l’océan profond entraîne une
augmentation de la teneur en CO2 dissous et une baisse de la concentration en ions
CO32- des eaux profondes au cours de leur vieillissement selon la réaction
Figure 13 : Comparaison des courbes de saturation de la calcite
et de l’aragonite avec la concentration en ions CO32- dans l’eau
de mer : l’aragonite se dissout à plus faible profondeur que la
calcite.
80°N 40°N
0°
Latitude
40°S 80°S 40°S 0°
Atlantique
Indien
Pacifique
40°N 80°N
Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
Comportement des métaux en traces
Figure 14: Evolution de la concentration en carbone
organique dissous dans les eaux profondes (d'après Hansell et
Carlson, 1998).
32
34
36
38
40
42
44
46
48
50
26
carbone océanique total, mais c'est le principal réservoir de carbone organique à la
surface de la Terre. Le COD est constitué d’une multitude de molécules produites par
l’activité biologique (molécules exsudées par le phytoplancton, excrétées par le
zooplancton, provenant de la dégradation de la matière organique par les bactéries...)
et ayant des comportements chimiques très différents : les sucres et les protéines sont
dits labiles car ils sont rapidement recyclées par l’activité biologique, alors que les
lipides qui sont plus résistants à l’activité bactérienne sont dits réfractaires. Les
concentrations de COD sont plus élevées en surface (60-80 µM), là où le COD est
formé, qu'en profondeur (34-48 µM) où le COD est détruit par l’activité bactérienne.
Dans les eaux profondes, on observe une diminution des concentrations depuis
l'Atlantique Nord jusqu'au Pacifique Nord qui reflète l'oxydation progressive du COD
au cours de la circulation des eaux profondes.
Les bactéries, les plantes et les animaux vivants dans l’océan contiennent,
produisent et consomment du carbone organique particulaire. Le Carbone Organique
Particulaire (COP) est bien moins abondant que le carbone organique dissous. La
concentration en COP présente sous forme de petites particules est de l'ordre de 2-3
µM en surface et de l'ordre de 0,04-0,01 µM en profondeur. Les organismes de grande
taille représentent des quantités encore plus faibles.
DOC (µM C)
Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
27
On définit comme élément en trace dans l’océan toute espèce chimique ayant
une concentration de l’ordre ou inférieure à 10-6 g/g (ou 1 ppm, pour partie par million
ce qui correspond à un morceau de sucre sur 10 tonnes de sucre… ). Beaucoup de
métaux rentrent dans cette catégorie, leur gamme de concentration s’échelonnant de
10-8 g/l (soit bien en dessous du ppm !) à moins de10-18 g/l pour certains isotopes
radioactifs très peu abondants comme le 228Ra.
Les métaux en trace ont une gamme très large des comportements : certains
sont relativement conservatifs (le rhénium, l’osmium ou l’uranium par exemple),
d’autres sont utilisés comme co-facteur d’enzyme par les algues et ont des profils
d’éléments nutritifs (c’est le cas du cadmium et du zinc), d’autres enfin ont un
comportement contrôlé par la fixation et la dissolution des particules (thorium,
aluminium, manganèse, néodyme…) ou un comportement mixte bio/particule (Fer).
Le comportement des métaux dans l’océan est fortement influencé par leurs propriétés
chimiques (complexation, état d’oxydation, précipitation de phases solides) qui
conditionnent leur spéciation et donc leur solubilité et/ou leur disponibilité pour les
êtres vivants. Les métaux ayant un degré d’oxydation élevé (>5) forment
fréquemment des oxo-anions très solubles dans les eaux riches en oxygènes. Par
exemple, Re7+ forme dans l’eau de mer ReO4-, si bien que le rhénium a un
comportement globalement conservatif. U6+ forme lui un cation UO22+ soluble qui est
stabilisé par la présence des ions carbonates comme Ca2+. Ces métaux, solubles sous
forme oxydés, sont donc éliminés de l’eau de mer sous forme réduite et on les trouve
en forte concentration dans les sédiments riches en matière organique. De nombreux
éléments ayant un degré d’oxydation 4+ (Th4+, Ce4+, Mn4+) forment des hydroxydes
extrêmement insolubles (Th(OH)40, Ce(OH)40, Mn(OH)40). C’est également le cas
des éléments au degré d’oxydation 3+ quand ils sont un faible rayon ionique (Fe3+,
Al3++, Terres Rares3+). Leur concentration dans l’eau de mer dépend fortement des
apports locaux ‘fig 15). La réduction de ces métaux entraîne une augmentation de
leur solubilité (Fe3+Æ Fe2+, Mn4+Æ Mn 2+, Ce4+Æ Ce3+). Enfin certains métaux
servent de co-facteurs d’enzymes si bien qu’ils ont des profils d’éléments nutritifs
contrôlés par l’activité biologique (Fe, Zn, Cd…).
7,0
-5000
32,5
-4000
-3000
-2000
-1000
0
33
7,2
34
34,5
7,6
Salinité (‰)
33,5
7,4
Re (ng/kg)
35
7,8
Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
Profondeur (m)
35,5
8,0
28
Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
Comme, on a définit une échelle pH on définit une échelle pe : pe = - log10 ([e-])
29
En posant arbitrairement que le ΔG° de cette demi-réaction est nul, la loi d’action de
masse s’écrit :
PH21/2 /[H+][e-] = e-ΔG°/RT = 100
Ce qui permet de déterminer la concentration en électrons:
[e-] = PH21/2 /[H+]
De même, au cours de la reminéralisation, le carbone et l’azote organique
sont oxydés (ils cèdent un ou des électrons) en CO2 et NO3-. La photosynthèse permet
de capter une partie de l’énergie solaire en la stockant sous forme d’énergie chimique,
alors que la respiration (reminéralisation) permet de récupérer cette énergie faire
fonctionner les cellules vivantes. D’une façon générale, les réactions d’oxydoréduction sont souvent lentes si elles ne sont pas catalysées par des enzymes. Ainsi, la
matière organique produite par le plancton contient un excès d’énergie qui la rend
thermodynamiquement instable dans l’eau de mer, mais en l’absence d’activité
bactérienne, elle ne s’oxyderait que très lentement. On parle d’état métastable. Ceci
permet aux composés organiques de stocker de l’énergie chimique qui peut être
transportée par exemple en profondeur pour alimenter les écosystèmes sur le fond de
l’océan.
Bien qu’il n’existe pas d’électrons libres en solution, on définit une
concentration fictive en électrons afin de quantifier le caractère oxydant ou réducteur
du milieu. On utilise pour cela la réduction de l’eau (H+ représente l’eau) :
H+ + e- Æ ½ H2
Les conditions redox dans l’océan
Les réactions d’oxydo-réduction sont des réactions au cours desquelles un ou
plusieurs électrons sont transférés d’un composé à un autre. Le composé qui donne un
ou plusieurs électrons est oxydé alors que celui qui les reçoit est réduit. Au cours de la
photosynthèse, des éléments minéraux comme CO2, NO3- et SO42- sont réduits (ils
reçoivent des électrons) en carbone, en azote et en composé soufrés organiques. Par
exemple,
CO2 + H2O Æ CH2O + O2
peut se décomposer en :
(réduction du carbone)
CO2 + 4 e- + 4 H+ Æ CH2O + H2O
et
(oxydation de l’eau)
2 H2O Æ O2 + 4 e- + 4 H+
Figure 15 : L’Aluminium dissous dans l’océan. Les fortes
variations de concentration sont à reliés aux apports en poussière
continentales très variables quand on passe du centre du Pacifique
à la Méditerranée.
avec ΔG° = -56,69 kcal/mol
Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
30
En profondeur la respiration entraîne une baisse de la concentration en O2.
Cette baisse est d’autant plus forte que les eaux restent longtemps en profondeur (fig.
3). Parfois, on atteint des situations d’anoxie, c’est à dire d’absence totale de O2. C’est
le cas dans certains bassins isolés (mer noire) ou quand des eaux isolées depuis
longtemps de l’atmosphère sont soumises à une reminéralisation intense dans des
zones d’upwelling (mer arabique, Pacifique Est). Les conditions biologiques sont
alors fortement modifiées. C’est NO3- qui est alors utilisé comme accepteur
d’électrons :
NO3- + 6 H+ + 5 e- Æ ½ N2 + 3 H2O
On parle de dénitrification. La dénitrification est bien connue dans les sédiments
marins riches en matière organique (voir chapitre VIII) et dans les eaux anoxiques des
bassins cités précédemment (Fig. 16). Plus récemment, la dénitrification a été est mise
en évidence dans la thermocline océanique par les variations du rapport N/P qu’elle
induit dans l’eau de mer (voir exo). La dénitrification est une cause importante de
perte d’azote assimilable par le plancton à l’échelle de l’océan.
pe = 20,75 - 1/4 log10 (PO2) - pH
Le pe de l’eau de mer est alors donné par la relation
En appliquant la loi d’action de masse, on obtient : [e-] [H+] PO2¼ = 10-20,75
½ H2O Æ ¼ O2 + e- + H+
Plus le pe est élevé, plus le milieu est oxydant. On peut essayer de
déterminer le pe de l’eau de mer à partir de paires oxydant-réducteur présente dans
l’eau de mer.
L’oxygène dissous est le principal accepteur d’électrons dans l’eau de mer.
Les eaux de surface sont riches en O2 (photosynthèse et équilibre avec l’atmosphère) ,
si bien que l’on y trouve simultanément O2 et H2O :
-5
0
5
0
2
4
2-
6
-
SO4 /HS
H2O/O2
pH
8
10
12
bassin
d'évaporation
Cours M2-ICE 2007 Roy-Barman : Traceurs chimiques
-10
pe
10
15
eau intersticielle
20
eau de mer
25
14
31
Comme les ions H+ interviennent dans les demi-réactions redox, on utilise des
diagrammes pe-pH pour déterminer le domaine de stabilité des espèces chimiques.
pe = 1/8 (33,92 + log10 ([HS-] /([ SO42-]) – 9 pH)
Le pe de l’eau de mer est alors donné par la relation
[HS-] /([ SO42-] [e-][ H+]) =10-33,92
ce qui correspond à la loi d’action de masse :
Dans l’océan et les sédiments marins, le milieu n’est pas assez réducteur pour réduire
H2O en H2. Par contre, on assiste à la réduction du soufre de l’ion SO42- en HS- :
SO42- + 9 H+ + 8 e- Æ HS- + 4 H2O
Figure 16 : Concentrations en azote inorganique et phosphate
inorganique dans les eaux de surface de la Mer d’Arabie. La droite
correspond à un rapport N/P de 15 généralement mesuré dans
l’eau de mer. Les échantillons situés au dessus de cette droite ont
perdu de l’azote par dénitrification. En l’absence d’azote, les
phosphates ne sont pas consommés par le plancton (d’après
[Bange, 2005 #910]).
eau anoxique
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Le diagramme montre que la présence simultanée de O2 et H2O ou de SO42- et HScontraint, en principe, fortement le pe compte tenu de la gamme réduite de pH de
l’eau de mer.
Figure 17: Conditions pe-pH rencontrées dans l’océan.
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