Chapitre 10 Perrez, M. & Ahnert, L. Facteurs psychologiques : socialisation et adaptation du comportement Contenu 1. Introduction 2. Développement et trouble du développement : vulnérabilité et résilience 3. Troubles dans l’évolution du développement : le concept des tâches de développement 4. Troubles comme conséquence d’une histoire pulsionnelle non gérée 4.1 Hypothèses psychanalytiques générales 4.2 Approche explicative spécifique à des phases pour la survenue des troubles psychiques 4.3 Etudes empiriques visant la preuve des hypothèses psychanalytiques 5. Troubles comme conséquence de l’échec du développement relationnel : le modèle théorique de l’attachement 5.1 La signification des relations sociales précoces dans le développement individuel des êtres humains 5.2 Les relations d’attachement 5.3 Echec de l’acquisition ou maintien problématique de la sécurité de l’attachement et ses conséquences 5.4 Echec de l’acquisition de la sécurité de l’attachement dans le contexte des risques multifactoriels de développement 5.5 Bilan : troubles de l’attachement et vulnérabilisation comme conséquence de la privation de mère et d’autres formes de déprivation 6. Troubles comme conséquence de l’histoire d’apprentissage : modèles théoriques de l’apprentissage 6.1 Troubles comme conséquence de processus de conditionnement 6.2 Organisation du comportement comme conséquence de troubles du processus de conditionnement 6.3 Modèles animaux comme justification des concepts théoriques de l’apprentissage 6.4 Troubles comme conséquence des processus d’apprentissage cognitif 7. Développement perturbé – développement des troubles 8. Littérature 1. Introduction Dans ce chapitre, chaque hypothèse et résultats sur l’influence des facteurs psychologiques sur la survenue des troubles psychiques seront présentés, et qui ne sont pas issus directement de la psychologie du stress ou de la psychologie sociale (voir chap. 11 et chap. 12) ; les dernières ont plus pour objet les processus de régulation sociale actuelle et moins les explications historiques-génétiques – i.e. l’explication de l’acquisition des troubles. Les réflexions historiques de l’apprentissage du développement du trouble sont souvent rattachées au concept de socialisation. Les approches de la socialisation, qui s’occupent de la survenue des 1 troubles, thématisent les influences sociales comme des éléments de trouble des évolutions de développement ; sous ce point, les influences à travers d’autres personnes et institutions sont comprises comme des sources de changement (Prenzel & Schiefele, 1986). Les influences par d’autres personnes et institutions présentent un sous-ensemble de la régulation externe ; d’autres types d’influence sont de type matériel ou médial (par ex., étroites conditions de logement ou TV). À côté des influences sociales comme sous-ensemble des facteurs d’influence externes, il y a les facteurs de risques psychologiques internes, comme par exemple la vulnérabilité pour certains troubles. Nous considérons en cela la socialisation comme un processus complexe de l’interaction individu-environnement, qui doit mener à l’adaptation au système de valeurs et de normes de la société. Par rapport à de jeunes gens, la socialisation comprend par conséquent l’éducation, mais est cependant plus que cela, car des influences sociales non voulues ne peuvent pas être mises entre parenthèse (voir à ce propos également les chap. 11 et 12). En résultat d’événements sociaux multifactoriels, des changements à long terme dans la structure de comportement et de la personnalité surviennent lors de la socialisation, qui génèrent également des erreurs d’adaptation et des troubles. Dans ce chapitre, nous souhaitons tout d’abord discuter de perspectives théoriques générales qui s’occupent du mode et de la phase du développement dans lesquels les troubles surviennent. Pour cela nous nous référons tout d’abord aux concepts de la vulnérabilité et de la résilience et les mettons en liens par la suite avec les présentations sur le stress des tâches du développement dans le développement individuel. La pluralité et la dynamique des conditions de survenue des troubles seront présentées en général dans les différents modèles causaux, qui décrivent des rapport d’action additifs et multiplicatifs et qui sont intégrés dans des modules d’interaction (voir Flammer, 1996). Dans le présent chapitre, nous chercherons cependant à présenter ces rapports/contextes d’action compliqués à l’aide d’exemples. Nous avons besoin pour cela d’approches explicatives sélectionnées, qui considèrent la socialisation de l’enfant selon des perspectives psychanalytiques, du lien et théoriques de l’apprentissage. En cela, dans le concept de tâches développementales, la possibilité d’acquisition d’un trouble n’est pas limitée à une tranche d’âge spécifique ; la psychanalyse et la théorie du attachement peuvent être vues comme des théories spéciales des tâches développementales, qui les localisent sur l’enfance précoce. Les théories de l’apprentissage ne sont pas – comme les tâches développementales – fixées à des tranches d’âges particulières. 2. Développement et trouble du développement : vulnérabilité et résilience Dans beaucoup de modèles de socialisation, la discussion de base quant à la survenue des troubles du développement est renvoyée au rapport entre les facteurs de vulnérabilité et de protection, même si les approches explicatives détaillées sur les mécanismes du trouble peuvent être très nombreuses (voir chap. 7). Dans la discussion actuelle sur le terme de vulnérabilité, on la différencie en une vulnérabilité non spécifique et une spécifique. La vulnérabilité spécifique décrit une caractéristique latente et relativement stable ou une tendance à des modalités dysfonctionnelles spécifiques de la gestion du stress et une adaptation d’une personne et une fragilité augmentée envers des types spécifiques de troubles (Ingram & Price, 2001), alors que la vulnérabilité non spécifique prédispose 2 généralement à une probabilité plus élevée pour les troubles. Il est souvent différencié entre la vulnérabilité déterminée génétiquement et celle déterminée par l’environnement (Price & Lento, 2001). La stabilité de la vulnérabilité est toutefois relative, dans la mesure où elle peut être renforcée et atténuée par des conditions de vie correspondantes ou aussi par des phases de vie (voir ci-dessous). En cela, il apparaît significatif, si une vulnérabilité est déjà présente à la naissance. Elle peut être déterminée génétiquement ou par des influences environnementales d’avant la naissance (vulnérabilité primaire) ou se former après la naissance par des influences environnementales (vulnérabilité secondaire), voire se développer en interaction (voir chap. 7) et le cas échéant être liée à des phases ou des condition spécifiques de vie, en tant que vulnérabilité différenciée selon l’âge (voir Cicchetti &Toth, 1997). Dans les explications d’adaptations manquées et des troubles psychiques, les modèles de socialisation relient généralement les effets d’influences nocives avec des facteurs protecteurs, qui agissent contre les conditions du trouble. De là il est admis que les troubles sont d’autant plus probables, que moins on ne peut avoir recours à des facteurs de résilience ou de protection. Les facteurs de résilience désignent des caractéristiques ou des compétences qui décrivent la capacité d’un individu pour une adaptation appropriée même dans des circonstances non favorables ou menaçantes (Masten, Best & Garmezy, 1990). Cela peut par exemple être constaté pour des caractéristiques particulières du tempérament, qui déclenchent des réaction protectrices de l’environnement. Cependant, les facteurs de résilience peuvent aussi être constatés dans des types de comportement, qui mènent à des interactions individu-environnement positives, comme cela est connu de la sociabilité, la pondération et l’autonomie, mais aussi dans des capacités de communication et de résolution de problèmes bien développées (Werner, 1999). Les facteurs de protection se réfèrent en revanche directement à l’environnement et visent en particulier les réseaux sociaux de soutien dans lesquels la compétence éducative des parents et leur qualité de relation jouent un rôle central dans le développement vers l’âge adulte (voir paragraphe 4). 3. Troubles dans l’évolution du développement : le concept de tâches développementales Comme les troubles psychiques sont le plus souvent étroitement liés avec le développement individuel d’un individu, les déroulements de développement et les changements au cours du temps sont devenus les thèmes centraux de la plupart des approches explicatives pour les erreurs d’adaptation et la survenue de troubles. Ainsi comme le concept de phases sensibles de périodes provisoires décrit une prégnance particulière ou une capacité d’apprentissage, la vulnérabilité différentielle selon l’âge est comprise comme une susceptibilité particulièrement grande dans certaines phases de vie. L’enfance, l’adolescence et l’âge comptent dans ces phases (Cole & Putnam, 1992). L’hypothèse « Burden » postule par exemple que les personnes d’âge moyen sont particulièrement vulnérables en raison de leur grande responsabilité dans des domaines importants professionnels ou de vie (voir Maercker, 1999). La solution réussie des tâches liées à l’âge a été présentée par Havighurst (1982) dans le centre d’une théorie du développement, qui comprend le développement individuel d’un individu comme la suite de tâches déterminées biologiquement, culturellement-socialement ou personnellement, dont dépend la solution réussie d’un 3 développement libre de trouble. Le développement est par là décrit comme un processus s’étendant sur toute la vie dans une séquence de tâches d’adaptation et de développement, comme elle l’est par exemple dans la formation de relations de attachements dans les premières années ou dans la recherche identitaire et professionnelle pendant l’adolescence (voir aussi Baltes, Reese & Lipsitt, 1980 ; Flammer & Avramakis, 1992). Si les ressources ne sont pas à disposition pour la gestion de ces tâches de développement et/ou si leur gestion est perturbée par des stresseurs supplémentaires et des facteurs nocifs de l’environnement (voir tableau 1), les troubles psychiques peuvent survenir, ou une vulnérabilité augmentée peut au moins s’installer. En lien avec le terme de tâches développementales est le terme de Life-Event (voir chap. 11) ; les tâches de développement sont en partie des LifeEvents (par ex., le mariage), parfois il s’agit de classes d’événement séparés chaque fois (Exemple de Life-Events, qui ne présente cependant pas de tâche développementale : perte de l’emploi ; Exemple d’une tâche développementale qui n’est pas un Life-Event : propreté). Tableau 1 : Tâches développementales, sources de troubles typiques aux tâches (voir Havighurst, 1982 ; Newman & Newman, 1975) Période Tâches développementales • • • • • • • • • • • Adaptation au rythme sommeil-nutrition Formation du lien Apprentissage du langage Position verticale Contrôle des organes d’élimination Différenciation de l’organisation psychosexuelle Autonomie Adaptation sociale Orientation des performances Acquisition des techniques culturelles Établissement des rôles sexuels Préadolescence, adolescence : 12 à 18 ans • • • • Recherche d’identité Adaptation à la maturation sexuelle Recherche de l’identité sexuelle Séparation de la maison parentale Jeune adulte • Formation professionnelle • Recherche de l’identité professionnelle • Recherche du partenaire et souvent fondation d’une famille • Éducation • Laisser sortir les enfants de la maison familiale • Poursuite du développement de la relation avec le/la partenaire • Stabilisation professionnelle • Fin de la vie professionnelle • Nouveaux rôles sociaux • Affaiblissement des capacités fonctionnelles • Adaptation à la perte du partenaire Enfance précoce : 0 à 3 ans Préscolaire, scolarité : 3 à 12 ans Adulte moyen Adulte âgé Sources de troubles sociales typiques aux tâches Interaction mère-enfant perturbée : privation et perte de la mère ; expérience de violence ; négligence et abus ; déprivation sociale Parents fortement directifs et punitifs ; environnement éducatif demandant trop ou pas assez ; échec dans le domaine des performances ; famille désorganisée ou surorganisée Famille désorganisée ou surorganisée ; tabouiser la sexualité ; modèles inadaptés ; conditions familiales freinant l’autonomie Échec au niveau des capacités ; mauvaises conditions de travail Déficit de ressources sociales Conditions de retraite rigides ; perte du contrôle et des renforcements par la retraite et l’âge Comme les individus passent une grande partie de leur vie dans la famille, qui leur est soumise en tant qu’un petit groupe d’un processus de développement et pouvant être décrite comme une séquence de tâches développementales, le développement individuel dépend également de la gestion réussie de ces tâches de développement familiales (Schneewind, 1995). Par exemple, la formation du couple et la parentalité 4 exigent une réorganisation significative du comportement, le plus souvent liée à des conflits. Toutefois, les discussions actuelles sur les tâches de développement familiales se réfèrent surtout au phénomène du divorce, qui provoque de temps en temps de nouvelles et diverses transitions dans le développement (Fthenakis, 1995). Ces transitions particulières dans le développement familial placent la famille face à de nouvelles exigences, et trouvent leur expression particulière dans la famille monoparentale ou dans la famille recomposée après un remariage du partenaire divorcé (Carter & McGoldrick, 1989). On suppose que ces transitions représentent des phases de la susceptibilité particulière de la constellation familiale, dans laquelle l’action familiale et l’action individuelle peuvent facilement aller de pair. Cela peut mener à des conflits pouvant former la base pour la survenue de troubles psychiques. Schneewind (1995) considère donc les liens familiaux comme une tâche développementale surordonnée (méta tâche de développement), dans laquelle développement individuel de l’autonomie doit pourtant rester présent. 4. Troubles comme conséquence d’une histoire pulsionnelle non gérée : le modèle psychanalytique 4.1 Hypothèses psychanalytiques générales Freud (1917) a été le premier à proposer un modèle explicatif complet pour le développement et le maintien des troubles psychiques. La vulnérabilité de la personne concernée est vue dans des facteurs génétiques-constitutionnels et les causes originaires pour un trouble localisées en particulier dans la relation enfantmère-père. La constellation oedipienne durant l’enfance précoce est thématisée comme conflit social central. La manifestation d’un trouble se manifeste toutefois souvent seulement durant l’âge adulte, durant des phases de labilité psychique. La psychanalyse comprend les troubles psychiques comme le résultat de tâches de développement non gérées et déterminées biologiquement, définies dans le cadre du développement de la libido de l’enfant. L’enfant passe par les phases orale, anale, phallique, oedipienne et génitale, dans lesquelles il éprouve les satisfactions de ses besoins selon son développement et est à la fois soumis aux stimuli de refus, d’échec, liés à son développement (Freud, 1905). Les névroses sont la catégorie de trouble la plus importante étudiée par Freud. Les « affections psychogènes » y sont comprises de telles manière que « les symptômes sont l’expression symbolique d’un conflit psychique trouvant ses racines dans l’histoire infantile du sujet et constituant des compromis entre le désir et la défense » (Laplanche & Pontalis, 1973, p. 325 ; 1967, p. 267 pour la version française). Le point de départ de la survenue d’une névrose est formé par les situations traumatiques. Selon la terminologie de la psychanalyse, une pulsion peut être si forte que le Moi ne peut plus gérer sans problème les tensions dans le champ du conflit des intérêts du Moi, du Surmoi et des exigences de la réalité. Les situations traumatiques surviennent le plus souvent par le refus et à partir de là, par un empêchement de la satisfaction de la pulsion. Cette dernière peut être accompagnée par des mécanismes de défense comme la fixation (attachement de la libido à des buts et objets pulsionnels infantiles), la régression (réorganisation du comportement à une étape de développement antérieure, moins différenciée), le refoulement (répression d’un besoin pulsionnel) et les formations de symptômes, et être interprétés comme formation de compromis entre les différentes exigences. 5 Différentes hypothèses concernant des troubles spécifiques sont faites en lien avec les conditions de socialisations perturbées dans chaque phase du développement de la libido. On suppose que le développement de l’identité de l’enfant est marquée par la phase spécifique dont la conséquence est la formation du caractère oral, anal ou génital. En cas d’échec, une structure de caractère névrotique devrait se renforcer ou la disposition pour un trouble névrotique ultérieur s’établir. Ainsi, on suppose que les expériences traumatiques dans la phase orale vulnérabilisent pour les troubles schizophréniques et dépressifs, celles dans la phase anale pour les troubles obsessionnels et celles dans la phase génitale pour les troubles hystériques. 4.2 Approche explicative spécifiques à des phases pour la survenue des troubles psychiques La base des nouveaux concepts psychanalytiques d’échec dans l’adaptation et de troubles psychiques est formée par les besoins humains fondamentaux, les plus importants étant définis comme le besoin de dépendance ou de sécurité, le besoin d’autonomie, les besoins sexuels et agressifs, ainsi que les besoins narcissiques (Hoffmann & Hochapfel, 1999 ; Mertens, 1996). Ces besoins fondamentaux sont mis en lien avec des phases spécifiques du développement précoce de l’individu, de la manière suivante : Durant la première année de vie (phase orale), le vécu de la dépendance émotionnelle est considéré comme le vécu le plus important de l’enfance précoce (Hoffmann & Hochapfel, 1999). Il est vécu de manière très profonde par l’enfant à environ six mois, quand il tente de différencier les personnes de confiance qui prennent soin de lui des personnes étrangères. Jusqu’au huitième mois environ, l’enfant se vit dans ses fantaisies comme « tout-puissant » (« narcissisme primaire ») (a.a.O.) ; ensuite cependant il réagit avec des angoisses lors de séparations ou à la vue de personnes étrangères. Si les besoins de dépendance et de proximité ne sont à ce moment-là pas adéquatement pris en compte, alors des angoisses de séparation peuvent survenir plus tard. La continuité de l’encadrement devrait soutenir la « confiance originaire », alors qu’un changement fréquent des personnes de références devront mener à des troubles du développement, car un environnement sécure est considéré comme la base de la confiance en soi ultérieure (voir aussi paragraphe 4). Selon l’approche psychanalytique, durant la phase anale de l’enfance précoce (deuxième et troisième année), la satisfaction des besoins d’autonomie et d’agressivité joue un rôle central, et est surtout considérée en lien avec le développement des muscles corporels. Un apprentissage échoué du « retenir » et du « lâcher » adaptés à la réalité, prédispose à des structure de caractère de « rétention » à la différence des caractéristiques de caractère « captatives » de la phase orale. Une répression de l’effort d’autonomie de l’enfant, ainsi qu’une fixation excessive, sont mises en lien avec le développement d’un comportement destructeur possessif et obsessionnel (Hoffmann & Hochapfel, 1999). Pour les phases phalliques, oedipiennes ou infantile-génitale entre la quatrième et la sixième année de vie, d’autres concepts concernant l’explication de la causation des troubles psychiques ultérieurs ont été récemment opposés au recours classique au complexe d’Œdipe. Ainsi, Hoffmann et Hochapfel (1999) séparent les concepts d’angoisse de castration et d’envie du pénis de leur orientation exclusive au sexe masculin et placent l’intégrité corporelle des garçons et des filles au centre de leurs réflexions. L’identification avec le parent de même sexe comme adoption du rôle 6 sexuel est le thème de cette phase, un processus influencé de manière importante par des facteurs culturels et familiaux spécifiques. Si cette tâche de développement ne réussit pas, alors il y a prédisposition pour des troubles anxieux, selon l’hypothèse psychanalytique (Mertens, 1996). 4.3 Etudes empiriques visant la preuve des hypothèses psychanalytiques Bien que les concepts psychanalytiques de l’étiologie des troubles psychiques soient entrés en grande partie en psychiatrie, en psychothérapie et en psychologie du quotidien, son application clinique au cas singulier n’offre pour cette raison que peu de preuves permettant des généralisations, car ni l’introspection des patients, ni les observations du thérapeute traitant ne peuvent livrer en eux-mêmes des inférences valides sur les processus psychique (voir Grünbaum, 1984). Sur la base des méthodes de la recherche empirique sociale, on a cependant déjà durant les années 40 commencé à vérifier des hypothèses psychanalytiques centrales. Suite à cela quelques hypothèses, concernant surtout typologie freudienne du caractère (voir ciavant) se sont révélées comme nécessitant des corrections ; pour une grande partie des hypothèses, les résultats empiriques manquent encore aujourd’hui. Dans plusieurs études sur la personnalité, on trouve certes des motifs pour la description du type de caractère anal avec les caractéristiques de la parcimonie, de l’ordre et de l’entêtement, qui se sont révélées comme étant configurées de manière trop aléatoire (Kline, 1981). On trouve aussi des aspects de la personnalité dans les constructs caractéristiques de l’optimisme ; pour le type de caractère génital, aucun motif concernant les constructs de la personnalité ne se laisse étayer actuellement. Ce sont surtout les hypothèses sur la survenue des types de caractère qui sont totalement intenables. La nutrition de l’enfance précoce et l’entraînement à la propreté n’ont aucune valeur prédictive pour l’expression des caractéristiques du caractère anal (Kline, 1981), de même que les expériences de l’enfance précoce comme prédicteurs isolés n’ont généralement qu’une faible valeur prédictive pour la structure de personnalité ultérieure (Schaffer, 1977). Cela est spécialement valable pour la valeur prédictive différentielle de troubles spécifiques, qui ne se laissent étayer au niveau empirique ni par rapport à différents types de névroses, ni par rapport aux troubles psychotiques. Par exemple, Ernst et Klosinski (1989) n’ont trouvé aucun événement particulièrement traumatisant durant la phase anale chez les enfants et les adolescents souffrant de troubles obsessionnels (voir encart 1). Encart 1 Étude sur l’étiologie des troubles obsessionnels-compulsifs (Ernst & Klosinski, 1989) Questions La psychanalyse postule pour l’étiologie des troubles obsessionnels névrotiques une fixation prédominante dans la phase de l’organisation prégénitale, au niveau des pulsions érotiques-anales et sadiques (deuxième et troisième année de vie). Est-ce qu’il y a eu une perturbation durant la phase anale chez les enfants et les adolescents avec un diagnostic actuel de « névrose obsessionnelle » ? Méthode 7 * Echantillon : 113 enfants et adolescents souffrant de névrose obsessionnelle, traités entre 1973 et 1984 de manière ambulatoire (N = 89) ou stationnaire (N = 24) dans une clinique universitaire psychiatrique pour enfants et adolescents, et 2'957 patients de comparaison de la même clinique avec d’autres diagnostics. * Plan de recherche : Etude rétrospective : Analyse descriptive des caractéristiques critiques chez le groupe obsessionnel, et comparaison de groupe entre des enfants et adolescents obsessionnels et d’autres patients * Méthode d’évaluation : Analyse de l’histoire de la maladie des deux collectifs de patients par rapport aux formes et aux contenus des obsessions, aux relations aux parents et frères et sœurs, au développement de la personnalité et particulièrement par rapport au stress psychique entre 0 et 6 ans (événements particuliers avant la survenue du trouble durant cette phase ?). Résultats * Stress psychiques entre 0 et 6 ans : Chez les patients nerveux obsessionnels, la phase anale était marquée par des événements particuliers seulement dans deux cas. Des troubles dans le développement de la propreté n’étaient pas présents. On retrouvait souvent des exigences trop fortes pour la phase, au niveau des performances et au niveau social. * Répartition des sexes : renvoie à une surreprésentation des garçons (79%) en comparaison aux filles (21%), à la fois en traitement stationnaire et en traitement ambulatoire. * Famille de provenance : La part de fonctionnaires dans la famille dans le collectif des patients obsessionnels est deux fois plus élevée que dans le collectif de comparaison. De même, on retrouve souvent des rapports familiaux formelsintactes chez les patients obsessionnels et chez les autres. * Contenus et impulsions des obsessions : L’appréhension la plus fréquente résidait dans la peur que la mère pourrait frapper (zustossen) quelque chose, suivi de la peur d’intoxication et de maladies. Les contenus sexuels ne survenaient qu’à la puberté. Les impulsions obsessionnelles chez les filles – différentes que chez les garçons – portaient constamment sur le meurtre d’un individu, le plus souvent dirigé vers la mère (réaction pulsionnelle oedipale ?). Les auteurs renvoient au développement précoce du surmoi avec de fortes représentations morales et de valeurs. L’hypothèse sur la signification différentielle des troubles dans la phase anale pour le développement des névroses obsessionnelles n’a pas été confirmée. Quelques hypothèses fondamentales de la théorie du développement psychanalytique, comme le concept d’« autisme normal », de « narcissisme primaire », de « complexe d’Œdipe », ainsi que de « phase symbiotique » (que le nourrisson perçoit dans l’état d’indifférenciation entre soi et le monde des objets) ont été remises en question par la recherche moderne sur le développement (Greve & Roos, 1996 ; Lichtenberg, 1991 ; Stern, 1985). Pourtant, c’est la recherche psychanalytique sur le nourrisson qui a mené à des débats scientifiques fructueux – comme par exemple par rapport au concept de « représentant interne » et de son développement en tant que « structures d’organisation interactionnelles inconscientes » (Zelnick & Buchholz, 1991). Dans ce cas, le contact interindividuel est remis au centre des considérations et de nouvelles conceptualisations ont été 8 développées, liées par exemple aujourd’hui avec les concepts de schéma (Stern, 1985) ou de Internal Working Model de la théorie de l’attachement (Bowlby, 1988). Les résultats de la recherche empirique laissent cependant planer un doute général sur le fait que la sexualité de l’enfance précoce serait à déterminer comme facteur décisif et différentiel pour le développement de troubles ultérieurs. En revanche, des troubles durables de l’interaction et les pertes aggravantes liées aux séparations forment des schémas et des représentations mentales du soi, de la personne de référence et de l’environnement augmentant la vulnérabilité pour les troubles, voire déclenchant directement les troubles (Stern, 1995). Que les expériences stressantes de l’enfance puissent généralement être vulnérabilisantes pour l’acquisition de troubles, a toujours été démontré. Ainsi, plusieurs études longitudinales ont confirmé une série de facteurs de risque biographiques pour la survenue de troubles psychiques et psychosomatiques (voir Egle, Hoffmann & Steffens, 1997 ; Grossmann, 2004). La psychanalyse a – c’est un gain historique – très tôt insisté sur l’importance de l’enfance précoce comme phase durant laquelle les vulnérabilités peuvent se greffer. Elle a cependant postulé à tort des processus psychodynamiques dysfonctionnels dans cette phase, en tant qu’antécédents nécessaires pour le développement ultérieur de certains troubles. 5. Troubles comme conséquence de l’échec du développement relationnel : le modèle théorique de l’attachement 5.1 La signification des relations sociales précoces dans le développement individuel des êtres humains En sachant que le nourrisson humain est né trop vite du point de vue biologique (Portmann, 1956) et que ses chances de survie dépendent en grande mesure de son environnement de soutien, le modèle théorique de l’attachement considère le jeu entre l’interaction petit enfant-environnement et surtout les mécanismes sociaux du système mère-enfant. Les relations sociales précoces de l’enfant sont aussi considérées dès le début comme une occasion de survenue des troubles psychiques (Bowlby, 1953), quand leur fonction de base d’établissement et de maintien de la proximité avec une personne adulte de soutien ne peut pas être remplie. La proximité garantit la protection et représente une stratégie de survie très importante, pour laquelle – malgré les fonctions corporelles et comportementales encore immatures du nouveau-né – un système de comportements existe. Ce comportement d’attachement est formé de manière semblable chez l’être humain et l’animal, de sorte que les études éthologiques partent d’un système de tendances de comportements génétiquement prédisposées, pouvant mener en retour à des processus d’adaptation liés à l’évolution biologique (Bowlby, 1969, 1973 ; Harlow, 1958). Le comportement actif consistant à suivre ou à s’agripper au corps de la mère – comme cela est connu pour beaucoup de petits d’animaux – n’est cependant présent chez le nouveau-né humain que sous une forme rudimentaire et à peine fonctionnelle. A la place de cela, les techniques précoces de communication sont considérées comme une alternative (humaine) unique en son genre, d’établir de la proximité et de savoir la maintenir. Bowlby appelle comportement d’attachement chaque comportement d’enfant apte à organiser la proximité de la mère et son comportement de soin. Au début, la proximité est souvent établie à travers les pleurs. 9 Bientôt suivent les cris et les vocalisations, à côté d’une palette complète de moyens d’expression non verbale, puis plus tard la parole. La formation de la relation d’attachement est un processus interactionnel. Le bébé apprend au travers de contacts visuels durables à lire le visage de la personne qui prend soin de lui, à interpréter son expression émotionnelle et à calculer sa disposition à l’attention ou au soutien (Hrdy, 2002). Les relations d’attachement primaires (généralement avec la mère), dont la réussite implique de manière significative la personne de soin, sont développées sur cette base, mais peuvent toutefois considérablement varier. 5.2 Les relations d’attachement 5.2.1 Caractéristique générale de la relation d’attachement et ses variations Les relations de attachement sont une forme particulière de relations sociales qui ne s’établissent qu’avec quelques personnes et qui se caractérisent par la sécurité et la confiance. Elles sont d’abord acquises durant l’enfance dans le cercle direct (et élargi) de la famille, mais peuvent aussi s’étendre aux éducateurs et à la maman de jour (survol chez Ahnert, 2004). L’attachement mère-enfant en tant que relation d’attachement primaire reçoit une importance particulière, car l’enfant, dans cette relation, établit des caractéristiques prototypiques à la fois pour le comportement social général ultérieur que pour le comportement spécifique vis-à-vis du partenaire (amitié, mariage), reflétant en même temps sa propre identité sociale. Est-ce que la personne de l’attachement primaire doit être la mère ? Cette question occupe la recherche depuis les années 70, et on suppose que la fonction devant assurer la sécurité peut aussi être adoptée par une autre personne (par ex., le père), si cette personne se soucie de l’enfant de manière digne de confiance, avec sensibilité et de manière stable (voir Ainsworth, Blehar, Waters & Wall, 1978). Les enfants peuvent par conséquent former déjà très tôt une relation d’attachement avec plus d’une personne. Dans ces cas, il semble que l’enfant développe une hiérarchie de préférences pour tel partenaire de l’interaction, à tel point que dans des situations incertaines c’est la mère qui est favorisée, si elle est disponible, et dans des comportements d’exploration, c’est le père (voir Grossmann, 2004). Bowlby (1969) a été l’un des premiers scientifiques en psychologie et en biologie à utiliser les aspects cybernétiques des mécanismes en boucles en cours, pour pouvoir concevoir la relation d’attachement comme un modèle dynamique, se réglant de manière continue selon les nouveaux changements de l’environnement. Un terme central dans ce modèle est l’Internal Working Model (IWM) qui représente au niveau intrapsychique les expériences relevant de l’attachement de l’enfant et caractérise le soi et la personne d’attachement dans cette relation (voir aussi Bretherton, 1985). L’IWM se développe d’abord avec le temps vers une représentation mentale stable de l’attachement. Le concept de l’IWM peut aussi être mis en relation avec d’autres concepts de la représentation de soi et de l’environnement, que ce soit avec le concept de « représentant interne » dans la nouvelle psychanalyse (voir paragraphe 4.3) ou aussi de concept cognitif du « modèle de soi et de situation » (Schwarzer, 1981), qui organise les attitudes durables, les convictions relatives à soi et à la situation, et les attentes (voir aussi paragraphe 5.4). Comme la relation d’attachement a en première ligne une fonction de maintien de la protection et régule le comportement de l’enfant surtout dans des situations d’insécurité, un petit enfant irrité dirigera son comportement vers la mère – sous la 10 forme de recherche de proximité et de contact – dans une relation où la sécurité de l’attachement est établie (voir attachement sécure). La mère fait donc office de base de sécurité. Sa proximité, ainsi que son mode de comportement consolateur aident l’enfant à gérer la peur et la détresse. À la différence de cette relation d’attachement sécure, les petits enfants montrent cependant aussi et de manière surprenante des modes de comportement qui évitent carrément la mère, par exemple en lui tournant le dos, en évitant les contacts visuels ou en s’éloignant de son contact ou de sa proximité directe, lorsque la mère veut offrir de l’aide et du réconfort à l’enfant irrité. Certainement pour ne pas du tout devoir exprimer la colère et la rage, ces enfants dirigent leur comportement loin de la mère et cherchent à se réguler émotionnellement eux-mêmes. Paradoxalement, cela maintient justement une proximité certaine avec la mère, car dans de telles relations d’attachement insécuresévitantes, les expressions émotionnelles inadaptées de l’enfant n’éclatent pas et l’interaction mère-enfant peut être poursuivie de manière régulière (voir Main, 1981). Il existe une variante insécure-ambivalente de la relation d’attachement dans laquelle l’enfant ne veut pas réussir à retrouver la sécurité émotionnelle au contact de la personne d’attachement. Il cherche du contact et s’en éloigne par la suite pour à nouveau faire un essai de la fonction de proximité apportant de la sécurité. Alors que la recherche actuelle sur l’attachement s’attache aux conséquences psychologiques du développement de ce pattern de l’attachement insécure (voir Ahnert, 2005), les patterns d’attachement désorganisés sont considérés unanimement comme psychopathologiques dans le développement. Les patterns d’attachement désorganisés sont des relations dans lesquelles la personne d’attachement joue un rôle de transmission d’angoisse. Les sentiments de sécurité émotionnelle ne se laissent concevoir par aucune stratégie comportementale, de sorte que l’enfant produit des tableaux de comportement contradictoires et parfois bizarres (Main & Solomon, 1990). Pour observer la représentation mentale de l’attachement, Ainsworth et al. (1978) ont développé la situation étrange, dans laquelle deux brèves séparations entre l’enfant et la mère sont faites pour évaluer dans quelle mesure la mère fait office de base de sécurité lors de la deuxième séparation. La situation étrange est employée comme méthode prospective pour évaluer les conséquences psychologiques du développement des expériences précoces d’attachement. En revanche, l’Adult Attachment Interview (AAI) (George, Kaplan & Main, 1996 ; survol chez GlogerTippelt, 2001) peut être introduit chez les adolescents et les adultes comme procédure rétrospective, pour pouvoir retracer un écart de développement qui a eu lieu par le passé. Les deux procédures utilisent des systèmes de catégories analogues (voir encart 2). Toutefois, ils ne corrèlent ensemble que si les changements dans le contexte de soin de l’enfant restent limités aux tâches de développement nécessaires et ne sont pas perturbés par des événements de vie critiques supplémentaires (changement de lieu d’habitation, changement de prise en charge, divorce, etc.) (Lewis, Feiring & Rosenthal, 2000 ; Waters, Merrick, Treboux, Crowell & Albersheim, 2000). Encart 2 Brève description des catégories de l’Adult-Attachment-Interview par rapport aux catégories de la situation étrange (Main, 1996) Variations des relations d’attachement 11 Méthodes Sécure Insécure-évitant Insécureambivalent Désorganisé/ désorienté Situation étrange (Ainsworth et al., 1978 ; Main & Solomon, 1990) Comportement expressif émotionnel ouvert Expression émotionnelle cachée Consternation émotionnelle forte Comportement d’évitement de la proximité Comportement recherchant la proximité variant avec une résistance colérique au contact Comportement expressif aversif et bizarre (par ex., peur envers la personne d’attachement, mouvements gelés) Traitement des séparations brèves de la mère, en particulier lors de la deuxième séparation entre la mère et l’enfant (âge du petit enfant : 12e au 18e mois) Adult Attachment (George, Kaplan & Main, 1996) Narration des expériences d’attachement durant l’enfance (adolescence et âge adulte, à partir de la 16e année environ) Recherche de proximité et maintien du contact dans le but de réduire le stress Retour à l’exploration Concentration sur l’interaction et l’exploration Réduction lente du stress Le stress ne peut pas être réduit Contradictions dans la stratégie d’attachement (par ex., recherche la proximité de la personne d’attachement pour l’ignorer) Très faible interaction et exploration Sécureautonome Insécureesquivé Insécurepréoccupé Non travaillé/ traumatisé Valorisation des expériences d’attachement Dévalorisation de l’attachement Passivité du discours, rappel de détails non pertinents Rappel d’expériences traumatiques, avec des particularités langagières Formation cohérente et évaluation positive des propres expériences d’attachement Incohérence dans la formation des propres expériences d’attachement : manque de souvenirs, manque d’intégration des expériences, idéalisation de la personne d’attachement Évaluations répétées et contradictoires des propres expériences d’attachement Colère envers la personne d’attachement 5.2.2 La qualité des soins et la disponibilité de la personne d’attachement La disponibilité et l’attention de la personne d’attachement est la variable la plus importante dans le modèle théorique de l’attachement. Les déclencheurs significatifs pour l’acquisition des différentes variantes d’attachement sont situés dans cette variable. Bowlby (1973) part du principe que la sécurité d’attachement ne peut être atteinte que dans le cadre d’un soin continu et sensible de l’enfant. Les expériences de séparation (par une absence durable des parents, ou par le soin apporté par une famille externe ; Heinecke & Westheimer, 1965) ou les soins sous-optimaux apportés par les mères ont été considérés dans les débuts du développement de la théorie comme point de départ pour le développement d’un attachement insécure. Ces soins sous-optimaux sont vécus comme pauvres en expression émotionnelle et rejetant (Matas, Arend & Sroufe, 1978), ou comme éducation trop précoce à l’autonomie (Grossmann, Grossmann, Spangler, Suess & Unzner, 1985). La sensibilité/ insensibilité de la personne d’attachement (aussi réponse ou tact) a été ainsi l’un des 12 paramètres les plus étudiés du modèle théorique de l’attachement (voir De Wolff & van Ijzendoorn, 1997). La procédure d’évaluation originale développée par Ainsworth, Bell et Stayton (1974) pour l’évaluation de la sensibilité, échoue traditionnellement à saisir la rapidité et l’adéquation, avec lesquelles les mères répondent aux signaux de leurs enfants (voir aussi Lohaus, Ball & Lissmann, 2004). Pour décrire le comportement de soin maternel dans les relations d’attachement désorganisées, encore et toujours mises en lien avec des mères traumatisées (par ex., par la propre perte d’une personnes d’attachement proche), une procédure évaluant aussi les écarts subtils dans le comportement maternel devrait être introduite (par ex., Lyons-Ruth, Bronfman & Parsons, 1999). 5.3 Echec de l’acquisition ou maintien problématique de la sécurité de l’attachement et ses conséquences 5.3.1 Manque d’adaptation du comportement Dans les relations d’attachement primaire, les enfants développent surtout l’identité et le sentiment d’estime de soi. Dans des relations d’attachement sécure, ils se sentent comme dignes d’amour et de protection ; leurs mères contribuent par exemple à leur apaisement dans des situations de stress, même lorsque la relation à l’enfant y est fortement éprouvée. Dans des relations d’attachement insécures, en revanche, l’enfant doit former sa propre capacité de régulation émotionnelle. Comme ces capacités sont cependant insuffisamment développées, les propres stratégies de gestion demeurent non satisfaisantes et mènent à une estime de soi négative. En outre, les attentes de ces enfants par rapport au soutien social sont à peine formées, ils apparaissent généralement moins ouverts socialement et moins compétents (Elicker, Englund & Sroufe, 1992). Chez les enfants avec un pattern d’attachement désorganisé, une forme adéquate de relations sociales est complètement mise en question (Zulauf-Logoz, 2004). A partir de cette perspective du développement de l’identité, il n’est que compréhensible que la recherche sur l’attachement ait cherché pendant longtemps à localiser les conséquences des expériences dysfonctionnelles d’attachement directement dans les erreurs d’adaptation sociales qui ont suivi. Comme tout autre facteur de risque ou de protection dans le développement d’un enfant, les expériences d’attachement déploient toutefois aussi leur effet d’abord en combinaison avec d’autres facteurs de la réalité de vie de l’enfant, d’où le fait que des liens plutôt non linéaires sont la règle et que les tranches d’âges, ainsi que la durée des effets du facteur jouent un rôle significatif (voir chap. 7). Il y a un nombre incalculable d’études sur des échantillons normaux n’ayant réussi que moyennement à prouver que les perturbations dans l’adaptation du comportement (par ex., évalué par le Child Behavioral Checklist ; CBCL) sont la conséquence d’un manque de sécurité d’attachement (survol chez Greenberg, 1999). Ces modèles explicatifs monocausaux ont donc été supplantés par des modèles considèrant les expériences précoces d’attachement en interaction avec d’autres facteurs. Ainsi, par exemple, un comportement externalisant de type attachement insécure a été autrefois observé chez des garçons âgés de six ans, mais pas chez les filles (Lewis, Feiring, McGuffog & Jaskir, 1984) ; dans la 13e année de vie, cet effet lié du sexe avait complètement disparu (Feiring & Lewis, 1997). L’étude NICHD, incluant plus de 1000 enfants de la naissance à la moitié de l’enfance, a pu remontré cette influence d’expériences 13 d’attachement insécures, spécifique au sexe, sur l’adaptation du comportement des garçons et des filles (McCartney, Owen, Booth, Clarke-Stewart & Vandell, 2004), mais un effet principal de l’insécurité de l’attachement sur un quelconque domaine de développement des enfants de cet échantillon normal n’a pas pu être montré. 5.3.2 Gestion des séparations répétées ou discontinuité dans le soin Dans la présentation originale des modèles théoriques de l’attachement, les vécus répétés de séparation appartenaient aux stratégies et contextes de soin suboptimaux, car l’attachement primaire se développerait d’autant plus de manière sécure, que plus stable et prévisible seraient les structures d’interactions. Bowlby (1973) était convaincu que le petit enfant n’a que des capacités de mémorisation très instables et par conséquent n’est pas en mesure de former un pattern stable de relations lorsque les expériences de séparation interrompent continuellement ce processus. Il s’en suit que « [pour les séparations] la dose la plus sûre est la dose nulle (Bowlby, 1980) ». La recherche empirique actuelle a toutefois montré à plusieurs reprises qu’en dépit de la discontinuité dans les soins maternels, la relation mère-enfant se développe et peut se maintenir. Ainsi, les craintes selon lesquelles le recours précoce à un encadrement de jour limite nécessairement la relation parents-enfant ne se sont pas révélées. Dans l’étude NICHD (NICHD ; Early Child Care Research Network, 1997), la sensibilité maternelle était l’influence dominante sur la sécurité de l’attachement de l’enfant, indépendamment du fait de savoir si l’enfant est soigné uniquement à la maison ou en dehors de la famille. La combinaison de soin insensible à la fois à la maison et à l’extérieur de la famille était toutefois liée très fréquemment avec des attachements mère-enfant insécures. Cela montre qu’un mauvais encadrement quotidien est plutôt accepté par les mères insensibles et que cette combinaison influence ensuite de manière plutôt problématique les relations mère-enfant. Ahnert et Lamb (2000, 2003) attirent avec insistance l’attention sur le fait que le domaine d’encadrement partagé doit aussi être équilibré au niveau temporel, afin que la sécurité d’attachement puisse rester maintenue. Le changement quotidien d’encadrement présente un stress considérable pour un petit enfant. Les effets négatifs de ce stress peuvent être amortis, surtout dans les premiers temps, par des programmes d’adaptation impliquant les mères. En réalité, il a été montré que les mères, dans leur fonction de base de sécurité, facilitent à l’enfant la reconnaissance du nouveau contexte d’encadrement, en aidant à réduire le stress de l’enfant et en maintenant en même temps la qualité de la relation (Ahnert, Gunnar, Barthel & Lamb, 2004). 5.3.3 Expérience d’attachement et divorce Des conflits parentaux durables, ainsi que le divorce des parents, peuvent aussi être une importante source d’irritation pour les expériences d’attachement de l’enfant (Cummings & Cummings, 2002). Cela a pu être attesté à plusieurs reprises avec l’AAI montrant chez les adolescents de parent divorcés, une surreprésentation des représentations d’attachement insécures (Lewis et al, 2000), observation particulièrement étayée pour les garçons (voir aussi Napp-Peters, 1995). Böhm et Grossmann (2000) rapportent que les garçons de 10 à 14 ans de familles divorcées avaient des problèmes de gestion dans des situations de stress émotionnel et se sentaient moins adaptés dans de nouvelles situations comparés à des garçons du 14 même âge issus de familles intactes. Durant les entretiens, les garçons ayant vécu des expériences de divorce évitaient les énoncés liés à l’attachement et voulaient à peine parler d’eux-mêmes et de leurs relations avec les autres. D’autres études avec un design longitudinal trouvaient même que les expériences de divorce des jeunes influençaient encore plus négativement la représentation de l’attachement durant l’enfance précoce que les expériences d’encadrement sous-optimal (comportement maternel insensible) (Beckwith, Cohen & Hamilton, 1999) (voir à ce sujet aussi le chap. 37.2). Toutefois, il existe une série d’études qui n’ont trouvé aucune influence directe d’un divorce sur le maintien d’un attachement sécure des enfants et des adolescents (par ex., Clarke-Stewart, Vandell, McCartney, Owen & Booth, 2000 ; Kier & Lewis, 1997). Elles rendent d’autant plus pressante la discussion actuelle sur les mécanismes d’influence psychologiques des situations de divorce. Hazelton, Lancee et O’Neil (1998) ont par exemple montré qu’en supprimant l’expérience d’attachement négative avec le parent divorcé, les jeunes adolescents montraient une meilleure représentation de l’attachement que les adolescents qui étaient encore soumis à de telles expériences négatives dans des familles non divorcées. Les adolescents de familles divorcées sont ainsi nullement a priori limités dans leur capacité d’avoir par la suite des relations de confiance à long terme. Bien plus, il a pu être montré que la nouvelle situation de la famille, ainsi que de nouvelles relations familiales acceptantes, peuvent soutenir ce processus de manière significative (Bretherton, Walsh, Lependorf & Georgeson, 1997 ; Hayashi & Strickland, 1998). 5.4 Echec de l’acquisition de la sécurité de l’attachement dans le contexte de risques de développement multifactoriels Tant que des développements d’attachement insécures n’exercent pas un effet principal sur des domaines particuliers de développement des enfants, des études sur des échantillons normaux peuvent à peine prouver les effets des développements de l’attachement. Par conséquent, des recherches sur des échantillons à risque est une stratégie plus adéquate. Elles peuvent répondre à la question de savoir comment chez quelqu’un ne montrant pas déjà un grand potentiel de risques de développement, les expériences d’attachement de l’enfant modèrent ces effets négatifs. Les risques peuvent déjà se trouver chez l’enfant dans des perturbations mentales, moteurs ou aussi développementales, par des maladies psychiques de ces parents, ainsi que dans des contextes de soins sous-optimal de pauvreté et de conflits. On suppose que les effets négatifs de ces risques sur le développement de l’enfant sont encore renforcés par une expérience d’attachement insécure. 5.4.1 Risques pour la santé et handicaps de l’enfant Par rapport au développement de l’attachement des enfants avec des risques pour la santé, la recherche sur l’attachement s’est surtout occupée des nouveau-nés. L’hypothèse consiste en ce qu’une irritation augmentée et des difficultés dans la coordination du comportement du nouveau-né ne laissent l’interaction mère-enfant fonctionner que de manière suboptimale et, par conséquent, l’insécurité de l’attachement doit forcément se développer. Comme le montrent justement différentes études sur la formation précoce de la relation, une structure de dialogue se développe dans la communication mère-enfant, soutenue par le maintien de longs 15 contacts visuels. Afin que le nourrisson maintienne cette structure de dialogue, il doit reconnaître que c’est son action qui a engendré la réaction qui a suivi. Par conséquent, il est très important que la préparation à l’action des personnes qui le soignent soit rapide, de l’ordre de moins d’une seconde (Keller, Lohaus, Voelker, Cappenberg & Chasiotis, 1999). Ce phénomène de contingence est généralement intuitivement manié de manière juste par les parents de l’enfant, même si l’art et la manière des réactions parentales peuvent varier fortement. Un manque de contingences mène en revanche à de grandes fluctuations émotionnelles, des pleurnichements et des cris et, chez les enfants non perturbés, à une diminution du comportement exploratoire (Diethelm, 1990). Ce manque de contingence mène en plus au fait que les nourrissons évitent de plus en plus les contacts visuels dans l’échange social et explorent aussi de manière moins attentive leur environnement physique, ce qui sont des indicateurs à prendre au sérieux pour le début de troubles relationnels et de développement (Keller & Zach, 1993 ; Papousek, 1999). Les nourrissons nés à maturité sont certainement plus facilement impliqués dan une communication contingente que les nourrissons prématurés. Beaucoup d’études ont pu cependant montrer qu’un cadre de soin sensible peut aussi la favoriser chez les enfants avec des risques liés à la santé et des handicaps (par ex., Easterbrook, 1989). On a pu montré de manière d’autant plus évidente que des prématurés et un cadre de soin suboptimal dans des familles à problèmes offrent un terrain pour le développement d’un attachement insécure (van Ijzendoorn, Goldberg, Kroonenberg & Frenkel, 1992). 5.4.2 Parents perturbés psychiquement comme handicap d’attachement La question se pose de savoir dans quelle mesure la formation du lien échoue quand un trouble psychique est présent chez la mère (ou la personne d’attachement), car un trouble affectif chez la mère ou une autre personne d’attachement primaire rend plus difficile un encadrement sensible de l’enfant. De telles personnes d’attachement sont limitées dans leur capacité de lire correctement et de réagir de manière précise aux signaux du bébé et du petit enfant. Nous renvoyons à ce propos au chapitre 37.2. Dans les faits, ce sont surtout les enfants de mères souffrant de troubles anxieux, ainsi que de dépressions uni et bipolaires, qui sont souvent voués à manquer le développement de sécurité d’attachement et qui tendent à des attachements mèreenfant souvent étonnamment désorganisés ou contenant des caractéristiques de désorientation (voir De Mulder & Radke-Yarrow, 1991 ; van Ijzendoorn, Schuengel & Bakermans-Kranenburg, 1999). Dans les échantillons cliniques discrets, aucun rapport n’est trouvé entre les valeurs de dépression des mères (transmis par questionnaires) et l’insécurité dans l’attachement des enfants (NICHD ; Early Child Care Research Network, 1997 ; 1999). Manifestement, ce sont pour les troubles dépressifs d’une intensité perturbant si fortement et si longtemps le comportement maternel, qu’une désorganisation de l’attachement en résulte. 5.4.3 Développement de l’attachement et maltraitance physique, psychique et sexuelle de l’enfant L’expression la plus lourde de conséquences d’une relation perturbée est la maltraitance physique, psychique et sexuelle de l’enfant. La plupart du temps, les conséquences néfastes sont à renvoyer au milieu durablement abusant plutôt qu’aux 16 événements isolés. L’étude longitudinale de Mannheim (Weindrich & Löffler, 1990) montre, par exemple, que les nourrissons négligés et/ou rejetés sont retardés mentalement déjà à la fin de la deuxième année de vie et manifestent plus de troubles du comportement que les enfants n’ayant pas vécu de telles expériences. Cependant, les troubles dans le comportement social sont particulièrement saisissant. Les taux extrêmement élevés de formes d’attachement désorganisées (80% ; Cicchetti, Toth & Lynch, 1995) attestent l’hypothèse que la peur de la figure d’attachement est un thème central dans le développement relationnel des enfants maltraités (van Ijzendoorn et al., 1999 ; Owen & Cox, 1997). Dans ce rapport, c’est surtout Crittenden (1999) qui a rendu attentif au fait que ces enfants développent des stratégies de communication auto-protectrices en lien avec leur environnement de soin, et qui cachent leurs véritables sensations et sentiments. Ici s’ajoute surtout la crainte que ce développement de communication ne détruise complètement la capacité relationnelle à long terme. Les dépressions, les perturbations de l’estime de soi et les troubles du comportement et du vécu sexuels sont des exemples de conséquences à long terme (Egle, Hoffmann & Joraschky, 1997). 5.5 Bilan : troubles de l’attachement et vulnérabilisation comme conséquence de la privation de mère et d’autres formes de déprivation La privation de la mère, la perte de la mère et d’autres formes de déprivation sociale ont été résumées par Ainsworth (1985) selon les variantes suivantes, pouvant survenir de manière différente et seules ou en combinaison : ` comme discontinuité de l’interaction (voir paragraphe 5.3.2) ` comme interaction perturbée qualitativement (voir paragraphe 5.2.2 et 5.4.3) et enfin ` comme interaction quantitativement insuffisante, à laquelle appartiennent le manque prise en charge et de stimulation de l’enfant par négligence. Les trois variantes de déprivation peuvent vulnérabiliser les enfants pour un trouble ultérieur ou mener directement à un trouble. Les troubles de l’attachement comme forme de psychopathologie grave sont introduits dans les manuels cliniques diagnostiques actuels de la CIM-10 et du DSMIV-TR comme trouble réactionnel de l’attachement en deux variantes (voir Brisch, 1999 ; Zeanah, 1996) : L’enfant, dans sa disposition à l’attachement face aux adultes, est soit inhibé de façon marquée et réagit avec ambivalence et peur face à sa personne d’attachement (type réactionnel ; F94.1), ou alors il montre une chaleur de contact sans distance et désinhibée envers les adultes en discriminant à peine les personnes d’attachement de confiance et les étrangers (type avec désinhibition ; F94.2). Les diagnostics sont faits en référence à une extrême négligence et maltraitance de l’enfant, ou interprétés comme réaction de l’enfant à la perte (à l’âge de cinq ans et plus jeune) d’une relation d’attachement déjà établie. Cette très étroite définition d’un trouble de l’attachement est aujourd’hui violemment controversée, car les troubles de l’attachement (a) peuvent se développer aussi dans d’autres contextes, (b) doivent vraiment caractériser une relation et ne s’expliquer qu’à peine par le comportement de l’enfant et enfin (c) concernent une relation enfant-personne d’attachement, mais pas la capacité d’attachement de l’enfant décrite tout bonnement comme pathologique (Lieberman & Zeanah, 1995). 17 Les études classiques sur la déprivation sociale (Bowlby, 1988 ; Schmalohr, 1975 ; Spitz, 1965) renvoient toujours à ces troubles spécifiques de l’attachement chez des enfants ayant vécu des expériences d’attachement pauvres en stimulation et sentiments, renvoyant à d’autres perturbations de la personnalité et intellectuelles. Les conséquences de la déprivation sociale ne sont cependant pour beaucoup pas si unitaires qu’on l’a supposé à l’origine. Les nouvelles études clarifient le fort potentiel de développement que les enfants déploient, quand ils doivent s’adapter à de nouvelles situations de vie – comme par exemple dans l’accueil dans une famille d’adoption. Toutefois, les formes psychopathologiques d’attachement désorganisées restent aussi présentes longtemps (O’Connor, Marvin, Rutter, Olrick & Britner, 2003). Finalement, si les hypothèses centrales de la recherche sur l’attachement sont comparées avec celles de la psychanalyse, alors on peut constaté que les deux, la psychanalyse et la théorie de l’attachement, localisent l’étiologie des troubles psychiques dans l’enfance précoce. La psychanalyse voit dans la gestion inadaptée de l’histoire pulsionnelle l’élément nocif central, et la théorie de l’attachement dans une expérience de manque de sécurité, de laquelle en ressort une estime de soi négative (IWM) et une relation sociale perturbée. Dans la recherche sur l’attachement, l’interaction sociale et le jeu interactif entre la personne d’attachement et l’enfant sont plus fortement thématisés. 6. Troubles comme conséquence de l’histoire d’apprentissage : modèles théoriques de l’apprentissage En psychologie et en collaboration avec les disciplines voisines, une troisième tradition de recherche s’est développée, en plus de la psychanalyse et de la recherche sur l’attachement, avec au centre de son attention l’étude de l’étiologie des troubles psychiques, les influences sociales et environnementales sur le développement de caractéristiques de comportement et de troubles. Il s’agit des différentes approches de la psychologie de l’apprentissage et les contributions de la recherche expérimentale sur les animaux. De manière différente que la psychanalyse et la théorie de l’attachement, les théories de l’apprentissage ne thématisent pas primairement les facteurs qui déterminent le développement – de l’enfance précoce – et qui peuvent favoriser la survenue des troubles en interaction avec les conditions environnementales et sociales. Au contraire, elles s’attachent aux processus psychologiques significatifs dans les différentes phases de développement pour l’acquisition des troubles. Elles partent du principe que les personnes peuvent développer des troubles déterminés par l’environnement du moment durant chaque année de vie et où les facteurs internes à la personne, comme le fait d’être conditionnable, le niveau d’activation physiologique habituel ou la vulnérabilité et d’autres conditions préalables internes à la personne acquièrent la fonction de modérateurs. Les contributions des théories de l’apprentissage et la « recherche sur la névrose expérimentale » mettent l’accent sur trois types de conditions d’apprentissages favorisant la survenue de troubles : (1) Comportement inadapté comme conséquence de processus de conditionnement : La phobie de personnes autoritaires, en tant que conséquence d’une maltraitance traumatique par un supérieur, peut être le résultat d’un conditionnement classique, avec toutes les perturbations que cela entraîne pour le phobique au quotidien. De 18 manière analogue, le comportement agressif d’un enfant peut être la conséquence d’un renforcement opérant systématique. Dans les deux cas, l’apprentissage a sûrement eu lieu dans des conditions qui ont favorisé de manière optimale l’acquisition de ces modes de comportements inadaptés. (2) Un comportement inadapté et désorganisé peut aussi être la conséquence du trouble maximal des processus de conditionnement. Quand l’orientation pour l’organisme est rendu par exemple incalculable ou que la capacité de traitement est dépassée par des irritations, alors les possibilités de comportement adaptatives sont rendues impossibles, et les personnes dans des conditions naturelles et les animaux en laboratoire réagissent avec des troubles. Ce deuxième type de condition est le thème d’une grande partie de la « recherche sur la névrose expérimentale ». (3) Comme troisième type de processus d’apprentissage, on différencie les processus cognitifs, qui influencent l’apprentissage des troubles et qui sont aussi impliqués dans les deux premières variantes de troubles. 6.1 Troubles comme conséquence de processus de conditionnement 6.1.1 Conditionnement classique La recherche sur l’apprentissage, depuis la découverte du réflexe conditionné par Pawlow (1849-1936) et les expériences de Thorndike (1874-1949) sur la loi de l’effet, s’est aussi intéressée au développement des comportements perturbés. Une systématisation pertinente des troubles selon le type de processus d’apprentissage a été formulée par Eysenck durant les années 60, en différenciant les troubles du premier type qui se caractérisent par les processus du conditionnement classique des troubles du second type dans lesquels réside un manque de réactions conditionnées et qui mènent à une sous-adaptation de la personne à l’environnement social. Le type de trouble dépend du fait d’être conditionnable. Les enfants facilement conditionnables tendent à développer des troubles internalisant et difficilement externalisables par conditionnement. Dans la terminologie de Eysenck, les troubles dysthymiques, i.e., les troubles phobiques, les états anxieux, les troubles obsessionnels et certains troubles dépressifs appartiennent au premier groupe ; au deuxième les « psychopathies », un comportement sous-adapté, et tous les troubles maintenus par les processus de conditionnement opérant. Selon Eysenck et Rachman (1968), le manque d’adaptation dysthymique passe par trois phases : ` Au premier stade, la personne vit un fort trauma ou une série d’événements subtraumatiques qui déclenchent de fortes réactions autonomes inconditionnées. Ce pattern universel de réactions en tant que réponse à un stimulus nocif est normal. ` Dans quelques cas, surtout chez les personnes conditionnables, se forme dans un deuxième stade des réactions conditionnées. Clairement, cela s’observe lors de la survenue de phobies, par exemple quand une personne développe une phobie de la conduite automobile après un accident. Dans la survenue d’angoisses diffuses, Eysenck postule un grand nombre d’événements subtraumatiques. Ces troubles sous-tendent le processus d’extinction, dans le 19 sens que s’ils ne sont pas à nouveau renforcés, on parle de « rémission spontanée ». ` Les troubles persistants surviennent dans une troisième phase. Leur maintien est d’abord expliqué par Eysenck par le comportement d’évitement de cette personne, par lequel l’extinction est rendue impossible car elle est renforcée selon la théorie à deux facteurs de Mowrer. Par la suite, Eysenck (1976) a modifié sa théorie. Aux éléments théoriques révisés concernant l’acquisition de réactions d’angoisse et de peur, appartient le fait qu’à côté des stimuli aversifs de douleurs ou d’autres événements facilement associables (prepared), les absences de récompenses conditionnées et frustrantes (frustration nonreward) peuvent avoir des conséquences physiologiques et perturbatrices sur le comportement (Gray, 1982). Pour l’apprentissage de réactions d’angoisse, ces classes d’événements peuvent par conséquent avoir un effet fonctionnel équivalent sur la punition conditionnée. Dans les troubles du premier type, Eysenck a postulé un taux de rémission spontanée élevé, alors que pour ceux du deuxième type non, pour des raisons qui tombent sous le sens. La disposition différente à former, durant l’histoire de vie, trop ou trop peu de réactions conditionnées de manière dysfonctionnelle, est expliquée par Eysenck par le facteur du caractère conditionnable déterminé génétiquement, corrélé avec celui d’introversion, un construct de la psychologie différentielle. Il n’y a cependant certainement pas seulement des différences dans le fait d’être conditionnable de la part des personnes, mais aussi de la part des stimuli : tous les stimuli neutres ne sont aussi facilement associables par les processus de conditionnement classique avec des stimuli inconditionnés (par la suite SC = stimulus conditionné ; SI = stimulus inconditionné ; SN = stimulus neutre). La capacité de réagir avec des réactions conditionnées d’évitement à des classes de stimuli, donc de percevoir des liens spécifiques SC-SI comme étant plus fortement unis ou associables plus facilement (belongingness), réside selon Seligman (Seligman & Hager, 1972) dans les expériences phylogénétiques (prepared learning) sous une pression naturelle de sélection de l’histoire du développement de l’espèce en question. La confrontation avec des classes de stimuli spécifiques (grands espaces sans possibilité de protection, hauteurs importantes, petites pièces, types d’animaux, etc.), « préparés » biologiquement et par l’évolution (prepared), mènent selon Seligman de manière sélective à la formation de réactions anxieuses conditionnées, avec les caractéristiques suivantes : (1) Acquisition rapide de comportement (phobique) d’évitement, souvent déjà après une seule confrontation. (2) Associations SC-SI spécifiques menant à une résistance augmentée à l’extinction. (3) Associations « prepared » interprétées comme une forme d’apprentissage primitive, non cognitive, car ne pouvant être que peu influencées par les instructions cognitives. Dans une série d’expériences différentielles sur le conditionnement, Öhman et ses collègues (survol chez Öhman, 1993) indiquent que les personnes confrontées à des stimuli potentiellement phobogènes (serpents, araignées), en comparaison avec des stimuli neutres, réagissent de manière significativement différente : L’acquisition rapide, ainsi que la forte résistance à l’extinction des réactions électrodermales 20 (changements des valeurs de la peau), comme indicateur principiel psychophysiologique de l’angoisse, renvoient clairement, selon Öhman, à la pertinence phylogénétique de stimuli « prepared » (voir aussi Perrez & Zbinden, 1996). Les rapports observés par Öhman n’ont pas pu être répliqués dans des études singulières. De plus, il faut relever qu’il est possible que les réactions conditionnées qui ont été annulées une fois, soient à nouveau rapidement rétablies des années plus tard lors de nouveaux événements traumatisants. En cela, le stimulus inconditionné original ne doit plus jamais être en jeu. Déjà Pawlow a constaté lors de l’inondation bien connue de son laboratoire, que chez quelques chiens, des SC déjà désactivés pouvaient être réactivés à nouveau. À côté du conditionnement classique, d’autres variantes du conditionnement dans la socialisation pourraient être intéressantes pour le développement des troubles. Le conditionnement évaluatif (EC = evaluative conditioning) a été présenté par Levey et Martin (1975) comme principe indépendant de conditionnement. Il réside en ceci que la valence affective positive ou négative d’un SI (ou SC) est transférée sur un stimulus neutre (SN) par le conditionnement. Après le conditionnement, le SN antérieur peut déclencher la réaction affective correspondante en tant que SC, comme une conséquence du couplage contingent avec le SI affectif. Sa signification pour l’organisation du comportement réside dans le checking élémentaire de déterminer si une situation, un stimulus est positif ou négatif (agréable, désagréable) pour l’organisme. Ceci représente un aspect de l’appraisal primaire dans la génération de l’émotion. En cela, la valence affective apprise par l’EC ne signale non pas un événement qui survient, mais la qualité affective d’un stimulus. Des événements familiaux négatifs peuvent colorer négativement par cette voie le setting familial et par là limiter les conditions de développement de la famille. La signification de l’EC a reçu confirmation aussi pour l’acquisition des troubles, surtout les troubles anxieux et les troubles de stress post-traumatique (voir à ce sujet Bodenmann, Perrez, Schär & Trepp, 2004). Que les troubles anxieux ne soient pas seulement acquis par les processus de conditionnement est démontré par les études qui cherchent à identifier rétrospectivement, si les expériences directes de conditionnement peuvent être reconstruites. Les fréquences varient selon le type de phobies de 23 à 75% des cas, pour lesquels des événements correspondants ont pu être constatés (voir Sartory, 1997). Pour le reste des cas, d’autres modèles de survenue sont pertinents, comme l’apprentissage par observation ou les processus cognitifs (voir ci-dessous). Ce sont surtout les conditions de survenue des troubles anxieux qui sont normalement multifactorielles. Les facteurs cognitifs, comme une sensibilité augmentée à l’angoisse ou des distorsions dans le traitement de l’information, comptent également parmi ces facteurs (voir Schneider, 2004 ; et chap. 30.2 et paragraphe 6.4 dans ce chapitre). La pertinence de la socialisation des processus de conditionnement classique est à considérer selon la question de la mesure selon laquelle l’expérience primaire de socialisation expose un enfant à des processus de conditionnement, qui associe par des traumas, des expériences socio-émotionnelles aversives, etc., des parties du monde de l’enfant avec des réactions anxieuses. Ces expériences sont aptes à induire des comportements d’évitement chez les enfants. Une histoire d’apprentissage favorisant le développement de l’enfant associe en revanche des parties de son monde avec des émotions positives et un comportement d’approche 21 (approach). Les renforcements secondaires positifs comme négatifs sont formés sur ces mécanismes de base du conditionnement classique et opérant. 6.1.2 Conditionnement opérant 6.1.2.1 Perte de renforcement Par rapport à la perspective du paradigme du conditionnement opérant, des hypothèses fructueuses particulièrement pour l’explication de la survenue de la dépression ont été développées durant les 30 dernières années. Ferster (1973) a le premier analysé le comportement dépressif selon les aspects fonctionnels, théoriques du comportement. En cela, le comportement dépressif se différencie du non dépressif surtout d’abord par des fréquences différentes de comportements sociaux, professionnels et de loisirs, où il s’agit de déficits comportementaux clairs ; dans l’expression de la souffrance, dans les comportements d’évitement et de fuite, on trouve des excès de comportements. Cette différence, plus quantitative que qualitative, est expliquée par Ferster comme suit : (1) Une perception limitée et déformée de soi-même et de l’environnement réduit la sensibilité aux renforcements. (2) Un répertoire comportemental social limité, dont le manque de complexité est expliqué par l’histoire de vie durant la petite enfance (par ex., par la perte ou le déficit de renforcement durant l’enfance), rend plus tard la personne vulnérable à la dépression, car l’accès aux renforcements sociaux est rendu plus difficile. Un environnement social peu répondant limite chez l’enfant l’apprentissage de stimuli guides nuancés importants pour la régulation sociale du comportement ; à la place de cela, il réagit par des modes de comportement très émotionnels (aversifs), qui produisent des effets dans l’environnement et qui sont par là renforcés. (3) La perte soudaine de renforcements par des changements dans l’environnement (séparation, mort, déménagement, retraite, etc.) sont des déclencheurs possibles de la dépression. La diminution des taux de comportements amorce ainsi une spirale négative de renforcements. Par le fait que la personne montre moins de comportements instrumentaux, elle reçoit également moins de renforcement ; elle les reçoit ensuite surtout pour un comportement non désiré, comme les plaintes, etc. Lewinsohn (1974) a différencié plus finement les hypothèses théoriques de Ferster, en impliquant la question de comment expliquer les différences interindividuelles dans les réactions à des conditions extérieures semblables. Pour la probabilité de survenue des réactions dépressives, il implique l’interaction entre trois facteurs : (1) L’univers potentiel de renforcements dont la personne dispose. Sont comprises toutes les activités, les caractéristiques matérielles, psychiques et sociales, devenues des renforcements secondaires au cours l’histoire individuelle d’apprentissage (voir ci-dessus conditionnement classique). Plus une personne en possède, moins la probabilité de souffrir de pertes de renforcements est grande. (2) Les renforcements effectifs disponibles à un certain moment pour une personne. 22 (3) Le taux et la qualité des capacités instrumentales, pour disposer de renforcement. Plus nombreuses elles sont, moins la probabilité de privation de renforcement est grande. Les hypothèses de Ferster et de Lewinsohn ont mené à une série d’études qui ont montré la richesse de l’approche. A la lumière de ces hypothèses, les résultats de la recherche sur la séparation peuvent aussi être interprétés. La séparation d’avec des proches aimés, est comprise comme une perte massive de renforcement. Blöschl (1986) différencie les hypothèses sur l’attachement quant au rapport entre la séparation et la dépression, par des aspects psychologiques de renforcement et projette un concept comportemental-psychologique intégré. Ce qui favorise la dépression, ce sont des changements substantiels dans les contingences de modes de comportements importants de la personne, associés à l’absence simultanée d’un réseau social soutenant. D’autres théories étiologiques de la dépression (entre autres prédispositions constitutionnelles) ne sont pas exclues. La perte est définie comme une réduction importante, objectivement évaluable, d’événements et d’activités positifs renforçateurs. Les pertes personnelles durant l’enfance peuvent augmenter la vulnérabilité et prédisposer à la dépendance qui, lors d’un nouveau renforcement, rend plus difficile la substitution de renforcement social par d’autres personnes. La suppression du renforcement social mène aussi à l’extinction de l’auto-renforcement et restreint ainsi l’image de soi positive des personnes concernées. À côté de la perte de renforcements positifs, d’autres stimuli guides soutenant l’activité deviennent également caducs au travers de vécus de séparation, ce qui agit en plus comme diminution de l’activité. L’hypothèse de la perte de renforcement reçoit confirmation par les résultats de Patten (1991). Même l’étude de Nolen-Hoeksema, Girgus et Seligman (1992) contient des résultats partiels, surtout associables aux vécus de perte des jeunes enfants (voir à ce sujet paragraphe 5.3.2). Le concept de perte de renforcement est en concurrence théorique avec le concept d’attachement et avec la théorie de perte de contrôle, pour lesquels des résultats s’y rapportant sont en partie aussi interprétables avec des concepts concurrents (voir par ex., Diethelm, 1990). Des pertes massives de renforcement sont donc dans tous les cas à considérer comme un facteur de risque pour la provocation ou le déclenchement de certains troubles dépressifs dont le poids dépend de facteurs de protection internes et externes. 6.1.2.2 Punition dans l’éducation Un autre facteur de risque important pour la survenue de troubles psychiques, à compter dans le paradigme opérant, est le vécu de punitions massives et/ou inconsistantes et non prévisibles. Selon les attentes théoriques, les conséquences comportementales négatives devraient diminuer la probabilité de survenue d’un comportement. Mais cela n’est pas à réaliser dans des conditions complexes présentes dans l’éducation (comme le rapport de contingence du comportement : punition = 1 :1 ; punition intensive, etc.). Il s’ajoute que de forts stimuli punitifs peuvent avoir en soi des conséquences néfastes (Reinecker, 1980). Les enfants punis n’apprennent souvent pas à cesser le comportement non désiré ; ils sont bien plus disposés à l’angoisse, l’insécurité – parfois aussi l’agressivité. Krohne et Hock (1994) ont pu montré dans leur modèle à deux composantes que la fréquence de la punition, son intensité et son inconsistance, sont clairement en lien avec l’anxiété des enfants. Dans les punitions, au sens de maltraitance corporelle et psychique, des 23 troubles sévères peuvent être prédits (voir paragraphe 5.4.3). Que cela ne soit pas un phénomène rare en chiffres absolus, est montré notamment par une étude représentative en Suisse, dans laquelle il a été estimé que plus de 1700 enfants, plus jeunes que 2.5 ans, sont au moins parfois battus avec des objets, selon les indications de parents (Schöbi & Perrez, 2004). Nous nous attendons à une grande tendance à l’évitement et un répertoire comportemental limité de la part des enfants souvent punis, par rapport aux enfants qui sont souvent renforcés et soutenus. Cela a déjà été corroboré de façon saisissante dans les années 70, par des études menées dans le cadre du concept à deux composantes de Marburg, à l’appui des dires des parents, en langue allemande (Stapf, 1975). 6.2 Organisation du comportement comme conséquence de troubles du processus de conditionnement Les conditions d’apprentissage qui perturbent de façon maximale le processus de conditionnement sont à différencier clairement des conditions présentées dans le paragraphe précédent. Dans l’école de Pawlow, on a accordé une attention particulière à l’étude de ces conditions néfastes. Les troubles névrotiques sont ici interprétés comme la conséquence de (1) une trop forte excitation, (2) une trop forte inhibition ou (3) un conflit entre processus d’excitation et d’inhibition, menant à chaque fois à une défaillance du système nerveux et à une désorganisation du comportement (voir les contributions originales de Pawlow, Maier & Masserman: Hamilton, 1967). Même ici, les différences individuelles sont expliquées par des constitutions différentes déterminées génétiquement. Dans tous les cas, le comportement adaptatif est rendu plus difficile ou impossible ; de nouvelles réactions conditionnées ne sont plus jamais formées et les réactions déjà apprises sont à nouveau supprimées. Une forte irritation/excitation réside dans une trop forte intensité du stimulus ou une trop grande complexité des stimuli, ce qui rend impossible l’association SC et SI en raison d’exigences trop fortes envers la capacité d’apprentissage. Nous trouvons une trop forte inhibition lorsque la discrimination de la perception est rendu trop difficile. Quand, par exemple, un animal en laboratoire a formé un stimulus conditionné inhibant, avec un cercle comme stimulus conditionné positif et une ellipse comme stimulus conditionné négatif, et que des ellipses lui sont ensuite présentées avec une ressemblance de plus en plus grande avec le cercle, l’animal tend à une excitation moteur durable ou à une apathie totale. Le conflit entre excitation et inhibition est apte à former une « névrose expérimentale ». Les trois types de conditions expérimentales décrites ci-dessus sont également susceptibles de perturber les processus d’apprentissage dans la socialisation, et ne sont pas rares : • Stimuli sociaux donnant une activation chronique par une excitation beaucoup trop forte ; des troubles défavorables, externalisant favorisant des conditions de développement, représentent une stimulation chronique, socialement et médialement trop exigeante. • La forte inhibition constante par des punitions et d’autres conditions aversives favorise l’angoisse et les troubles dépressifs. • L’ambiguïté et la non transparence ou des conditions comportementales paradoxales par rapport à la récompense et la punition rendent impossible 24 l’adaptation adéquate et le développement de compétences d’adaptation/de coping et vulnérabilisent ainsi les enfants pour des troubles. 6.3 Modèles animaux comme justification des concepts théoriques de l’apprentissage En se basant sur les principes présentés aux paragraphes 6.1 et 6.2, des modèles animaux ont surtout été développés pour les troubles anxieux et les troubles dépressifs, qui trouvent également résonance dans le domaine humain. Ainsi, Gray (1982), pour expliquer des réactions dépressives et anxieuses, part des deux soussystèmes biologiques, le système de récompense et celui de punition. Le système de punition motive à l’inhibition et à la fuite, le système de récompense à un comportement exploratoire, appétitif (approach). L’angoisse est primairement déclenchée par l’activation du système de punition (stimulation aversive ou perte de renforcement). Elle augmente l’attention pour le comportement de fuite et d’évitement. Expérimentalement, l’état d’angoisse chez les animaux peut être déclenché par des stimuli physiques aversifs, par des stimuli non familiers et menaçants ou avec des stimuli associés à l’échec (Goldberg & Huxley, 1992). Chez certains animaux, la réaction anxieuse peut être plus facilement déclenchée que chez d’autres ; il a pu être montré que la susceptibilité différente pour la punition est déterminée génétiquement, car des différences d’expériences intra-utérines et périnatales ne peuvent pas l’expliquer (Gray, 1982). Les « personnes névrotiques » sont décrites par Goldberg et Huxley (1992) comme des personnes avec une susceptibilité élevée pour les événements renforçant et punissant. Cela mène à un déclenchement plus facile et plus fort de l’émotion. Ils intègrent ces dimensions de caractéristiques stables dans le système de personnalité bidimensionnel de Eysenck. Les troubles anxieux, comme quelques troubles dépressifs, sont comptés dans le groupe des troubles dysthymiques (névrotique et introverti). On suppose que les personnes avec un système de punition hautement réactif sont vulnérables pour différentes formes de troubles anxieux, particulièrement aussi pour la perte de renforcement. Partant du fait que la récompense et la punition s’inhibent réciproquement, Goldberg et Huxley (1992) décrivent le processus de la perte de renforcement comme un événement aversif, qui – lorsqu’il est chronique – réduit la susceptibilité pour la récompense. Ainsi, la perte de renforcement peut mener à un trouble dépressif primaire ; secondairement, celui-ci donne l’accès à une augmentation de l’angoisse, car le système de punition est activé. Cette observation a été attestée par plusieurs expériences sur les animaux (survol chez Mineka, 1985). De manière complémentaire, selon Goldberg et Huxley (1992), un événement aversif (par ex., le diagnostic d’un cancer), peut mener à une augmentation primaire de l’angoisse par l’activation du système de punition, ce qui, secondairement, peut mener à un trouble dépressif par l’inhibition du système de récompense. Une modèle animal unique pour chaque forme de dépression humaine a été développé par Seligman (1975, 1986). Selon ce modèle, les animaux d’expérimentation manifestent, comme les êtres humains, un syndrome réactionnel, nommé « impuissance apprise », lorsqu’ils font l’expérience que des événements aversifs ne peuvent pas être contrôlés. Dans la recherche sur les animaux, les chiens montrent par la suite des symptômes au niveau comportemental (passivité), motivationnel (démotivation), émotionnel (déprimé), cognitif (attente d’incapacité de contrôle) et physiologique (gestion des catécholamines), pour lesquels on emploie 25 comme pour les être humains le terme d’épisode dépressif (dépression réactionnelle) (voir encart 3 et paragraphe 5.4). Encart 3 Le plan de recherche triadique pour l’étude des conséquences de la perte de contrôle (Seligman, 1986, p. 23f.) Il existe un plan de recherche expérimental facile et élégant à l’aide duquel les effets de la contrôlabilité des répercussions du stimulus, qui est contrôlé, peuvent être séparés. Dans ce plan de recherche triadique, trois groupes de personnes ou d’animaux sont étudiés : (1) Un groupe fait l’expérience, comme pré-entraînement, d’une conséquence qu’il peut contrôler à l’aide d’une quelconque réaction. (2) Un deuxième groupe est rattaché au premier (yoked), de sorte que chaque personne ou chaque animal fasse l’expérience d’exactement les mêmes conséquences physiques que son vis-à-vis du premier groupe, mais qu’aucune réaction que cette personne contrôle ou que cet animal fait, ne mène à une quelconque modification de ces conséquences. (3) Le troisième groupe ne reçoit aucun pré-entraînement. Finalement, les trois groupes sont étudiés dans une nouvelle tâche. Le plan de recherche triadique permet un contrôle direct de l’hypothèse que ce n’est pas le choc en lui-même qui mène à l’impuissance, mais l’expérience que le choc est incontrôlable. Dans le cadre d’un plan de recherche triadique, trois groupes de chaque fois huit chiens ont été étudiés. Les chiens du groupe « fuite » apprenaient à fuir le choc dans le harnais de Pawlow, en appuyant sur une touche avec leur museau. Le groupe contrôle yoked reçoit le même nombre de choc, durant la même durée et la même fréquence, comme le groupe fuite. Le groupe contrôle yoked ne se différencie du groupe fuite que par rapport au contrôle instrumental sur le choc : appuyer sur la touche n’avait pas d’influence sur les chocs préprogrammés pour le groupe contrôle yoked. Un groupe de comparaison naïf ne recevait aucun choc. 24 heures après cet entraînement, les trois groupes ont été soumis à un entraînement à l’évitement de chocs dans la shuttle box. Les animaux du groupe fuite et ceux du contrôle naïf réagissaient bien : ils sautaient facilement par-dessus la barrière. À l’inverse, les animaux du groupe contrôle yoked réagissaient significativement plus lentement. Six des huit contrôlés échouaient complètement et ne menaient aucune réaction de fuite avec succès. Ce n’était donc pas le choc en soi, mais l’impossibilité de contrôler le choc qui menait à cet échec. Les observations du groupe de Seligman ont expérimenté également des interprétations alternatives, comme par exemple celle de l’inactivité apprise qui consiste en ce que les chiens choqués avaient appris la réaction moteur de la paralysie (freezing), en tant que réaction de défense spécifique à l’espèce (Fanselow, 1991). Les modèles animaux ont été aussi utilisés pour prouver des processus d’apprentissage par modèles dans l’acquisition de réactions anxieuses. Dans une série d’expériences avec les primates, Cook, Mineka, Wolkenstein et Laitsch (1985) ont pu transmettre des modes de comportement phobique chez les singes rhésus par un conditionnement suppléant. Les animaux naïfs de laboratoire, qui ne montraient d’abord pas de comportement d’évitement lors de la confrontation avec des pièges à serpent, ont montré après l’observation de congénères phobiques des 26 réactions phobiques comparables. Comme ces « modèles » qui, à l’inverse de leurs observateurs, vivaient en liberté et par conséquent étaient souvent confrontés avec des reptiles jusqu’alors, le conditionnement de « stimuli prepared » se formait plus facilement que chez les contrôlés naïfs. À côté de l’observation in vivo, des modèles transmis symboliquement sous la forme d’enregistrement vidéo pour l’acquisition de réaction phobiques sont également valables (Cook & Mineka, 1989). Les études des modèles animaux ultérieures à la phase pionnière de Pawlow et des américains ont cherché à estimer la ressemblance du modèle et de l’être humain dans la symptomatologie, l’étiologie et la thérapie. Cela a été tenté par Wolpe (1958) pour les phobies ou Seligman (1975) pour les troubles dépressifs. Pour la symptomatologie, Giurgea (1986) décrit notamment les symptômes suivants, pouvant souvent être observés dans les « névroses » expérimentales animales : • Comportement négatif : La nourriture est refusée quand elle est proposée, et recherchée quand elle est retirée. • Comportement catatonique : Paralysie musculaire, tics et stéréotypies. • Comportement phobique et obsessionnel. Ces symptômes sont à compléter par les suivants : • Comportement social perturbé (troubles du comportement sexuel, agressivité, perturbation de la hiérarchie et retrait social), ce qui avait été clairement observé notamment dans les expériences de Harlow. • Troubles somatoformes et troubles au niveau histologique (par ex., développement d’ulcère ou d’abcès). Malgré tout, la ressemblance entre animal et être humain ne peut que partiellement être atteinte, car pour certains troubles, déjà au niveau de la symptomatologie, se trouvent des limites claires, en particulier lorsque les modes de comportements cognitifs sont importants. Mineka (1985) discute de la force d’expression et des limites de la recherche se rapportant aux troubles anxieux (phobies, obsessions, anxiété généralisée). Les paradigmes de recherche sur les phobies se réfèrent notamment au conditionnement classique, à la théorie des deux facteurs et au modèle de la « preparedness ». Leurs limites sont notamment claires au sens que pour beaucoup de phobies (environ 40 à 50%), aucun événement de conditionnement traumatisant ne peut être déterminé (Öst & Hugdahl, 1981). Pour les autres phobies plus légères, il semble que d’autres processus sont plus importants, par exemple le conditionnement de deuxième ordre, les angoisses induites par les conflits internes l’apprentissage par observation (Mineka, 1985), pour lesquels il existe des preuves avec des expériences sur les animaux. Les composantes cognitives ne sont pas évaluées par ces études. Il en résulte une limitation claire de leur fonction de modèle pour les troubles chez l’être humain. De même, il n’est pas clair dans quelle mesure dans les classements des recherches induisant des conflits, un conflit est réellement manifesté ou si c’est uniquement la stimulation aversive qui déclenche le comportement perturbé. Pour la recherche sur les troubles chez l’être humain, les études sur les animaux ont malgré tout une fonction heuristique. 6.4 Troubles comme conséquence des processus d’apprentissage cognitif 27 6.4.1 La signification des attentes de contrôle et des tendances d’attribution Les approches théoriques de l’apprentissage traditionnelles pour l’explication de l’étiologie des troubles selon les recherches de Seligman sur l’impuissance apprise et ses nouveaux développements ont subi un élargissement au niveau cognitif. Seligman avait déjà compris le paradigme de l’impuissance originale comme une contribution cognitive à la recherche sur la dépression, car l’attente de contrôle se présente comme variable explicative centrale. Sous la pression de résultats empiriques hétérogènes, la théorie décrite ci-dessus a subi rapidement un prolongement. Ainsi, Abramson, Seligman et Teasdale (1978), ainsi que Abramson, Metalsky et Alloy (1989) n’ont plus mis autant au premier plan la condition de la non contingence objective pour le déclenchement de la dépression, mais la perception et l’interprétation subjective. Le pattern suivant est adopté : • • • • Absence de contingence et absence de contrôlabilité de la punition (événements négatifs), ou absence de récompense (événements positifs). Perception de l’absence de contingence et de l’absence de contrôlabilité. Attribution de l’absence de contrôle : globale, interne, stable Attente d’absence de contrôlabilité future. En réalisant ce pattern, il en résulte l’impuissance, la perte d’espoir. La dépression est surtout considérée dans la modalité de l’attribution causale de dépréciation de l’estime de soi (voir à ce sujet chap. 12). Nolen-Hoeksema et al. (1992) ont suivi 255 écoliers de la troisième classe (3rd grade) dans le cadre d’une étude longitudinale sur cinq ans, par rapport à l’effet du style d’attribution et des événements de vie critiques sur le développement de troubles dépressifs (N au premier temps de mesure = 508). Les résultats montrent que dans la phase précoce, l’observation d’événements de vie critiques comme la séparation des parents, la mort d’un membre de la famille, etc. sont un bon prédicteur pour la survenue d’un trouble dépressif. Il s’y ajoute un changement du style d’attribution. Lorsque les enfants sont plus âgés (deuxième moitié de la phase d’observation), le style d’attribution négatif atteint de manière individuelle, mais aussi couplé avec des événements de vie critiques, une valeur prédictive pour les symptômes dépressifs. Après la phase dépressive chez les enfants stables, la tendance à l’attribution négative se maintient sur plus de deux ans, ce qui renvoie à l’« hypothèse de la cicatrice » (scar hypothesis), qui part du principe que le vécu de la dépression laisse derrière lui des conséquences durables dans un style d’attribution pessimiste. Lewinsohn, Steinmetz, Larson et Franklin (1981) n’ont pas pu le retrouver chez les adultes. Rose, Abramson, Hodulik, Halberstadt et Leff (1994) ont différencié des sousgroupes chez les adultes souffrant de dépression majeure. Le sous-groupe avec un style cognitif négatif était représenté par des personnes qui montraient en plus un trouble de la personnalité, avaient été victime d’un abus sexuel durant l’enfance et avaient vécu avec des parents grossiers ou hyper contrôlant. Les auteurs y voyaient les conditions de socialisation analogues à l’apprentissage de l’impuissance. La perspective de socialisation est intéressée par la manière dont les tendances d’attribution dysfonctionnelle et les attentes de contrôle sont apprises en dépendance avec des influences sociales. Des conditions importantes du développement des tendances d’attribution causale et d’attentes de contrôle devraient résider dans les expériences de contingence, qu’un individu fait au cours de sa vie (voir Bandura, 28 1982). L’expérience de contingence comprend toutes les informations enregistrées quant au rapport, ou à l’absence de rapport, entre le propre comportement et ses conséquences. On peut différencier quatre types d’informations quant aux contingences influençant le développement, qui ont une signification différente selon les phases de développement (voir Perrez, 1989) : (1) Contingence directement vécue : Le style d’attribution favorisant la dépression et les attentes de contrôle y correspondant sont notamment transmises par des expériences de contrôle insuffisantes dans l’histoire d’apprentissage. Un déficit en expérience de contrôle dispose à des convictions de contrôle externe et à des tendances d’attributions causales s’y référant (voir Heckhausen, 1983). Les conditions renforçant l’anxiété sont analogues lorsque de forts événements aversifs ne sont pas prévisibles (Seligman, 1979). (2) Contingences observées et absence de contingence : L’observation d’actions et de leurs conséquences chez des autres, respectivement la non prévisibilité d’événements aversifs chez les autres, mène à des expériences de contingence suppléantes. (3) Contingences transmises de manière symbolique : Elles concernent chaque connaissance sur les rapports ou les absences de rapports entre les actions et leurs conséquences, transmis par les contes, les histoires, etc. Ainsi, le conte du lièvre et du hérisson contient par exemple des informations codées au verbalement non contingentes sur l’effort assidu du lièvre dans la course avec le hérisson, et dont l’échec est indépendant de son comportement. Chez Dame Holle, en revanche, les informations sont transmises sur les conséquences du comportement en tant que récompense pour un comportement assidu, coopératif avec de l’or, ou en tant que punition, pour un comportement paresseux, non coopératif, pour Pechmarie. Harry Potter est une mine d’or actuelle pour de telles informations. (4) Interprétations de causalité endoctrinées par l’environnement social : Parents et éducateurs ensemble communiquent quotidiennement aux enfants des interprétations causales en attribuant succès et échec de manière différente (Perrez & Chervet, 1989). Toutes les constellations d’attributions étudiées se rapportant à la recherche sont communicables ou induites de force dans l’éducation et déploient leur effet quand elles sont stables dans le temps, consistantes au niveau du contenu et transmises de manière rigide. Les cognitions dysfonctionnelles, discutées actuellement en psychologie clinique comme favorisant les troubles ou comme caractéristiques de certains troubles (voir chap. 12), peuvent être déclenchées par la socialisation, lorsque les enfants sont exposés à une ou plusieurs des expériences de contingences citées ci-dessus, dans des conditions de protection internes et/ou externes non suffisantes : l’expérience directe ou observée d’échec fréquent, de non contrôle, de non prévisibilité d’événements fortement aversifs, l’observation de modèles symboliques dysfonctionnels et l’endoctrinement chronique d’attributions dysfonctionnelles sont favorisées par un environnement éducatif s’y référant. Pour une discussion détaillée de la question de déterminer comment les attributions dysfonctionnelles sont à définir dans le contexte éducatif, nous renvoyons à Schattenburg (2000). 29 À côté des conditions citées ci-dessus, ayant pour contenu l’expérience de contingences et qui sont en vue de déclencher des cognitions dysfonctionnelles (voir aussi ci-dessus l’acquisition de l’Internal Working Models IWM), l’angoisse devant la perte de l’expérience du contrôle – dans le concept de l’attachement, l’angoisse de la perte de la sécurité – est à décrire comme condition pour un trouble trouble, qui dispose dans l’ensemble à l’anxiété. Les enfants qui doivent faire face à la perte d’un parent en raison de maladie, accident ou divorce, sont, selon Bowlby (1973), vulnérabilisés pour les troubles anxieux. A ce niveau, on peut mentionner les tendances au traitement cognitif de l’information, qui rendent les personnes vulnérables pour certains troubles. Ces tendances ne doivent pas être manifestes pour le déclenchement du trouble, mais peuvent représenter des schémas latents de facteurs de risque qui peuvent être rendus « visibles » dans le cadre des études sur le priming par activation subliminale de contenus mnémoniques (voir Hammen, 1999). 6.4.2 Apprentissage par modèles Les processus de l’apprentissage par modèle appartiennent aux facteurs d’influence cognitifs pour le développement de troubles psychiques, sont importants au niveau social. Bandura et Walters (1959) partent du principe que dans l’apprentissage de comportement, en plus des principes du conditionnement classique et opérant, l’apprentissage par observation présente un type unique d’apprentissage. Les êtres humains et les animaux développés (voir ci-dessus) montrent parfois des processus de renforcement ni classique ni opérant, mais se référant à l’observation de compétences. Cela est valable pour les dispositions de comportement désirées et non désirées. Les processus partiels les plus importants de l’apprentissage par modèle (processus d’attention, processus de maintien, processus de la reproduction moteur et processus de motivation) sont représentés par les actions cognitives. Il tombe sous le sens que des modèles de comportement éducatif perturbés sont aptes à former, pour l’étiologie de certains troubles, des conditions d’apprentissage par modèle remarquables. Certains processus d’apprentissage par modèle son considérés comme particulièrement importants pour le développement du comportement agressif (Selg, Mees & Berg, 1988 ; Bandura & Walters, 1959). Par rapport à l’anxiété, il a pu être montré dans plusieurs études que les mères anxieuses transmettent leur anxiété à leurs enfants par des processus d’apprentissage par modèle. Muris, Steerneman, Merckelbach & Meesters (1996) ont pu montrer chez 409 enfants (<12 ans) souffrant de différents troubles, que le trait d’anxiété des enfants est significativement corrélé avec celui du père ou de la mère. Les valeurs dans l’échelle de peur (Fear Survey Schedule) corrèlent clairement avec la mesure dans laquelle les mères montraient leur peur, ce que les auteurs expliquent avec l’apprentissage par observation. La pertinence clinique-psychologique de l’apprentissage par modèle se révèle dans le contexte dans les imitations de suicide. L’effet de « Werther » a été montré par Schmidtke et Häfner (1988) après une émission de télévision de la ZDF – dans laquelle on a montré la mort d’un étudiant qui s’est jeté sous un train. Le film a été diffusé à deux reprises sur un an, malgré les protestations ; les taux de suicide avant et après l’émission de télévision ont été relevés. Cette expérience naturelle A-B-A-B montre que selon les groupes d’âge et le sexe, le modèle du suicide a vu une augmentation claire de la fréquence des taux de suicide, avec la même méthode de suicide. 30 7. Développement perturbé – développement des troubles Dans ce chapitre, nous avons résumé les hypothèses et les résultats empiriques sur les facteurs de socialisation favorisant le développement des troubles psychiques. La détermination d’un comportement et d’un vécu perturbé ne va pas obligatoirement mais souvent de paire avec un trouble du développement en phases, phases qui demandent un important effort d’adaptation. L’état actuel de la recherche montre clairement que la réponse à la question de savoir sous quelles conditions le trouble provisoire dans les développements mène au développement de troubles persistants, dépend de l’interaction avec plusieurs ensembles de facteurs. Les différences innées et acquises à travers l’histoire de vie quant à la vulnérabilité primaire et secondaire font que les gens sont, au niveau interindividuel, différemment susceptibles et sensibles pour des influences nocives. À ces différences s’ajoutent encore les différences typiques entre les sexes dans la vulnérabilité et le développement de troubles spécifiques. Par exemple, les hommes gèrent plus difficilement que les femmes la séparation avec le partenaire (Ermert, 1996), mais manifestent moins souvent de dépression. Le deuxième ensemble de facteurs pathogènes concerne les événements de vie négatifs stressants et les influences sociales négatives chroniques, qui exercent leur influence sur le développement selon toutes les variations, en partie standardisées au niveau culturel, en partie non normées. A eux n’appartiennent pas seulement les vécus traumatiques et les rapports sociaux pathogènes dans la famille, mais aussi des conditions culturelles, qui favorisent certains troubles ou modèrent la forme d’expression de certains troubles. Ainsi, on s’est demandé si la prévalence élevée pour les troubles dépressifs chez les femmes et celle pour l’alcoolisme chez les hommes sont favorisées par des stéréotypies déterminées culturellement et liées au sexe et les influences de socialisation s’y référant (Widom, 1984). Pour le développement des troubles et la modération de leur forme d’expression, ce ne sont pas seulement les facteurs pathogènes internes, parfois constitutionnels, et externes qui sont importants. Pour la prévision des troubles psychiques, les facteurs de protection sont à prendre en compte (voir chap. 7). Même ici, les sources internes et externes à la personne peuvent être différentes. Les caractéristiques individuelles de la compétence de gestion du stress (voir chap. 11), les convictions de contrôle internes, les capacités professionnelles et sociales de tous les types et les caractéristiques du soutien social tendent, en tant que facteurs de protection, à atténuer les influences pathogènes. Ces facteurs résident notamment dans les offres de relations stables durant l’enfance ou durant l’âge adulte, dans le renforcement positif du comportement de gestion adapté, ou dans les modèles sociaux pour une gestion des exigences de la vie adaptée à la réalité. Egle et al. (1997) ont trouvé, dans leur survol des facteurs de protection étayés par des études longitudinales et transversales, que des relations positives avec les personnes de références primaires représentent un facteur de protection important. L’interaction des conditions pathogènes et internes et externes protectrices distingue les succès relatifs d’adaptation dans le processus de développement tout au long de la vie. Certains modèles de cette interaction sont présentés dans le chapitre 11, en tant qu’interaction entre stresseurs et ressources. La recherche sur la résilience (Werner & Smith, 1992), qui s’occupe des facteurs qui tendent à diminuer les effets de conditions nocives, aura à compléter par le futur les relatives bonnes connaissances 31 sur les facteurs de risque de la socialisation et devra permettre de développer de meilleurs modèles de l’influence interactionnelle entre les conditions de protection et de risques. Nous remercions le Prof. Dr Urs Baumann pour ses précieuses indications dans la révision de ce chapitre. 8. Littérature Se référer à l’article original (pp.266-271). 32