comme classe fondamentale dans le capitalisme et qui, dans l’analyse comme dans l’action, se place
à ses côtés et/ou en son sein.3 Cette reconnaissance ne réduit pas l’analyse du capitalisme à celle du
processus de production au sens étroit, mais relève au contraire du « mode de sociétalisation
capitaliste » qui intègre, de manière contradictoire, l’ensemble des rapports sociaux. Ce
questionnement n’est pas complètement étranger à la géographie francophone. En réponse à un
ouvrage de Pierre George illustratif d’une géographie descriptive et régionaliste du travail, Jean-
Bernard Racine et Josiane Rouyre (1982) affirment la nécessité d’une analyse marxiste qui partirait
du rapport social capitaliste et intégrerait l’espace comme élément d’une analyse dialectique de ce
rapport plutôt que comme simple réceptacle des rapports sociaux.
Ce domaine de recherche foisonnant dans le monde anglophone dispose d’ores et déjà d’ouvrages
classiques (Herod 1998; Mitchell 1996), de manuels (Castree et al., 2004), et de nombreuses
rétrospectives (Castree, 2007). Coe et Jordhus-Lier (2011) ont produit un résumé des différentes
étapes de la géographie ouvrière dont on relève deux points. Premièrement, cette géographie visait à
contrer certains arguments produits dans les années 1990 lors des débats sur la globalisation et les
délocalisations, qui affirmaient unilatéralement le pouvoir de domination du capital. Plusieurs
auteurs ont alors insisté sur le caractère toujours territorialisé de l’investissement capitaliste, et donc
de la capacité différenciée des travailleur/euse-s et de leurs organisations syndicales de coordonner
à différentes échelles (du local à l’international), une résistance aux décisions industrielles.
Deuxièmement, il s’agissait d’affirmer une autonomie des travailleur/euse-s dans la production de
l’espace, par opposition à une tradition plus structuraliste où primait l’analyse de la domination du
capital. Les études produites alors visaient à montrer le pouvoir et/ou l’autonomie des
travailleur/euse-s dans la production du « paysage » (landscape) économique et socio-naturel. Cette
tradition concerne la géographie de la domination puisque, précisément, elle tente de replacer les
rapports sociaux dans une perspective dialectique en soulignant combien une vision unilatérale de la
domination par le capital serait erronée pour faire sens des dynamiques du capitalisme.
REFORMULATIONS ANALYTIQUES
Plus récemment s’est ouvert un débat central au sein de la géographie ouvrière sur la
catégorie de « capacité d’action » (agency). Les principaux enjeux de ce débat portent sur la
difficulté à déterminer empiriquement l’étendue de cette capacité et à l’accroître. Il s’agit d’une
limitation que nous voulons discuter, et à laquelle nous proposons une solution.
Quelques limites de la géographie ouvrière
Noel Castree identifie clairement le problème lorsqu’il écrit :
Néanmoins, et paradoxalement, la capacité d’action est à la fois sous-théorisée et sous-déterminée dans la
plupart des analyses que la géographie ouvrière en fait. A mon sens, le terme de « capacité d’action » (agency)
est devenu un fourre-tout utilisé dès lors que n’importe quel groupe de travailleurs entreprend une action en son
nom ou pour autrui. [...] l’absence de distinction entre les différents types de capacité d’action, ainsi que les
conditions qui les permettent ou les inhibent, empêche les analystes de dire quoi que ce soit d’intelligent sur les
stratégies des travailleurs, d’un point de vue normatif (Castree, 2007, p.858 ; notre traduction).
3 En ce sens là, notre traduction de l’adjectif « labour » par « ouvrière » ne peut pas être assimilée à une réduction de la
conception du prolétariat à sa frange industrielle (masculine, blanche, stable, etc.). Si nous pouvons faire nos adieux à
une telle compréhension de la classe ouvrière, nous nous refusons à jeter le bébé marxiste avec l’eau du bain structuro-
staliniste. Par ouvrier/ouvrière nous renvoyons à l’ensemble des « sujets de la valeur » (Dyer-Witheford, 2002) dont la
condition, dans le cadre du rapport de production capitaliste, est d’être séparés des moyens de production. Que, par
ailleurs, la classe ouvrière ne relève pas de l’unité des identités ou des situations est une évidence (cf. Thompson 1988).
Tout l’enjeu est justement de rendre compte de la « composition » de cette classe à partir des différences qui la
produisent et la divisent en même temps. En ce sens là, dans le cadre du mode de sociétalisation capitaliste, les luttes
féministes, anti-racistes, écologistes, etc. doivent être comprises comme participant de la (dé-/re-) composition de la
classe ouvrière.
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