1.5.3 La coercition en réadaptation psychiatrique

1.5.3 La coercition en réadaptation psychiatrique
Abraham Rudnick, MD, PhD, FRCPC
Mis à jour le 1er décembre 2013
Objectifs d'apprentissage
1. Reconnaître les problèmes d’éthique que soulève le recours à la coercition en réadaptation psychiatrique.
2. Proposer une solution de rechange à la coercition en réadaptation psychiatrique et en établir les
fondements.
Cas
M. Smith est un célibataire de 38 ans, sans emploi, qui vit seul dans un logement subventionné. Vous le suivez en
externe depuis un an environ, et une agente en milieu communautaire le suit depuis environ dix ans. Un diagnostic
de schizophrénie paranoïde a été posé lorsqu’il avait 19 ans et un autre de consommation excessive de cannabis a
été posé à l’âge de 25 ans; un diabète non insulinodépendant a aussi été diagnostiqué il y a deux ans (aucun
antécédent de coma hypoglycémique ou hyperglycémique). Le patient est traité par des antipsychotiques par voie
orale, combinés à un régime alimentaire faible en sucre; il refuse les autres suggestions thérapeutiques, comme la
prise d’antipsychotiques retard (injectables) et d’hypoglycémiants par voie orale. On considère que M. Smith est
apte à consentir aux traitements; il a cependant été jugé inapte à gérer ses finances, et le curateur public a été
désigné pour prendre ces décisions en son nom. Dernièrement, vous avez observé une exacerbation de ses
hallucinations auditives et de son désir de mourir, mais aucune intention suicidaire. Cette exacerbation a été
déclenchée par une augmentation de sa consommation de cannabis sous l’effet de la pression des pairs. Par le
passé, la non-observance de son traitementantipsychotique a été le facteur déclenchant d’un grand nombre de
crises psychiatriques, dont certaines ont nécessité des hospitalisations. M. Smith n’a pas d’antécédent d’agressivité
physique ni d’actes suicidaires. Alors que M. Smith insiste pour conserver son logement subventionné, car il aime
son autonomie, sa gestionnaire de cas communique avec vous afin que vous l’aidiez à élaborer un plan pour le
forcer à déménager dans un foyer de groupe, où l’on pourrait faire un meilleur suivi de l’observance de son
traitement, de sa consommation de drogue et de son diabète. Elle estime qu’il sera possible, avec votre appui, de
convaincre le curateur public de cesser de payer le logement subventionné de M. Smith et de transférer cette
somme au paiement du foyer de groupe.
Questions
1. Faudrait-il aider M. Smith à conserver son logement subventionné et, dans l’affirmative, pour quels motifs?
2. S’il faut aider M. Smith à conserver son logement subventionné, dans quelle mesure (le cas échéant)
faudrait-il tenir compte des avantages potentiels qu’il y aurait pour lui de vivre dans un cadre supervisé
comme un foyer de groupe?
3. Comment caractérise-t-on la notion de coercition thérapeutique et dans quelle mesure, le cas échéant, cette
notion est-elle compatible avec la réadaptation psychiatrique?
4. Quelle solution de rechange valable à la démarche préconisée par la gestionnaire de cas pourrait-on
envisager, et sur quels motifs se fonderait-elle?
Discussion
Q1. Faudrait-il aider M. Smith à conserver son logement subventionné et, dans l’affirmative, pour quels
motifs?
Comme le logement est un besoin humain fondamental, il constitue un objectif également fondamental de la
réadaptation psychiatrique, dont le but est d'aider les personnes ayant des déficiences psychiatriques à atteindre
leurs buts dans la vie, en maintenant et en renforçant leurs compétences et leurs mécanismes de soutien1. La loi
est muette sur ce point. Cependant, les principes bien connus de la bioéthique, qui sont le respect de la personne
(et de son autonomie ou autodétermination), la bienfaisance (et la non-malfaisance) et la justice (ou l'équité pour
toutes les personnes en cause), s'appliquent à la réadaptation psychiatrique, tout comme aux autres domaines de
la psychiatrie et des soins de santé2. Or le respect envers M. Smith implique qu'il faudrait respecter son choix de
vouloir conserver son logement subventionné. Puisque le respect de la personne est considéré comme un principe
fondamental de la bioéthique moderne, forcer M. Smith à déménager dans un foyer de groupe pourrait être
contraire à l'éthique, du moins dans des circonstances cliniques ordinaires. Qui plus est, la réadaptation
psychiatrique est associée à une démarche axée sur le client et sur le rétablissement, qui vise à aider les patients
à atteindre leurs buts dans la vie. Ainsi, forcer M. Smith à déménager dans un foyer de groupe pourrait ne pas être
une décision judicieuse sur le plan clinique, du moins dans un contexte de réadaptation. Ce cas montre que la prise
de décision clinique peut s'étendre à des aspects qui vont au-delà du traitement pour englober les conditions de
vie telles que le logement, des considérations qui viendront certainement compliquer le processus.
Q2. S'il faut aider M. Smith à conserver son logement subventionné, dans quelle mesure (le cas
échéant) faudrait-il tenir compte des avantages potentiels qu'il y aurait pour lui de vivre dans un cadre
supervisé comme un foyer de groupe?
Un milieu de vie non favorable peut nuire au bien-être et à la santé d'une personne. Ce constat s'applique de façon
générale au travail, aux loisirs et au milieu social, et peut-être encore plus au logement. Il suffit de penser aux
sans-abri qui ont une espérance de vie moins longue en raison de leurs conditions de logement difficiles. Le
logement peut donc être bénéfique pour une personne, et il l'est peut-être davantage pour les personnes ayant
des déficiences psychiatriques qui sont plus vulnérables que la population en général et qui peuvent avoir besoin
de soutiens à domicile pour maintenir leur bien-être ou leur santé. Lorsqu'il s'agit de déficiences physiques, les
mécanismes de soutien offerts sont essentiellement matériels, comme l'aménagement de rampes d'accès pour les
personnes en fauteuils roulants par exemple. Dans le cas des déficiences psychiatriques, toutefois, le soutien est
principalement d'ordre social et il consiste en l'appui d'intervenants (professionnels, membres de la famille et
autres) qui aident la personne dans l'exécution des activités de la vie quotidienne généralement importantes telles
que le maintien d'une saine alimentation et la prise des médicaments. Les logements supervisés comme les foyers
de groupe peuvent offrir une telle supervision, ce type de soutien étant fondé sur le principe de la bienfaisance.
Dans le cas de M. Smith, où le principe de la bienfaisance s'oppose à celui de l'autonomie, lequel des deux
principes devrait l'emporter? Il ne fait aucun doute que la prise d'antipsychotiques, de même que le suivi étroit et
le traitement du diabète ainsi que le suivi de sa consommation de drogue, seraient bénéfiques pour la santé de M.
Smith. Cependant, cela aurait également pour effet de nuire à son autodétermination. Il est vrai que la non-
observance du traitement par M. Smith et sa consommation de cannabis pourraient elles aussi nuire à son
autodétermination, car, à un niveau extrême, ces comportements peuvent causer une stupeur. Un tel scénario est
toutefois peu probable dans le cas de M. Smith, compte tenu de ses antécédents. Il est généralement admis (et
prévu par la loi) que, lorsque la sécurité d'une personne est grandement menacée par une maladie mentale, la
bienfaisance l'emporte sur l'autonomie. Dans les autres cas, toutefois, le choix de la personne doit être respecté,
et ce principe a aussi été examiné et démontré dans le contexte de la réadaptation psychiatrique3. Par conséquent,
il s'agit ici d'évaluer dans quelle mesure la sécurité de M. Smith est menacée si celui-ci vit dans un logement
subventionné plutôt que dans un foyer de groupe et d'évaluer le lien entre ce risque et la maladie mentale. La non-
observance du traitement antipsychotique risque d'exacerber les symptômes psychiatriques de M. Smith et
pourrait même provoquer chez lui des idées suicidaires, mais probablement pas de gestes suicidaires (si l'on se fie
à ses antécédents). Des complications pourraient aussi être causées par un suivi et un traitement inadéquats du
diabète, bien que le diabète de M. Smith semble assez léger puisqu'il n'a jamais causé de coma, en dépit de sa
propre négligence. Enfin, sa consommation excessive de drogue a causé, par le passé, des exacerbations de ses
symptômes psychiatriques qui ont nécessité des hospitalisations au service de psychiatrie, sans toutefois
provoquer de comportements agressifs ni de gestes suicidaires. Sans doute plus important encore, l'insistance
dont fait preuve M. Smith pour conserver son logement subventionné (plutôt que de déménager dans un foyer
groupe) n'est pas liée à sa santé mentale, mais à son désir de préserver son autonomie, un désir naturel et très
courant. Par conséquent, comme le maintien de M. Smith dans son logement subventionné ne semble pas poser de
risque grave pour sa sécurité et que ce désir ne semble pas lié à sa maladie mentale, le principe d'autonomie
l'emporte ici sur celui de la bienfaisance. En d'autres termes, les avantages potentiels de vivre dans un foyer de
groupe ne devraient pas influencer le soutien qui lui serait accordé pour conserver son logement subventionné.
Q3. Comment caractérise-t-on la notion de coercition thérapeutique et dans quelle mesure, le cas
échéant, cette notion est-elle compatible avec la réadaptation psychiatrique?
La coercition consiste en la restriction ou la modification d’une partie de l'éventail des choix ou des choix réels qui
sont offerts à une autre partie. La coercition peut se manifester sous diverses formes, par exemple l'extorsion
émotionnelle, la manipulation intellectuelle et bien d'autres, mais certains établissent une distinction entre le
recours à la force physique et la coercition4. La menace, comme la menace d'hospitaliser une personne si elle ne
suit pas le traitement prescrit, peut être considérée comme une mesure coercitive, et les ordonnances de
traitement en milieu communautaire en sont un exemple. La coercition suppose la participation involontaire de la
partie contrainte. Elle diffère de l'offre de solutions de rechange, qui ne seraient pas disponibles autrement et qui
ont pour effet d'élargir l'éventail des choix offerts; pensons, par exemple, aux pays en développement où, dans le
cadre de recherches cliniques, l'offre de traitements contre le VIH/sida autrement non disponibles pourrait être
considérée conforme à l'éthique. La coercition diffère également de la persuasion dont le but est d'amener l'autre
partie à accepter une argumentation précise en utilisant seulement comme prémisses des arguments déjà
acceptés par l'autre partie; une telle démarche est notamment utilisée dans les discussions critiques visant à
établir la vérité5. Enfin, la coercition thérapeutique est un type de coercition qui vise à aider la partie contrainte, en
l'occurrence un patient. Ainsi qu'il a été mentionné précédemment, la réadaptation psychiatrique vise à aider le
patient à atteindre ses buts par l'acquisition de nouvelles compétences et la prestation de mécanismes de soutien.
Le choix du patient et l'offre de solutions de rechange sont donc essentiels à la réadaptation psychiatrique.
Q4. Quelle solution de rechange valable à la démarche préconisée par la gestionnaire de cas pourrait-
on envisager, et sur quels motifs se fonderait-elle?
Une solution de rechange valable à l'usage de la coercition en réadaptation psychiatrique consisterait à discuter
avec la personne des problèmes qui risquent de nuire à son succès dans le cadre de vie qu'elle a choisi. Cette
démarche a été étudiée et a été définie comme l'évaluation de l'aptitude à la réadaptation psychiatrique6. Il s'agit
d'un processus non conflictuel qui consiste à examiner le besoin perçu de changement de la personne, sa
détermination à changer, son degré de prise de conscience, sa sensibilisation aux milieux de vie et sa proximité
avec les autres. Le recours à un tel processus peut se justifier par la démarche dialogique de la bioéthique, selon
laquelle la discussion des problèmes d'éthique va au-delà des principes courants de la bioéthique pour engager la
personne dans un dialogue éthique sur ses objectifs, en utilisant des stratégies de communication pouvant être
adaptées aux besoins des personnes atteintes de schizophrénie et d'autres maladies mentales graves qui
s'accompagnent de déficiences rendant particulièrement difficile la participation à un tel dialogue7. En amenant
M. Smith à participer à un tel processus, on pourrait parvenir à ce qu'il consente à ce que des travailleurs des
services d'approche le soutiennent dans son logement subventionné.
Conclusion
La coercition n'est habituellement pas compatible avec la réadaptation psychiatrique. Cependant, lorsque la
sécurité d'une personne est fortement menacée par une maladie mentale, par exemple lorsqu'il existe un risque
probable de décès, la coercition et l'usage de la force physique peuvent être acceptables. Dans les autres cas, la
prise des décisions cliniques devrait tenir compte le plus possible des objectifs de la personne atteinte d'une
maladie mentale. Si ces objectifs paraissent déraisonnables, il est alors recommandé d'engager un dialogue avec la
personne pour discuter de ses objectifs, conformément au processus d'évaluation de son aptitude à la
réadaptation. Certes, cette démarche exige un processus de prise de décision clinique et éthique prudent, qui
tienne compte du contexte et qui soit mené d'une manière responsable, mais il en va ainsi de toutes les décisions
médicales.
En général, les défis ayant trait à la santé mentale sont complexes et les résultats sont souvent partiellement
déterminés par des facteurs sociaux comme la pauvreté et la discrimination8. Dès lors, les services de santé
mentale doivent adopter une approche interprofessionnelle et des soins centrés sur la personne, même pour les
personnes présentant les troubles de santé mentale les plus graves9. Le rétablissement est maintenant reconnu
comme le but ultime des soins de santé mentale, même si cela soulève parfois des questions éthiques difficiles10.
Les médecins et les autres fournisseurs de soins de santé qui soignent des personnes présentant des maladies
mentales peuvent tirer des bienfaits de l'identification et de la prise en charge de ces questions éthiques liées à
leur travail avec ces personnes.
Références
1. Anthony, W.A., M. Cohen, M. Farkas et C. Gagne. Psychiatric rehabilitation, 2e éd., Boston, Center for
Psychiatric Rehabilitation, 2002.
2. Bloch, S., et S.A. Green. « An ethical framework for psychiatry », British Journal of Psychiatry, 2006, vol.
188, p. 7–12.
3. Rudnick, A. « The goals of psychiatric rehabilitation: an ethical analysis », Psychiatric Rehabilitation Journal,
2002, vol. 25, p. 310–313.
4. Hawkins, J.S. et E.J. Emanuel. « Clarifying confusions about coercion », Hastings Center Report, 2005, vol.
35, p. 16–19.
5. Walton, D.N. The new dialectic: conversational contexts of argument, Toronto, Université de Toronto, 1998.
6. Cohen, M.R., W.A. Anthony et M.D. Farkas. « Assessing and developing readiness for psychiatric
rehabilitation », Psychiatric Services, 1997, vol. 48, p. 644–646.
7. Rudnick, A. « The ground of dialogical bioethics », Health Care Analysis, 2002, vol. 10, p. 391–402.
8. Callard F, Sartorius N, Florez-Arboleda J, Bartlett P, Helmchen H, Stuart H, Taborda J, Thornicfroft G. Mental
illness, discrimination and the law: fighting for social justice. Chichester, West Sussex, UK: Wiley-Blackwell;
2012.
9. Rudnick A, Roe D (eds). Serious mental illness: person-centered approaches. London: Radcliffe; 2011.
10. Rudnick A (ed). Recovery of people with mental illness: philosophical and related perspectives. Oxford:
Oxford University Press; 2012.
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