SESSION POUR LES GENERALISTES 821
VOTRE PATIENT A MAL
I. Nègre, Département d’Anesthésie-Réanimation de Bicêtre, Hôpital de Bicêtre,
78 rue du Général Leclerc, 94275 Le Kremlin-Bicêtre.
INTRODUCTION
A côté de la douleur-symptôme (angor, coliques néphrétiques, traumatologie), le
médecin généraliste est confronté à des douleurs chroniques de multiples origines. La
douleur est en effet un motif fréquent de consultation chez le généraliste, mais peu
d’études ont évalué son incidence dans une clientèle. Une enquête téléphonique réali-
sée en Espagne auprès de 1 964 adultes a montré que la prévalence de la douleur dans
la population générale était de près de 80 %. Parmi ces personnes qui déclaraient avoir
eu une douleur durant les 6 mois précédents, 30 % l’évaluaient comme intense ou into-
lérable [1]. En France, une enquête récente (mars 99) portant sur l’évaluation de la
douleur, un jour donné, des 1 701 patients hospitalisés dans 15 établissements de la
MGEN (court séjour médecine : 6,6 % ; moyen séjour : 52,4 % ; long séjour 6,3 % ;
USP : 0,6 % ; maison de retraite : 28,5 %, autres : 5,6 %) pourrait refléter la population
suivie par un généraliste français [2]. Lors de cette enquête, la comparaison des répon-
ses soignants patients révèle que 24 % des douleurs fortes et 40 % des douleurs modérées
sont méconnues par les soignants. Ces résultats sont globalement comparables à ceux
qui avaient été retrouvés lors de l’étude réalisée en 1992 et 1996 et concernant la dou-
leur postopératoire (40 % des patients se déclaraient douloureux alors que le traitement
était jugé maximal par les soignants).
La tâche est donc immense et un effort encore nécessaire dans la détection, l’éva-
luation et le traitement de la douleur en médecine de ville. Ces résultats illustrent de
façon claire l’importance de la prise en compte de la douleur exprimée par le patient, et
pointent encore du doigt la sous-estimation de la douleur lorsqu’elle est réalisée par les
soignants, qui se trompent une fois sur deux.
Ces éléments ont amené l’ANAES, à proposer une méthodologie de la prise en
charge du patient douloureux en médecine [3]
1. DEFINIR LE MECANISME
Dans l’enquête de la MGEN, les douleurs autres que postopératoires et cancéreuses
représentent plus de 40 % des cas. Parmi ces douleurs, les plus fréquentes sont rhuma-
tologiques (13 %), du système nerveux (5 %), les autres origines de la douleur ne
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dépassant pas 3 %. Bassols et al retrouvent des lombalgies dans la moitié des cas
(50,9 %), des céphalées (42 %) et des douleurs des membres inférieurs (36,8 %)
De toute évidence, et bien que l’enquête de la MGEN ait été réalisée sur des person-
nes âgées (72 ans en moyenne), ces répartitions montrent que le médecin généraliste
est confronté à des douleurs de multiples origines (11 origines répertoriées dans l’en-
quête MGEN, en dehors du postopératoire et de la cancérologie), élément qui ne lui
facilite certainement pas la tâche. C’est dire toute l’importance de la sémiologie de la
douleur et du diagnostic propre à son mécanisme.
On distingue : la douleur nociceptive, correspondant à un dommage tissulaire, au
rythme inflammatoire ou mécanique (l’exemple est la douleur postopératoire) et la dou-
leur neurogène, à type de brûlure, avec ou sans paroxysme à type de décharge électrique,
correspondant à une lésion nerveuse périphérique ou centrale ; l’examen retrouvant des
signes neurologiques : hypo ou hyperesthésies, ou allodynie correspondant à une dou-
leur provoquée par toute stimulation cutanée (l’exemple est la douleur du zona).
La douleur psychogène ne peut être qu’un diagnostic d’élimination, mais ces
3 types de douleurs peuvent bien sûr être intriqués.
2 . EVALUER LA DOULEUR
Malgré les difficultés que cela peut représenter dans le cadre de l’activité d’un
médecin généraliste, en termes de temps passé auprès du patient, l’ensemble de la litté-
rature insiste sur la nécessité d’une évaluation systématique de la douleur. Cette
évaluation permet de servir de point de repère dans l’évolution d’une prise en charge
souvent longue, d’apprécier avec une certaine objectivité le traitement et de juger de
son efficacité, de permettre des adaptations, et en bref, d’éliminer au maximum toute
impression subjective. L’enquête de la MGEN illustre bien le risque de la subjectivité
de l’évaluation. Les résultats des auto-évaluations des patients étaient présentés en 3
groupes d’intensité :
1-Pas de douleur : EVA = 0 : 60 %
2-Douleur moyenne 1< EVA < 5 : 23 %
3-Douleur forte EVA>5:17%
Les évaluations par les soignants de la douleur des patients montre un résultat de
40 % de douleur moyenne ou forte, ce qui semble cohérent avec l’évaluation des
patients eux-mêmes. Cependant, 24 % des patients avouent une douleur intense et 152
patients (40 %) ont des douleurs moyennes que les soignants ne reconnaissent pas.
L’autre avantage de l’évaluation est de permettre un suivi consensuel lors d’une
prise en charge multidisciplinaire du patient, en particulier lors de l’intervention des
infirmières à domicile. Toutes les organisations de lutte contre la douleur prônent ce
type de prise en charge. L’organisation de l’HAD à Paris a d’ailleurs proposé un pro-
gramme d’évaluation de la douleur à domicile, utilisant les échelles les plus connues[4].
L’évaluation peut être réalisée par le patient (auto-évaluation) ou par une personne
extérieure (hétéro évaluation). Celle-ci étant en général réservée aux patients présen-
tant des difficultés de communication (nouveau-né, enfant, personnes âgées, handicapés).
Chaque type d’évaluation peut prendre en compte, soit l’aspect unidimensionnel de
la douleur, soit l’aspect pluridimensionnel.
3 . ECHELLES D’AUTO-EVALUATION UNIDIMENSIONELLE
Le patient estime de façon globale sa propre douleur en lui attribuant un seul quali-
ficatif ou un seul nombre.
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3.1. ECHELLE NUMERIQUE SIMPLE
Le patient donne une note de 0 à 10 ; 0 représentant l’absence de douleur, 10 repré-
sentant la douleur la plus forte imaginable. Il peut être parfois utile de donner un exemple
au patient, ou de faire appel à ses souvenirs pour bien faire intégrer cette échelle (10
pouvant rappeler un accouchement douloureux pour une femme, ou une colique néph-
rétique pour un homme).
3.2. ECHELLE VERBALE SIMPLE
Le patient évalue sa douleur à l’aide de qualificatifs simples cotant l’intensité ou la
gêne : Douleur absente, Douleur faible, Douleur modérée, Douleur intense, Douleur
extrême.
3.3. ECHELLE VISUELLE ANALOGIQUE
C’est la réglette que tout le monde connaît, graduée sur une face de 0 à 100 mm et
présentant sur l’autre face une ligne le long de laquelle le patient déplace un curseur
allant de gauche (pas de douleur) à droite (pire douleur imaginable). Le curseur indi-
quant au soignant le chiffre correspondant sur l’autre face. Cet outil est le plus
recommandé, mais demande au patient une certaine aptitude à la conceptualisation.
Certains pièges peuvent perturber l’évaluation et il est important de s’assurer que l’uti-
lisation est bien comprise par le patient : certaines réglettes (non validées) se présentent
verticalement et le patient peut les comprendre comme une représentation du schéma
corporel (et placer le curseur en position haute pour signifier un mal de tête), la ligne
dessinée sur le curseur est parfois trop fine pour être distinguée par des patients âgés ou
ayant une baisse de l’acuité visuelle.
4 . ECHELLES D’AUTO-EVALUATION MULTI DIMENSIONNELLES
Ces échelles tentent de prendre en compte les multiples aspects du phénomène dou-
loureux. Elles peuvent être une aide au diagnostic, en mettant en évidence des éléments
sémiologiques particuliers, et permettent une évaluation des conséquences de la dou-
leur sur la qualité de vie, sur l’autonomie, sur l’humeur (recherche d’un état dépressif).
Ces échelles sont souvent assez longues à utiliser et sont rarement compatibles avec le
suivi quotidien.
La plus connue est le questionnaire de Saint-Antoine (QDSA), adaptation d’un ques-
tionnaire anglo-saxon (Mac Gill questionnaire). D’autres échelles sont consacrées à
l’évaluation du comportement du patient face à la douleur. Des échelles plus spécialisées
évaluent le retentissement sur la qualité de vie, ou l’impact sur le contexte psycho-socio-
familial. Ces dernières sont de maniement délicat et sont plutôt affaire de spécialistes.
5 . EVALUER LE TRAITEMENT
L’évaluation (soit par une échelle traditionnelle, soit par auto-évaluation du pour-
centage d’amélioration) permet de juger de l’efficacité du traitement institué. Elle trouve
dans ce cadre une importance particulière, car elle objective les modifications clini-
ques. En effet, l’amélioration de la symptomatologie en début de traitement permet une
amélioration de la qualité de vie et une plus grande activité qui peut générer de nouvel-
les douleurs, ce qui pourra faire penser au patient que le traitement est inefficace…
L’objectivation de l’amélioration permettra au thérapeute de poursuivre le traitement,
et de proposer au patient une adaptation de son activité. L’évaluation permet également
de rappeler au patient qu’il y a eu effectivement une amélioration, car lorsque la dou-
leur diminue, l’amnésie de l’ancien état peut rendre la douleur résiduelle intolérable.
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6 . EVALUER LES EFFETS SECONDAIRES
Comme tout traitement, les effets secondaires doivent être recherchés et traités. Le
patient (ou ses proches) doit être informé de la survenue d’éventuels effets secondaires.
7. DIFFICULTES DE PRISE EN CHARGE
La prise en charge de la douleur chronique est parfois difficile en pratique générale.
Le médecin généraliste, souvent seul et débordé peut avoir du mal à assurer des visites
fréquentes. La collaboration avec les infirmières est fondamentale : elles peuvent assu-
rer la surveillance du traitement, et en référer au médecin lors de la survenue d’effets
secondaires ou lorsqu’une adaptation est nécessaire. Cette collaboration étroite entre
infirmière et médecin généraliste ne s’improvise pas : l’infirmière doit avoir été formée
à la prise en charge de la douleur et des documents permettant le suivi des patients à
domicile sont indispensables. Ils comprennent les échelles d’évaluation de la douleur et
des guides concernant les effets secondaires. Ces documents peuvent même compren-
dre des prescriptions préétablies permettant à l’infirmière d’intervenir immédiatement.
Ces outils doivent évidemment être consensuels, bien compris et bien acceptés.
Leur élaboration doit être faite en commun. Plusieurs généralistes peuvent y participer,
aidés par des médecins référents, issus le plus souvent de centres anti-douleur. L’idéal
étant de pouvoir constituer un réseau, permettant un suivi optimal du patient, et facili-
tant les relations entre soignants hospitaliers, médecins de ville, infirmières libérales
ou d’HAD. Ce réseau peut être élargi aux autres professionnels de santé, selon les
conditions locales : kinésithérapeutes, assistantes sociales, ergothérapeutes, pharma-
ciens, psychologues….
Ainsi, dans notre département, le réseau ONCO94 rassemble, en différents groupes
de travail, des médecins hospitaliers (oncologues, algologues, chirurgiens) de l’IGR,
Paul Brousse, Kremlin Bicêtre, des médecins généralistes du département, des infir-
mières de l’HAD, des infirmières libérales, des psychologues, des pharmaciens.
L’objectif de ce réseau est d’assurer une prise en charge optimale des patients du dépar-
tement, atteints d’un cancer. L’outil informatique permettra, grâce à un site Internet, de
communiquer facilement tous les éléments importants du dossier du patient.
L’élaboration du travail en réseau permet de décloisonner la prise en charge, de
rompre la solitude des différents intervenants, d’harmoniser le travail et d’échanger des
connaissances.
7.1. LE TRAITEMENT
Le schéma thérapeutique de l’OMS est toujours le meilleur guide thérapeutique. Le
passage à un palier supérieur n’est indiqué que lorsque le traitement correctement pres-
crit, administré et absorbé s’est révélé insuffisant. A chaque étape, des co-analgésiques
peuvent être prescrits [5] :
par voie orale de préférence,
contrôle de la douleur sur le nycthémère,
à horaire fixe sans attendre la plainte,
respect des paliers de l’échelle de l’OMS,
réévaluation périodique pluri-quotidienne,
douleur intense : palier 3 d’emblée,
prise en compte des accès douloureux.
Il est bien sûr évident que le traitement est avant tout celui de la cause. Des traite-
ments à visée antalgiques peuvent être entrepris même en phase palliative :
chimiothérapie anticancéreuse, radiothérapie, hormonothérapie, chirurgie (levée d’obs-
tacle, évacuation d’abcès, ostéosynthèse ou décompression), traitement anti-infectieux.
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7.2. MEDICAMENTS DE PALIER 1
Acide acéthylsalicylique : 0,5 à 1 g 3 fois par jour.
Paracétamol po : 500 mg à 1 g 3 à 4 fois par jour sans dépasser 3 g par jour.
Le Néfopam (Acupan®) est une molécule utilisée par les urgentistes il y a une ving-
taine d’années. Ce produit était utilisé par voie IM et présentait l’inconvénient de
provoquer des effets secondaires gênants (nausée, vomissements, malaise général).
Cette molécule a retrouvé un regain d’intérêt en perfusion intraveineuse lente dans la
période postopératoire [6]. Certains l’administrent per os sur un sucre [7].
7.3. AINS
Leur utilisation sous forme rapide ou prolongée est limitée par leurs effets secon-
daires : insuffisance rénale, gastrite ou maladie ulcéreuse. Le mécanisme d’action bien
connu de l’effet antalgique des AINS est l’inhibition des prostaglandines. Dans certains
cas, on pense qu’il pourrait exister un effet périphérique supplémentaire qui pourrait
être lié à la voie arginine - monoxyde d’azote. Les 2 voies actuelles de recherche con-
cernant les AINS s’orientent vers une inhibition sélective des prostaglandines à l’endroit
de l’inflammation, respectant les prostaglandines intestinales et rénales et vers une as-
sociation d’un agent cytoprotecteur à un AINS (ces composés sont appelés NO-AINS
car ils libèrent du monoxyde d’azote).
7.3.1. INHIBITEURS SÉLECTIFS DE LA CYCLO-OXYGENASE 2 (COX 2).
Diverses formes de COX sont produites par l’organisme, la COX 2 est produite à
l’endroit de la douleur. Les molécules élaborées (etodolac, nabumétone et méloxicam)
possèdent :
Une action analgésique et anti inflammatoire comparable aux AINS actuels,
Une toxicité gastro-intestinale réduite (moins de 1 % contre 2 à 4 %),
Une grande sélectivité de la COX 2.
Ces nouvelles molécules (Anticox 2) devraient arriver prochainement sur le marché
7.3.2. LES NOAINS
Le NO participe activement à la protection gastro-intestinale : son effet est simi-
laire à celui des prostaglandines. L’association de NO aux AINS connus (pluriprofène,
diclofénac, aspirine, etc…) réduit la toxicité gastrique, même sur des périodes prolon-
gées et augmenterait l’effet antalgique, mais ces effets demandent à être démontrés
plus précisément en clinique [8-10].
7.4. MEDICAMENTS DE PALIER 2
Outre les produits déjà bien connus par le prescripteur : dextropropoxyphène, asso-
ciation paracétamol et codéine (dafalfan codéiné) ou dextropropoxyphène (diantalvic®),
de nouvelles molécules sont apparues :
dihydrocodéine 60 mg : dicodin® : Présenté sous forme de comprimé LP, la posolo-
gie est de 1 cp toutes les 12 heures. Il s’agit d’une forme retard de codéine
correspondant au contenu en codéine de 2 cp de Dafalgan codéiné.
Codenfan, permettant l’administration de codéine à l’enfant de plus de 1 an.
Tramadol (Topalgic®, Zamadol LP®) : Apparu en France il y a peu de temps, ce
produit est plutôt classé au niveau IIb de la classification de l’OMS.
Cette molécule de synthèse est un analgésique d’action centrale présentant une fai-
ble affinité pour les récepteurs opioïdes. Il est administré par voie orale et ses indications
sont les douleurs aiguës d’intensité modérée à sévère. Son affinité pour les récepteurs
est 6 000 fois moins importante que celle de la morphine, 100 fois moins que celle du
dextropropoxyphène.
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