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Chapitre 10
Perrez, M. & Ahnert, L.
Facteurs psychologiques : socialisation et adaptation du
comportement
Contenu
1. Introduction
2. Développement et trouble du développement :
vulnérabilité et résilience
3. Troubles dans l’évolution du développement :
le concept des tâches de développement
4. Troubles comme conséquence d’une histoire pulsionnelle non gérée
4.1 Hypothèses psychanalytiques générales
4.2 Approche explicative spécifique à des phases pour la survenue des
troubles psychiques
4.3 Etudes empiriques visant la preuve des hypothèses psychanalytiques
5. Troubles comme conséquence de l’échec du développement relationnel : le
modèle théorique de l’attachement
5.1 La signification des relations sociales précoces dans le développement
individuel des êtres humains
5.2 Les relations d’attachement
5.3 Echec de l’acquisition ou maintien problématique de la sécurité de
l’attachement et ses conséquences
5.4 Echec de l’acquisition de la sécurité de l’attachement dans le contexte
des risques multifactoriels de développement
5.5 Bilan : troubles de l’attachement et vulnérabilisation comme
conséquence de la privation de mère et d’autres formes de déprivation
6. Troubles comme conséquence de l’histoire d’apprentissage : modèles
théoriques de l’apprentissage
6.1 Troubles comme conséquence de processus de conditionnement
6.2 Organisation du comportement comme conséquence de troubles du
processus de conditionnement
6.3 Modèles animaux comme justification des concepts théoriques de
l’apprentissage
6.4 Troubles comme conséquence des processus d’apprentissage cognitif
7. Développement perturbé – développement des troubles
8. Littérature
1. Introduction
Dans ce chapitre, chaque hypothèse et résultats sur l’influence des facteurs
psychologiques sur la survenue des troubles psychiques seront présentés, et qui ne
sont pas issus directement de la psychologie du stress ou de la psychologie sociale
(voir chap. 11 et chap. 12) ; les dernières ont plus pour objet les processus de
régulation sociale actuelle et moins les explications historiques-génétiques – i.e.
l’explication de l’acquisition des troubles. Les réflexions historiques de
l’apprentissage du développement du trouble sont souvent rattachées au concept de
socialisation. Les approches de la socialisation, qui s’occupent de la survenue des
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troubles, thématisent les influences sociales comme des éléments de trouble des
évolutions de développement ; sous ce point, les influences à travers d’autres
personnes et institutions sont comprises comme des sources de changement
(Prenzel & Schiefele, 1986). Les influences par d’autres personnes et institutions
présentent un sous-ensemble de la régulation externe ; d’autres types d’influence
sont de type matériel ou médial (par ex., étroites conditions de logement ou TV). À
côté des influences sociales comme sous-ensemble des facteurs d’influence
externes, il y a les facteurs de risques psychologiques internes, comme par exemple
la vulnérabilité pour certains troubles.
Nous considérons en cela la socialisation comme un processus complexe de
l’interaction individu-environnement, qui doit mener à l’adaptation au système de
valeurs et de normes de la société. Par rapport à de jeunes gens, la socialisation
comprend par conséquent l’éducation, mais est cependant plus que cela, car des
influences sociales non voulues ne peuvent pas être mises entre parenthèse (voir à
ce propos également les chap. 11 et 12). En résultat d’événements sociaux
multifactoriels, des changements à long terme dans la structure de comportement et
de la personnalité surviennent lors de la socialisation, qui génèrent également des
erreurs d’adaptation et des troubles. Dans ce chapitre, nous souhaitons tout d’abord
discuter de perspectives théoriques générales qui s’occupent du mode et de la
phase du développement dans lesquels les troubles surviennent. Pour cela nous
nous référons tout d’abord aux concepts de la vulnérabilité et de la résilience et les
mettons en liens par la suite avec les présentations sur le stress des tâches du
développement dans le développement individuel. La pluralité et la dynamique des
conditions de survenue des troubles seront présentées en général dans les différents
modèles causaux, qui décrivent des rapport d’action additifs et multiplicatifs et qui
sont intégrés dans des modules d’interaction (voir Flammer, 1996). Dans le présent
chapitre, nous chercherons cependant à présenter ces rapports/contextes d’action
compliqués à l’aide d’exemples. Nous avons besoin pour cela d’approches
explicatives sélectionnées, qui considèrent la socialisation de l’enfant selon des
perspectives psychanalytiques, du lien et théoriques de l’apprentissage. En cela,
dans le concept de tâches développementales, la possibilité d’acquisition d’un
trouble n’est pas limitée à une tranche d’âge spécifique ; la psychanalyse et la
théorie du attachement peuvent être vues comme des théories spéciales des tâches
développementales, qui les localisent sur l’enfance précoce. Les théories de
l’apprentissage ne sont pas – comme les tâches développementales – fixées à des
tranches d’âges particulières.
2. Développement et trouble du développement : vulnérabilité et résilience
Dans beaucoup de modèles de socialisation, la discussion de base quant à la
survenue des troubles du développement est renvoyée au rapport entre les facteurs
de vulnérabilité et de protection, même si les approches explicatives détaillées sur
les mécanismes du trouble peuvent être très nombreuses (voir chap. 7). Dans la
discussion actuelle sur le terme de vulnérabilité, on la différencie en une vulnérabilité
non spécifique et une spécifique. La vulnérabilité spécifique décrit une
caractéristique latente et relativement stable ou une tendance à des modalités
dysfonctionnelles spécifiques de la gestion du stress et une adaptation d’une
personne et une fragilité augmentée envers des types spécifiques de troubles
(Ingram & Price, 2001), alors que la vulnérabilité non spécifique prédispose
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généralement à une probabilité plus élevée pour les troubles. Il est souvent
différencié entre la vulnérabilité déterminée génétiquement et celle déterminée par
l’environnement (Price & Lento, 2001). La stabilité de la vulnérabilité est toutefois
relative, dans la mesure où elle peut être renforcée et atténuée par des conditions de
vie correspondantes ou aussi par des phases de vie (voir ci-dessous). En cela, il
apparaît significatif, si une vulnérabilité est déjà présente à la naissance. Elle peut
être déterminée génétiquement ou par des influences environnementales d’avant la
naissance (vulnérabilité primaire) ou se former après la naissance par des influences
environnementales (vulnérabilité secondaire), voire se développer en interaction (voir
chap. 7) et le cas échéant être liée à des phases ou des condition spécifiques de vie,
en tant que vulnérabilité différenciée selon l’âge (voir Cicchetti &Toth, 1997).
Dans les explications d’adaptations manquées et des troubles psychiques, les
modèles de socialisation relient généralement les effets d’influences nocives avec
des facteurs protecteurs, qui agissent contre les conditions du trouble. De là il est
admis que les troubles sont d’autant plus probables, que moins on ne peut avoir
recours à des facteurs de résilience ou de protection. Les facteurs de résilience
désignent des caractéristiques ou des compétences qui décrivent la capacité d’un
individu pour une adaptation appropriée même dans des circonstances non
favorables ou menaçantes (Masten, Best & Garmezy, 1990). Cela peut par exemple
être constaté pour des caractéristiques particulières du tempérament, qui
déclenchent des réaction protectrices de l’environnement. Cependant, les facteurs
de résilience peuvent aussi être constatés dans des types de comportement, qui
mènent à des interactions individu-environnement positives, comme cela est connu
de la sociabilité, la pondération et l’autonomie, mais aussi dans des capacités de
communication et de résolution de problèmes bien développées (Werner, 1999). Les
facteurs de protection se réfèrent en revanche directement à l’environnement et
visent en particulier les réseaux sociaux de soutien dans lesquels la compétence
éducative des parents et leur qualité de relation jouent un rôle central dans le
développement vers l’âge adulte (voir paragraphe 4).
3. Troubles dans l’évolution du développement : le concept de tâches
développementales
Comme les troubles psychiques sont le plus souvent étroitement liés avec le
développement individuel d’un individu, les déroulements de développement et les
changements au cours du temps sont devenus les thèmes centraux de la plupart des
approches explicatives pour les erreurs d’adaptation et la survenue de troubles. Ainsi
comme le concept de phases sensibles de périodes provisoires décrit une prégnance
particulière ou une capacité d’apprentissage, la vulnérabilité différentielle selon l’âge
est comprise comme une susceptibilité particulièrement grande dans certaines
phases de vie. L’enfance, l’adolescence et l’âge comptent dans ces phases (Cole &
Putnam, 1992). L’hypothèse « Burden » postule par exemple que les personnes
d’âge moyen sont particulièrement vulnérables en raison de leur grande
responsabilité dans des domaines importants professionnels ou de vie (voir
Maercker, 1999).
La solution réussie des tâches liées à l’âge a été présentée par Havighurst (1982)
dans le centre d’une théorie du développement, qui comprend le développement
individuel d’un individu comme la suite de tâches déterminées biologiquement,
culturellement-socialement ou personnellement, dont dépend la solution réussie d’un
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développement libre de trouble. Le développement est par là décrit comme un
processus s’étendant sur toute la vie dans une séquence de tâches d’adaptation et
de développement, comme elle l’est par exemple dans la formation de relations de
attachements dans les premières années ou dans la recherche identitaire et
professionnelle pendant l’adolescence (voir aussi Baltes, Reese & Lipsitt, 1980 ;
Flammer & Avramakis, 1992). Si les ressources ne sont pas à disposition pour la
gestion de ces tâches de développement et/ou si leur gestion est perturbée par des
stresseurs supplémentaires et des facteurs nocifs de l’environnement (voir tableau
1), les troubles psychiques peuvent survenir, ou une vulnérabilité augmentée peut au
moins s’installer. En lien avec le terme de tâches développementales est le terme de
Life-Event (voir chap. 11) ; les tâches de développement sont en partie des Life-
Events (par ex., le mariage), parfois il s’agit de classes d’événement séparés chaque
fois (Exemple de Life-Events, qui ne présente cependant pas de tâche
développementale : perte de l’emploi ; Exemple d’une tâche développementale qui
n’est pas un Life-Event : propreté).
Tableau 1 : Tâches développementales, sources de troubles typiques aux tâches (voir Havighurst,
1982 ; Newman & Newman, 1975)
Période Tâches développementales Sources de troubles sociales
typiques aux tâches
Enfance précoce :
0 à 3 ans Adaptation au rythme sommeil-nutrition
Formation du lien
Apprentissage du langage
Position verticale
Contrôle des organes d’élimination
Différenciation de l’organisation psychosexuelle
Interaction mère-enfant
perturbée : privation et perte de
la mère ; expérience de
violence ; négligence et abus ;
déprivation sociale
Préscolaire,
scolarité :
3 à 12 ans
Autonomie
Adaptation sociale
Orientation des performances
Acquisition des techniques culturelles
Établissement des rôles sexuels
Parents fortement directifs et
punitifs ; environnement éducatif
demandant trop ou pas assez ;
échec dans le domaine des
performances ; famille
désorganisée ou surorganisée
Préadolescence,
adolescence :
12 à 18 ans
Recherche d’identité
Adaptation à la maturation sexuelle
Recherche de l’identité sexuelle
Séparation de la maison parentale
Famille désorganisée ou
surorganisée ; tabouiser la
sexualité ; modèles inadaptés ;
conditions familiales freinant
l’autonomie
Jeune adulte Formation professionnelle
Recherche de l’identité professionnelle
Recherche du partenaire et souvent fondation
d’une famille
Éducation
Échec au niveau des capacités ;
mauvaises conditions de travail
Adulte moyen Laisser sortir les enfants de la maison familiale
Poursuite du développement de la relation avec
le/la partenaire
Stabilisation professionnelle
Déficit de ressources sociales
Adulte âgé Fin de la vie professionnelle
Nouveaux rôles sociaux
Affaiblissement des capacités fonctionnelles
Adaptation à la perte du partenaire
Conditions de retraite rigides ;
perte du contrôle et des
renforcements par la retraite et
l’âge
Comme les individus passent une grande partie de leur vie dans la famille, qui leur
est soumise en tant qu’un petit groupe d’un processus de développement et pouvant
être décrite comme une séquence de tâches développementales, le développement
individuel dépend également de la gestion réussie de ces tâches de développement
familiales (Schneewind, 1995). Par exemple, la formation du couple et la parentalité
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exigent une réorganisation significative du comportement, le plus souvent liée à des
conflits. Toutefois, les discussions actuelles sur les tâches de développement
familiales se réfèrent surtout au phénomène du divorce, qui provoque de temps en
temps de nouvelles et diverses transitions dans le développement (Fthenakis, 1995).
Ces transitions particulières dans le développement familial placent la famille face à
de nouvelles exigences, et trouvent leur expression particulière dans la famille mono-
parentale ou dans la famille recomposée après un remariage du partenaire divorcé
(Carter & McGoldrick, 1989). On suppose que ces transitions représentent des
phases de la susceptibilité particulière de la constellation familiale, dans laquelle
l’action familiale et l’action individuelle peuvent facilement aller de pair. Cela peut
mener à des conflits pouvant former la base pour la survenue de troubles
psychiques. Schneewind (1995) considère donc les liens familiaux comme une tâche
développementale surordonnée (méta tâche de développement), dans laquelle
développement individuel de l’autonomie doit pourtant rester présent.
4. Troubles comme conséquence d’une histoire pulsionnelle non gérée : le
modèle psychanalytique
4.1 Hypothèses psychanalytiques générales
Freud (1917) a été le premier à proposer un modèle explicatif complet pour le
développement et le maintien des troubles psychiques. La vulnérabilité de la
personne concernée est vue dans des facteurs génétiques-constitutionnels et les
causes originaires pour un trouble localisées en particulier dans la relation enfant-
mère-père. La constellation oedipienne durant l’enfance précoce est thématisée
comme conflit social central. La manifestation d’un trouble se manifeste toutefois
souvent seulement durant l’âge adulte, durant des phases de labilité psychique.
La psychanalyse comprend les troubles psychiques comme le résultat de tâches de
développement non gérées et déterminées biologiquement, définies dans le cadre du
développement de la libido de l’enfant. L’enfant passe par les phases orale, anale,
phallique, oedipienne et génitale, dans lesquelles il éprouve les satisfactions de ses
besoins selon son développement et est à la fois soumis aux stimuli de refus,
d’échec, liés à son développement (Freud, 1905). Les névroses sont la catégorie de
trouble la plus importante étudiée par Freud. Les « affections psychogènes » y sont
comprises de telles manière que « les symptômes sont l’expression symbolique d’un
conflit psychique trouvant ses racines dans l’histoire infantile du sujet et constituant
des compromis entre le désir et la défense » (Laplanche & Pontalis, 1973, p. 325 ;
1967, p. 267 pour la version française). Le point de départ de la survenue d’une
névrose est formé par les situations traumatiques. Selon la terminologie de la
psychanalyse, une pulsion peut être si forte que le Moi ne peut plus gérer sans
problème les tensions dans le champ du conflit des intérêts du Moi, du Surmoi et des
exigences de la réalité. Les situations traumatiques surviennent le plus souvent par
le refus et à partir de là, par un empêchement de la satisfaction de la pulsion. Cette
dernière peut être accompagnée par des mécanismes de défense comme la fixation
(attachement de la libido à des buts et objets pulsionnels infantiles), la régression
(réorganisation du comportement à une étape de développement antérieure, moins
différenciée), le refoulement (répression d’un besoin pulsionnel) et les formations de
symptômes, et être interprétés comme formation de compromis entre les différentes
exigences.
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