Lacourt dans les services sociaux bruxellois l’illustre bien, en plus de donner à voir comment
cela fait sens avec un protocole d’enquête, combinant analyse en groupe, entretiens et
observations non participantes des interactions au guichet. En suivant de près des travailleurs
sociaux plongés au cœur des nouvelles politiques d’activation, Isabelle Lacourt montre à quel
point et comment le jugement qui reconnait ou dénie la compétence ou la capacité – mais
aussi d’ailleurs la motivation - est agissant, et, plus que cela, à quel point et comment il est
politique en ce qu’il donne accès à certains droits, habilite ou non les usagers à recevoir
certaines allocations, ouvre la porte de formations en fonction du jugement porté par le
travailleur social sur les compétences des usagers (Lacourt, 2007). Bref, là apparaît avec
netteté en quoi la sémantique des compétences, précisément au travers de son aptitude à
qualifier individuellement les êtres, participe substantiellement de l’outillage des nouvelles
politiques sociales, en ce que précisément celles-ci s’appuient sur des processus
d’individualisation des prestations là où les dispositifs classiques de l’Etat social s’appuyaient
au contraire sur un principe d’octroi inconditionnel de droits. La conditionnalisation des
prestations sociales requiert en effet des opérateurs d’individualisation parmi lesquels la
sémantique des compétences et capacités joue aujourd’hui un rôle tout à fait central. Ce
partage des êtres auquel ouvre la sémantique des compétences est donc de part en part un
opérateur politique, en plus d’être porteur d’un horizon anthropologique. Et, si les
compétences agissent politiquement dans des domaines étendus, il est donc somme toute
logique qu’en retour se forme une sociologie politique capable d’en saisir les traductions dans
l’espace sociopolitique. Et cet article en donne un aperçu trop sommaire.
Par ailleurs, la référence à la compétence et à la capacité, à moins de présupposer leur
innéisme, renvoie très directement à la question de leur formation. Et là encore à deux
niveaux. A la fois à celui, pédagogique, des processus d’apprentissage qui conduisent à cette
formation. Mais aussi à celui, politique, de l’ « outillage » de l’environnement des acteurs, cet
outillage assurant aux acteurs leur capacitation, leur capabilities comme dit Sen, ou leur
« compétenciation ». Les institutions ne sont donc pas loin quand on traite des compétences et
capacités. En effet, construire des compétences ne se réalise pas hors du social, cela appelle
un travail politique, non seulement sur l’ampleur de la reconnaissance de ces dispositifs, ou
encore sur le rôle assigné aux experts et aux méthodes, mais aussi sur l’articulation avec des
logiques extérieures aux compétences ou avec les acteurs étrangers à ce langage. Par exemple,
dans notre enquête sur les politiques publiques de prévention du VIH/sida en Belgique
(Cantelli, 2007), nous avions noté la co-existence, parfois troublante, entre des associations
spécialisées qui pratiquent le travail de capacitation auprès d’usagers vulnérables (prostituées,
migrants, usagers de drogues, etc.) et des services de police qui agissent auprès du même
public à partir de leur logique propre, qui est celle de la lutte contre la criminalité, les trafics
de toute sorte et la délinquance. Mais ce tableau avec deux grandes entités est encore trop
simple et ne rend pas compte des ajustements et des coordinations exigées par ce travail de
capacitation : les associations composent avec le public et en fonction de la situation, mêlent
dans l’action même des équipements insistant tantôt sur les devoirs à respecter (ponctualité,
politesse, etc.), tantôt sur les pouvoirs et compétences à renforcer, tantôt sur la confiance en
soi. Un tel travail sur les compétences apparaît comme la stratégie s’enchâssant aisément avec
un public déjà compétent, mais qui, sans échouer toutefois, bute sur des publics plus
vulnérables qui ne donnent pas de prises et qui appellent davantage une politique
d’accompagnement et d’aide. Le lecteur aura compris la charge critique qui en ressort ; c’est
là une invite à se rappeler l’importance de penser le pluralisme2 (des publics, des dispositifs,
2 D’autres enquêtes (Périlleux et Cultiaux, 2007) sur le droit des patients montrent avec force comment
cohabitent des argumentaires en termes de responsabilisation des patients (contribution financière) et de
capacitation (au travers du renforcement de capacités d’action des patients). Il importe donc de ne pas réifier la