1 Pluralisme religieux et pluralisme politique en Algérie après la

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Pluralisme religieux et pluralisme politique en Algérie après la
guerre civile
« Il y a quelque temps, les médias ont attiré l’attention sur un phénomène considé
comme « nouveau » en Algérie : les conversions de plus en plus nombreuses au
christianisme. On a parlé du « retour en grâce » des Eglises protestante et catholique
en Kabylie, phénomène intrigant voir irritant pour les autorités en place »1. En effet,
depuis 2004, la presse locale se fait l’écho d’un phénomène, celui d’une
évangélisation de la Kabylie ! Bien qu’il soit difficile d’en mesurer et d’en évaluer
l’ampleur, il est par contre intéressant d’analyser les réactions politiques tant elles
sont riches d’enseignement sur les tensions qui parcourent la société algérienne et
les inquiétudes qui hantent le régime. En effet, le 20 mars 2006, le parlement
adoptait l’ordonnance 06-03 qui fixe « les conditions et règles d’exercice des cultes
autres que musulman ». Celle-ci rappelle que l’Etat garantit la tolérance et le respect
entre les différentes religions mais pour aussitôt énumérer les conditions nouvelles
d’exercice du culte :
« art.5. L’affection d’un édifice à l’exercice du culte est soumise à l’avis préalable de
la commission nationale ; est interdite toute activité dans les lieux destinés à
l’exercice du culte contraire à leur nature.
Art.7.L’exercice collectif du culte a lieu exclusivement dans les édifices destinés à
cet effet, ouverts au public et identifiables de l’extérieur.
Art. 8. Les manifestations religieuses ont lieu dans les édifices, elles sont publiques
et soumises à une déclaration préalable
Art.9 . Il est créé, auprès du ministère chargé des affaires religieuses et des wakfs
une commission nationale des cultes.
Les conditions de l’exercice du culte sont soumises à un dispositif pénal qui n’a pas
manqué de soulever un tollé. En effet celui-ci stipule « qu’est puni d’un
emprisonnement d’un an à trois ans et d’une mande de 250 000 DA à 500 000 DA
quiconque, par discours prononcé ou écrit affiché ou distribué dans les édifices où
s’exerce le culte ou qui utilise tout autre moyen audiovisuel, contenant une
provocation à résister à l’exécution des lois ou aux décisions de l’autorité
publique… ». L’art.11 stipule qu’est puni d’emprisonnement de 2 à 5 ans quiconque :
- « incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un
musulman à une autre religion, ou en utilisant à cette fin des établissements
d’enseignement, d’éducation, de santé, à caractère social ou culturel, ou institutions
de formation, ou tout autre établissement, ou tout autre moyen.
- fabrique, entrepose, ou distribue des documents imprimés ou
métrages audiovisuels ou par tout autre support ou moyen qui visent à
ébranler la foi d’un musulman ».
Comment comprendre cette réaction législative ? Comment expliquer cette volonté
d’édifier un arsenal juridique sur l’exercice du culte pour les non musulmans ? Cet
article montre que la réaction du régime face au phénomène de la conversion des
1 Jean-François Petit, « Quand les Kabyles redécouvrent Augustin ». Augustin de l’Assomption.
http://www.assomption.org
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musulmans s’inscrit dans un contexte de post guerre civile où le régime tient à limiter
le plus grandement possible toutes les formes de pluralisme religieux perçu comme
un préalable au pluralisme politique. En somme la question de la liberté religieuse est
porteuse d’un débat sur la liberté politique.
Liberté, identité et pluralisme religieux
Le compte-rendu dans le journal El Watan (26 juillet 2004) d’un colloque organisé à
l’Université des sciences islamiques Emir Abdelkader de Constantine apparaît
comme le commencement de « l’affaire ». L’auteur résumait les propos tenus par les
uns et les autres sur ce phénomène. Celui-ci était perçu à travers l’angle de la
théorie du complot : l’Algérie serait la cible d’une campagne entamée en Kabylie
mais qui viserait « tout le pays ». Pour l’auteur de l’article : « La réalité est que,
officielles ou pas, visibles ou pas, les églises en Kabylie sont nombreuses. Ils s’en
créent à une vitesse fulgurante aux quatre coins de la région », et l’auteur de
préciser : « si le phénomène de l’évangélisation en Kabylie n’est pas nouveau, son
ampleur grandissante, son idéologie évidente, ses objectifs inavoués et son
instrumentalisation par des forces nationales et internationales vont engendrer des
crises supplémentaires dans une Kabylie et une Algérie déjà saturées de crises en
tout genre »2. L’Algérie serait victime, après le colonialisme et le wahhabisme, des
évangélistes : « l’évangélisation en Kabylie n’est pas spontanée, aujourd’hui, comme
hier. Elle est le résultat d’un prosélytisme organisé et financé par une stratégie
mondiale d’évangélisation des peuples musulmans » affirme notre auteur. Enfin
l’enquête se concluait par un appel aux pouvoirs publics : « il est désolant de
constater que le pouvoir ose à peine murmurer une critique face à la nouvelle
politique coloniale américaine ».
La conversion de Kabyles s’inscrit dans un imaginaire politique où l’individu n’est pas
perçu comme libre de son choix mais bien davantage comme le résultat d’un
complot, d’une stratégie en un mot, d’un piège. En fait l’inquiétude est amplifiée par
le fait que le phénomène se situe un Kabylie : « De nombreux missionnaires rêvent
de faire de la Kabylie un nouveau Liban multiconfessionnel. Actuellement sans élus
légitimes, mais avec des ‘indus élus’, la Kabylie donne l’impression d’être colonisée
par un pouvoir qui lui étranger. L’idée d’autonomie faisant son chemin, les
ingrédients et la sécession kabyle se réunissent jour après jour dans l’indifférence
politique générale ». Le constat pausé, l’auteur en appelle à l’autorité : il y a urgence
car péril en la demeure… Et pourtant, la présence de chrétiens en Kabylie n’est pas
nouvelle et le mythe d’une terre artificiellement islamisée est ténu3. L’historienne
Karima Dirèche-Slimani souligne que la présence des chrétiens en Kabylies et de
quelques milliers seulement4. Dès le XIX siècle, dans le cadre du pouvoir colonial, la
Kabylie devient un enjeu politique et religieux, qui associera la colonisation à la
2Saad Lounés, « Evangélisation en Kabylie », El Watan, 26 juillet 2004.
3 Kamel Chachoua recense les clichés sur la religiosité des Kabyles. Il cite Alfred Rambaud, auteur d’un
ouvrage au XIX siècle sur la Grande Kabylie qui écrivait : « après avoir été des chrétiens assez douteux, ils sont
devenus des musulmans d’une espèce particulière » ou bien le Père Dugas : « On a dit que la Kabylie est la
Suisse de l’Algérie, pour Monseigneur l’archevêque d’Alger, c’est le Liban de l’Afrique ». L’Islam Kabyle.
Paris : Maisonneuve et Larose, 2001,
4 Dirèche-Slimani Karima, Chrétiens de Kabylie 1873-1954.Une action missionnaire dans l’Algérie coloniale.
Paris : Bouchène, 2004.
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christianisation. L’œuvre des Pères Blancs, fondée sur le préjugé, que les Kabyles
sont faiblement islamisés, aura pour tache de faciliter leur réintégration dans la
« religion de leurs ancêtres ». Politique coloniale hier, stratégie américaine
d’évangélisation aujourd’hui, la conversion de Kabyles au christianisme suscite
toujours une immense source d’inquiétude. Et cela d’autant plus que le phénomène
s’inscrit dans un période de très forte remise en questions des héritages identitaires
fabriqués durant la guerre d’indépendance (1954-1962). Car parallèlement à la sortie
de l’Islam et à l’entrée dans le christianisme, il se produit aussi une sortie de « l’islam
officiel » pour entrée dans un « islam sectaire ». L’évangélisation en Kabylie s’inscrit
dans un contexte global où la pratique religieuse, face à une offre abondante, se
diversifie. Le phénomène est mondial et l’Algérie n’y échappe pas. Il reste à analyser
les conditions matérielles et spirituelles qui rendent ce processus effectif en Algérie
et à comprendre pourquoi ce phénomène provoque un tel émoi auprès des
dirigeants politiques.
De la fin de l’unanimisme politique à la fin de l’unanimisme religieux ?
1. Une conjoncture favorable à la contestation
L’État algérien a résisté à la guerre civile et n’a pas sombré. Ses administrations
civiles ont, tant bien que mal, continué à fonctionner et ses appareils sécuritaires ont
gardé la cohésion nécessaire dans la lutte contre la guérilla. Néanmoins, force est de
constater que la guerre civile a occasionné des drames qui se traduisent par une
profonde transformation des comportements individuels. La société algérienne sort
traumatisée. Elle a payé le prix fort de l’effondrement de la communauté nationale.
La fin du monopole par l’Etat-FLN de la définition de la communauté nationale
algérienne a ouvert la voie à un questionnement sur l’histoire et sur l’identité
algérienne. Dans la violence, la société algérienne redécouvre sa pluralité politique.
Cette période dramatique est-elle porteuse de pluralisme politique ? L’État, à la
faveur de la guerre civile, a cherché à redéfinir ses fondements : la démarche
d’Abdelaziz Bouteflika a ouvert sur le plan symbolique de nouvelles perspectives en
Algérie. A travers ses nombreux discours, le nouveau président n’hésitait pas à
préciser que la légitimité révolutionnaire du régime avait fait faillite et que l’Etat devait
reposer sur d’autres fondements que ceux de la guerre de décolonisation : ses
appels à la réconciliation concernaient tout autant les islamistes, que les pieds Noirs
et les juifs. Pour la première fois depuis l’indépendance, un chef d’Etat s’efforçait de
redéfinir la composante identitaire de l’Etat jusque-la fondée sur le triptyque : Islam,
Arabe et Nation. Bien évidemment une telle démarche avait séduit la communauté
internationale et en particulier la France qui espérait voir l’Algérie se réconcilier avec
elle-même. Pourtant cette approche a vite montré ses limites.
L’affaire de la conversion s’inscrit dans un contexte post traumatique pour le régime
et la société. Elle est d’autant plus surprenante que le paysage religieux de l’Algérie
n’a cessé de se restreindre au cours de son histoire contemporaine : l’islam est la
religion de 99 % de la population ! Pour le Ministre des Affaires religieuses, l’Algérie
traverse « une grave crise culturelle et religieuse ». En ce qui concerne l’Islam, un
cheminement équivalent est engagé : les musulmans algériens ont été profondément
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bouleversés par les années de violence au nom de l’Islam. Une recherche
personnelle est engagée pour redéfinir le cadre relationnel que chacun cherche à
établir avec le divin. La violence des groupes islamistes a provoqué une secousse
dans les consciences. En effet la dérive mortifère de la violence en Algérie durant la
décennie quatre-vingt-dix continue à produire un questionnement sur la religion et en
particulier sa dimension sectaire. La dérive mortifère des islamistes armés est une
réalité, mais la diabolisation de l’ensemble de la mouvance islamiste par le régime
rejoint un sentiment de malédiction qui tend à se généraliser : des « forces
obscures » se seraient déchaînées sur l’Algérie. L’émergence d’une violence
eschatologique ou sectaire ne peut que conduire à s’interroger sur les causes
profondes de la violence qui sévit en Algérie depuis une quinzaine d’années.
Violence protéiforme qui surgit tant du milieu naturel (inondations, tremblements de
terre) que des transformations socio politiques (interruption du processus électoral en
1991, guerre civile et insurrection en Kabylie, terrorisme). C’est dire que
l’engagement dans des mouvements armés sectaires en Algérie s’inscrit aujourd’hui
dans un registre local où la mort et la recherche du salut occupent une place
immense.
Depuis 2003, l’Algérie bénéficie de la hausse vertigineuse des prix du pétrole.
Jamais depuis sa jeune histoire l’Etat n’a disposé d’autant de ressources financières.
Et pourtant les séquelles de la guerre civile sont toujours présentes, tant sur les
plans économiques que politiques. La décennie passée a profondément bouleversé
l’équilibre que l’Etat entretenait avec la société. La libéralisation, le rétablissement
des équilibres macro-économiques (1994-98) et la privatisation ont développé une
paupérisation de la société (sur 31 millions d’habitants, 8,5 millions vivent avec 1800
euros par an). Pourtant les recettes des exportations pour l’année 2007 sont
estimées à 56 milliards de dollars et les réserves en devises avoisinent les 100
milliards. Jamais depuis le début de sa jeune histoire, l’Etat n’a disposé d’autant de
ressources financières. Les performances récentes de l’économie algérienne ne sont
pas un gage de développement durable, mais un effet de la montée du prix du baril
de pétrole. L’Algérie s’est donc enrichie, mais ses dirigeants ne sont pas parvenus à
convaincre les citoyens qu’ils en seraient les premiers bénéficiaires. La rente
pétrolière ne fait plus illusion, elle crée de la richesse mais non du développement.
Ainsi lors des élections législatives de mai 2007, le taux national de participation a
atteint le taux de 35,51 %, il apparaît officiellement comme l’un des plus faible
enregistré depuis l’indépendance en 1962. « Voter pour qui, pourquoi ? »5. Comme
le souligne un éditorialiste algérien les électeurs « sanctionnent l’absence de
politique et la transformation des partis en simples appareils et courroie du
système…cela suppose que l’on sorte des logiques de façade pour aller vers une
démocratisation réelle et effective ».
Dans ce contexte de maux de toutes origines, la recherche du salut ne passe plus ni
par la violence ni par la politique. Cette décennie tragique semble avoir encouragé la
résurgence de ces intercesseurs6 que sont les marabouts, quand ce n’est pas le repli
5 Le Quotidein d’Oran, 19 mai 2007
6 H. Touati, Entre Dieu et les hommes : lettrés, saints et sorciers au Maghreb (17 e siècle), Paris,
EHESS, 1994.
5
sur soi. Le sentiment de malédiction qui est venu remplacer la faute généralement
attribuée au colonialisme fait naître une inquiétude multiforme. La recherche du salut
s’accompagne d’une quête individuelle de rachat, comme si les maux qui ont frappé
l’Algérie étaient autant de châtiments divins. C’est dans ce contexte que s’opère le
basculement des individus dans une offre religieuse « nouvelle », une offre perçue
comme régénératrice et salvatrice car sur le plan psychologique, la société
algérienne est confrontée à l’émergence du suicide. Nourredine Toualbi,
psychanaliste, souligne qu’en Algérie : « les jeunes générations sont en rupture des
sens où leur trajectoire vitale est contrariée par le poids de misères existentielles
innombrables (misère sociale, affective, sexuelle), il est à craindre des effets de
retour d’angoisses destructeurs. Ces jeunes sont parfois porteurs de danger pour les
autres aussi – et peut-être surtout sont-ils dangereux pour eux-mêmes qui vivent les
affres d’un grave désenchantement dans une société prétendument égalitaire mais
qui n’a jamais tenu ses promesses »7.
2. La diversité religieuse : une menace pour l’Etat ?
L’unanimisme politique a conduit à la guerre civile et à la nécessité de reconnaître le
pluralisme politique. Si l’Algérie n’est pas une démocratie, force est de constater que
son parlement représente les grands courants politiques qui traversent la société
algérienne. Ce résultat est le produit d’une lente mais irréductible lutte face à un Etat-
FLN imprégné d’une idéologie unanimiste. Du point de vue religieux, l’Etat est
marqué par la devise du réformiste Cheikh Abdelhamid Ibn Badis (1889-1940) : « le
peuple algérien est musulman et à l’arabité il appartient ». Ce principe a ame
l’Etat, au nom de l’islam officiel, à restreindre les autres formes d’expression du
religieux. Parfois il a été amené à les utiliser les unes contre les autres afin de les
neutraliser. Comme le souligne Sossie Andezian : « L’Etat algérien indépendant,
ouvertement hostile au courant mystique, module progressivement sa politique au
gré des intérêts nationaux, pour ostensiblement encourager son expression à
certaines périodes en tant que patrimoine historique au détriment de l’islamisme ».
L’Islam d’Etat ne doit pas faire oublier « la diversité des rapports au religieux dans
l’Algérie indépendante malgré l’uniformisation par l’Etat des systèmes de croyances
et de pratiques rituelles » souligne-t-elle8. Aussi, la volonté de contrôler le culte des
non musulmans s’inscrit dans la même perspective que celle qui aspire à contrôler
celui des musulmans.
Combattre l’Islam politique au nom de l’Islam officiel !
Parallèlement à la résurgence du courant mystique en Algérie, deux courants se
heurtent à l’Islam d’Etat : celui de l’Islam politique, portée par le FIS au début de la
décennie quatre-vingt-dix et celui du salafisme depuis le début de la décennie deux
mille. Durant la guerre civile, l’armée avait justifié son combat par le fait que le FIS et
la guérilla islamiste menaçaient la « démocratie » et la nature « républicaine » de
l’Etat. Les propos anti-démocratique des responsables de l’ex-FIS (1989-1991) et la
stratégie des massacres de civils par les groupes islamistes armés ont renforcé, tout
7 Liberté, 07/12/2000
8 Sossie Andezian, « Mysticisme extatique dans le champ religieux algérien contemporain » in Islam Pluriel au
Maghreb (dir) S. Ferchiou. Paris : CNRS, p. 325
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