pourquoi les conséquences économiques de la crise - CFE-CGC

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POURQUOI
LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES
DE LA CRISE FINANCIÈRE
PÈSERONT LONGTEMPS
SUR LA CROISSANCE
Angel Asensio
Juillet 2011
Recherche effectuée dans le cadre d’une convention conclue
entre l’Institut de Recherches Économiques et Sociales (IRES) et la CFE-CGC
3
RÉSUMÉ
Trois ans après la crise de la finance internationale, les places boursières ont sensiblement récupéré, les banques font à nouveau des profits et l'activité économique reprend
des couleurs... La rédaction de cette étude a été ordonnée en juillet 2011, avant la nouvelle
dégradation du contexte économique et financier international. Mais au-delà de l'optimisme
qu'affichent les conjoncturistes, de nombreux signes indiquent que les choses sont loin
d'être rentrées dans l'ordre.
Alors que la pensée dominante ne peut comprendre la crise qu'en l'attribuant à des
erreurs de politique économique, au laxisme des autorités de régulation ou à des « distorsions de concurrence », l'approche postkeynésienne qui inspire la présente étude rejette
la dénaturation de la pensée de Keynes à laquelle s'est livré le courant de pensée dominant depuis la parution en 1936 de La Théorie Générale. Elle récuse en particulier l'autorégulation des marchés concurrentiels, et voit dans l'intervention des pouvoirs et institutions publics l'un des rouages du bon fonctionnement du système ; de sorte qu'en
l'absence de stabilisateurs tels que les lois, l'action des syndicats ou l'intervention des
pouvoirs publics, le système économique pourrait se révéler violemment instable.
L'instabilité potentielle des marchés provient de l'absence de fondements objectifs à la
quantification des risques, c'est-à-dire, de la nature fondamentalement incertaine du
futur. La crise s'explique alors comme une défaillance due à l'imprévisibilité du système ;
elle ne requiert pas d'hypothèses plus ou moins réalistes concernant l'incompétence, la
malveillance ou le laxisme des pouvoirs publics (sans pour autant les écarter).
L'étude appréhende sur ces bases les obstacles que les systèmes économiques impactés
par les désordres financiers auront à franchir pour éviter que la reprise ne s'enlise dans
les difficultés qui se profilent. Certaines de ces difficultés sont liées aux effets délétères de
la perte de confiance des agents économiques, d'autres sont liées à la dégradation des
finances publiques et à l'injection massive de liquidités par les banques centrales. Les
réponses qui commencent à être apportées (restrictions monétaires, budgétaires et
fiscales) sont des « solutions » conçues par le courant de pensée dominant pour un système
aux propriétés supposées d'autorégulation. Ces réponses aussi auront une incidence
négative, ce qui laisse entrevoir une longue période de croissance faible et fragile, si tant
est qu'une nouvelle déflagration puisse être évitée.
5
TABLE DES MATIÈRES
RÉSUMÉ
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TABLE DES MATIÈRES
3
................................................................................................................................................................................................
5
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PREMIÈRE PARTIE – COMPRENDRE LA CRISE – OUTILS CONCEPTUELS .........................................
11
INTRODUCTION
I. Les insuffisances de l'appareil conceptuel dominant
......................................................................................
11
...............................................................................
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....................................................................................
15
C. Déficiences de marchés ........................................................................................................................................................................
22
A. La thèse de la surabondance de monnaie (Money glut)
B. La thèse de la surabondance d'épargne (Saving glut)
II. L'apport du courant postkeynésien à la compréhension de la crise
...........................................
24
A. Incertitude et possibilité de la crise .........................................................................................................................................
24
B. Le désarroi des marchés concurrentiels ............................................................................................................................
26
C. Fluctuations et crises, les apports de Keynes et Minsky .................................................................................
30
Conclusion ............................................................................................................................................................................................................................
33
DEUXIÈME PARTIE – LE DIFFICILE RETOUR DE LA CROISSANCE .................................................................
35
Introduction
........................................................................................................................................................................................................................
III. Les conséquences économiques de la crise financière
35
..........................................................................
37
.................................................................................................
37
B. Demande privée : le poids des prévisions à long terme .................................................................................
43
C. Les problèmes à retardement ........................................................................................................................................................
49
A. Une dégradation des conditions de financement
IV. Les politiques publiques empêtrées
..................................................................................................................................
56
..........................
56
B. Les difficultés seront aggravées par les politiques orthodoxes .............................................................
60
C. Propositions pour débrider la reprise ...................................................................................................................................
63
CONCLUSION ...........................................................................................................................................................................................................................
66
ANNEXES
68
A. La nature du problème et le point de vue du courant de pensée dominant
.......................................................................................................................................................................................................................................
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
..........................................................................................................................................................
75
7
INTRODUCTION
TROIS ANS APRÈS LE DÉBUT DE LA CRISE,
UN ÉTAT DES LIEUX
La pensée économique dominante prétend, depuis les écrits fondateurs du XVIIIe siècle,
que la libre concurrence est à même d’assurer le meilleur fonctionnement envisageable
dans une économie de marché. Selon cette approche, les désordres de la finance libéralisée ne résulteraient pas de la déréglementation des activités financières, comme le suggèrent nombre d’observateurs, mais de perturbations extérieures aux marchés et de distorsions concurrentielles qui auraient résisté au processus de déréglementation.
Cette position est plus forte qu’il y paraît, en raison du cadre théorique très élaboré sur
lequel elle repose, et qui lui permet de rattacher toute forme de dysfonctionnement à telle
ou telle imperfection, ou à telle règlementation du marché. Et c’est bien sûr toujours dans
l’élimination des contraintes réglementaires et dans le renforcement des mécanismes
concurrentiels que se trouverait le remède.
Mais malgré sa puissante assise théorique, la pensée dominante apparaît plus irréaliste
que jamais, car elle condamne toute forme d’immixtion de la puissance publique à un
moment où il est devenu manifeste que, livrés à eux-mêmes, les marchés financiers sont
capables d’engendrer le chaos, et incapables de s’en sortir seuls. Aussi, nombreux sont
ceux qui se référaient habituellement à la pensée dominante et ont dû, par la force des
choses, reconnaître la nécessité de l’intervention publique, tant pour stabiliser les marchés financiers affolés, que pour éviter un effondrement de l’activité économique.
« Un ensemble d’idées bien précis a conduit à la déréglementation et à d’autres politiques (à la fois
dans le privé et dans le public) qui ont contribué à la crise et à sa diffusion rapide. Un autre ensemble
d’idées, tout à fait différent, a conduit aux politiques fortes pour combattre la crise. Pratiquement
aucun pays n’a dit : laissons les marchés se tirer de là tout seuls ; et, sur lesdits marchés, même les
"fanatiques du marché" ont couru demander de l’aide à l’État. » (...)
« Il y a souvent une interaction complexe entre idées, idéologies et intérêts. Les marchés financiers
avaient intérêt à plaider pour la déréglementation ; l’idéologie du libre marché les a bien servis. Mais,
si l’on veut que l’économie devienne une science sociale, il faut tester ses postulats. La crise en cours a
remis en cause bien des hypothèses largement admises. »
Le rapport Stiglitz (2010), p. 25.
En fait, ces réactions défensives (y compris les mesures budgétaires et fiscales de soutien
à la demande agrégée), n’avaient pas pour but de relancer l’économie, mais bien de stopper la désintégration du système financier et le processus déflationniste. L’objectif n’était
à l’évidence pas d’améliorer les performances d’un système bien portant, mais de sauver
le patient dans l’urgence, en attendant de s’attaquer aux causes profondes du problème.
Cette précision a son importance, car même si les institutions financières ont rapidement
retrouvé une meilleure mine et même si les forces dépressives semblent avoir été stoppées, il y a peu d’espoir pour que les économies touchées par la crise financière internationale retrouvent avant longtemps leur trajectoire d’avant la crise.
La « crise des subprimes » vient ponctuer une série de crises financières chaque fois plus
menaçantes, car, comme l’a illustré le cas de la crise asiatique de 1997, les mesures prudentielles envisagées pendant la débâcle sont chaque fois assouplies, sinon abandonnées
au sortir de la crise, préparant ainsi le terrain pour un débordement ultérieur.
« Il y a un peu plus de dix ans, à l’époque de la crise financière asiatique, on a beaucoup discuté du
besoin de réformer rapidement l’architecture financière mondiale pour prévenir le retour d’une crise
majeure. Qu’a-t-on fait ? Peu de choses – trop peu c’est évident. » (...)
« De plus, si l’on ne met pas immédiatement en chantier ces changements de fond, il y a un risque
important de voir la dynamique réformatrice s’évanouir avec la reprise. Des intérêts politiquement
8
puissants sont en jeu : ceux qui bénéficient des mécanismes existants ou de nouvelles dispositions
récentes vont résister aux réformes fondamentales. Mais si on laisse ces intérêts l’emporter, il y aura
sûrement une nouvelle crise. C’est une des leçons à tirer de la crise asiatique de 1997-98. »
Le rapport Stiglitz (2010), p. 45 & 47
Cette fois, la crise a sévèrement frappé le capitalisme mondial en son cœur. Frappé dans
ses croyances concernant l’efficacité des marchés dérégulés là où la dérégulation avait
été le plus poussée. Frappé dans les premières places financières mondiales. Mis à terre
les plus grandes institutions bancaires ; mis à genou les pouvoirs publics, dont la capacité
d’action restera longtemps affaiblie par les mesures monétaires non conventionnelles et
par les mesures budgétaires et fiscales qui ont dû être prises dans l’urgence.
Par la force des choses donc, parce que la frappe menaçait la finance mondiale de désintégration et les économies nationales d’une désorganisation aux conséquences désastreuses et incalculables, les autorités ont un peu partout enfreint les règles de « bonne
gouvernance » qu’elles avaient appliquées jusque-là au nom de leur croyance dogmatique dans les vertus de la concurrence libre et non faussée. Loin de s’attaquer à ce qu’il
restait de réglementation après plusieurs décennies de libéralisation, les pouvoirs publics
se sont même engagés dans la voie d’un renforcement de la réglementation prudentielle,
avec des initiatives comme la loi Dodd-Frank aux États-Unis et les accords de Bâle 3. Le
fait est que les prescriptions de la théorie dominante sont tout simplement apparues
inadaptées, voire dangereuses à mettre en œuvre pendant la crise.
Si le remède n’était pas approprié, c’est que le diagnostique n’était pas bon et que la
théorie qui l’a produit doit être reconsidérée. Une théorie réaliste doit pouvoir rendre
compte du caractère inéluctable de l’action publique, au moins dans les circonstances critiques telles que celles déclenchées à la fin de l’été 2008. La théorie générale proposée
par J.-M. Keynes en 1936, permet de penser l’intervention publique comme l’un des
rouages du bon fonctionnement du système des marchés. L’autorégulation des marchés
concurrentiels y est sérieusement mise en doute, de sorte qu’en l’absence de stabilisateurs institutionnels, tels que les lois et réglementations, l’action continue des syndicats
ou l’intervention des pouvoirs publics, le système économique pourrait se révéler violemment instable.
Dans ce cadre conceptuel, l’action des institutions publiques n’est pas une donnée extérieure au système de marchés, et qui viendrait en perturber le bon fonctionnement. Elle
peut au contraire contribuer au bon fonctionnement du système au côté des agents économiques. Alors qu’elle est perçue comme une source de distorsion à la concurrence et
de dysfonctionnement du système économique dans le cadre de pensée dominant, elle
agit en fait comme une protection contre les forces potentiellement déstabilisatrices des
marchés concurrentiels. C’est grâce à l’action de ces institutions que, malgré l’absence
d’un « ordre naturel » auquel la pensée dominante reste viscéralement attachée, les
systèmes concurrentiels font preuve d’une certaine stabilité. Les injections massives de
liquidités, renflouements ou nationalisations de banques et autres mesures non conventionnelles de politique monétaire, de même que les mesures de politique budgétaire et
fiscale adoptées en réponse à la secousse financière, relèvent manifestement d’une telle
logique.
« (...) les pouvoirs publics ont réagi à la crise en prenant des mesures ambitieuses et énergiques sur
les plans monétaire et budgétaire et dans le secteur financier. Ces actions concertées ont réussi à arrêter, puis à inverser la dégradation de la situation économique. » (Fonds monétaire international, Rapport annuel 2010, p. 9)
« Un rapide assouplissement de la politique monétaire, des interventions massives pour secourir le
système financier et une politique de soutien budgétaire ont contribué à stabiliser le système financier et à atténuer la contraction de la demande privée. » (Études économiques de l’OCDE : Zone
euro, Résumé, décembre 2010, p. 1)
Si les pouvoirs publics ont réagi comme ils l’ont fait à la déstabilisation du système financier, c’est qu’ils ont pris conscience, par la force des choses, que le fait ne pas laisser
jouer les garde-fous institutionnels au nom d’une croyance dogmatique dans les bienfaits
de la concurrence eut été le plus sûr moyen de précipiter les économies dans une dépression beaucoup plus grave.
9
Aujourd’hui, les places boursières ont sensiblement récupéré, les banques refont des profits, l’activité économique reprend des couleurs... Et pourtant, les choses sont loin d’être
rentrées dans l’ordre. Selon le rapport annuel 2010 du FMI (p. 9), « (...) les premiers
signes de reprise sont apparus au second semestre de 2009, la croissance commençant à
monter en régime au début de 2010. Cependant, la reprise est restée modérée et inégale,
les pays avancés enregistrant une croissance relativement faible (...) La reprise se poursuit, mais des risques considérables subsistent. » La Banque des règlements internationaux notait dans son rapport annuel de 2010, « les vulnérabilités qui subsistent dans le
secteur financier et les effets secondaires des soins intensifs encore prodigués se conjuguent pour menacer les économies d’une rechute et miner les efforts de réforme. » C’est
sur le front de l’emploi que les inquiétudes se font les plus vives, comme l’indique l’Organisation Internationale du Travail dans le « résumé exécutif » du rapport 2011 sur les
Tendances mondiales de l’emploi : « La reprise sur les marchés du travail s’est avérée
inégale, la région des économies développées et de l’Union européenne enregistrant une
hausse constante du nombre de sans-emplois. (...) compte tenu de la fragilité du marché
du travail dans de nombreux pays, des niveaux élevés de la dette publique et de la vulnérabilité persistante du secteur financier et des ménages privés, les risques de rechute
l’emportent. » Le rétablissement est loin d’être consolidé, et il est à craindre que les
économies américaine et européenne, les plus touchées par les désordres de la finance
internationale, mettront encore de longues années à retrouver une situation normalisée.
La crise financière, que la pensée dominante ne peut comprendre qu’en l’attribuant de
manière irréaliste à des erreurs de politique économique ou à des « distorsions de
concurrence » (qui pour certaines ne sont en fait que la trace de l’action régulatrice d’institutions que le capitalisme génère de lui-même afin d’assurer sa propre viabilité), a en
effet placé les économies devant des défis durables. L’approche post-keynésienne qui inspire la présente étude révèle les obstacles que les systèmes économiques impactés par
les désordres financiers devront franchir. Diverses difficultés sont à prévoir, certaines
liées aux effets délétères de la perte de confiance des agents économiques (consommateurs, entrepreneurs, banques et institutions financières, pouvoirs publics), d’autres liées
à la dégradation des finances publiques et à l’injection massive de liquidités dans le circuit par les banques centrales. Les réponses qui commencent à être apportées, telles la
poursuite des restrictions budgétaires et fiscales, ou les restrictions monétaires, sont des
« solutions » conçues par le courant de pensée dominant pour un système aux propriétés
supposées d’autorégulation que les faits viennent démentir avec force. Ces réponses
auront également une incidence négative sur une croissance économique déjà passablement éprouvée. Cela laisse entrevoir une longue période de croissance faible et fragile,
donc potentiellement heurtée.
« Des déséquilibres excessifs d’ordre économique, financier et budgétaire se sont accumulés dans certains pays de la zone euro durant la période d’expansion, entravant le bon fonctionnement de l’union
monétaire, et se sont traduits par des fragilités croissantes. Il en est résulté des crises économiques et
budgétaires particulièrement graves dans certains pays, avec des retombées dans l’ensemble de la
zone euro principalement par le biais des marchés de capitaux. (...) L’activité s’est accélérée, mais la
reprise sera probablement faible. L’assainissement budgétaire est indispensable, mais il risque de
peser sur la croissance dans le court terme. Dès qu’apparaîtront des risques à la hausse pour la stabilité des prix à moyen terme, il faudra mettre fin aux mesures de relance monétaire. (Études économiques de l’OCDE : Zone euro, Résumé, décembre 2010, p. 1)
« La crise financière a légué aux autorités, en particulier dans les pays industrialisés, une très lourde
tâche. Celles-ci doivent, en effet, inscrire leur action dans une perspective de moyen à long terme,
tout en essayant de soutenir une reprise qui demeure fragile et inégale. Les ménages ont tout juste
commencé à réduire leur endettement, et continuent donc de modérer leurs dépenses. (...) Tout cela
continue de peser sur la confiance. Les vulnérabilités qui subsistent dans le secteur financier et les
effets secondaires des soins intensifs encore prodigués se conjuguent pour menacer les économies
d’une rechute et miner les efforts de réforme. » (Banque des Règlements internationaux, 80e rapport
annuel, Bâle, juin 2010, p. 3)
La présente étude met en évidence les principales carences de l’appareil conceptuel
dominant face à l’interprétation de la crise et de ses manifestations. Elle appréhende les
conséquences économiques de la crise financière, ainsi que les défis à venir (chômage,
dette publique et inflation) dans une perspective post-keynésienne. Elle montre en quoi
les réponses prônées par le "mainstream" sont inadaptées et considère les voies alternatives pour sortir du problème du déficit et de la dette publique. Elle considère également
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les risques d’un dérapage inflationniste et les moyens dont disposerait la politique monétaire pour y répondre. Elle interroge les travaux post-keynésiens à propos des politiques
macroéconomiques susceptibles de contourner les écueils et de limiter l’impact négatif
sur l’activité et l’emploi. Elle discute également les problèmes spécifiques soulevés par
les principes de gouvernance macroéconomique mis en œuvre au sein de la zone euro
(BCE, pacte de stabilité...).
La première partie du rapport traite des principaux cadres théoriques disponibles pour
interpréter la crise financière et ses conséquences économiques. Elle offre une argumentation détaillée des remises en causes dont le courant de pensée dominant (dans ses
différentes variantes) fait l’objet, et des raisons profondes pour lesquelles l’appareil
conceptuel qu’il promeut est inadapté. Les atouts des innovations méthodologiques introduites en 1936 dans la Théorie Générale de Keynes sont ensuite présentés et utilisés pour
livrer une analyse différente des conséquences économiques de la crise et des enjeux à
venir. La seconde partie est dédiée à l’analyse des conditions du retour à la croissance
économique. Elle traite de l’aggravation des difficultés liées à la mise en œuvre de principes de politique économique inspirés par la lecture trompeuse des évènements que
livre le courant de pensée dominant, avant d’explorer les voies alternatives suggérées par
l’approche post-keynésienne.
11
PREMIÈRE PARTIE
COMPRENDRE LA CRISE – OUTILS CONCEPTUELS
I. LES INSUFFISANCES DE L’APPAREIL CONCEPTUEL DOMINANT
L’interprétation de tout phénomène économique requiert l’adoption d’une grille de lecture
des faits, c’est-à-dire d’une théorie explicative des phénomènes auxquels on s’intéresse.
La théorie qui domine de nos jours plonge ses lointaines racines dans les écrits des
auteurs classiques des XVIIIe et XIXe siècles, mais les développements qui ont présidé
à l’élaboration des « nouvelles macroéconomies » dans le dernier quart du vingtième
siècle (1), et plus récemment à l’émergence d’un « nouveau consensus », reposent sur le
postulat selon lequel le système économique évolue suivant un processus stationnaire,
c’est-à-dire de manière suffisamment régulière pour que les agents puissent en déduire
des « lois de fonctionnement » et faire des prévisions justes aux aléas près.
L’hypothèse d’anticipation rationnelle a été de ce point de vue une innovation capitale (2).
Elle constitue, avec le cadre conceptuel hérité de la tradition classique et néoclassique, le
socle commun des « nouvelles macroéconomies ». Les prévisions étant supposées justes
en moyenne, les fluctuations économiques sont interprétées, aux aléas près, comme
l’adaptation continue de l’économie au changement des données structurelles (goûts des
consommateurs, technologie, cadre légal et institutionnel). Les chocs exogènes, les aléas,
ne peuvent ainsi produire que des déviations temporaires de l’économie par rapport à sa
trajectoire « naturelle ».
De telles déviations peuvent justifier une intervention des pouvoirs publics, mais seulement si celle-ci est capable de mieux résorber les perturbations temporaires que ne le
ferait l’ajustement spontané des marchés. C’est sur cette question que divergent les deux
principaux courants de la « nouvelle macroéconomie ». La nouvelle économie classique
(NEC) postule l’efficacité des marchés et conteste l’utilité des politiques publiques. Cette
approche est à l’origine de la « théorie des cycles réels », ainsi dénommée pour en souligner la neutralité de la monnaie et la filiation (néo)classique dans l’explication des fluctuations macroéconomiques. La nouvelle économie keynésienne (NEK) justifie au contraire
l’intervention publique en invoquant, d’une part, les lenteurs que peut par exemple induire
la rigidité ou « viscosité » des salaires nominaux, même en présence d’anticipations
rationnelles, et, d’autre part, les distorsions que peuvent produire certains comportements économiques dans le domaine financier, mais aussi sur le marché du travail (responsabilité de la réglementation et des syndicats dans le sous-emploi). En général, tout
ce qui de manière endogène ralenti l’ajustement concurrentiel ou fausse la concurrence
est susceptible de laisser une place aux politiques publiques (politiques de stabilisation à
visée conjoncturelle, ou politiques structurelles visant un fonctionnement concurrentiel),
et peut donc être rattaché à la NEK.
Les nouvelles macroéconomies : une filiation keynésienne ?
Parce qu’elles étudient l’influence des prévisions sur l’équilibre, les nouvelles macroéconomies s’inscrivent d’une certaine manière dans le prolongement de l’œuvre de Keynes (3), mais le traitement
réducteur de l’incertitude, et les hypothèses de stationnarité et d’anticipations rationnelles qui en
(1) Pour une présentation, voir Snowdon & Vane (2005).
(2) Les travaux précurseurs concernant les anticipations rationnelles sont attribués à John Muth (1961), et, pour
ce qui concerne les implications macroéconomiques, à Robert Lucas (1972).
(3) Ce que n'hésitent pas à revendiquer les auteurs les plus étrangers aux principales idées exprimées dans la
Théorie Générale de Keynes, comme Robert Lucas, de l'« école de Chicago », temple de la NEC. Dans le passage
suivant, où il défend le mainstream contre les critiques formulées par le magazine The Economist (18 juillet
2009), R. Lucas se réfère à Keynes et Friedman (dont les vues sur la monnaie sont pourtant aux antipodes l'une
de l'autre, comme nous le verrons plus loin) et révèle en passant les liens étroits entre les deux grandes
branches du mainstream en impliquant des auteurs issus de la NEK dans l'héritage : "Both Mr Bernanke and
Mr Mishkin are in the mainstream of what one critic cited in The Economist’s briefing calls a “Dark Age of
macroeconomics”. [...] They have drawn on the ideas and research of Keynes from the 1930s, of Friedman and
Schwartz in the 1960s, and of many others. I simply see no connection between the reality of the macroeconomics that these people represent and the caricature provided by the critics whose views dominated The Economist’s briefing." (R. Lucas, In defence of the dismal science, The Economist, 6 Aug. 2009).
12
découlent, leur en fait perdre de vue les traits les plus fondamentaux. De sorte que ces théories
peuvent être rattachées pour l’essentiel à la tradition (néo)classique, même si pour la NEK, une forme
d’interventionnisme peut être justifiée. Comme nous le verrons plus loin, le réalisme de ces hypothèses est de plus en plus contesté de nos jours, ce qui explique le regain d’intérêt dont bénéficie la
pensée keynésienne authentique, aujourd’hui défendue par le courant « postkeynésien ».
Les explications de la crise issues du courant dominant (mainstream) reposent à la base
sur l’idée que, les marchés concurrentiels étant en principe efficients et dotés de facultés
d’autorégulation, les dysfonctionnements ne peuvent être causés que par des facteurs
extérieurs au système s’il est concurrentiel (chocs exogènes temporaires ou permanents),
ou par des distorsions à la concurrence (imperfections de marché). Dans la première catégorie figurent entre autres les erreurs de politique économique que pointe le courant noninterventionniste (NEC). De telles erreurs sont en fait souvent considérées comme un facteur
aggravant, dans la mesure où elles constituent une réponse inadaptée des autorités au
choc qu’elles entendaient neutraliser. La seconde catégorie de facteurs concerne essentiellement les entraves à la concurrence, car la libre concurrence est supposée être le vecteur d’une autorégulation efficiente des marchés. Les mécanismes génériques reposent
ici sur le pouvoir de négociation de certains agents et/ou sur des problèmes d’information
incomplète ou asymétrique (la détention d’informations privatives permet à certains
agents de se soustraire aux effets de la concurrence et d’en tirer un profit supplémentaire,
au détriment d’agents moins bien informés).
La concurrence, vecteur de l’efficience des marchés ?
Il s’agit bien là d’une supposition, même si l’on adopte le cadre théorique de référence du courant de
pensée dominant élaboré par Arrow et Debreu (1954). Depuis les travaux menés par Sonnenschein,
Mantel et Debreu dans les années soixante, (4) il est acquis que la théorie de l’équilibre général
concurrentiel ne peut prétendre offrir un cadre pertinent pour comprendre le monde réel que si les
fonctions de demande nettes (demande moins offre) vérifient certaines conditions (« substituabilité
brute »). C’est en effet sous ces conditions que le système de marchés concurrentiels, tel que se le
représente la théorie de l’équilibre général, débouche sur une solution (un équilibre stable). Or les
travaux mentionnés ont établi que les fonctions de demande nettes ne vérifient pas nécessairement
les conditions en question. Du point de vue de la théorie de l’équilibre général elle-même, il n’est
donc pas garanti, que dans un système gouverné par les forces concurrentielles les marchés s’orientent spontanément vers une solution déterminée, ni par conséquent qu’ils soient efficients.
Ces facteurs génériques ont été mobilisés de manière différenciée pour la compréhension
de la crise. Nous présentons ci-dessous les principales grilles de lecture de la crise qui ont
été avancées par le courant de pensée dominant. Leur pertinence est discutée en rapport
avec les phénomènes observés et avec les diverses remises en causes dont il a fait l’objet.
Les raisons fondamentales pour lesquelles l’appareil conceptuel dominant est incapable
de fournir une interprétation satisfaisante de la crise sont mises en avant.
A) La thèse de la surabondance de monnaie (Money glut)
Cette lecture de la crise financière met en cause le laxisme monétaire dont aurait fait
preuve Alan Greenspan (président de la Réserve fédérale américaine jusqu’au 31
décembre 2006) (5). En prolongeant jusqu’en 2005 la politique accommodante décidée au
lendemain du ralentissement de la croissance du début de la décennie et des attentats
terroristes du 11 septembre 2001, celui-ci aurait nourri la bulle immobilière (cf. encadré).
Le déclenchement de la crise s’expliquerait dans ce scénario par la réalisation de certains
risques liés à l’endettement des ménages, lesquels en effet furent mis en difficulté par le
(4) Voir Sonnenschein (1973).
(5) Par la responsabilité qu'elle impute à la politique économique, ici à une politique monétaire considérée
comme inadaptée, cette interprétation peut être rattachée à la NEC. Cependant, comme nous le verrons dans les
deux sections suivantes, la mise en cause de la politique de Greenspan est présente aussi dans les écrits d'auteurs
issus de la NEK, mais sous la forme cette fois d'une accusation de laxisme prudentiel (encouragement pour les
banques à faire des prêts à haut risque), lié à une confiance aveugle dans les vertus autorégulatrices des marchés.
Les deux courants s'opposent en effet vigoureusement sur la question de l'efficience des marchés. La controverse
ne porte pas cependant sur le fait de savoir si les marchés concurrentiels sont efficients (il y a accord sur cette
question théorique), mais sur le fait de savoir si dans la réalité, les marchés sont concurrentiels (donc efficients),
ce que prétendent les tenants de la NEC, en désaccord avec la NEK.
13
resserrement de la politique monétaire enclenché en 2004. Cela devait progressivement
rendre la charge du remboursement insupportable pour un nombre croissant de
ménages qui avaient souscrit des prêts hypothécaires à taux variable, jusqu’au coup de
semonce de l’été 2007 et à la déflagration de l’automne 2008.
Taux d’intérêt de la Fed et indice boursier
Jusqu’en 2005, les taux de refinancement de la Fed restent relativement modérés, malgré un
début de durcissement en 2004. Comme on peut le voir ci-dessous, la bourse américaine s’emballe
pendant les périodes où la Fed pratique une politique de refinancement à faibles taux. Le processus
résiste un temps à la montée du taux, même après qu’il ait atteint un plafond voisin de 5 %, ce
qui témoigne de l’optimisme des marchés.
NB. La délimitation intuitive des périodes de « refinancement facile » doit s’interpréter en termes
relatifs.
14
Cette interprétation repose sur l’idée que les risques de défaut de paiement des ménages
(et ceux attachés par voie de « titrisation » à leur diffusion dans le système financier international) auraient été minorés par les institutions financières, au premier rang desquelles
figure la Réserve fédérale américaine, et/ou que le faible coût des refinancements offerts
par l’institut d’émission aurait poussé les banques à accepter de financer des opérations
excessivement risquées. Il ne fait aucun doute que le durcissement de la politique monétaire américaine ait pu fragiliser un grand nombre de ménages endettés au point de
déstabiliser le système financier dans son ensemble, mais en déduire que Greenspan a
fait preuve de laxisme est à la fois contestable et trompeur. Le point faible de cette lecture
de la crise tient au fait qu’elle suggère que Greenspan aurait dû adopter une politique
monétaire moins accommodante à un moment où il n’y avait pas encore, en dehors des
prix des actifs, de tensions inflationnistes significatives (6). L’augmentation du prix des
actifs n’est certes pas sans rapport avec la politique monétaire accommodante, mais pour
pouvoir dire qu’une bulle est en formation (c'est-à-dire que les prix des actifs s’élèvent
au-dessus de leur « valeur fondamentale ») encore faut-il être en mesure de déterminer à
partir de quand le prix des actifs devient excessif. à défaut de quoi, dire que la politique
monétaire est laxiste parce qu’elle fait monter dangereusement les prix des actifs ne
repose sur rien de bien fondé (7) et produit une lecture erronée de la crise et des remèdes
qu’il convient d’y apporter.
La vraie nature de la « valeur fondamentale »
Si les banques centrales semblent tenir compte de l’évolution des indices boursiers pour décider de la
politique à mener (8), et s’il est également vraisemblable qu’elles accorderont dorénavant plus d’attention à ce type d’indicateur, il n’en est pas moins vrai que tout cela reste largement du domaine de
l’appréciation subjective, plus que de la connaissance objective. C’est bien là que réside le problème. Il
vient du fait que la valorisation d’un actif par le marché dépend de l’évaluation que font les intervenants de son rendement à venir, lequel est fortement entaché d’incertitude. à vrai dire, contrairement
à ce que le modèle des « marchés complets » laisse supposer (cf. encadré plus loin), le rendement à
venir des actifs ne peut être connu à l’avance. Tout au plus peut-il faire l’objet de prévisions basées sur
des distributions de probabilité subjectives et plus ou moins arbitraires, qui reflètent davantage les
croyances des agents qu’une connaissance fiable du futur. C’est ainsi qu’Epstein & Wang (1994) ont
pu mettre en évidence la multiplicité des prix d’équilibre dans un système de marchés sujets à l’incertitude, laissant aux « esprits animaux » mis en avant par J.-M. Keynes le soin de sélectionner une
solution (9). Nous reviendrons sur la portée des concepts keynésiens liés à la prise en compte de
l’incertitude au chapitre suivant. Ce qu’il convient de noter à ce stade, c’est que l’idée que l’on puisse
déterminer une valeur fondamentale sur des bases objectives est simplement dépourvue de fondement du fait de l’incertitude qui caractérise le futur. De sorte que les autorités monétaires, comme les
opérateurs et autres observateurs, peuvent toujours s’émouvoir de l’augmentation des indices
boursiers ; faute de pouvoir déterminer une valeur fondamentale sur des bases objectives, elles ne
peuvent au mieux orienter leur politique que d’une manière intuitive ou empirique.
En fait, au stade où en étaient arrivées les choses, il semble que, loin d’avoir fait preuve
d’un quelconque laxisme, le président de la Fed était en fait confronté à un dilemme
assez classique : laisser s’épanouir la croissance au risque d’avoir pour cela à injecter une
quantité de monnaie susceptible d’alimenter l’inflation, ou limiter les risques d’inflation
en mettant un frein à la croissance économique. Comme cela a été souligné dans la littérature (voir par exemple Asensio 2007, 2011a) la philosophie de Greenspan le portait en
fait à retarder le plus possible le durcissement de la politique monétaire pour ne pas
(6) Dans un article publié par le Wall Street Journal ("the Federal Reserve didn't cause the housing bubble"),
Greenspan (2009) affirme que la Fed avait en fait perdu le contrôle des taux d'intérêts à long terme sur les crédits hypothécaires, dont le faible niveau aurait causé la bulle. Il en attribue la cause à une surabondance
d'épargne provenant d'Asie, dédouanant de la sorte sa politique monétaire. La thèse de la surabondance
d'épargne est examinée plus loin (section B).
(7) Sur les questions soulevées par la valeur fondamentale, voir l'ouvrage collectif édité par C. Walter et E. Brian,
« Critique de la valeur fondamentale », 2007, Springer.
(8) D'après une enquête publiée en 2000 par le CCBS (Center for Central Banking Studies) de la Bank of England,
la volatilité des prix des actifs était reconnue comme une variable influençant la politique monétaire dans de
nombreux pays (Mahadeva & Sterne, 2000, p. 80-81).
(9) "(…) uncertainty may lead to equilibria that are indeterminate, that is, there may exist a continuum of equilibria for given fundamentals. That leaves the determination of a particular equilibrium price process to "animal
spirits" and sizable volatility may result" (Epstein & Wang, 1994).
15
risquer de casser le processus de croissance (10). Mais ce n’était pas là faire preuve d’un
quelconque laxisme, car ce choix résultait de la foi fermement ancrée (Greenspan semble
en être revenu depuis l’avènement de la crise (11)) quant à la capacité des marchés à
apprécier les risques et à faire une utilisation efficiente des capitaux.
Marchés complets et couverture des risques
La théorie économique dominante se représente l’économie comme un système complet de marchés,
c’est-à-dire un ensemble de marchés permettant aux agents économiques d’effectuer toutes les transactions qu’ils peuvent souhaiter effectuer. Parmi ces transactions figurent bien entendu les achats et
ventes de biens et services au comptant, mais aussi les opérations financières et d’assurance. Il est
donc supposé que chacun peut prêter ou emprunter le montant désiré, sur la période désirée, mais
aussi qu’il est possible de souscrire des contrats d’assurance couvrant tous les risques envisageables.
La rationalité des agents les amène par conséquent à se couvrir de manière optimale contre les
risques auxquels ils sont exposés, De ce point de vue, les pertes sèches des ménages américains, puis
celles essuyées par les institutions financières à travers le monde entier, résulteraient soit de comportements irrationnels, soit d’imperfections concurrentielles dans le système des marchés.
Greenspan pensait ainsi qu’il serait temps, si les tensions inflationnistes venaient à se
confirmer, de procéder au fameux « atterrissage en douceur » (soft landing). Un durcissement graduel de la politique monétaire permettrait le moment venu de refroidir la
demande, juste assez pour maîtriser l’inflation des prix à la consommation, c’est-à-dire
sans compromettre la croissance et l’emploi. La montée des taux produirait alors des
dégâts, notamment auprès des ménages endettés à un taux variable, mais cela resterait
un problème limité à une échelle individuelle, sans implications macroéconomiques. (12)
L’alternative était-elle plus reluisante, au point que l’on eut été fondé à remettre en question le choix de Greenspan ? L’alternative eut consisté à durcir les conditions de financement de l’économie, ralentir la croissance économique et élever par conséquent le taux
de chômage. Or, selon les termes du Federal Reserve Act, la mission de la Fed est de promouvoir dans les faits les objectifs d’emploi maximum, de prix stables et de taux d’intérêt
à long terme modérés, (13) et non pas de stabiliser le prix des actifs au détriment de ces
trois objectifs. Si la question de la prise en compte du prix des actifs a donné lieu à de
nombreux débats, d’ailleurs bien avant les événements qui ont secoué la finance mondiale
en 2008, la cible des banques centrales en matière d’inflation reste en théorie l’indice des
prix à la consommation, l’augmentation des prix des actifs étant quant à elle censée refléter
leur valorisation par des marchés supposés efficients, donc capables d’apprécier correctement les risques et d’offrir les instruments de couverture appropriés, ou bien par des
marchés imparfaits mais régulés par des autorités chargées d’en neutraliser les biais.
B) La thèse de la surabondance d’épargne (Saving glut)
Selon une approche développée par l’actuel président de la Réserve fédérale américaine
(Bernanke 2005), et à laquelle se sont rallié des personnalités telles que Paul Krugman
(2009), A. Greenspan (2009) ou le célèbre chroniqueur du Financial Times, Martin Wolf
(2007), la surabondance de dollars aurait en fait été induite par une surabondance
(10) Asensio (2007, 2011a) souligne le pragmatisme dont Greenspan a fait preuve par rapport à la banque centrale européenne sur la période 1999-2006. Sa réaction aux signes d'inflation est par conséquent plus tardive
parce qu'il considère la possibilité que les capacités de production installées augmentent et finissent par neutraliser d'éventuelles tensions inflationnistes. Une telle attitude est mieux à même de laisser se développer la
croissance sans porter préjudice au contrôle de l'inflation sur l'ensemble du cycle, du moins dans un contexte
financier sain qui ne prête pas le flanc à un raidissement de la politique monétaire en cas de tensions inflationnistes persistantes.
(11) "It was the failure to properly price such risky assets that precipitated the crisis. In recent decades, a vast
risk management and pricing system has evolved, combining the best insights of mathematicians and finance
experts supported by major advances in computer and communications technology. A Nobel Prize was awarded
for the discovery of the pricing model that underpins much of the advance in derivates markets. This modern
risk management paradigm held sway for decades. The whole intellectual edifice, however, collapsed in the
summer of last year because the data inputted into the risk management models generally covered only the
past two decades, a period of euphoria." Alan Greenspan’s testimony before the House of Representatives
Committee on Oversight and Government Reform in Washington, October 23, 2008.
(12) Quelques semaines avant la fin de son mandat, Alan Greenspan croyait encore à l'atterrissage en douceur :
"A lot of people are going to lose their homes," he said. "It's a family tragedy. It's not an economic – or macroeconomic – tragedy", cité dans "Greenspan Sees A Soft Landing", Jessica Holzer, Forbes, 10.26.2006.
(http://www.forbes.com/2006/10/26/greenspan-housing-economy-face-cx_jh1026autofacescan02.html).
(13) "The Federal Reserve sets the nation’s monetary policy to promote the objectives of maximum employment,
stable prices, and moderate long-term interest rates." (Federal Reserve System, 2005, p. 15).
16
d’épargne au niveau international, ce qui tendrait à dédouaner la politique monétaire
américaine et à renvoyer la responsabilité sur le contexte international (14). La crise serait
en effet le résultat d’un endettement international intenable par lequel les ménages américains auraient vécu un temps au-dessus de leurs moyens, jusqu’à ce que l’heure des
comptes arrive. Cet endettement étant la contrepartie comptable d’une épargne abondante
et bon marché affluant d’Asie (Chine et Japon notamment) et des pays producteurs de
pétrole, la crise est mise au compte de la facilité avec laquelle les ménages américains
pouvaient obtenir des financements à taux attractifs pour acheter des biens immobiliers,
grâce au recyclage de l’épargne internationale (15).
L’une des caractéristiques de la période qui précède la crise est en effet le niveau relativement bas des taux d’intérêt réels, qui a amené les banques à proposer des crédits immobiliers à des ménages dont la capacité de remboursement eut été insuffisante à des taux
plus élevés (16).
Cependant, pour préserver le rendement des crédits immobiliers contre les effets négatifs
d’une éventuelle hausse des taux d’intérêt, les banques ont proposé des crédits à taux
variable, indexés sur les taux du marché (17). De sorte qu’il était prévu que les intérêts
payés par les souscripteurs de tels emprunts ne resteraient pas à leur très faible niveau
initial, mais augmenteraient en rapport avec l’évolution des taux des nouveaux prêts le
cas échéant. Quant au risque que certains ménages se trouvent en situation de défaut de
paiement, cela n’inquiétait pas outre mesure, car les biens immobiliers étaient hypothéqués et leur valeur augmentait régulièrement sous la pression de la demande de maisons
que les prêts bancaires alimentaient eux-mêmes. De cette manière, plus les opérations
devenaient risquées, plus la couverture du risque paraissait satisfaisante (cf. infra, Les
(14) Cette thèse est à rapprocher de la tendance NEK, dans la mesure où elle réhabilite la politique économique et
met l'accent sur des déséquilibres que les marchés mettraient du temps à résorber spontanément, ce qui justifie
par ailleurs l'argumentaire en faveur de politiques d'accompagnement (cf. infra).
(15) Bernanke (2005) explique la concentration aux États-Unis de l'épargne internationale par plusieurs facteurs,
comme l'attrait pour les hauts rendements dans la haute technologie américaine, l'attrait pour les placements
en dollars liés à la reconnaissance de la monnaie américaine comme devise de référence et la profondeur et
sophistication des marchés financiers américains.
(16) Les taux d'intérêt réels peuvent être obtenus, de manière approximative, en retranchant des taux d'intérêt
nominaux du graphique, le taux autour duquel gravitait l'inflation depuis une quinzaine d'années (de l'ordre de
2,5 % à 3 %), lequel peut raisonnablement être considéré comme le taux d'inflation annuel anticipé pendant la
période précédant la crise.
(17) Aux États-Unis, « On constate ainsi une très forte augmentation de la part des emprunts à taux variables au
détriment des emprunts à taux fixe : les premiers passent de 1 à 13 % et les derniers de 41 à 26 %. Le reste est
composé de prêts hybrides (à taux fixe les premières années, puis à taux variable) et de prêts « ballons » qui
prévoient le remboursement d’une partie importante du capital à la dernière période. » (Artus & alii, 2008).
17
Échos, 8/06/2006, sur l’appréciation de la situation par l’une des fameuses agences de
notation). (18)
(18) Contrairement à ce qu'avançait Greenspan (2009), la relative résistance des taux longs des crédits hypothécaires pourrait donc fort bien provenir de l'intéressement des banques à vendre du crédit hypothécaire, et non
pas de la surabondance d'épargne provenant d'Asie. Cette thèse trouve toute sa cohérence dans le cadre de la
théorie de Keynes : alors que les approches mainstream (NEC ou NEK) expliquent les taux d'intérêt à long terme
par la confrontation des désirs d'épargne et d'investissement, la théorie de Keynes met en avant les choix spéculatifs dans la détermination des taux d'intérêt.
18
Si cette interprétation apporte une explication de la formation des « déséquilibres » des
balances courantes américaine et chinoise (cf. encadré), elle ne fournit pas d’explication
convaincante des raisons pour lesquelles ces déséquilibres comptables étaient économiquement insoutenables. De nombreux observateurs, y compris parmi les auteurs issus du
courant de pensée dominant s’étaient, il est vrai, émus de l’accroissement des prix dans
l’immobilier américain, ainsi que du « déséquilibre » de la balance courante américaine,
mais, comme nous l’avons vu précédemment, cette inquiétude ne pouvait être fondée
que sur une appréciation subjective, pas sur une connaissance objective de la valeur fondamentale des biens immobiliers, donc de l’endettement qui aurait été soutenable pour
les ménages américains et du déficit courant correspondant... De sorte qu’à l’instar de la
thèse de la surabondance de monnaie, la thèse de la surabondance d’épargne ne permettait pas de diagnostiquer des déséquilibres (économiquement intenables) sur une base
objective.
Balance commerciale et endettement international :
Les États-Unis vivent-ils au-dessus de leurs moyens ?
La balance des paiements recense la valeur monétaire de toutes les opérations économiques
internationales survenues entre un pays et ses partenaires sur une période donnée. Du fait que
tous les flux économiques internationaux (importations et exportations) donnent lieu à un paiement monétaire équivalent à leur propre valeur monétaire, qu’il s’agisse de flux d’actifs ou de
biens et services marchands, la balance des paiements présente par construction un solde égal à
zéro. On peut voir sur la figure ci-dessous qu’il en est ainsi même si les importations totales
diffèrent des exportations totales :
EXPORTATIONS
IMPORTATIONS
Flux de biens &
Flux de biens &
services et d’actifs services et d’actifs
non monétaires
non monétaires
Flux monétaires
sortants
(paiement
des importations
Flux monétaires
entrants
(paiement
des exportations)
Figure n° 1
Lorsque les paiements monétaires reçus dépassent les paiements versés au reste du monde, le
pays enregistre une variation de sa position monétaire extérieure (∆PME > 0). C’est le cas d’un
pays ayant une balance globale excédentaire (BG > 0), c’est-à-dire dont les exportations totales
de biens, services et actifs non monétaires dépassent les importations totales :
BG = ∆PME
Les exportations et les importations (hors monnaies et devises) pouvant être ventilées pour simplifier dans les deux grandes catégories que sont les opérations courantes (dont le solde est la
balance courante, BC) et les opérations financières (dont le solde est la balance des capitaux,
BK), il vient :
BC + BK = ∆PME
Comme il existe des mécanismes d’ajustement qui tendent à rétablir l’équilibre de la balance
globale en cas de déséquilibre (cf. annexe 1), il s’avère que ∆PME peut difficilement s’écarter
durablement de zéro. Par conséquent, si un pays connaît des entrées nettes de capitaux sur une
période donnée (BK > 0), c’est que sur la même période il a dû connaître un déficit de la balance
courante (BC < 0), ce qui dans le cas des États-Unis a pris la forme d’un déficit commercial
croissant à mesure que les flux nets de capitaux entrants augmentaient (voir cependant la
remarque c) en annexe 1).
19
Figure n° 2
Dans le cas des États-Unis, la balance commerciale ("goods and services", en trait discontinu)
représente, sur l’ensemble de la période, l’essentiel du déficit de la balance courante, ici approchée par la balance des biens et services et des revenus financiers ("goods, services, and inc." en
trait plein). C’est donc bien le commerce international qui est la contrepartie principale de
l’endettement net des États-Unis vis-à-vis du reste du monde.
Les entrées récurrentes de capitaux asiatiques et du Moyen-Orient ont permis aux ménages
américains d’accéder à du crédit bancaire facile et bon marché, de sorte que les dépenses des
ménages américains ont pu dépasser ce que pouvait produire l’économie nationale grâce aux
importations. Comme l’indique l’identité des emplois et des ressources en biens et services :
Y + M = DI + X ⇔ DI – Y = M – X
Y : PIB, D : Demande intérieure (privée et publique), M : Importations, X : Exportations
D’où il ressort que tout excès de la demande intérieure sur le PIB (DI – Y > 0) est identiquement
égal au déficit commercial (M – X). C’est ainsi que l’augmentation de l’endettement international
des États-Unis s’est accompagné dans le même temps d’un creusement du déficit de la balance
commerciale et d’une augmentation de la demande intérieure au-dessus de la croissance du PIB
(figure 3). D’une certaine manière, les États-Unis ont emprunté à l’étranger pour pouvoir y acheter
et ainsi dépenser davantage qu’ils ne pouvaient produire.
20
Figure n° 3
Pour les tenants de la thèse du "saving glut", l’explication de la crise se résume dès lors,
comme chaque fois qu’un phénomène de bulle est diagnostiqué par des auteurs issus du
courant de pensée dominant, à une croyance selon laquelle il faut bien que la bulle éclate
tôt ou tard (faute de quoi ces auteurs devraient renoncer à l’idée d’un « équilibre naturel
ou fondamental », et à la théorie dont ils s’inspirent). (19) La croyance en un « équilibre
naturel » étant un acte de foi, il est somme toute logique que la croyance dans l’ajustement vers l’« équilibre naturel » relève aussi d’un acte de foi.
La crise aurait donc de ce point de vue la nature d’un ajustement de déséquilibres internationaux temporaires, causés par un choc exogène (l’apparition d’une surabondance
d’épargne), et que les gouvernements et les cercles académiques appelaient de leurs
vœux depuis le milieu des années 2000. (20) Les scénarios d’ajustement envisagés alors
reposaient principalement, en ce qui concerne les États-Unis, sur une augmentation de la
propension globale à épargner (réduction de la propension à consommer des ménages et
du déficit public) et, en ce qui concerne le côté asiatique, sur une forte appréciation du
yuan vis-à-vis du dollar, visant à réorienter la production vers le marché intérieur, lequel
devait être par ailleurs dynamisé par une hausse du taux d’investissement et de la propension globale à consommer. Or, près de trois ans après le début de la crise financière
(4 ans si l’on date le début du processus de correction du « déséquilibre » à la première
étape de la crise des subprimes de l’été 2007), même si, en effet, les ménages américains
ont été contraints de réduire leur train de vie et même si les tensions inflationnistes en
Chine ont en effet amené les autorités à consentir à une appréciation du Yuan, le déficit
(19) Comme le montre l'article de Krugman (2009) : "For a while, the inrush of capital created the illusion of wealth
in these countries, just as it did for American homeowners: asset prices were rising, currencies were strong, and
everything looked fine. But bubbles always burst sooner or later, and yesterday’s miracle economies have become
today’s basket cases".
(20) Voir notamment Blanchard & alii (2005), FMI (2005), Gourinchas & Rey (2007), Obstfeld & Rogoff (2005),
Williamson (2005).
21
public et le ratio de dette des États-Unis a fortement augmenté (et ces derniers continuent
d’ailleurs à demander à la Chine de ne pas faire obstacle à l’appréciation du Yuan) (21).
Loin d’avoir apuré la situation, la crise semble donc avoir déplacé le problème en dégradant fortement les finances publiques américaines et celles de la plupart des pays impliqués
dans la tourmente. Ce qui contrarie la thèse selon laquelle il s’agirait d’une correction
spontanée de déséquilibres temporaires.
Au final, la thèse de l’abondance d’épargne peut difficilement prétendre offrir une lecture
pertinente de la crise, non seulement parce que la crise ne ressemble pas à un mécanisme
d’ajustement qui orienterait les économies vers une position d’« équilibre naturel » dont
elles auraient malencontreusement été détournées, mais aussi et surtout parce qu’elle
(21) "That continued rapid pace of foreign reserve accumulation in China; the broadly unchanged level of China’s real effective exchange rate, especially given rapid productivity growth in the traded goods sector; and the
projected widening of current account surpluses, all indicate that the real effective exchange rate of the renminbi remains substantially undervalued. It is in China’s interest to allow the nominal exchange rate to appreciate
more rapidly, both against the dollar and against the currencies of its other major trading partners". (U.S.
department of Treasury, 2011, p. 3).
22
repose, elle aussi, sur l’idée que le prix des actifs s’était trop écarté de leur prétendue
valeur fondamentale, alors qu’il est impossible d’en fournir une évaluation objective et de
déterminer, à partir de là, le moment où l’écart serait devenu insoutenable. La crise dans
ces approches, comme le choc qui en est à l’origine (qu’il s’agisse d’une erreur de politique économique ou d’un changement structurel impliquant les comportements
d’épargne), est au bout du compte un phénomène exogène : « il faut bien que la bulle
éclate un jour ».
C) Déficiences de marchés
Bien que les lectures de la crise financière présentées ci-dessus aient cherché à localiser
les causes de la crise au niveau de facteurs extérieurs aux marchés (laxisme des autorités
monétaires, surabondance d’épargne internationale), l’argumentation déployée ne
pouvait évidemment éluder la question centrale de l’évaluation des risques par les opérateurs. Pour des auteurs comme Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie en 2001, le problème
résulte de l’asymétrie d’information et du manque de transparence dont bénéficient
certains opérateurs sur les marchés financiers. (22) L’incapacité du système financier à
prendre la mesure des risques pourrait ainsi recevoir une explication dans le cadre même
des hypothèses fondamentales de la théorie dominante, sous la forme d’une distorsion
de concurrence.
« La seule surprise de la crise économique de 2008, c’est qu’elle ait tant surpris. Pour quelques observateurs, c’était un cas d’école tout à fait prévisible, et d’ailleurs prédit. Un marché déréglementé, saturé de
liquidité et de taux d’intérêt faibles ; une bulle planétaire de l’immobilier ; une hausse astronomique du
prêt à risque ; le mélange était explosif. Ajoutons les deux déficits des États-Unis, le budgétaire et le
commercial, et l’accumulation correspondante de gigantesques réserves de dollars en Chine – une
économie mondiale déséquilibrée –, et il était clair que tout avait affreusement déraillé. » (Stiglitz
2010, Le triomphe de la cupidité, p. 35).
On reconnaîtra, dans la citation ci-dessus, les phénomènes mis en avant par les tenants
des thèses de la surabondance de monnaie (surévaluation des actifs) et d’épargne (déséquilibres internationaux), mais la thèse de Stiglitz est que la crise n’aurait pu survenir
sans les trois ingrédients qu’il place de ce fait au cœur de l’explication de sa survenue :
« un mauvais système de gouvernance d’entreprise, une mise en œuvre inadéquate des
lois sur la concurrence et une compréhension insuffisante du risque (Stiglitz 2010, Le
triomphe de la cupidité, p. 52). Sans de tels ingrédients, les dysfonctionnements révélés
par la crise n’auraient pu se produire d’après Stiglitz.
Selon cette approche, l’interaction des ingrédients en question produit des « incitations
perverses ». Actualisant la thèse de Berle et Means (1932) sur la séparation entre le
contrôle des entreprises et la propriété de ces dernières, Stiglitz utilise les outils de la
théorie moderne de l’agence (Jensen & Meckling, 1976) pour mettre en évidence certaines distorsions qui peuvent résulter du fait que les managers sont en position de maximiser leurs propres gains, aux dépens des intérêts des propriétaires, trop nombreux pour
pouvoir infléchir suffisamment les choix des managers. Sous la pression conjuguée des
analystes financiers (en quête de rendements à court terme) et de leur propre intérêt, les
managers feraient des choix orientés vers l’augmentation immédiate du cours des
actions, sans trop se préoccuper de la viabilité et de la rentabilité à long terme de ces
choix. Un autre problème d’agence est mis en évidence dans la divergence d’intérêt entre
les investisseurs institutionnels et les épargnants dont ils placent les avoirs, le ‘‘court-termisme’’ des premiers pouvant ici s’opposer aux intérêts des épargnants dans la longue
période. L’intéressement des managers au rendement immédiat aurait ainsi poussé au
développement de la titrisation des prêts bancaires et des produits structurés (combinaison
de titres de différents types en ‘‘packages’’), qui brisent le lien entre le prêteur et l’emprunteur et n’augmentent en fait le rapport rendement/risque inhérent à toute opération financière qu’en apparence, notamment aux yeux des agents mal informés qui les achètent
(même quand ce sont des professionnels, cf. encadré). C’est ainsi qu’auraient pu se propager les produits financiers « innovants », dont les fameux CDO, CDO2, CLO, CBO, ... ainsi
que les produits d’assurance des risques liés aux opérations financières, comme les CDS.
(22) Pour un exposé académique sur ce point, voir Greenwald & Stiglitz (2005).
23
L’opacité des produits structurés
La sophistication des modèles financiers d’évaluation des risques et des prix d’actifs a rendu l’évaluation objective des risques théoriques inhérents à certains produits mis sur le marché extrêmement
complexe, sinon impossible (23). Les agences de notations et les autorités financières ont pu de ce fait
être dans l’incapacité d’apprécier correctement les caractéristiques de certains produits élaborés et
des institutions financières qui les détenaient. Si l’on ajoute à cela le problème du possible conflit
d’intérêt entre les agences de notation et les institutions financières qu’elles évaluaient, on comprend
que les gardes-fous n’aient pas fonctionné et que de bonnes notes aient pu être attribuées à des
produits/institutions en fait très risqués.
Le danger de ces produits provient de ce qu’ils dissimulent les risques pour élever le rapport
rendement/risque apparent. Par conséquent, ceux qui en tirent de meilleurs rendements
n’assument pas l’intégralité du risque encouru, ni le coût de l’assurance qu’ils devraient
payer, d’où l’incitation perverse. La perversion tient à ce que ce sont les acheteurs mal
informés qui supportent des risques non assurés sans le savoir, de sorte que leur éventuelle réalisation est intégralement à la charge de ces derniers. Ces externalités sont le
canal par lequel l’imprudence de chacun s’est finalement retournée contre tous ceux qui
détenaient des produits douteux (sans le savoir puisque, pour l’essentiel, ils ne les
avaient pas émis) (24). Elles sont identifiées dans la littérature théorique comme un facteur justifiant l’intervention publique même si les marchés sont concurrentiels.
« Quand il y a d’importants problèmes d’agence et d’externalités, les marchés ne parviennent généralement pas à des résultats efficaces [...]. C’est l’une des raisons pour lesquelles il faut réglementer les
marchés financiers. Les autorités de réglementation étaient la dernière ligne de défense contre les
comportements à haut risque des banques ou leurs agissements peu scrupuleux, mais après des
années d’efforts de lobbysme ciblé de la part du secteur bancaire, l’État avait démantelé les dispositions existantes sans en adopter de nouvelles pour répondre à l’évolution du paysage financier. On a
nommé à la tête de ces autorités des dirigeants qui ne voyaient pas pourquoi la réglementation était
nécessaire et, la jugeaient donc superflue. L’abrogation en 1999 du Glass-Steagall Act, qui avait
imposé la séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires a créé des banques toujours plus
gigantesques, trop grandes pour qu’on les laisse faire faillite. La conscience d’être trop grandes pour
faire faillite les a incitées à prendre des risques. » (Stiglitz 2010, Le triomphe de la cupidité, p. 56)
Par rapport aux interprétations précédentes, la thèse de Stiglitz présente l’intérêt de
mettre en avant des facteurs endogènes (inhérents au fonctionnement des marchés financiers) dans l’explication de la crise. Elle met ainsi en cause les pratiques des opérateurs
financiers et propose des analyses éclairantes des biais que peuvent produire l’asymétrie
d’information et les externalités sur les marchés financiers. Mais dans le scénario que
propose Stiglitz, les biais en question ne débouchent sur une crise que parce qu’il est
supposé que certains opérateurs préfèrent acheter des produits opaques plutôt que se
tourner vers d’autres produits. Une telle hypothèse est difficile à justifier, même si l’on
avance que les agences de notation étaient dans l’incapacité d’évaluer correctement les
risques de certains produits très sophistiqués, car rien ne les forçait le cas échéant à
donner une bonne note au produit en question. Et quand bien même elles l’auraient fait
pour des raisons tenant à un éventuel conflit d’intérêt, il faudrait encore supposer que ni
les acquéreurs eux-mêmes (pourtant souvent des institutions parfaitement armées), ni les
autorités de régulation n’avaient conscience de l’asymétrie d’information et du caractère
potentiellement vicié de certains produits. En outre, la thèse de Stigltiz se heurte aux
mêmes difficultés sur le fond que les thèses de la surabondance de monnaie et d’épargne :
elle repose sur l’idée qu’à cause de pratiques douteuses permises par l’asymétrie de l’information entre les opérateurs et par des autorités complaisantes, le prix des actifs s’était
trop écarté d’une prétendue valeur fondamentale sans que les agents le sachent. Mais la
vérité, sans que cela remette en cause l’idée que certains opérateurs exploitent une asymétrie d’information à leur avantage, que les agences de notation aient été en situation de
conflit d’intérêt et que les autorités aient pu faire preuve de négligence coupable..., c’est
(23) Il s'agit ici des risques théoriques attachés à des produits conçus à l'aide de modèles mathématiques plus
ou moins sophistiqués, et non pas du risque réel que comportent ces produits une fois qu'ils ont été mis sur les
marchés, lequel n'est pas quantifiable selon des critères objectifs.
(24) L'une des mesures des nouvelles réglementations qui se mettent en place vise à obliger les émetteurs à
conserver une proportion significative des produits émis.
24
qu’il est en fait impossible de fournir une évaluation objective du risque et d’en déduire
un critère objectif d’insoutenabilité dont les opérateurs, agences de notation et les autorités auraient pu avoir connaissance.
II. L’APPORT DU COURANT POSTKEYNÉSIEN À LA COMPRÉHENSION DE LA CRISE
A) Incertitude et possibilité de la crise
La possibilité de la crise devient évidente si l’on admet l’incertitude fondamentale ; nul
besoin de faire des hypothèses contestables sur la rationalité des acteurs. La principale
difficulté avec laquelle doivent composer les différents acteurs du système financier est
l’impossibilité d’une connaissance objective du prix des actifs, c’est-à-dire des revenus
futurs que ces actifs sont susceptibles de produire, et l’impossibilité qui en découle de
couvrir complètement les risques. Le calcul probabiliste n’est ici que d’un faible secours,
car les probabilités sont dérivées de « lois statistiques » changeantes, qui ne peuvent
qu’exprimer les propriétés que telle ou telle série de données a eu dans le passé. De là à
prétendre que ces « lois » prévaudront à l’avenir il y a un gouffre que le courant de
pensée dominant à toujours mésestimé, convaincu de l’existence d’un « ordre naturel »,
mais dont Keynes a su tirer les conséquences pour l’élaboration d’une macroéconomie
radicalement nouvelle (25). Lorsqu’il publia sa Théorie Générale de l’intérêt, de l’emploi
et de la monnaie, Keynes avait publié un traité de probabilités et avait une profonde
connaissance des questions financières, que les fonctions qu’il avait exercées de longue
date auprès du Trésor britannique lui avait permis d’acquérir. Et c’est sur le thème de
l’absence d’ancrage objectif pour les prévisions des agents économiques qu’il entendait
se démarquer de la tradition :
"Or, perhaps, we might make our line of division between the theory of stationary equilibrium and the theory of shifting equilibrium-meaning by the latter the theory of a system in
which changing views about the future are capable of influencing the present situation. [...]
(Keynes 1936, p. 293)
En l’absence d’un ancrage objectif pour les anticipations, les décisions des agents ne peuvent qu’être prises en fonction de l’appréciation subjective de ce que pourrait être le futur.
Cela implique deux niveaux de délibération préalable : i) quelles éventualités retenir et
quelles chances/probabilités de réalisation leur attribuer ? ii) cette évaluation n’étant pas
fondée sur une connaissance objective, est-elle fiable et à quelle hauteur ? La prise en
compte de ces questionnements constitue l’innovation méthodologique majeure de
Keynes. Elle implique entre autre que le fonctionnement du système économique dépend
des « vues concernant l’avenir », c’est-à-dire non seulement des prévisions subjectives
que peuvent faire les agents, mais aussi de la confiance qu’ils placent dans leurs prévisions, de leur plus ou moins grand optimisme/pessimisme (26).
L’incertitude réhabilitée
L’incertitude selon le mainstream, un concept dénaturé. L’économie dominante s’est construite
depuis le XVIIIe siècle sur le postulat selon lequel le système économique obéirait à un « ordre
naturel ». Sur un plan théorique, on trouve la trace de cette croyance dans les concepts centraux
de « taux de chômage naturel », « taux d’intérêt naturel », « taux de change d’équilibre fondamental »... La traduction de cette croyance en économétrie appliquée se trouve dans la recherche
du « processus générateur des données » (data generating process), qui postule que les séries
suivent des lois statistiques plus ou moins stables. Ainsi, le modèle standard du mainstream (27)
est fondé sur l’hypothèse que les agents font des choix maximisant leur espérance d’utilité, c’està-dire la satisfaction qu’ils peuvent espérer en retirer à présent et dans le futur, compte tenu des
probabilités qu’exhibent les séries statistiques (sur la base desquelles ils font leurs prévisions).
Dans ce cadre conceptuel, l’incertitude est un épiphénomène, un « bruit blanc » autour d’une
(25) Les spécialistes qualifient de non-ergodique un système dynamique dont le passé ne contient pas toute
l'information permettant de prévoir le devenir du système.
(26) "The state of long-term expectations, upon which our decisions are based, does not solely depend, therefore,
on the most probable forecast we can make. It also depend on the confidence with which we make this forecast,
on how highly we rate the likelihood of our best forecast turning out quite wrong" (Keynes, 1936, p. 148).
(27) 'Dynamic stochastic general equilibrium model'. Voir Benassy (2007) pour une version stylisée.
25
trajectoire prévisible. Les théoriciens de la décision qualifient ce type de contexte de risk, pour
marquer la différence avec l’incertitude (uncertainty).
Réhabilitation empirique de l’incertitude. Mais l’économétrie, qui a longtemps été un instrument
de domination du mainstream, est en train de se retourner contre lui. Il est en effet de plus
en plus manifeste que les séries temporelles ne vérifient pas les présupposés sur lesquels est
fondée l’économie dominante. C’est ce qu’atteste le développement rapide de la littérature sur
les coefficients variables, les changements de régime et autres changements structurels, dont les
conséquences méthodologiques sont très lourdes, notamment pour ce qui a trait à la capacité
prédictive des agents (Hendry, 2002, Kurmann, 2005, Hinich, Foster & Wild 2006). C’est ainsi que,
selon le lauréat du prix Nobel 2006 : “… if an economy possesses dynamism, so that fresh uncertainties incessantly flow from its innovative activities and its structure is ever changing, the
concept of rational-expectations equilibrium does not apply and a model of such an economy
that imposes this concept cannot represent at all well the mechanism of such an economy’s fluctuation.” (Edmund Phelps 2007)
Réhabilitation théorique de l’incertitude. De plus en plus de théoriciens admettent par conséquent une définition large de l’incertitude, de sorte que l’apprentissage et les anticipations adaptatives ne sont plus considérés comme irrationnels dans les travaux économiques récents
(Sargent, 1999, Farmer, 2002, Evans & Ramey, 2006, Preston, 2006, Hansen, 2007). Les modèles
issus de l’économie expérimentale confirment ainsi le sentiment de E. Phelps : “when the environment changes continually, including the behavior of other investors, the learning process
may never reach a stationary point” (Sunder, 2007). Il existe également des modèles dynamiques
basés sur la « théorie de l’équilibre à croyances rationnelles » (Rational Beliefs Equilibrium
theory ; voir Kurz 1994, Kurz & Motolese 2001, Wu & Guo, 2003), une théorie des systèmes
économiques non stationnaires (donc non ergodiques (28)), où les anticipations des agents changent en fonction de leurs croyances (rationnelles), c’est-à-dire en fonction des probabilités subjectives sur la base desquelles ils élaborent leur théorie concernant le fonctionnement du système,
lesquelles évoluent elles-mêmes avec le système (voir également Frydman & Goldberg 2008).
Cette approche, qui emprunte aux travaux de Savage (1954) concernant le rôle des probabilités
subjectives dans la décision face à l’incertain, améliore incontestablement la prise en compte de
l’incertitude, mais elle continue de supposer que les agents se fient à leurs prévisions en dépit du
fait qu’elles sont susceptibles de changer dans le futur. Cette hypothèse n’est pas des plus heureuses, car comme l’avait signalé Knight en 1921, le degré de confiance est un concept clé des
décisions économiques en situation d’incertitude. Ce point est formellement attesté dans la théorie
moderne de la décision (voir par exemple Chateauneuf, Eichberger & Grant, 2007). D’après les
modèles proposés par Nishimura & Ozaki (2004, 2007) il est rationnel de chercher à réduire
l’incertitude lorsqu’elle devient plus grande, par exemple en acceptant un travail dès à présent
afin d’éviter d’avoir à poursuivre la recherche d’un emploi incertain (c’est-à-dire, en préférant un
montant de monnaie certain aujourd’hui, plutôt qu’un montant incertain dans le futur), ou en
retardant un projet d’investissement dans le cas d’un entrepreneur. Ces arguments rappellent
clairement ceux de Keynes sur la préférence pour la liquidité et l’incitation à investir. Dans la
même veine, Gomes (2007) a établi que “an uncertainty averse agent saves more than a risk
aversion agent and this gap increases with the degree of uncertainty aversion”.
En réfutant la définition restrictive de l’incertitude opérée par l’économie dominante, Keynes a
révolutionné la théorie économique de la décision, lui fournissant de nouveaux concepts tels que
la préférence pour la liquidité, l’efficacité marginale du capital, les « esprits animaux », la propension marginale à consommer, les conventions, l’état de la confiance... La conséquence spectaculaire de ces innovations fut une profonde modification de la compréhension du fonctionnement
des systèmes de marchés concurrentiels : non neutralité de la monnaie (y compris à long terme),
rôle moteur de la demande effective, effets potentiellement déstabilisants de la concurrence et
impuissance des forces concurrentielles à éliminer le sous-emploi (29), propriétés dont le
pouvoir explicatif sera illustré au chapitre suivant dans le cadre de l’étude des conséquences à
venir de la crise financière.
C’est bien d’un grand optimisme quant à la capacité des prix des actifs à prolonger les
tendances antérieures que vient l’euphorie des marchés à la veille du krach. Quant à la
survenue du krach lui-même, elle relève de l’imprévisibilité du système ; concrètement,
de l’impossibilité de connaître à l’avance – au grand dam de ceux qui prétendent avoir
prévu la crise – le moment où les opérateurs deviennent pessimistes parce qu’il est de
plus en plus douteux que les prix de certains actifs puissent tenir les promesses de rende(28) La non stationnarité est une condition suffisante pour la non ergodicité, bien qu'elle ne soit pas une condition nécessaire (ce qui implique qu'un système stationnaire peut ne pas être ergodique).
(29) Les tentatives de formalisation dérivées du modèle IS/LM ont eu des conséquences désastreuses pour la
diffusion des idées de Keynes du fait des simplifications grossières qu'elles véhiculaient. Ces simplifications
revenaient à nier toute importance à l'incertitude fondamentale, c'est-à-dire à renier l'innovation essentielle de
la Théorie Générale. Parmi les essais fidèles à la pensée de Keynes, signalons les livres de V. Chick (1983) et de
T. Palley (1996) (voir également Asensio 2008a, Asensio, Charles, Lang 2010, ainsi que le modèle pédagogique
proposé par Fontana et Setterfield, 2009).
26
ment dont ils tirent leur valorisation actuelle, et que cette perspective impacte les prévisions
concernant le rendement de produits dérivés/structurés, la viabilité de telle institution...
« Je n’étais sûrement pas le seul à m’attendre à un krach de l’économie américaine aux
conséquences planétaires. L’économiste de l’université de New York Nouriel Roubini,
le financier Georges Soros, Stephen Roach de Morgan Stanley, l’expert en immobilier de
l’université Yale Robert Shiller et l’ancien membre de l’équipe du comité des Conseillers
économiques/Conseil économique national de Clinton Robert Wescott ont tous émis des
avertissements répétés. Tous étaient des économistes keynésiens qui ne croyaient pas les
marchés capables de s’autocorriger ». (Stigltiz, Le triomphe de la cupidité, 2010, p. 60-61).
Il n’était pas difficile pour les gens sceptiques quant à l’efficience des marchés de
s’inquiéter des tendances des marchés immobiliers, des déséquilibres des balances
courantes, des profits des banques et des performances de Wall Street... et de conclure,
sans qu’il soit cependant possible d’en apporter la preuve, au caractère insoutenable du
système. Mais il était en revanche impossible de savoir si et quand ces tendances déboucheraient sur une crise systémique, ou sur une crise localisée, et/ou sur une prise de
conscience et un retour à des pratiques plus prudentes... Dans le monde réel, il est toujours aisé a posteriori d’expliquer des événements non prévus et d’en déduire qu’ils
étaient prévisibles, voire que certains les avaient prévus, mais la réalité, c’est que l’avenir
n’est jamais écrit à l’avance, car il dépend de ce que font les sociétés sur la base de la
manière dont elles se représentent les futures possibles. Dans le monde réel, à la différence des mondes artificiels qu’affectionnent souvent les modélisateurs du courant dominant, ce que les observateurs et prévisionnistes sont fondés à dire sur le futur ne sont que
des prédictions conditionnelles (sous réserve bien sûr qu’ils aient une théorie) : si on ne
modifie pas telle ou telle pratique, tel événement/catastrophe peut se produire.
Ce que Stiglitz et les auteurs qu’il cite ont identifié, ce sont des phénomènes dont l’extrapolation pouvait paraître insoutenable, sans qu’il y ait de critère objectif pour l’affirmer.
Ils n’ont en fait nullement formulé une théorie cohérente des rouages par lesquels la crise
surviendrait, et moins encore une prévision rationnelle du moment où elle surviendrait.
Or, en l’absence de tels éléments, les « avertissements répétés » qu’évoque le prix Nobel
d’économie relèvent de l’intuition, d’un sentiment subjectif, donc sans valeur de preuve. Il
est aisé d’élaborer un scénario de crise en enchaînant quelques idées si l’on ne s’attarde
pas à en vérifier la consistance et la compatibilité avec tel ou tel cadre théorique, mais
cela risque fort d’induire une mauvaise compréhension des phénomènes observés, dont
la cohérence laisse à désirer, et qui soulève en fait plus de problèmes qu’elle n’en résout.
B) Le désarroi des marchés concurrentiels
Les « nouveaux keynésiens » ont beau mettre en avant que leurs travaux permettent de
douter de la capacité des marchés à s’« autocorriger », cela ne saurait constituer une
explication de la survenue de la crise, seulement une explication de l’inefficience des
marchés du point de vue de la théorie de l’allocation des ressources. Mettre en doute
l’efficience des marchés ne signifie pas que l’on doute de leur capacité à s’autoréguler,
c’est-à-dire à toujours s’orienter spontanément vers une position d’équilibre, fut elle sous
optimale. Pour ce qui est en revanche de l’explication de la crise comme résultat d’un
processus instable, on ne peut que constater la confiance affichée envers un rétablissement à terme du plein emploi, même s’il est admis que des difficultés sont susceptibles
de retarder le processus. (30)
Or ce que la crise est venue violemment rappeler aux tenants de ces « nouvelles macroéconomies », c’est non seulement que les marchés peuvent fonctionner d’une manière
sous optimale (ce que seuls les « nouveaux classiques » les plus invétérés refusent encore
d’envisager), mais aussi leur instabilité potentielle. Le problème est cependant qu’au fil
du temps, une écrasante majorité d’économistes en sont venus à méconnaître l’œuvre
authentique de Keynes, et se privent ainsi de la possibilité d’offrir une explication cohérente de la survenue d’une grave crise dans un contexte de libéralisation et de dérègle(30) « À l'heure où ce livre va sous presse, les perspectives d'un retour de l'économie à son niveau de production potentiel, même dans un an ou deux, sont faibles. Si l'on regarde les fondamentaux économiques, et non
les scénarios délibérément rose, on a l'impression que le taux de chômage mettra longtemps à revenir à la normale. Le fond touché, le rebond ne ramènera pas l'économie là où elle devrait être : la courbe va probablement
s'aplanir dans une stagnation à la japonaise avant le rétablissement du plein emploi. » (Stiglitz 2010,
Le triomphe de la cupidité, p. 110).
27
mentation. Keynes en effet a élaboré une théorie dans laquelle, en raison des effets
délétères liés à l’incertitude fondamentale (lesquels irradient le système économique précisément à partir des décisions financières), les mécanismes concurrentiels peuvent non
seulement échouer à instaurer un ordre efficient, mais peuvent aussi engendrer de l’instabilité (c’est sur ces bases que H. Minsky, comme nous le verrons plus loin, a pu développer
ses idées sur l’instabilité financière).
Je souligne concurrentiels parce qu’il est aisé de produire des dysfonctionnements dans
un système de marchés en introduisant des imperfections concurrentielles, comme l’ont
abondamment illustré les « nouveaux keynésiens ». Mais ce n’est pas de cela dont il
s’agit ; les économistes du FMI mis en cause par des auteurs « nouveaux keynésiens »
connaissaient parfaitement ces travaux. Ce dont il s’agit, c’est de la remise en question du
dogme selon lequel la dérèglementation, i.e. le renforcement de la concurrence, serait
toujours à même de corriger les inefficiences. Les « nouveaux keynésiens » de ce point de
vue sont aussi démunis que les économistes du FMI et d’autres institutions (OCDE,
banques centrales, gouvernements...), qu’ils ont d’ailleurs largement contribué à former.
À moins qu’ils reconnaissent l’importance méthodologique de l’incertitude fondamentale,
ils risquent fort de n’avoir d’autre choix que retourner à leur cadre de « pensée doctrinaire »
et à leurs « présupposés intellectuels », pour reprendre les termes des évaluateurs du FMI
(cf. encadré).
Sur l’autocritique de la pensée économique dominante
Dans un récent rapport d’évaluation de l’action du FMI (http://www.ieo-imf.org/eval/complete/
pdf/01102011/Crisis_Main_Report_FRENCH.pdf), le « bureau d’évaluation indépendant » (Independent Evaluation Office) note que la « capacité du FMI à cerner avec précision les risques
émergents a été entravée par l’idée répandue, captive d’un même postulat intellectuel et d’un
certain état d’esprit, qu’une crise majeure dans les grands pays industriels était peu probable, et
par l’inadéquation des méthodes d’analyse ». Les pages 29 à 31 du rapport pointent les
faiblesses analytiques du cadre de pensée dominant : « Les faiblesses analytiques sont au cœur
de certaines des lacunes les plus patentes de la surveillance, dans le cas particulier des pays
avancés. Ces faiblesses sont globalement de deux types : pensée doctrinaire et autres postulats
intellectuels ; méthodes d’analyse/connaissances incomplètes. (...). Plusieurs présupposés intellectuels semblent avoir joué un rôle non négligeable. (...) L’opinion dominante au sein des
services du FMI – groupe cohésif de macroéconomistes – était que la discipline et l’autorégulation
du marché suffiraient à écarter tout problème majeur des institutions financières. Toujours selon
la pensée dominante, les crises étaient peu probables dans les pays avancés dont le degré de
« sophistication » des marchés financiers leur permettrait de progresser sans encombre avec une
régulation minimale d’une part importante et croissante du système financier. Les services du
FMI étaient fondamentalement en accord avec l’opinion des autorités des États-Unis, du RoyaumeUni et d’autres pays avancés qui estimaient que leurs systèmes financiers étaient foncièrement
sains et résistants. Ils adhéraient aussi au postulat selon lequel le système était à même de réaliser
une allocation efficiente des ressources et aussi de répartir les risques entre les entités les mieux
préparées à les assumer. (...) ».
Le rapport pointe également des faiblesses quant à la prise en compte des liens entre l’analyse
macroéconomique et celle du secteur financier. « Ceci est révélateur de l’absence d’un cadre
conceptuel adéquat pour l’analyse de ces liens chez les économistes en général, et de l’opinion
répandue chez les économistes du FMI, selon laquelle les questions financières sont secondaires »,
comme l’admet d’ailleurs O. Blanchard dans un document de travail cité dans le rapport
(http://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2009/wp0980.pdf, p. 3, note de bas de page).
La mise en cause du cadre de pensée dominant dans ce rapport de l’IEO n’est pas un cas isolé.
Plusieurs célébrités avaient déjà procédé à un examen de conscience. On citera par exemple :
"Not having believed that what has happened could happen, the profession had not thought
carefully about what should be done if it did happen. Baffled by the profession’s disarray, I decided
I had better read The General Theory. Having done so, I have concluded that, despite its antiquity, it
is the best guide we have to the crisis." R. Posner (U. of Chicago): "How I became Keynesian",
The new Republic, Sept. 3, 2009, http://www.tnr.com/article/how-i-became-keynesian
"Charles Goodhart, (...) once said of the Dynamic Stochastic General Equilibrium approach which
for a while was the staple of central banks’ internal modelling: “It excludes everything I am interested in”. He was right. It excludes everything relevant to the pursuit of financial stability. The
Bank of England in 2007 faced the onset of the credit crunch with too much Robert Lucas,
Michael Woodford and Robert Merton in its intellectual cupboard. A drastic but chaotic re-education took place and is continuing. I believe that the Bank has by now shed the conventional wisdom of the typical macroeconomics training of the past few decades. In its place is an intellectual
potpourri of factoids, partial theories, empirical regularities without firm theoretical foundations,
28
hunches, intuitions and half-developed insights. It is not much, but knowing that you know
nothing is the beginning of wisdom." W. Buiter (London school of economics, membre fondateur
du Monetary Policy Committee of the Bank of England): "The unfortunate uselessness of most
state of the art academic monetary economics", Financial Times, 3 March 2009.
http://blogs.ft.com/maverecon/2009/03/the-unfortunate-uselessness-of-most-state-of-the-artacademic-monetary-economics/
"Recent events have pretty decisively refuted the idea that recessions are an optimal response to
fluctuations in the rate of technological progress; a more or less Keynesian view is the only plausible game in town. Yet standard New Keynesian models left no room for a crisis like the one
we’re having, because those models generally accepted the efficient-market view of the financial
sector. (...) until now the impact of dysfunctional finance hasn’t been at the core even of Keynesian economics. Clearly, that has to change." P. Krugman: How did economists get it so wrong?
The New York Times, Sept. 2, 2009.
http://www.nytimes.com/2009/09/06/magazine/06Economic-t.html
La théorie de Keynes est réputée pour le rôle directeur qu’elle reconnaît à la demande
agrégée, en parfaite contradiction avec les théories du courant de pensée dominant. Dans
la théorie dominante du fonctionnement des marchés concurrentiels, les déficiences de la
demande agrégée sont simplement impensables autrement que comme un phénomène
temporaire, dû à quelque lenteur du processus d’ajustement concurrentiel. La « loi de Say »
(l’offre génère sa propre demande) est l’expression de cette propriété de l’équilibre économique dans la vision dominante. Elle repose à l’échelle macroéconomique sur l’idée
que la demande de biens et services dans l’ensemble de l’économie ne peut être durablement inférieure à la production car cela supposerait que la partie de la production qui n’a
pas été écoulée sur les marchés de consommation courante (c’est-à-dire l’épargne) n’a
pas pu être écoulée non plus auprès des investisseurs comme bien d’équipement ou pour
accroître les stocks (31). Or une telle situation (excès de l’épargne agrégée sur l’investissement total) déclenche selon la théorie une baisse du taux d’intérêt à long terme (32) par
laquelle l’épargne et l’investissement sont maintenus égaux, ce qui implique au bout du
compte que la production non consommée soit intégralement écoulée pour l’investissement. D’où la « loi de Say », dite également « loi des débouchés ».
La remise en cause de ce résultat par Keynes s’explique par le fait qu’en raison de l’incertitude qui caractérise le monde réel, le taux d’intérêt est amené à remplir une fonction
différente de celle mise en avant dans le processus d’ajustement conduisant à la « loi des
débouchés ». Dans la théorie générale, le taux d’intérêt est le prix qui maintient égales la
quantité de monnaie disponible et le montant de monnaie que les agents économiques
souhaitent détenir. C’est le prix de la liquidité, non le prix de l’épargne. Quand l’incertitude
quant à la valeur future des actifs réels et financiers est jugée importante, la « préférence
pour la liquidité » peut élever la demande monnaie et le taux d’intérêt à des niveaux qui
empêchent l’investissement d’absorber un montant élevé d’épargne. Dans ce cas, si les
entreprises produisaient à pleine capacité, elles rencontreraient vite un problème d’écoulement de leurs produits. L’élévation inhabituelle des stocks d’invendus alerterait les
moins prévoyantes, tandis que le niveau d’activité général serait ajusté à la baisse, autant
qu’il le faut pour que le flux d’épargne que les revenus tirés de la production génère
s’ajuste finalement au montant que l’investissement déprimé peut absorber.
Préférence pour la liquidité et nature conventionnelle du taux d’intérêt
Alors que la théorie néoclassique et ses versions modernes abordent la demande de monnaie comme
le résultat d’un calcul optimal, la théorie de Keynes met en avant l’absence d’ancrage objectif pour les
prévisions et pour la demande de monnaie. Il en résulte que le taux d’intérêt qui équilibre l’offre et la
demande de monnaie, loin d’avoir un ancrage prédéterminé ou naturel comme dans la thèse néowicksellienne récemment mise en avant dans le courant dominant, dépend en fait de l’état des prévisions et de la préférence pour la liquidité. Ce taux a la nature d’une convention, au sens où « sa valeur
effective dépend dans une large mesure de sa valeur future telle que l’opinion dominante estime qu’on
(31) Pour ne pas alourdir l'exposé, nous ne précisons pas que les dépenses de consommation courante et
d'investissement comprennent les achats par l'étranger nets des importations.
(32) « Le taux d'intérêt » est une expression synthétique dans le jargon macroéconomique qui représente bien
entendu toute la gamme des taux d'intérêt à long terme par lesquels les différents types d'épargne financent les
différents types d'investissements. Dans un système ouvert c'est la confrontation de l'épargne et de l'investissement internationaux qu'il convient de considérer, ce qui soulève des questions qu'il n'est pas nécessaire d'aborder
ici.
29
la prévoit ». Supposons en effet que le taux d’intérêt actuel soit inférieur à celui que l’opinion dominante considère comme normal, et qu’elle prévoie par conséquent une hausse. En cherchant à se
débarrasser d’une partie de leurs actifs (dont la valeur serait censée baisser en rapport avec la hausse
du taux), les individus partageant cette opinion élèveraient la demande de monnaie, et provoqueraient effectivement la hausse du taux d’intérêt prévue (les prévisions ont ici un caractère autoréalisateur).
Puisque le libre ajustement du taux d’intérêt ne saurait garantir les débouchés, les entreprises ne peuvent en général fonctionner à pleine capacité, voire investir pour augmenter
la capacité que lorsque le comportement des stocks laisse prévoir une augmentation des
débouchés. C’est ce qui advient lorsque la propension à consommer ou l’incitation à
investir dans l’économie sont élevées. Mais de manière générale, le niveau de l’activité
sera étroitement lié à tout ce qui peut influencer la part du revenu national que les
ménages et les administrations désirent dépenser, et le montant que les entreprises
(publiques et privées) désirent investir. Compte tenu de la relative inertie qui caractérise
la propension à consommer des ménages, sans exclure pour autant la possibilité qu’elle
varie dans le temps, les éléments les plus susceptibles d’infléchir le cours de l’activité
économique sont les dépenses publiques, qui relèvent de la politique budgétaire et fiscale,
et l’investissement privé, dont le niveau dépend des anticipations de rendement du capital
productif à long terme et bien sûr du taux d’intérêt.
La prise en compte de l’incertitude amène là encore Keynes à introduire une innovation
importante pour la compréhension du comportement de l’investissement privé à l’échelle
macroéconomique, et par conséquent pour la compréhension des fluctuations économiques et des crises. La théorie classique de l’investissement stipule que les entreprises
en élèvent le montant au niveau pour lequel, compte tenu de la décroissance en rendements marginaux des facteurs de production, le rendement marginal du capital est porté
à égalité du coût marginal, approché par le taux d’intérêt. En l’absence d’incertitude fondamentale, il en résulte que pour un taux d’intérêt donné, il existe un montant optimal
pour l’investissement, mais dans la théorie de Keynes le montant de l’investissement
pourra être plus ou moins élevé selon que les anticipations de rendement du capital,
dépourvues d’ancrage objectif, sont plus ou moins optimistes.
Les fluctuations de la demande agrégée, de la production et de l’emploi sont ainsi étroitement liées aux anticipations à long terme concernant le rendement du capital productif,
variable hautement psychologique qui soumet l’ensemble du système économique à son
caractère potentiellement changeant. À des poussées d’optimisme comme à des crises de
la confiance, ou à des phases de croissance plus ou moins dynamique selon le comportement des différentes composantes de la demande agrégée. Alors que, dans les approches
orthodoxes, la production potentielle, l’offre, imprime son rythme à l’activité économique, la théorie keynésienne livre un cadre théorique dans lequel, faute de pouvoir
compter les yeux fermés sur des débouchés, les entreprises adaptent en fait leurs plans
de production et d’embauche aux signaux que leur renvoient continûment les marchés,
sous l’influence conjuguée des anticipations changeantes du rendement du capital, du
taux d’intérêt, et de la propension globale à dépenser des ménages et des administrations. Ces plans ne peuvent aboutir au plein emploi que dans les circonstances favorables, qui voient se hisser la demande agrégée à un niveau suffisant. De sorte que le
sous-emploi est une caractéristique récurrente du système économique, quelle que soit
d’ailleurs la vigueur des mécanismes concurrentiels.
Comme en témoigne le chapitre 19 de la Théorie Générale, il s’avère que la flexibilité des
prix et des salaires ne saurait garantir le plein emploi de manière générale, et pourrait
même déclencher un processus de déflation cumulative, en déprimant la demande agrégée
encore davantage, si quelque force contraire ne venait en permanence stabiliser l’économie.
Une certaine rigidité des salaires est donc nécessaire pour qu’un équilibre existe, mais
contrairement à une idée d’abord véhiculée par la théorie des équilibres avec rationnement (« théorie du déséquilibre »), puis par le courant des « nouveaux keynésiens », une
telle rigidité n’est nullement la cause du sous-emploi dans la théorie de Keynes. C’est au
contraire la réponse endogène de forces institutionnelles (lois, réglementations, pression
syndicale, résistance sociale...) aux tendances dépressives que les marchés débridés
pourraient autrement nourrir.
« Si les salaires monétaires devaient chuter sans limite chaque fois qu’il y aurait une tendance
au sous-emploi, […] il n’y aurait pas de position stable en dessous du plein emploi jusqu’à ce
que le taux d’intérêt ne puisse diminuer davantage ou que les salaires soient nuls. En fait, il
30
faut que quelque facteur ait une valeur en monnaie, sinon fixée, au moins visqueuse, pour
donner un tant soit peu de stabilité aux valeurs dans un système monétaire » (Keynes, 1936)
Le rôle stabilisateur des réponses institutionnelles apportées aux errements du système
des marchés n’est pas cantonné au seul marché du travail. Le prompt soutien apporté par
les politiques budgétaires et fiscales, dans les pays touchés par la dépression en 2008 et
en 2009, s’inscrit parfaitement dans cette logique de soutien à des marchés dépressifs.
Contrairement au langage courant, qui emprunte naturellement à la pensée économique
dominante, il ne s’agissait en aucune manière de plans de relance pour des économies
anémiées, mais bien de plans de sauvegarde pour des économies en grave dépression.
Cela dit, même en temps normal, le soutien qu’apporte la dépense publique à l’économie
revêt à l’évidence une telle importance pour le bon fonctionnement des affaires, que
même les plus fervents défenseurs de la « nouvelle macroéconomie classique », les spécialistes du dénigrement systématique de l’action publique, ne parviennent à la remettre
totalement en cause que dans leurs propos. Un autre puissant exemple du secours
qu’apportent les institutions publiques aux marchés est fourni par le concours pratiquement sans limite offert par les banques centrales et les gouvernements au secteur financier
depuis l’été 2008. Les injections massives de liquidités, renflouements ou nationalisations
de banques relèvent à l’évidence de cette logique. Et là encore, le soutien ne se limite pas
aux temps de crise ; c’est le but clairement affiché des autorités de régulation et de la
réglementation financière que d’apporter leur concours à la stabilisation des marchés
financiers, qui sont ceux qui manifestent le plus visiblement, et d’ailleurs de manière
récurrente, leur incapacité à se réguler d’eux-mêmes.
Stabilisateurs institutionnels endogènes
Dans la théorie de Keynes, les réponses institutionnelles mises en œuvre, selon le contexte, sur
le marché du travail, des biens et services et sur les marchés monétaire et financier, ne sont pas
des variables extérieures au système des marchés ; elles font partie intégrante du processus
d’ajustement de l’économie vers une solution viable. Elles prennent part, de manière endogène,
à l’ajustement continu du système à l’équilibre changeant théorisé par Keynes. C’est grâce à ces
réponses que, bien qu’il n’existe pas d’« ordre naturel », les systèmes concurrentiels font la plupart du temps preuve d’une certaine stabilité. C’est notamment grâce aux forces qu’opposent le
cadre réglementaire et les syndicats à la baisse des salaires que les dépressions ne dégénèrent
pas en processus de déflation cumulative. Assimilées à des causes structurelles de dysfonctionnements et/ou d’inefficience par le courant de pensée dominant, ces mêmes forces sont en fait
de véritables garde-fous, préservant les systèmes économiques des errances potentielles des
marchés concurrentiels. Elles contribuent en tant que telles aux performances économiques, de
manière différenciée entre les différents pays du fait des spécificités de leur cadre institutionnel.
Le rôle stabilisant des institutions dans la littérature postkeynésienne a surtout été souligné en
rapport avec la dynamique de longue période, notamment dans le domaine de la régulation des
marchés financiers (Minsky 1986, Davidson 2004). Mais comme l’ont suggéré Cornwall & Cornwall (2001), les institutions jouent aussi un rôle crucial dans la détermination de la demande
effective à tout instant, c’est-à-dire sur l’équilibre de court terme, avant même que la dynamique
de l’équilibre puisse être prise en considération (Asensio 2011b).
C) Fluctuations et crises, les apports de Keynes et Minsky
Le chapitre 22 de la Théorie Générale contient en substance les idées de Keynes concernant l’explication du comportement cyclique de l’économie et notamment des retournements brutaux de conjoncture. La théorie de Keynes explique les retournements à caractères
cycliques par le ralentissement de l’investissement privé qui suit habituellement une
période de boom. Deux types de facteurs peuvent contribuer au grippage de l’investissement : l’augmentation des taux d’intérêt et/ou la diminution de la rentabilité attendue des
investissements (l’efficacité marginale du capital). Mais le facteur le plus plausible est le
retournement de l’incitation à investir, même s’il n’est pas exclu qu’un retournement
puisse être provoqué par une remontée des taux d’intérêt.
"The trade cycle is best regarded, I think, as being occasioned by a cyclical change in the
marginal efficiency of capital, though complicated and often aggravated by associated
changes in the other significant short-period variables of the economic system." (Keynes,
1936, p. 313)
31
La période qui précède la crise est en effet caractérisée par un certain optimisme dans la
bonne tenue des affaires et par des prévisions stimulantes. La préférence pour la liquidité
est donc modérée, de sorte que le système bancaire peut délivrer la quantité de monnaie
requise pour le financement des transactions à un taux d’intérêt relativement bas. C’est
plutôt après le retournement des prévisions et la chute des prix des actifs qui en résulte
que la préférence pour la liquidité risque d’augmenter, entraînant les taux d’intérêt à long
terme à la hausse et aggravant ainsi l’ampleur de la récession. Cet effet d’amplification
participe à l’explication de la brutalité relative des retournements à la baisse, en comparaison des phases de reprise. La relative lenteur de la reprise vient aussi de la difficulté
qu’il y a à restaurer la confiance, condition nécessaire au redressement de l’efficacité
marginale du capital, tandis que celle-ci peut au contraire s’effondrer brusquement
lorsque les prévisions deviennent défavorables et que les prix des actifs s’en ressentent
sur les marchés.
Le cycle économique dans la Théorie Générale
« Les phases de sous-emploi keynésien ne peuvent se prolonger indéfiniment. Le vieillissement
du stock de capital conduit en effet à terme au redressement de la courbe d’efficacité marginale,
au dynamisme de l’investissement, et à la reprise économique. L’utilisation des stocks permet
dans un premier temps aux entreprises de gérer la phase de transition, en attendant que soient
installés les nouveaux équipements. Une nouvelle phase d’accumulation des capitaux
s’enclenche par la suite, durant laquelle l’accroissement du revenu et de l’épargne ne rencontre
aucune résistance du côté des débouchés. Lorsque la vague d’investissement arrive ensuite à
son terme, c’est-à-dire lorsque l’efficacité marginale du capital (qui décroît avec le montant de
l’investissement) n’assure plus une incitation à investir suffisante, le retournement des prévisions produit un affaissement des débouchés. L’accumulation des stocks d’invendus peut alors
précipiter le blocage des investissements et provoquer un effondrement rapide de l’activité. Les
phases de récession paraissent ainsi devoir être plus brutales que les phases d’expansion ».
(Asensio 2008b, p. 135)
C’est donc la baisse de l’efficacité marginale du capital qui provoque en général le retournement à la baisse. Ce phénomène n’est cependant pas un événement exogène, il est
l’aboutissement normal du train des affaires. Il s’explique par la dégradation endogène de
l’état de la confiance qui suit le constat selon lequel l’optimisme qui avait porté la phase
de boom, était en fait inapproprié. Lorsque sur une large échelle le rendement des capitaux investis tend à contrarier les anticipations passées, la profitabilité enregistre une
dégradation qui se répercute sur les valeurs boursières.
"The later stages of the boom are characterised by optimistic expectations as to the future
yield of capital-goods sufficiently strong to offset their growing abundance and their rising
costs of production and, probably, a rise in the rate of interest also. It is of the nature of organised investment markets, under the influence of purchasers largely ignorant of what they
are buying and of speculators who are more concerned with forecasting the next shift of
market sentiment than with a reasonable estimate of the future yield of capital-assets, that,
when disillusion falls upon an over-optimistic and over-bought market, it should fall with
sudden and even catastrophic force." (Keynes 1936, p. 315-316)
L’ampleur de la crise dépend alors de plusieurs facteurs : ampleur de la dégradation des
résultats des entreprises, impact sur leur capacité à rembourser les emprunts et à distribuer
des dividendes, impact sur les bilans des établissements financiers, sur les prix des actifs...
La dégradation de l’état de la confiance a également, indépendamment de l’effet de la
baisse du revenu sur la consommation, un impact sur celle-ci à travers la baisse des prix
des actifs. Cet effet peut être tout à fait important dans la fraction de la population dont la
consommation est davantage liée à la tenue des indices boursiers qu’au niveau du revenu
courant.
"With a 'stock-minded' public as in the United States today, a rising stock-market may be an
almost essential condition of a satisfactory propensity to consume; and this circumstance,
generally overlooked until lately, obviously serves to aggravate still further the depressing
effect of a decline in the marginal efficiency of capital." (Keynes 1936, p. 319)
Selon la Théorie Générale de Keynes, les conséquences économiques et financières d’un
retournement peuvent être assez sévères pour que, même en abaissant les taux d’intérêt
de son refinancement au plus bas, les autorités soient dans l’incapacité d’obtenir un
redressement de l’investissement privé. Dans les situations de cette nature, l’efficacité
marginale du capital diminue davantage que les taux à long terme ne peuvent le faire,
32
quant bien même les taux courts seraient au plus bas sous l’effet des interventions de la
banque centrale.
"If a reduction in the rate of interest was capable of proving an effective remedy by itself; it
might be possible to achieve a recovery without the elapse of any considerable interval of
time and by means more or less directly under the control of the monetary authority. But, in
fact, this is not usually the case; and it is not so easy to revive the marginal efficiency of capital,
determined, as it is, by the uncontrollable and disobedient psychology of the business world.
It is the return of confidence, to speak in ordinary language, which is so insusceptible to
control in an economy of individualistic capitalism. This is the aspect of the slump which
bankers and business men have been right in emphasising, and which the economists who
have put their faith in a 'purely monetary' remedy have underestimated." (Keynes 1936,
p. 316-317)
Hyman Minsky, dont on redécouvre les travaux à l’occasion de la crise, s’est rendu
célèbre dans le courant de pensée postkeynésien pour ses travaux sur l’instabilité financière et l’explication des crises. Dans l’introduction de l’un de ses articles les plus cités,
The Financial Instability Hypothesis: an Interpretation of Keynes and an Alternative to
"Standard" Theory (Minsky 1977) (33), il met en avant une interprétation inspirée de la
mise au point publiée par Keynes dans Quarterly Journal of Economics (1937), quant à la
vraie nature de sa Théorie Générale par rapport à la lecture erronée faite par l’économiste
néoclassique J. Viner, de l’université de Chicago (Viner, 1936). L’analyse que déploie
Minsky se veut ainsi dans le droit fil de ce que Keynes considère comme l’essence de sa
Théorie Générale : l’incertitude fondamentale et la profonde remise en question du rôle
de la finance et de la monnaie dans l’analyse macroéconomique. Minky a en effet considérablement approfondi l’analyse postkeynésienne des effets de l’incertitude sur la finance,
et le rôle central de la finance pour la compréhension des crises économiques. Il en a tiré
une théorie de la crise financière qui se présente comme une menace inhérente au système
capitaliste, car inscrite dans les comportements des acteurs, spécialement dans la capacité
des banques à améliorer leur profitabilité par toutes sortes d’innovations financières,
mais aussi dans le fait que les pouvoirs publics ont les moyens de valider des niveaux
d’endettement (et les profits que les agents endettés peuvent tirer des financements ainsi
obtenus), lesquels autrement seraient sanctionnés par les marchés. Le concours apporté
par les institutions publiques contribue ainsi à la fois à complexification et à la fragilisation
du système financier, et aux tensions inflationnistes. L’une des principales causes de la crise
financière tient au relèvement des taux d’intérêt lorsque les tensions inflationnistes ne sont
plus tolérées. En affaiblissant l’activité et en réduisant les flux de revenus, la hausse des
taux ne rend plus possible la validation des dettes, et provoque la crise financière.
An increasing complexity of the financial structure, in connection with a greater involvement of
governments as refinancing agents for financial institutions as well as ordinary business firms (both
of which are marked characteristics of the modern world), may make the system behave differently
than in earlier eras. In particular, the much greater participation of national governments in assuring
that finance does not degenerate as in the 1929-1933 period means that the down side vulnerability
of aggregate profit flows has been much diminished. However, the same interventions may well
induce a greater degree of upside (i.e. inflationary) bias to the economy. (Minsky 1992, p. 5)
In particular, over a protracted period of good times, capitalist economies tend to move from a
financial structure dominated by hedge finance units to a structure in which there is large weight to
units engaged in speculative and Ponzi finance. Furthermore, if an economy with a sizeable body of
speculative financial units is in an inflationary state, and the authorities attempt to exorcise inflation
by monetary constraint, then speculative units will become Ponzi units and the net worth of previously Ponzi units will quickly evaporate. Consequently, units with cash flow shortfalls will be forced to try to make position by selling out position. This is likely to lead to a collapse of asset values.
The financial instability hypothesis is a model of a capitalist economy which does not rely upon exogenous shocks to generate business cycles of varying severity. The hypothesis holds that business
cycles of history are compounded out of (i) the internal dynamics of capitalist economies, and (ii)
the system of interventions and regulations that are designed to keep the economy operating within
reasonable bounds. (Minsky 1992, p. 8. La définition des thermes « hegde finance », « speculative
finance » et « Ponzi finance » figure dans l’annexe n° 2).
(33) Voir également Minky 1992.
33
Le passage suivant, extrait du rapport annuel de la Banque des règlements internationaux, témoigne de manière éclatante de l’actualité et de la pertinence des idées de Minsky,
désormais cité comme référence par les meilleurs spécialistes des questions financières,
y compris parmi les responsables des plus grandes banques centrales.
« La réforme de la réglementation financière a enregistré des progrès impressionnants. (...)
Néanmoins, la tâche est loin d’être achevée (...) Qui plus est, l’objectif visé reste mouvant :
les opérateurs renouent avec le goût du risque et adaptent leur modèle opérationnel au nouvel
environnement. Le dispositif prudentiel doit pouvoir s’adapter de manière à suivre et gérer
les risques pour la stabilité financière, quel que soit son champ d’action. La crise financière a
mis en lumière des carences dans les données et les cadres analytiques utilisés pour évaluer
le risque systémique, ce qui a entravé les efforts déployés par les autorités en vue d’identifier
les vulnérabilités et d’y remédier. Pour s’acquitter de leur tâche, elles doivent disposer d’un
tableau plus complet et plus précis du système financier, considéré sous des angles différents.(...) Certes, ces données et cadres analytiques améliorés n’empêcheront pas les futures
crises ; l’expérience laisse penser, toutefois, que les améliorations qui seront apportées
permettront aux autorités et aux marchés de repérer des vulnérabilités jusqu’alors passées
inaperçues et de détecter beaucoup plus vite celles qui pourraient se faire jour. » (BRI, 81e
rapport annuel, juin 2011, vue d’ensemble des chapitres économiques)
« Et s’il me fallait citer aujourd’hui deux économistes qui donnent aussi des clés pour comprendre la
crise, je citerais Minsky pour ses analyses sur l’instabilité financière et Knight pour ses analyses sur
l’‘‘incertitude’’ opposée au ‘‘risque’’ ». (J.-C. Trichet, Président de la Banque centrale européenne, Le
Monde, 17 novembre 2009)
"Reintroducing the financial intermediation sector as a source of shocks, rather than merely acting as
an amplifying mechanism as the broad credit channel does, would represent something of a return to
older models of the business cycle, in which credit creation and destruction played a central role.
There has, in particular, been renewed interest in the work of Hyman Minsky as a result of recent
events (...)". (Charles Bean, Deputy Governor for Monetary Policy and Member of the Monetary
Policy Committee, Bank of England, "The Great Moderation, the Great Panic and the Great Contraction", Text of the Schumpeter Lecture at the Annual Congress of the European Economic Association, Barcelona, 25 August 2009).
"My talk today is titled “A Minsky Meltdown: Lessons for Central Bankers.” I won’t well on the irony
of that. Suffice it to say that, with the financial world in turmoil, Minsky’s work has become required
reading. It is getting the recognition it richly deserves. The dramatic events of the past year and a half
are a classic case of the kind of systemic breakdown that he – and relatively few others – envisioned".
(Yellen, J.-L., President and Chief excecutive officer of the Federal Reserve Bord of San Francisco,
"Minsky Meltdown: Lessons for Central Bankers" FRBSF Economic Letter n° 2009-15, May, 1, 2009).
CONCLUSION
Il est donc peu convaincant d’attaquer le laxisme de la politique monétaire de Greenspan.
Si la critique porte sur la politique de refinancement facile de la Fed, c’est trop demander
à Greenspan que de maîtriser la prise de risque par les banques sans compromettre la
reprise avec les seuls taux d’intérêt à court terme. La manipulation des taux ne peut pas
tout faire.
Certains ont avancé que la politique de Greenspan peut aussi être mise en cause pour
n’avoir pas été assez vigilante sur les pratiques des institutions financières, particulièrement sur la prise de risque (Stiglitz, Le Triomphe de la cupidité, p. 46-47). Mais il apparaît
au regard des arguments mis en avant dans cette section que la véritable erreur de
Greenspan n’est pas sa politique monétaire, ni le laxisme prudentiel dont l’accusent des
auteurs comme Stiglitz (34), mais, comme il l’a reconnu lui-même en voyant les dégâts
auxquels elle a pu conduire, sa foi aveugle dans les marchés.
En tant que « nouveau keynésien », Stiglitz voit dans la réglementation le remède à tous
les maux, car les crises financières sont principalement mises sur le compte des dysfonc-
(34) « Si le secteur financier est le grand coupable, les autorités de contrôle n'ont pas fait le travail qui leur
incombait : garantir que les banques ne s'écartent pas du droit chemin, comme à leur habitude » (Stiglitz, Le
Triomphe de la cupidité, p. 51).
34
tionnements que produisent les marchés concurrentiels en présence d’asymétries d’information : « Certains observateurs issus des composantes les moins réglementées des
marchés financiers (comme les fonds spéculatifs), constatant que les pires difficultés survenaient dans leur composante très réglementée (les banques), ont conclu hâtivement
que le problème était la réglementation. Mais le point crucial leur échappe : si les
banques sont réglementées, c’est parce que leur défaillance peut faire un mal considérable au reste de l’économie. Et il n’est pas aussi nécessaire de réglementer les fonds
spéculatifs, du moins les petits, parce qu’ils ne peuvent pas faire autant de dégâts. » (35)
Mais le fait que si la réglementation peut et doit inciter à davantage de précaution dans
les pratiques financières, cela ne saurait remédier au problème crucial qu’est l’incertitude,
ni éradiquer les dysfonctionnements qu’elle rend toujours possibles, sinon probables,
comme le suggèrent les travaux de Minsky. Les crises financières sont le résultat imprévisible de pratiques mises en œuvre avec plus ou moins d’avidité, dans un cadre réglementaire plus ou moins contraignant, où acteurs et superviseurs sont soumis à la même
impossibilité de mesurer les risques. Faire le procès de telle ou telle institution, c’est de
ce fait chercher une explication quelque peu simpliste, parce que la survenue d’une crise
est un phénomène complexe qui résulte de l’impossibilité pratique pour les acteurs de
quantifier les tensions qui s’accumulent dans le système.
C’est la raison pour laquelle la confiance aveugle dans l’autorégulation des marchés, qui
a d’abord conduit à la déréglementation des transactions financières et à l’élimination
progressive des principaux garde-fous, peut à juste titre être mise en cause (36). C’est sur
ces bases qu’ont pu se développer des pratiques financières « innovantes », permettant
aux institutions de produire l’illusion de pratiques aux risques contrôlés. En tant que telle,
la crise des subprimes est aussi une crise de la pensée économique dominante : ni les
« nouveaux classiques », ni les « nouveaux keynésiens » ne sont en mesure d’offrir une
lecture satisfaisante de la crise ; et si la déréglementation mise en avant par les premiers
a pu contribuer à aggraver l’ampleur des crises financières, la réglementation défendue
par les seconds n’est sans doute pas une panacée.
(35) Ibid. p. 51-52.
(36) G. Hodgson, G., 2009, The great crash of 2008 and the reform of economics, Cambridge Journal of Economics,
33, 1205-1221.
35
DEUXIÈME PARTIE
LE DIFFICILE RETOUR DE LA CROISSANCE
INTRODUCTION
L'impossibilité de penser la crise autrement que comme la perturbation de nature exogène
d'un système fondamentalement autorégulé, sinon efficient, conduit le courant de pensée
dominant à formuler des scenarios de sortie de crise relativement optimistes. Pour ceux
qui croient en l'efficience des marchés dans le monde réel, il suffirait de laisser les marchés purger les effets provoqués par l'erreur de politique monétaire commise par Greenspan. Les propos du prix Nobel 1997, Myron Sholes sont de ce point de vue parfaitement
explicites : « La complexité et l'interdépendance des relations entre acteurs de la finance
rendent impossible la mise en place, par un ou des régulateurs, d'un système de contrôle
à l'échelle planétaire. Pas la peine de réglementer davantage. En plus, ce serait très coûteux. L'innovation financière produit d'elle-même les réponses aux crises (37) ». Pour les
« nouveaux keynésiens », les choses sont moins simples, du fait des rigidités diverses qui
sont susceptibles de retarder l'ajustement des déséquilibres (salaires, taux de change...)
et des réformes requises pour contrer les "incitations perverses" qui caractérisent le système
financier. Mais si les « nouveaux keynésiens » insistent sur le fait que les marchés peuvent peiner à rétablir les conditions de la croissance économique, s'ils avertissent que de
nouveaux épisodes de crise financière restent possibles en l'absence d'un assainissement
rapide des pratiques, le retour à terme au plein emploi ne saurait être mis en doute (38).
La crise est derrière nous ?
« Les forces agissant sur les économies des pays de l’OCDE demeurent favorables. L’activité
économique mondiale devient plus autonome, la reprise étant tirée de plus en plus par une
demande finale privée plus soutenue. (...) Les enquêtes de conjoncture révèlent que la confiance
et les carnets de commandes des entreprises manufacturières et de services restent généralement solides dans la plupart des économies, abstraction faite du Japon et de plusieurs autres
économies d’Asie, et laissent entrevoir une poursuite de la progression des recrutements et de
l’investissement, en dépit de leur tendance récente à surestimer la croissance de la production
réelle. Compte tenu de la poursuite de l’amélioration des conditions financières, d’une croissance
toujours soutenue dans les économies émergentes et en développement et de l’orientation expansionniste de la politique monétaire, les forces agissant sur les économies des pays de l’OCDE sont
globalement favorables, encore que la reprise risque d’être toujours bridée par les ajustements
en cours sur les marchés immobiliers, par le chômage encore élevé et par le retrait progressif
des mesures de soutien mises en œuvre dans le contexte de la crise ».
(Perspectives économiques de l'OCDE 2011, n° 89, version préliminaire, p. 18)
(37) Propos recueillis en mars 2008 par le magazine L'Expansion.
http ://lexpansion.lexpress.fr/economie/les-prix-nobel-d-economie-face-a-la-crise_203414.html?p=11#
(38) Voir par exemple les propos de Stiglitz lui-même dans la note de bas de page en début de section B du chapitre II supra.
36
Sources : Bulletin de la Banque de France n° 184, 2e trim. 2011, p. S4
« Dans de nombreuses économies avancées, la dette pèse encore lourdement sur les ménages
comme sur les établissements financiers et non financiers, et l'assainissement des finances
publiques est à peine amorcé. Les déséquilibres financiers mondiaux resurgissent. Les politiques
monétaires très accommodantes vont rapidement devenir une menace pour la stabilité des prix.
Les réformes financières demeurent inachevées et incomplètes. Enfin, l'appareil statistique qui
devrait servir de système d'alerte précoce des tensions financières est encore limité. Telles sont
les questions traitées dans notre 81e Rapport annuel ».
(Banque des règlements internationaux, rapport annuel, juin 2011).
Ce qui est frappant à la lecture des rapports de conjoncture de l'OCDE et des autres
grandes institutions internationales, c'est la pondération changeante des arguments optimistes et pessimistes. La présence des deux types d'arguments ne fait que souligner à
quel point la trajectoire de sortie de crise reste imprévisible, mais le ton à dominante pessimiste des premiers rapports qui ont suivi la crise, allant jusqu'à l'autocritique, prend
37
une dominance optimiste et renoue avec les anciens réflexes intellectuels empruntés à la
pensée dominante dès lors qu'ont été observés les signes avant-coureurs d'une reprise.
L'analyse postkeynésienne ne remet évidemment pas en cause les propositions en faveur
d'une réglementation financière renforcée, mais elle relativise ce que l'on est fondé à en
attendre. Une plus grande prudence sera sans doute nécessaire dans le secteur financier,
à tous les niveaux, mais cela ne permettra pas un retour spontané de la croissance et du
plein emploi. Selon l'approche postkeynésienne, la trajectoire de croissance de l'après
crise sera déterminée par le dynamisme de la demande agrégée, laquelle sera soumise à
diverses forces dépressives dans le sillage de la crise financière, et par le jeu stabilisateur
des institutions et de la politique économique (chapitre III). La difficulté dès lors tient au
fait que même si certains experts et conseillers des décideurs politiques reconnaissent les
travers du cadre de pensée dominant, ils ne maîtrisent pas d'autre référentiel théorique
que celui qui, au fil du temps, a fini par évincer presque complètement tout concurrent
des enseignements académiques. Ce sont ces mêmes experts qui donc ont la charge de
sortir les économies du marasme, et la direction qu'ils prennent, risque fort de déboucher
sur une longue période de croissance faible et fragile, si tant est que par bonheur une
nouvelle crise puisse être évitée (Chapitre IV).
III. LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE FINANCIÈRE
A) Une dégradation des conditions de financement
Comme nous l'avons vu au chapitre précédent, c'est la demande agrégée qui dans la
Théorie Générale de Keynes détermine en permanence le niveau de l'activité économique. C'est donc le dynamisme de la demande agrégée qui déterminera la trajectoire de
sortie de crise. L'analyse prospective doit par conséquent considérer les divers facteurs
susceptibles d'influencer les principales composantes de la demande. Le secteur financier
ayant été au cœur de la crise, nous partirons de ce secteur. Nous discuterons notamment
son incidence sur l'état de la préférence pour la liquidité et sur les taux d'intérêt à long
terme, dont dépendent à la fois la consommation de biens durables, souvent achetés à
crédit (électroménager, automobile, logement...) et l'investissement productif privé.
L'évolution du contexte financier sera aussi étudiée quant à ses effets sur l'état de la
confiance et l'inclination à la dépense des agents privés, qui sont un autre déterminant
potentiellement puissant de la demande agrégée. La discussion tiendra compte également des éléments de la demande internationale, qui agissent d'une manière spécifique
dans les économies de la zone euro. Le rôle des dépenses publiques, et plus généralement des politiques macroéconomiques, sera examiné ultérieurement.
Même si le système financier paraît se remettre relativement vite en comparaison avec la
lente reprise économique (39), il est sorti de la tourmente affaibli par la dépréciation du
stock de créances douteuses, qui a contribué à la dégradation des bilans des institutions
financières privées. Les créances douteuses dont regorge le système financier international
vont continuer de lester le système financier tant qu’elles ne seront pas recouvrées ou
reconnues non recouvrables et passées par pertes (40). Le FMI notait récemment que
« (...) certaines banques n’ont pas suffisamment purgé les risques de leur bilan, d’où
d’énormes incertitudes quant à la qualité des avoirs, vu la présence d’actifs hérités de la
crise et les engagements considérables dans l’immobilier (41) ». De même pour l'OCDE,
« ... le redressement des bilans du secteur financier est loin d’être achevé et un risque de
(39) « D’après les indices des conditions financières établis par l’OCDE, celles-ci sont restées à peu près stables
depuis les premiers mois de l’année, à des niveaux proches de la normale dans les grandes régions de l’OCDE (...). »
(Perspectives économiques de l'OCDE, n° 88, 2010, p. 18). Le journal Les Échos (5-6 novembre) titrait en fin
d'année 2010 : « Wall Street a effacé deux ans de crise boursière ».
(40) « Les conditions fortement accommodantes de la politique monétaire et des liquidités cachent des vulnérabilités et il reste à relever des défis de longue date. » (FMI, Rapport sur la stabilité financière dans le monde,
actualité des marchés, juin 2011, p. 4). D’après les estimations du FMI (Global Financial Stability Report, April
2009) , les dépréciations d'actifs, du début de la crise jusqu'en 2010, pourraient avoir été de l'ordre de
4 000 milliards de dollars, montant qui pour les deux tiers aurait été concentré dans les banques. Dans le
rapport d'octobre 2010, on pouvait lire que « près de 4 000 milliards de dollars EU de dette bancaire devront être
refinancés sur les 24 mois à venir. » (FMI, Rapport sur la stabilité financière dans le monde, résumé analytique,
octobre 2010).
(41) FMI, Rapport sur la stabilité financière dans le monde, actualité des marchés, juin 2011.
38
dégradation extrême subsiste ». (Perspectives économiques n° 89, p. 15). Le bilan des
banques et institutions financières non bancaires a en effet été maintenu sous perfusion
grâce aux interventions massives des pouvoirs publics, des banques centrales et grâce à
la mise en place de « structures de défaisance » chargées de « recycler » les créances douteuses, mais la fin annoncée des politiques non conventionnelles verra les autorités jouer
un rôle moins actif dans ce recyclage, laissant le secteur privé aux prises avec le problème
de la dépréciation des créances et de son impact sur les bilans.
« Dans les pays avancés l’accompagnement macroéconomique et l’apport de liquidité doivent
céder le pas à des politiques plus structurelles – autrement dit, il s’agit de miser moins sur la
« prévention » (leaning) et plus sur le « traitement » (cleaning) du système financier. » (...)
« Globalement, en dépit du transfert de risques du secteur privé au secteur public durant la
crise, la confiance dans le système bancaire de plusieurs pays avancés n’a pas encore été
rétablie et des interactions négatives continuent de s’exercer avec les risques souverains de
la zone euro. (...) pour rétablir la confiance des marchés et atténuer le recours excessif au
financement de la banque centrale il faudra considérablement renforcer les bilans bancaires
dans la zone euro. Cela exigera un relèvement des niveaux de fonds propres, pour prévenir
les effets pervers d’une inversion du levier financier, et certaines banques, pour l’essentiel
des établissements plus petits, devront être restructurées, voire soumises à une procédure
de résolution. » (FMI, Rapport sur la stabilité financière dans le monde, Résumé analytique,
avril 2011)
À ces difficultés s'ajouteront d'autres facteurs susceptibles de peser durablement sur la
politique de financement des banques et autres établissements financiers lorsque la fin
du soutien non conventionnel apporté par les autorités monétaires fera pleinement ressentir ses effets. Notamment, la mémoire de la débâcle, entretenue et renforcée par une
réglementation plus contraignante – même si elle peine de toute évidence à être mise en
place (42) – devrait maintenir une incitation à la prudence et donc peser durablement sur
la prise de risque, pourtant consubstantielle aux opérations de financement à long terme
de l’économie. Les banques et autres institutions financières seront donc peu enclines à
financer les projets aussi facilement qu’avant la crise. On ne saurait trop se féliciter de
l'adoption de pratiques plus prudentes bien entendu, mais il n'en est pas moins vrai
que, faute de pouvoir apprécier la rentabilité des projets d'investissement et la solvabilité
future des ménages emprunteurs, il est possible que des projets potentiellement viables
soient évincés du fait d'une sélectivité renforcée des demandes de financement, ce qui
rendra plus difficile la reprise économique.
Le crédit au secteur privé
Prudence et sélectivité accrues ?
Selon l'OCDE, « la stabilité globale des indices des conditions financières au cours de la période
récente masque des évolutions disparates de leurs diverses composantes – taux d’intérêt réels,
écarts de taux obligataires, conditions de crédit, taux de change réels et patrimoine des
ménages. Aux États-Unis, des taux d’intérêt plus bas, notamment dans le compartiment à long
terme, et des conditions de crédit plus souples ont compensé la faiblesse persistante du patrimoine des ménages. Dans la zone euro, les conditions de crédit ont été légèrement durcies et
l’effet compensateur précédemment exercé par la baisse du taux de change s’est estompé avec
l’appréciation observée au cours de la période récente. » (OCDE, 2010, Perspectives économiques n° 88, p. 18)
En Europe, où le soutien au secteur financier a été moindre par rapport aux États-Unis (la Réserve
fédérale américaine n'avait pas encore mis fin à l'assouplissement quantitatif QE2 que la Banque
centrale européenne remontait déjà ses taux – qu'elle avait d'ailleurs commencé à baisser après
la Fed), le taux de croissance annuel des crédits aux ménages et aux sociétés non financières
reste en retrait par rapport au niveau d'avant crise, et ce, malgré la baisse prolongée du coût du
crédit. Ce phénomène semble exprimer à la fois une moindre demande de crédits de la part des
consommateurs et des entreprises non financières, et du côté de l'offre, du moins en Europe,
une plus grande prudence des banques et une sélectivité accrue (cf. ci-dessous).
(42) Le New York Times du 6 juin 2011 (Financial Overhaul Is Mired in Detail and Dissent) rapportait que 24 nouveaux règlements sur les 385 prévus par le Dodd-Frank Act avaient été validés à ce jour, au lieu des 41 prévus.
39
Sources : Banque de France et Banque centrale européenne. (Bulletin de la Banque de France –
cahier statistique, mai 2011, p S 13).
Sources : Banque de France et Banque centrale européenne.
(Bulletin de la Banque de France – cahier statistique, mai 2011, p S 27).
Aux États-Unis, la politique accommodante de la Fed semble en revanche avoir permis un retour
à la situation d'avant crise (pour le meilleur et pour le pire). Les indicateurs ci-dessous laissent
supposer que le durcissement des conditions de prêt au secteur privé observé sur la période
2008-2010 a pratiquement disparu en 2011, tandis que la demande de prêts par les entreprises et
par les ménages semble avoir retrouvé une vigueur comparable à ce qu'elle était avant la crise
(voire plus grande pour les ménages). Mais il n'est pas acquis que cette situation puisse se
prolonger après l'arrêt du "quantitative easing 2" arrivé à terme en juin 2011.
40
Sources : European central bank, Financial stability review, June 2011, pp. 24-25.
En effet, en raison du soutien massif apporté par les autorités et de l'ampleur de la
dépression, les taux d'intérêt à long terme n'ont pas connu de fortes tensions hormis le
cas des dettes souveraines des pays à fort endettement, mais l'augmentation du sentiment d'incertitude et les craintes concernant le rendement à long terme des actifs financiers ont clairement réorienté les épargnants vers des placements à faible risque
(cf. encadré), de sorte que les prix relatifs de la monnaie par rapport aux actifs risqués
(les taux d’intérêt à long terme dans la théorie de Keynes) subiront la poussée conjuguée
du besoin de financement associé à la reprise et de la préférence accrue pour la liquidité (43).
De plus, les prêteurs devraient exiger des primes de risque plus élevées qu'auparavant tant
que la stabilité et la viabilité du système financier n'aura pas retrouvé la confiance des opérateurs.
Tensions sur les taux d'intérêt réels à long terme
Les taux d'intérêt des prêts bancaires ont amorcé une forte décrue après le début de la crise, en
dépit de l'absence d'anticipations inflationnistes. Ce phénomène ne peut s'expliquer simplement
par le caractère accommodant de la politique monétaire, car celle-ci n'influence que le coût des
refinancements, et non pas le prix auquel les banques facturent les crédits à leur clientèle. Dans
un contexte de forte demande de crédit, les banques n'auraient pas suivi la baisse des taux directeurs, mais auraient logiquement profité de l'aubaine pour augmenter leur taux de marge. À
l'inverse, dans le contexte de la crise, les incantations visant à inciter les banques à prêter
d'avantage au secteur privé n'y ont rien fait, malgré la forte baisse de coûts de refinancement,
parce que la demande solvable n'augmentait pas comme l'auraient voulu les autorités. C'est
donc du côté de la demande de financement qu'il convient de se tourner pour comprendre la
baisse des taux longs. C'est vrai d'ailleurs pour les prêts bancaires, mais aussi pour les emprunts
(43) Les tensions inflationnistes, si elles se confirmaient, pourraient aussi prendre part à la hausse des taux
d'intérêt nominaux à long terme, par le phénomène de l'indexation des taux nominaux sur l'inflation anticipée.
Mais, contrairement aux deux autres facteurs mentionnés, cela n'aurait pas d'influence sur les taux d'intérêt
réels à long terme (taux corrigé de l'inflation anticipée), si ce n'est, éventuellement, de manière transitoire (le
temps pour les anticipations d'intégrer le mécanisme inflationniste). Selon l'approche post-keynésienne, en
revanche, la hausse des taux nominaux risquerait fort d'accentuer la hausse des taux réels dans la mesure où
elle proviendrait de mesures monétaires restrictives visant à stabiliser les prix.
41
obligataires, dont les taux peuvent en principe difficilement s'écarter des taux bancaires en raison
des arbitrages de marché. La baisse des taux longs depuis 2008 est ainsi le résultat conjugué de
la baisse des coûts de refinancement et de la diminution de la demande liée à la dépression économique.
Taux de croissance annuel des prêts (stock) aux sociétés non financières – Zone euro
Taux d'intérêt annualisés des prêts aux sociétés non financières – Zone euro
Rouge : jusqu'à un million d'euros, plus de cinq ans
Bleu : plus d'un million d'euros, plus de cinq ans
Vert : plus de cinq ans tous types de prêts
Source : European Central Bank
42
Mais les graphiques ci-dessous attestent que les conditions sont réunies pour qu'une préférence
accrue pour la liquidité/sécurité, conjuguée à la reprise économique et aggravée par la dégradation
des finances publiques, pousse les taux d'intérêt à long terme à la hausse, à l'exception des taux
sur les dettes souveraines "saines", qui enregistrent au contraire les effets de la relative
« sécurité » qu'apportent les titres de la dette souveraine à leurs détenteurs.
La dégradation des anticipations...
Source : Bulletin de la Banque de France n° 184, 2e trim. 2011, p. 52.
Source : Bulletin de la Banque de France n° 183, 1er trimestre 2011, p. 83.
43
... réoriente l'épargne vers la liquidité et les placements les moins risqués.
Source : ECB Financial stability review, June
2011, p. 55
Source : Bulletin de la BDF, n° 184,
2e trim. 2011, p. 65.
B) Demande privée : le poids des prévisions à long terme
Dans le contexte de l'après crise financière, une hausse des taux d'intérêt à long terme
est porteuse de divers effets susceptibles de fragiliser la reprise économique. En ce qui
concerne la demande des ménages, on peut distinguer un impact direct sur l'achat de
biens d'équipements ménagers et de logements, et un impact indirect transitant par un
possible effet de richesse négatif (incidence de la baisse de la valeur du patrimoine sur la
consommation courante) et par l'augmentation de la propension à épargner (diminution
de la propension à consommer) qui paraît répondre à la dégradation de la situation financière et des perspectives à long terme. La fragilisation financière des ménages semble en
effet les inciter à augmenter le taux d'épargne pour tenir compte de la dégradation de
leurs prévisions quant à l'évolution à venir de leur revenu/patrimoine, et des difficultés
croissantes qu'ils pourraient par conséquent rencontrer.
44
Endettement et taux d'épargne des ménages – Zone euro
Source : ECB, Financial stability review,
June 2011, p. 54
Source : Ibid. p. 25
Un redressement substantiel de la propension à épargner est paré de vertus dans le cadre
théorique dominant, du moins à long terme. Il est susceptible en effet de détendre les
conditions de financement de l'investissement productif et d'accélérer la croissance
économique. Ce mécanisme suppose cependant que le taux d'intérêt soit la variable par
laquelle s'ajuste l'offre et la demande de financement, ce qui, comme nous l'avons vu au
chapitre précédent, fait abstraction du rôle spécifique que joue le taux d'intérêt en présence
d'incertitude. Dans l'approche postkeynésienne, une augmentation de la propension à
épargner (s devient s' > s) diminue avant tout la demande effective, la production et
l'emploi en rapport avec la diminution des dépenses de consommation des ménages
(Y = C + I devient Y' = C' + I, C' < C). Cette diminution est telle que le flux d'épargne généré par le revenu courant (s' x Y) soit égal à l'investissement. L'ajustement de S à I passe
ici par la baisse du revenu national et non pas par la baisse du taux d'intérêt. Or l'ajustement n'induit nullement une hausse de l'investissement (44), de sorte que même en supposant l'incitation à investir inchangée, il vient s'Y' = I, donc Y' < Y.
Il est intéressant de noter que l'OCDE semble, sur ce point, se rallier à l'analyse keynésienne dans ses perspectives économiques : « Un risque de dégradation particulier tient à
ce que de nouvelles baisses des prix des logements aux États-Unis et au Royaume-Uni
auraient des effets négatifs sur les bilans des ménages, entraînant ainsi un ralentissement
de la consommation et une augmentation des taux d’épargne (45). » Cela s'explique en
fait par l'horizon temporel retenu et par les effets de ce « choc exogène » sur le taux
d'intérêt. À long terme et à taux d'intérêt inchangé, l'augmentation du taux d'épargne
serait un facteur de croissance plus vive selon l'approche théorique habituelle de l'OCDE.
Mais si les taux d'intérêt devaient s'en trouver durablement plus élevés la croissance
pourrait s'en trouver durablement amoindrie, de sorte que, malgré la hausse de la
propension à épargner, l'épargne serait moindre du fait d'un revenu moindre.
(44) Il aurait plutôt tendance à le déprimer : si la baisse de la consommation courante est interprétée comme le
résultat d'une diminution durable de la propension à consommer, les perspectives de débouchés sont durablement affectées, ce qui est susceptible de diminuer le rendement anticipé du capital à long terme et, par conséquent, l'incitation à investir.
(45) Perspectives économiques de l'OCDE, n° 88, 2010, p. 13.
45
Les perspectives sont-elles meilleures en ce qui concerne la demande des entreprises ?
L'orientation des taux d'intérêt à long terme n'est certes pas favorable, mais l'investissement ne dépend pas du seul taux d'intérêt dans l'approche postkeynésienne. L'optimisme
ou le pessimisme des anticipations de rendement joue de ce point de vue un rôle tout
aussi important. Or ces anticipations dépendent du dynamisme attendu de la dépense
des consommateurs, dont il ressort, au regard des développements précédents, qu'il sera
vraisemblablement inférieur à celui qui prévalait avant la crise, et du dynamisme des
dépenses publiques, dont il serait déraisonnable d'attendre beaucoup dans le contexte
actuel (nous reviendrons sur ce point au chapitre suivant). Ces vues tranchent avec l'optimisme qu'affichent les plus récentes études conjoncturelles (cf. encadré).
Les pronostics optimistes sur l'investissement des entreprises
« En revanche, les entreprises pourraient investir davantage que prévu compte tenu du niveau
élevé de leurs bénéfices et les marchés d’actions pourraient se redresser plus vigoureusement,
étant donné que les cours des actions s’écartent des normes historiques dans des proportions
atteignant plusieurs fois les bénéfices dans certains pays. » (46)
Indicateur synthétique du climat des affaires
Source : Insee
L'optimisme des études conjoncturelles provient de l'attention exclusive portée aux prévisions de courte période. Les indicateurs du climat des affaires sont en effet dérivés des
réponses apportées à des questionnaires concernant les intentions/prévisions à l'horizon
de quelques mois (un an tout au plus, pour l'enquête de l'Insee sur l'investissement). Or
ces prévisions sont largement influencées par des variables comme le taux d'utilisation
des capacités, les carnets de commandes, etc. Par conséquent, elles découlent de l'état de
l'économie plus qu'elles ne l'influencent. Toute phase décroissante du cycle des affaires
voit s'accroître les stocks dans un premier temps, ce qui fait naître à juste titre des prévisions pessimistes sur l'investissement, les taux d'utilisation... Puis les prévisions se
redressent quasi mécaniquement dès que les stocks deviennent faibles et que les entreprises considèrent qu'elles pourraient n'être plus en mesure de satisfaire la demande
(même si celle-ci restait encore déprimée). Il est donc tout à fait possible que le « climat
(46) Perspectives économiques de l'OCDE, n° 88, 2010, p. 13.
46
des affaires », mesuré de la sorte, s'améliore sensiblement alors même que la demande
agrégée, la production et l'emploi n'exhibent que de piètres performances. C'est ce qui
caractérise les dernières enquêtes conjoncturelles. Mais, ce qui déterminera l'ampleur de
la phase de reprise (entraînant par là même les futures anticipations de courte période),
ce sont les prévisions à long terme, à travers leurs effets sur l'importance de la vague
d'investissement, et éventuellement sur le comportement des consommateurs.
Au plus fort du ralentissement économique, les entreprises ont vu s'accroître les stocks et
ont stoppé l'investissement en conséquence. Mais elles ont ensuite beaucoup diminué les
déclassements d'équipement afin de ne pas encourir une pénurie de capital, cependant
que les stocks revenaient à des niveaux normaux.
Stocks et déclassements d'équipements dans l'industrie
Série 001586014 : Enquête Mensuelle Industrie : Industrie manufacturière, industries extractives et autres
Niveau des stocks de produits finis (solde d'opinion) (brut)
Série 001583873 : Évolution des déclassements d'équipements par rap. à l'an. préc. (solde d'op. en % des rep.) –
Industrie manufacturière, industries extractives et autres – Réalisation constatée en avril de l'année suivante.
Sources : Insee
Bien que faible, la reprise finit par redresser le taux d'utilisation des capacités ; mais elle
trouve un appareil productif vieilli et des stocks faibles, ce qui constitue un ensemble de
bonnes raisons pour une nouvelle vague d'investissements. On peut certes s'en réjouir,
47
mais il ne faudrait pas venir si près de l'arbre qu'il nous cache la forêt : si les prévisions
sont parfaitement fondées à anticiper un sursaut de l'investissement, son importance et
donc son impact sur la reprise économique dépendront des taux d'intérêt et des anticipations de rendement à long terme, lesquelles peuvent être plus ou moins optimistes en
général, mais auront tout lieu, pour les raisons indiquées plus haut, de ne pas privilégier
des hypothèses aussi optimistes que celle d'avant la crise.
Indicateurs et prévisions à long terme
Bien qu'ils puissent difficilement tenir lieu de prévisions des entreprises, puisqu'ils proviennent
d'enquêtes menées auprès des ménages, les indicateurs présentés dans l'encadré « Tensions sur
les taux d'intérêt à long terme » sont plus éclairants sur les tendances à venir que ceux issus des
enquêtes de conjoncture de l'Insee, de la Banque de France (excepté les travaux de Arrondel,
Savignac et Tracol mentionnés plus haut), ou des institutions internationales comme l'OCDE ou
la banque centrale européenne, car ils expriment les vues à l'horizon de cinq ans, de même que
l'indice de confiance élaboré par l'université du Michigan.*
Définition : Il existe plusieurs indicateurs de la mesure du moral des ménages, parmi ces
derniers, l'un est assez célèbre, il est, comme son nom l'indique, calculé et publié chaque mois
par l'Université du Michigan. Pour le calculer, environ 500 personnes sont interrogées sur leur
vision de l'avenir économique à court et moyen terme (1 an et 5 ans) ainsi que sur leurs finances
personnelles. L'influence de cet indicateur américain est assez forte sur les marchés car il est un
vrai indicateur avancé de la consommation future des individus.
Source : abcbourse-Université du Michigan
* Sur la construction des indicateurs conjoncturels, on pourra consulter les notices méthodologiques des
institutions citées (disponibles en ligne) :
Pour l'enquête Insee sur l'investissement dans l'industrie :
http ://www.insee.fr/fr/indicateurs/ind15/method_idconj_15.pdf,
Pour les enquêtes Insee mensuelles et trimestrielles de conjoncture dans l'industrie :
http ://www.insee.fr/fr/indicateurs/ind11/method_idconj_11.pdf et
http ://www.insee.fr/fr/indicateurs/ind12/method_idconj_12.pdf,
Pour l'indice Insee de confiance des consommateurs :
http ://www.insee.fr/fr/indicateurs/ind20/method_idconj_20.pdf ).
Pour les enquêtes de la banque centrale européenne :
http ://ec.europa.eu/economy_finance/db_indicators/surveys/documents/userguide_en.pdf.
Pour les enquêtes de l'OCDE : http ://www.oecd.org/dataoecd/16/14/2389378.pdf et
http ://www.oecd.org/dataoecd/7/47/2724851.pdf.
48
En ce qui concerne les débouchés externes, il convient de ne pas céder aux analyses à
courte vue selon lesquelles une bonne maîtrise des coûts suffirait à améliorer les performances macroéconomiques grâce aux gains obtenus sur les marchés internationaux. Ce
raisonnement ne manque pas de fondements à l'échelle microéconomique, mais les
implications macroéconomiques qu'en déduisent les conjoncturistes sont excessivement
optimistes, car les efforts des firmes pour s'imposer face à leurs concurrentes ne génèrent pas en soi une demande agrégée supplémentaire capable de dynamiser l'économie
dans son ensemble. Ils permettent tout au mieux à certaines de prendre des marchés à
d'autres, éventuellement à des concurrents étrangers.
Quand bien même les firmes d'un pays contiendraient les salaires davantage que celles des
pays partenaires, comme il semble que ce soit le cas des firmes allemandes en Europe, cela
ne ferait que changer la nature du problème sans apporter de réponse au fond. Les
économies européennes sont en effet dans les relations d'interdépendances qui rendent
problématique pour un pays membre le fait de gagner des parts de marchés au détriment
de ses partenaires (Van Treeck & alii 2010). L'Allemagne a jusqu'à présent mieux tiré son
épingle du jeu que la plupart de ses partenaires de la zone euro, mais c'est dans un
contexte dépressif qui risque fort de générer plus de forces dépressives encore, y compris
pour l'Allemagne elle-même ; de même que lorsque le « modèle allemand », vanté dans
la seconde moitié des années quatre-vingt pour ses vertus anti-inflationnistes, avait été
adopté par la quasi totalité des membres du SME, obsédés par les avantages illusoires de
la désinflation compétitive. Qui en Europe aurait intérêt à ce que se généralisent des politiques de maîtrise des coûts unitaires basées sur une augmentation de la productivité, si
les gains de productivités des partenaires devaient se neutraliser les uns les autres, et
qu'au bout du compte, seule devait augmenter la capacité productive de l'ensemble, sans
entraîner la demande globale ? Qui aurait intérêt, dans le même ordre d'idée, à ce que se
généralisent des politiques d'austérité salariale visant à stimuler la compétitivité internationale, si les efforts nationaux devaient se neutraliser mutuellement, ne laissant au bout
du compte qu'une demande globale anémiée ? Ce sont ces mêmes politiques qui, sous
couvert de « désinflation compétitive », ont accompagné le marasme de l'union européenne avant la crise du SME au début des années quatre-vingt dix. (47)
Taux de chômage (données mensuelles), Zone euro, %
Seasonally adjusted, not working day adjusted – Standardised unemployment
Sources : ECB, Eurostat
(47) Voir Asensio 2002.
49
La poussée du chômage aura-t-elle sur les salaires réels l’influence autorégulatrice mise
en avant par les économistes orthodoxes ? Comme nous l’avons vu, une baisse des
salaires nominaux serait plutôt de nature à déprimer davantage les perspectives de
débouchés (48). D'une part en affaiblissant davantage la propension à consommer globale
de l'économie, dans la mesure où les ménages salariés ont une propension à consommer
supérieure à celle des actionnaires, de sorte que la baisse de la demande des premiers
serait sans doute plus importante que l'augmentation éventuelle de la demande des
seconds. D'autre part, en incitant les entreprises à retarder les investissements pour
pouvoir bénéficier de la baisse prévisible du coût des biens d'équipement. La stabilisation
de l’économie dans un tel cas de figure dépend de la capacité des institutions du marché
de travail (syndicats, direction des entreprises, pouvoirs publics) à empêcher la baisse
des salaires. Dans ses perspectives économiques 2011, l'OCDE reconnaît l'argument,
même si de manière assez contradictoire, l'analyse s'écarte ensuite sensiblement de
l'argumentation de Keynes, puisque le regain d'activité est alors présenté comme la
conséquence de l'effet des gains de productivité sur le coût unitaire du travail, argument
de l'« économie de l'offre », et non pas comme la conséquence du redressement de la
demande agrégée (49).
« Un autre facteur qui pourrait influer sur le rythme du recul du chômage est l’évolution des
coûts de main-d’œuvre. Dans la plupart des pays, les salaires ont fortement décéléré, l’ajustement se produisant au cours d’un ou deux trimestres après le début de la récession. On
peut faire valoir que la réaction modérée des salaires à la gravité de la contraction de la
production a aidé à limiter le risque de déflation au creux de la récession, car autrement cela
aurait rendu plus difficile encore la tâche des politiques de demande. Néanmoins, le ralentissement des salaires, à la fin de 2009 et au début de 2010, conjugué à un rebond de la productivité, a été suffisant pour entraîner une décélération des coûts unitaires de main-d’œuvre (et
même une baisse, dans plusieurs pays) qui a aidé à endiguer les pertes d’emploi (...). En
outre, des mesures ont été prises, dans plusieurs pays, pour réduire la composante non salariale des coûts de main-d’œuvre, en particulier grâce à des réductions ciblées des charges
sociales. On ne saurait dire encore si l’ajustement global des coûts de main-d’œuvre qui en a
résulté a été ou non suffisant pour permettre une croissance soutenue de l’emploi à court
terme. » (Perspectives économiques de l'OCDE 2011, n° 89, p. 286).
À moins que l’action des pouvoirs publics ne parvienne à soutenir des vues suffisamment
optimistes quant aux risques associés aux actifs financiers, quant à la rentabilité des
investissements et quant aux débouchés futurs, c'est-à-dire, à rétablir l’« état de la
confiance », l'après crise devrait donc être caractérisé par une dégradation des perspectives à long terme, susceptible dès à présent de durcir les conditions de financement de
l'économie, de peser sur la consommation et l'investissement privés, et de ralentir par
conséquent l'accumulation du capital et la croissance par rapport à la période ayant précédé la crise.
C) Les problèmes à retardement
Contrairement à ce qui s'était produit lors de la précédente grande crise de 1929, les
premières réactions des pouvoirs publics ont cette fois permis d'éviter les phénomènes
de panique bancaire et de limiter les dégâts dans le secteur financier. Mais ces réactions
n'ont fait que transformer le problème afin qu'il soit supportable pour les acteurs privés,
en collectivisant les pertes et en accablant ce faisant le secteur public.
Inflation des prix d'actifs : retour à la case départ
Les injections de liquidités liées au sauvetage du système financier sont la contrepartie
d'une monétisation à grande échelle de dettes privées dont les marchés en étaient arrivés
à constater le caractère irrécouvrable ou la très forte dévalorisation. La confiance en un
prompt retour de la croissance a pu laisser un temps les plus optimistes espérer que les
débiteurs seraient rapidement en mesure d'acquitter leurs dettes, et que les banques
centrales pourraient alors retirer l'excès de liquidités, mais la décision concernant l'injec(48) Les salaires réels pourraient alors augmenter sous l'effet de la baisse des prix des biens, dans une sorte de
déflation cumulative, de sorte que la faiblesse de l'activité ne serait pas la conséquence d'un salaire réel trop
élevé, mais sa cause, comme l'avait remarqué Keynes (1936, p. 294).
(49) Les gains de productivité du point de vue postkeynésien sont consécutifs à la reprise. Il est bien connu que
l'emploi ne reprend pas immédiatement lors d'un regain d'activité, mais seulement après un délai, pendant
lequel la productivité augmente mécaniquement.
50
tion de 600 milliards de dollars supplémentaires, annoncée par la FED au début du mois
de novembre 2010, montre que plus de trois ans après le début des premiers troubles,
l'heure était toujours à la monétisation. Quant à l'arrêt de l'assouplissement quantitatif en
Europe et plus récemment aux États-Unis, il ne saurait masquer le fait que les politiques
monétaires restent très accommodantes en termes de coûts des refinancements offerts
aux banques.
BRI, 81e rapport annuel, juin 2011, p. 57.
Faute de pouvoir financer de nouvelles activités productives, le surplus de liquidités a
surtout servi à alimenter la demande et à regonfler les prix sur les marchés d'actifs (50) et
de valeurs refuges, comme l'or ou certaines matières premières (cf. encadré) (51). C'est
donc grâce à la ré-inflation des actifs que la tourmente financière a pu temporairement
être maîtrisée. Il fallait certes agir dans l'urgence pour stopper la panique ; guérir le mal par
le mal. Mais les mesures de régulation des activités financières, si tant est qu'elles parviennent à terme à juguler les pratiques douteuses, tardent à entrer en vigueur, de sorte
que les indices de prix des actifs ont plus ou moins retrouvé les niveaux comparables à
ceux qui prévalaient avant la crise.
(50) Non seulement de manière indirecte, c'est-à-dire en fournissant au système financier la liquidité requise à la
continuation de ses activités, mais aussi d'une manière directe dans certains cas : « Les mesures prises par la
BCE ont conduit à une progression de son bilan de plus de 45 % entre septembre 2008 et janvier 2009. Pour le
moment ces mesures ont principalement cherché à accroître la liquidité du marché interbancaire alors que les
autres banques centrales ont aussi visé à influer le prix de certains actifs financiers (publics ou privés) à travers
leurs achats (Fed, Banque d'Angleterre et Banque du Japon). » (DGTPE, Lettre Trésor-Eco, n° 56, Avril 2009, p. 1).
(51) Le rétablissement des marchés financiers en 2009 est documenté par exemple dans le rapport sur la stabilité
financière dans le monde du FMI (IMF, Global Financial Stability Report, Market Uptdate, January 2010).
51
Le prix des actifs et des matières premières
Sources : Natixis, Flash marchés – recherche économique n° 369, 18 mai 2011, p. 2.
(L'indice CRB est un indice de référence des prix des matières premières)
"There is no doubt that investment in financial derivatives markets for agricultural commodities
increased strongly in the mid-2000s, but there is disagreement about the role of financial speculation as a driver of agricultural commodity price increases and volatility. While analysts argue
about whether financial speculation has been a major factor, most agree that increased participation by non-commercial actors such as index funds, swap dealers and money managers in financial markets probably acted to amplify short term price swings and could have contributed to the
formation of price bubbles in some situations. Against this background the extent to which financial speculation might be a determinant of agricultural price volatility in the future is also subject
to disagreement. It is clear however that well functioning derivatives markets for agricultural
commodities, could play a significant role in reducing or smoothing price fluctuations – indeed,
this is one of the primary functions of commodity futures markets." ("Price Volatility in Food and
Agricultural Markets : Policy Responses", Policy report to G20 coordinated by the FAO and the
OECD, June 2011, p. 12).
52
Le secteur de l'immobilier en France
Bulletin de la Banque de France, n° 183, p. 5.
Bulletin de la Banque de France, n° 183, p. 5.
Bulletin de la Banque de France, n° 183, p. 4.
Indice de prix des logements anciens – 2005-2011
Source : BDM, INSEE
53
Ces évolutions sont porteuses de menaces bien plus grandes que celles qui ont précédé
la crise des "subprimes", car un nouveau krach interviendrait dans un contexte économique dégradé où la capacité d'intervention des pouvoirs publics serait très affaiblie.
Mais quand bien même un tel scénario resterait virtuel, les problèmes seraient encore
loin d'être résolus, car la dépression économique et la monétisation massive de dettes
partiellement irrécouvrables provoquées par la crise financière laissent dans leur sillage
des difficultés avec lesquelles il va falloir longtemps composer.
Collectivisation des pertes (I) – le problème de la dette publique
La crise financière a en effet provoqué une très forte dégradation des finances publiques.
D'une part en raison du sauvetage des banques (52), et d'autre part à cause de l'augmentation induite des aides aux entreprises et aux ménages, et du manque à gagner dû à la
dépression (53).
En ce qui concerne le coût direct, nombre de banques se sont plus ou moins acquittées
des aides publiques. D'aucuns ont même prétendu que les finances publiques y gagneraient au final, grâce à la revente des actifs et aux intérêts à percevoir. C'était sans doute
aller un peu vite en besogne si l'on veut bien considérer le problème des aides non récupérables, de la dévalorisation des créances douteuses détenues par l'État sur le secteur
privé (54) et l'ampleur des dégâts collatéraux causés aux économies, à commencer par
les dettes publiques.
D'après l'étude mentionnée, le FMI estimait la dégradation des comptes publics (i.e.
l'aggravation du déficit, en % du PIB) à 3,5 % en 2009 et 3,8 % en 2010 pour la France (130
à 135 milliards d'euros sur les deux années), 4,2 et 5,7 pour l'Allemagne, 7,2 et 8,3 pour le
Royaume-Uni et 10,7 et 7,8 % pour les États-Unis. À grands coups de recapitalisations,
nationalisations et renflouements divers, les finances publiques et les bilans des banques
centrales ont endossé les maux des banques privées. De sorte que malgré des bilans
encore lestés par d’importants montants de créances douteuses, nombre de banques
privées impliquées dans la tourmente de 2008 avaient renoué avec les profits un an
après. Certaines affichant même des performances n'ayant rien à envier à la situation
d'avant-crise, et dont le contraste avec le marasme économique ambiant ne fait que souligner le caractère artificiel. Ces profits ne renfloueront pourtant que faiblement les
comptes publics, la taxe imposée aux banques n'étant censée générer en France qu'environ
500 millions d'euros en 2011 et 2012, et 800 millions en 2013. En Allemagne l'ordre de
grandeur est de 1,5 milliard à l'horizon 2013, 2 milliards au Royaume-Uni. Ces chiffres
sont sans commune mesure avec les dégâts causés aux finances publiques. Aux ÉtatsUnis, le projet de taxation des banques a été abandonné. À défaut de taxer plus substantiellement les profits des banques, les gouvernements des pays touchés par le séisme
financier en sont venus à mettre en œuvre des plans de rigueur, d'ores et déjà programmés
sur plusieurs années, qui accroîtront les prélèvements fiscaux et sociaux, tout en
réduisant la protection sociale et les services publics. Ils organisent de ce fait une véritable collectivisation des pertes privées, en reportant sur l'ensemble de la population les
dégâts causés par le secteur financier.
Il est vrai que la reprise économique est susceptible d'atténuer le problème des finances
publiques, du fait des rentrées fiscales notamment, et de la diminution de certaines
dépenses liées à dépression. Cependant, même dans l'hypothèse très optimiste d'un rapide
retour à la trajectoire de croissance d'avant la crise et d'une réduction rapide des déficits
publics, le niveau de la dette publique resterait vraisemblablement longtemps supérieur à
ce qu'il était avant la crise, car les déficits passés continueront de peser sur la dette aussi
longtemps que des excédents en nombre suffisant n'auront pas compensé leurs effets.
(52) D'après la note du FMI ("Update on Fiscal Stimulus and Financial Sector Measures", avril 2009), le RoyaumeUni avait consacré l'équivalent d'un cinquième du produit intérieur brut au sauvetage des banques, le Canada,
près de 9 %, et les États-Unis, plus de 6 %. Les données sont moins spectaculaires pour les autres grandes puissances européennes mais représentent des sommes tout à fait considérables (1,5 %, soit près de 30 milliards
d'euros, pour la France). Voir l'annexe 3 pour des informations plus complètes.
(53) Pour une approche quantitative des réponses monétaires et budgétaires apportées à la crise, voir le rapport
de la banque des règlements internationaux (Bank for International Settlements, 2009, pp. 91-115).
(54) Le taux de récupération à l'horizon de cinq ans des aides financières directes, estimé par le FMI pour les
pays cités plus haut, se situe approximativement entre 50 et 60 %, sauf pour le Royaume-Uni (80 %) ; cf. "The
State of Public Finances : Outlook and Medium-Term Policies after the 2008 Crisis", March 2009.
54
Le problème est d'autant plus préjudiciable que certaines sommes ont été dépensées à
l'acquisition de créances douteuses qui ne rapporteront probablement pas ce qu'elles ont
coûté et qui par ailleurs n'ont pas servi à améliorer les services publiques ou accroître les
équipements collectifs. Ces dépenses ne font par conséquent qu'accroître le déficit public
sans livrer les contreparties positives habituelles (55), ce qui rend le processus plus pernicieux encore.
"Yet, despite the strong and swift response to the crisis, many economies now face the real
prospect of a protracted period of sub-par growth. This exacerbates a growing problem of
high budget deficits and unsustainable levels of government debt, (...). Unsurprisingly, many
governments, particularly in the developed regions of the world, are confronting increased
pressures in financial markets to quickly enact sweeping fiscal austerity measures." (International Labour Office/International Labour Organization, Global Employment Trends 2011,
Geneva, 2011, p. 2).
Collectivisation des pertes (II) : injections monétaires et viabilisation des créances douteuses
Comme le montre l'explosion des bilans des grandes banques centrales, celles-ci ont
également acquis des créances douteuses comme collatéraux des liquidités injectées
massivement dans le système bancaire (56). Certains auteurs soutiennent qu'il n'y a pas
lieu de se soucier des « actifs toxiques » acceptés par les banques centrales. Pour Paul
Davidson par exemple, l'un des représentants les plus en vue du courant postkeynésien :
"These assets are called ‘toxic’ not because they are worthless in the sense that they may
never generate a future cash inflow, they are ‘toxic’ because the market doesn’t know
how to evaluate them. [...] we are going to make a profit because over the long run
enough people are going to continue to pay their mortgages or whatever backs these
exotic financial assets so we will make a profit on it, which says that these things have a
value, but we don’t know what that value is." (Davidson, 2009). Cependant, comme
l'indique Horn (2008, p. 6) : "[...] it is not guaranteed that the ECB can sell them with profits.
The ECB takes this into account to some extent by applying a uniform haircut add-on
between 5 and 10 % and other down payments."
Quoi qu'il en soit, ces pertes potentielles ne sont que l'arbre qui cache la forêt, car même
si les banques centrales parvenaient à retirer les liquidités injectées pour le sauvetage des
banques, ce qui paraît très optimiste dans la mesure où il serait risqué dans le contexte
actuel de remettre de grandes quantités de créances douteuses dans le circuit financier, il
n'en reste pas moins vrai que le système bancaire américain avait créé de grandes quantités de monnaie pour le financement de logements privés et d'investissements dans la
construction en échange de promesses de remboursement qui ne seront finalement pas
honorées, ou seulement partiellement. Bien avant que la crise n'éclate, des masses de
« mauvaise monnaie » avaient ainsi déjà inondé les marchés et alimenté l'inflation des
prix d'actifs et des matières premières dans le monde entier.
Quand les marchés d'actifs se sont effondrés, entraînant avec eux la valeur marchande
des titres, l'explosion de la préférence pour la liquidité dans le secteur bancaire a quasiment absorbé toute la liquidité émise par les banques centrales (cf. supra l'augmentation
des réserves des banques dans les bilans des banques centrales), mais la lenteur des
avancées en matière de régulation prudentielle n'a pas suffisamment entamé l'attractivité
des marchés d'actifs pour empêcher que la masse des liquidités ne gonfle à nouveau les
prix des actifs. En l'absence de règles plus contraignantes, et susceptibles par conséquent
de tempérer les marchés en rendant les actifs moins attractifs, le processus pourrait se
poursuivre et s'amplifier jusqu'à ce qu'un nouvel effondrement vienne le stopper. Mais à
mesure que les nouvelles règles prudentielles détourneront les capitaux des marchés
(55) Pour une approche quantitative voir International Monetary Fund, 2009c, Staff Position Note SPN/13/09.
D'après la base de données de Laeven and Valencia (2008, p. 24) sur les crises bancaires systémiques : "Fiscal
costs, net of recoveries, associated with crisis management can be substantial, averaging about 13.3 percent of
GDP on average, and can be as high as 55.1 percent of GDP. Recoveries of fiscal outlays vary widely as well,
with the average recovery rate reaching 18.2 percent of gross fiscal costs. While countries that used asset management companies seem to achieve slightly higher recovery rates, the correlation is very small, at about 10 percent. Finally, output losses (measured as deviations from trend GDP) of systemic banking crises can be large,
averaging about 20 percent of GDP on average during the first four years of the crisis, and ranging from a low of
0 percent to a high of 98 percent of GDP."
(56) Voir sur ce point le rapport de la Banque des règlements internationaux (Bank for International Settlements
2009, pp. 91-110).
55
boursiers, il est vraisemblable que ceux-ci se réorienteront en partie vers les marchés de
biens durables, de matières premières et de l'or, amplifiant ainsi les hausses de prix qui
se profilent sur ces marchés.
Inflation et sous-emploi keynésien
Selon Keynes, dans un contexte de sous-emploi, les prix des biens augmentent de concert avec
le niveau de l'activité et de l'emploi lorsque s'accroît la demande agrégée (GT, Ch. 21, section III,
p. 295 & s.). Mais il s'agit là d'un phénomène lié à la décroissance des rendements des facteurs,
différent de l'inflation véritable : "When a further increase in the quantity of effective demand
produces no further increase in output and entirely spends itself on an increase in the cost-unit
fully proportionate to the increase in effective demand, we have reached a condition which might
be appropriately designated as one of true inflation" (GT, p. 303). On notera que dans cette définition, le sous-emploi est une condition suffisante pour qu'une augmentation de la demande
produise de l'inflation véritable, mais pas une condition nécessaire. Comme l'a remarqué Victoria
Chick, "there is nothing in [The General Theory] which actually impedes understanding of the
conjunction of unemployment and inflation" (Chick 1983, p. 280). Lorsqu'en temps normal la
monnaie de crédit finance des investissements productifs, la rentabilisation de ces derniers
permet le remboursement des sommes initialement empruntées, de sorte que la monnaie est
retirée du circuit de financement une fois que les produits ont été créés et écoulés sur les marchés. L'inflation par conséquent ne peut se développer, que l'économie soit au plein emploi ou
non, car le pouvoir d'achat monétaire est retiré du marché quand les produits ont été échangés.
Il est clair que l'inflation véritable se développerait dans une économie en plein emploi si la
masse monétaire venait accroître le pouvoir d'achat en circulation sans que les richesses produites soient plus abondantes, par exemple sous l'effet d'une monétisation d'un déficit public
causé par des dépenses non productives. Mais l'inflation véritable peut aussi bien se développer
en dessous du plein emploi si les projets financés ne permettent pas le remboursement intégral
des dettes, comme dans le contexte de la crise financière (57). C'est ainsi que, malgré un taux de
chômage de 12 %, Keynes (1937) exprima son inquiétude quant aux possibles pressions inflationnistes qui pouvaient résulter de la proposition du gouvernement britannique de financer le
réarmement en partie par l'emprunt. De telles tensions résulteraient dans le contexte actuel des
délais nécessaires pour accroître les capacités productives, et non pas du détournement des
capacités de production en direction du réarmement. À mesure que la situation économique et
financière se normalisera, et que le retour de la confiance dégonflera la préférence pour la liquidité, d'importants montants de monnaie auront tendance à affluer sur les marchés d'actifs, de
biens durables et de matières premières. Si le durcissement de la réglementation financière fait
réellement sentir ses effets, il se pourrait que les producteurs de biens durables et de matières
premières ne soient pas en mesure de répondre à la demande dans des délais suffisamment
courts pour éviter l'inflation dans ces secteurs, et de là, sa propagation dans l'économie. Selon
le FMI, les capacités de production ont en effet souffert durant la dépression (International Monetary Fund, World Economic Outlook 2009, p. 31-33) de sorte que malgré le fait que les entreprises
aient retardé les déclassements d'équipements, les taux d'utilisation des capacités sont à présent
relativement élevés (cf. Section B supra).
« La récession a entraîné une diminution permanente du potentiel de production. Pour l’ensemble
de l’OCDE, on estime qu’il sera à peu près 2 ½ pour cent inférieur en 2012 à ce qu’indiquaient les
projections faites avant la crise. Cela représente la perte de plus d’une année de croissance pour
cette région. Les causes en sont la baisse du stock de capital, les entreprises ayant réagi à la fin
d’une période de financement à bon marché, et la hausse du chômage de longue durée qui résulte
d’effets d’hystérésis entraînant une aggravation du sous-emploi structurel. »
(Perspectives économiques de l'OCDE, n° 89, version préliminaire, p. 248).
« Les risques d'inflation ont globalement augmenté, sous l'effet conjugué d'une diminution des
capacités inutilisées et d'un renchérissement des denrées alimentaires, de l'énergie et des autres
produits de base ».
(Banque des règlements internationaux, Rapport annuel, juin 2011, p. XII).
L'ampleur des éventuelles pressions inflationnistes (ou l'ampleur des mesures qui seront
adoptées pour les contrer) dépendra de la capacité des autorités à retirer à temps
d'importantes quantités de monnaie. La difficulté n'est cependant pas d'ordre technique ;
elle réside dans le fait que le système financier reste fragilisé, et qu'il serait par conséquent risqué d'y réintroduire d'importantes quantités d'actifs toxiques en échange des
liquidités retirées.
(57) De telles tensions apparaîtraient le cas échéant dans une situation de sous-emploi massif, ce qui différencie
radicalement l'argument par rapport à la thèse monétariste. Voir Asensio (2009) pour une analyse détaillée.
56
IV. LES POLITIQUES PUBLIQUES EMPÊTRÉES
A) La nature du problème et le point de vue du courant de pensée dominant
Au-delà de la dépression économique qu'elle a déclenchée, la crise financière laisse
derrière elle un chapelet de difficultés qui assombrissent l'horizon et les perspectives de
croissance : fragilisation du système financier et durcissement à venir des conditions de
financement, dégradation de l'état de la confiance et des prévisions à long terme, dégradation des finances publiques et monétisation à grande échelle de dettes privées. Les
politiques macroéconomiques abordent la phase de reprise affaiblies, alors même
qu'elles sont confrontées à des situations particulièrement difficiles (58). D'une part les
gouvernements craignent la sanction des marchés s'ils ne mettent pas en œuvre des programmes d'ajustement des finances publiques aux conséquences négatives pour la croissance économique. D'autre part, avec des taux directeurs encore proches de zéro, les
politiques monétaires n'ont guère de marges de manœuvre (59), et devront par ailleurs
faire face à deux dilemmes imbriqués : 1) Retirer les liquidités en fragilisant davantage le
secteur financier ou non (quitte à laisser se développer des tensions inflationnistes sur les
marchés d'actifs et/ou de biens durables et matières premières). 2) Si les liquidités ne
sont pas massivement retirées afin de préserver le système financier, laisser filer l'inflation ou relever les taux d'intérêt (en dégradant davantage l'emploi, la croissance, les
finances publiques...).
« (...) La persistance de taux d'intérêt très bas dans les grandes économies avancées retarde l'ajustement indispensable des bilans des ménages et des établissements financiers. Elle accroît aussi le
risque de voir resurgir les distorsions apparues avant la crise. Si nous voulons bâtir un avenir stable, il
ne faut pas qu'en prenant des mesures pour amortir l'impact de la dernière crise, nous semions les
graines de la suivante. » Banque des règlements internationaux, rapport annuel, 2011, p. xii).
« Aujourd’hui, avec l’explosion des prix des denrées alimentaires, de l’énergie et des autres produits de
base, l’inflation est partout source de préoccupations. Au niveau mondial, l’orientation actuelle des
politiques monétaires paraît, de ce fait, incompatible avec la stabilité des prix ». (Banque des règlements internationaux, rapport annuel, 2011, p. 2).
« Plus généralement, le rythme de l’assainissement et le choix des instruments d’action devront
prendre en compte la nécessité d’instaurer sans retard une dynamique viable de la dette publique, la
vigueur de la reprise, l’adoption de réformes structurelles favorables à la croissance et la possibilité
d’utiliser la politique monétaire pour compenser les effets négatifs du resserrement budgétaire. »
(Perspectives économiques de l'OCDE, 2011, n° 89, pp. 16-17).
Compte tenu des dilemmes auxquels sont exposés les pouvoirs publics, les conséquences
des politiques macroéconomiques dépendront des arbitrages qui seront effectués. Nous
examinons ici les arbitrages tels qu'ils sont appréhendés par le courant de pensée dominant (le point de vue postkeynésien sera introduit plus loin).
En ce qui concerne la politique monétaire, les autorités peuvent par exemple décider de
laisser filer l'inflation pendant quelques temps, c'est-à-dire jusqu'à ce que la valeur réelle
des dettes douteuses et de la monnaie injectée en contrepartie soit réduite à hauteur des
montants irrécouvrables. Cette solution préserve l'activité économique et l'emploi, au
(58) Les trois sections de ce chapitre s'inspirent et développent diverses idées tirées des articles de Asensio &
Lang (2010) et Asensio (2011c).
(59) Un autre moyen est parfois suggéré pour soutenir l'activité lorsque les taux d'intérêt directeurs sont
proches de zéro ; il consiste à tenter d'obtenir une baisse des taux d'intérêt réels par voie d'inflation. Ce type de
politique ne peut fonctionner que si les taux nominaux à long terme n'intègrent pas l'inflation par anticipation,
ce qui en temps normal ne peut se concevoir que de manière très transitoire. Il peut être opportun en revanche,
dans une phase de forte dépression, de chercher à contrebalancer la hausse des taux réels qu'implique la baisse
des prix (et de l'activité), par des mesures qui seraient inflationnistes en temps normaux. C'est semble-t-il ce
qu'ont obtenu les grandes banques centrales, comme le suggérerait l'OCDE à la fin 2010 : « (...) suivant la durée
et l’ampleur du tassement de l’activité économique, des actions plus énergiques pourraient être nécessaires
pour faire baisser les taux d’intérêt réels dans les compartiments à plus long terme par de nouvelles mesures
d’assouplissement quantitatif et par des campagnes de communication. » (Perspectives économiques de
l'OCDE, novembre 2010, p. 15). Il s'agit là cependant de mesures visant à éviter une déflation cumulative (baisse
des prix et de l'activité ! hausse des taux réels ! baisse des prix et de l'activité...), qui ne sont pas appropriées,
pour la raison rappelée plus haut, dans un contexte de la reprise de la croissance.
57
détriment des créditeurs, dont la valeur réelle des créances se déprécierait en proportion
de la hausse des prix. Si en revanche les autorités décidaient de ne pas laisser filer l'inflation, serait-ce temporairement, les conséquences alors pèseraient sur l'activité économique
et sur l'emploi, ainsi que sur les emprunteurs, qui subiraient la hausse des taux d'intérêt
requise pour réprimer l'inflation.
En ce qui concerne les déficits publics, les gouvernements peuvent par exemple décider
d'augmenter la pression fiscale de manière à compenser le coût du soutien apporté au
secteur financier (ainsi que le coût des moindres rentrées fiscales dues à la récession que
le secteur financier a provoqué). Comme les achats de dettes douteuses ne contribuent
nullement au soutien à la demande privée, alors que la pression fiscale est clairement de
nature à la déprimer, cette solution pèserait sur l'emploi et sur le contribuable. Si en
revanche la pression fiscale était relevée de manière à ne combler que partiellement les
effets de la crise sur le déficit public, l'emploi serait moins sévèrement atteint, mais
l'inflation serait moins réprimée.
Les autorités budgétaires et fiscales et les autorités monétaires devraient donc avoir à
composer avec le fameux dilemme inflation/chômage, avec des effets distributifs cependant différenciés selon l'arbitrage décidé. On notera qu'en soi les mesures budgétaires et
monétaires requises par la collectivisation des pertes privées ne sauraient soutenir l'activité économique, mais devraient au contraire avoir des effets dépressifs, car même dans
le cas le plus favorable à l'activité, celui où les autorités consentiraient à laisser filer
l'inflation et le déficit public, cela ne ferait qu'éviter des mesures aux effets dépressifs,
comme la hausse de la pression fiscale et des taux d'intérêts, ce qui en soi ne saurait soutenir la demande agrégée. De sorte que le processus de collectivisation des pertes n'est
de nature à générer que des forces dépressives et/ou inflationnistes, selon les options
retenues par les pouvoirs publics.
Les caractéristiques de la trajectoire de la reprise économique dépendront donc de la
manière dont les autorités répondront au contexte. Ces choix sont loin d'être figés, mais
les évolutions récentes indiquent les tendances actuelles : d'une part l'arrêt des mesures
non conventionnelles de politique monétaire, voire la tentation dans certains cas de
commencer à remonter les taux d'intérêts à court terme ; d'autre part la mise en œuvre
de programmes de redressement des finances publiques visant à réduire à terme les
ratios d'endettement, ce qui dans certains cas implique des politiques budgétaires et
fiscales restrictives (sous la forme d'excédents budgétaires primaires) à plus ou moins
brève échéance (cf. encadré).
Les recommandations de politique économique de l'OCDE du FMI
et de la Banque des règlements internationaux
OCDE
« Dans les pays où le choix se présente, l’ampleur et la rapidité de l’assainissement des finances
publiques dépendront en partie de la capacité de la politique monétaire à compenser les effets
défavorables à court terme du resserrement budgétaire sur la demande par un relèvement moins
important ou plus tardif des taux directeurs. » (...) « Il va falloir engager activement un assainissement budgétaire à partir de 2011 pour rétablir la viabilité des finances publiques dans presque
tous les pays de l’OCDE. Le rythme de retrait des mesures de relance budgétaire dépendra de
l’état des finances publiques, de la facilité avec laquelle la dette publique pourra être financée, de
la vigueur de la reprise et des engagements qui auront déjà été pris en termes d’assainissement.
Il faudra laisser jouer les stabilisateurs automatiques autour de la trajectoire d’assainissement
prévue afin de compenser toute faiblesse temporaire de l’activité, sauf dans les cas où l’action
des pouvoirs publics risque sérieusement de se décrédibiliser. » (...) « Pour la plupart des autorités
monétaires, la difficulté sera de mettre un terme aux mesures de relance exceptionnelles en
tenant compte de l’évolution de la situation macroéconomique et sans accentuer les fragilités des
marchés financiers. » (Perspectives économiques de l'OCDE, Évaluation générale de la situation
macroéconomique, version préliminaire, novembre 2010, pp. 14-16).
BRI
« La persistance de taux d'intérêt très bas dans les grandes économies avancées retarde l'ajustement indispensable des bilans des ménages et des établissements financiers. Elle accroît aussi le
risque de voir resurgir les distorsions apparues avant la crise. Si nous voulons bâtir un avenir
stable, il ne faut pas qu'en prenant des mesures pour amortir l'impact de la dernière crise, nous
semions les graines de la suivante. » (...) « Le danger inflationniste qui, après les grandes économies émergentes, menace aujourd'hui les économies avancées, renforce les arguments en
58
faveur d'un relèvement généralisé des taux directeurs. » (...) « Les mesures non conventionnelles
touchent à leur fin, et les banques centrales doivent faire face aux risques nés du gonflement et
de la complexité de leur bilan. Leur crédibilité durement acquise dans la lutte contre l'inflation
pourrait être entamée si ces risques n'étaient pas maîtrisés, comme elle pourrait l'être en cas de
resserrement monétaire tardif par les canaux conventionnels. » (Banque des règlements internationaux, Rapport annuel, juin 2011, p. XII).
« L’endettement public continue en revanche d’augmenter. Il était légitime de laisser se creuser
d’importants déficits budgétaires durant la crise et immédiatement après, car cette politique
budgétaire expansionniste permettait alors d’éviter le pire. Maintenant que la reprise est engagée, toutefois, cette stratégie est de plus en plus dangereuse. Le sentiment du marché peut très
vite changer, et forcer les pouvoirs publics à prendre des mesures encore plus draconiennes que
celles qui auraient été nécessaires à un stade antérieur. L’assainissement des finances publiques
ne se fera pas en un jour, mais il doit commencer dès maintenant. » (Banque des règlements
internationaux, Rapport annuel, juin 2011, p. 35).
FMI
"The time purchased with the extraordinary support measures of the past few years is running
out. Low policy interest rates that are close to the zero bound are likely to have a diminishing
effect over time. Fiscal stimulus and further government support of the financial sector are also
becoming increasingly unpalatable politically. It is clear that monetary and fiscal policy support
can be helpful in the short term, but that such support is no substitute for structural solutions to
longstanding problems." (IMF, Global financial stability report, Market Update January 2011, p. 5).
« Pour consolider la reprise dans les pays avancés, il faudra maintenir une politique monétaire
accommodante aussi longtemps que la pression des salaires reste modérée, que les anticipations inflationnistes sont bien ancrées et que le crédit bancaire est anémique. Par ailleurs, il faut
placer les finances publiques sur une trajectoire viable à moyen terme à l’aide de programmes
de rééquilibrage budgétaire et de réformes des droits à prestations, en s’appuyant sur des règles
et des institutions plus solides. Ce besoin est particulièrement urgent aux États-Unis, afin d’éviter
de déstabiliser les marchés obligataires à l’échelle mondiale. En fait, les États-Unis ont maintenant de nouveau l’intention de mener une politique budgétaire expansionniste en 2011, plutôt
que de rééquilibrer leur budget. Ils devraient s’efforcer de réduire le déficit prévu pour l’exercice
2011. » (Perspectives de l'économie mondiale, FMI, avril 2011).
Source : International monetary fund (Shifting gears - Tackling challenges on the road to fiscal
adjustment, Fiscal monitor, April 11, p. 18).
59
(Shifting gears – Tackling challenges on the road to fiscal adjustment, IMF, Fiscal Monitor, April
11, p. 22)
À titre d'illustration, selon les simulations du FMI (tableau ci-dessus), pour atteindre un
ratio de dette publique de 60 % au plus tard en 2030, les ajustements budgétaires en % du
PIB qui devraient être réalisés entre 2020 et 2030 sont tels que la France devrait passer
d'un déficit primaire (ajusté du cycle) de – 3,2 % en 2010 à un excédent de 3 %. La Grèce
d'un déficit de 3,1 % à un excédent de 7,4 %. Les États-Unis d'un déficit de 6,2 à un excédent de 11,3 %... De telles orientations indiquent clairement que le soutien qu'ont apporté
les politiques monétaires et budgétaires à la demande globale est en passe de nettement
s'amoindrir plus ou moins rapidement selon l'importance des pressions inflationnistes et,
pour ce qui concerne la politique budgétaire (60), de la pression des marchés, avant de
céder la place à des politiques franchement restrictives.
(60) Les deux problèmes sont liés en partie, car l'inflation nourrit les revenus monétaires, qui alimentent euxmêmes les rentrées fiscales. En outre, certains gouvernements sont concernés directement ou indirectement
par la valeur de marché des actifs douteux qu'ils ont garantis ou acquis. L'inflation sur les marchés d'actifs est
par ce biais également un facteur susceptible d'influencer l'état des finances publiques et le regard qu'y portent
les détenteurs de titres de la dette publique sur les marchés.
60
En ce qui concerne l'union européenne, on peut même s'attendre à une orthodoxie
renforcée en matière de politique macroéconomique, compte tenu du « paquet gouvernance » en préparation. Celui-ci viendra renforcer la rigueur du pacte de stabilité et de
croissance en matière de respect des critères de déficit et de dette publique. Les négociations ne sont pas terminées, mais la philosophie du paquet transparaît dans le compte
rendu du conseil des affaires économiques et financières du 15 mars 2011 (actualisé en
juillet) :
Accorder une plus grande attention à la réduction des dettes souveraines
« Les critères définis dans le Pacte de stabilité et de croissance comprennent principalement ceux
relatifs au respect du déficit budgétaire, mis en avant alors que les règles relatives aux dettes
publiques n’étaient pas respectées, ce qui a mis en doute la crédibilité du système. Par conséquent, les
propositions du paquet des six textes législatifs accordent une importance particulière à la réduction
des dettes.
En ce qui concerne les finances publiques, la nouvelle réglementation fait de la prévention une question prioritaire, en incitant les États membres à consentir des efforts pour obtenir un équilibre à
moyen terme. Tout écart par rapport à l’équilibre entraînerait ainsi des sanctions avant même que le
déficit n’atteigne le seuil maximal de 3 % du produit intérieur brut (PIB).
En ce qui concerne l’ampleur des dettes publiques, la Commission et le Conseil ne prenaient auparavant aucune mesure si le déficit d’un État membre dépassait de manière durable 60 % de son PIB.
Selon les nouvelles propositions, les déficits devront être réduits de manière plus drastique, notamment au moyen de l’introduction – d’autres facteurs pertinents étant également pris en compte – de
la règle dite du « vingtième ». Cette règle implique que si la dette d’un État dépasse le seuil des 60 %,
il lui sera demandé de procéder à une réduction annuelle correspondant au vingtième de la partie de
sa dette dépassant ce seuil de 60 %. Si un pays a donc, par exemple, une dette de 80 %, il lui sera
demandé de réduire sa dette de 1 point par an. » (Conseil des affaires économiques et financières :
http ://www.eu2011.hu/fr/news/conseil-accord-sur-le-paquet-de-gouvernance-economique)
B) Les difficultés seront aggravées par les politiques orthodoxes
Du point de vue postkeynésien, si les premières réactions des autorités ont clairement été
mieux adaptées lors de la crise de 2008 qu'en 1929, le deuxième round est bien mal engagé.
Le principal danger est de mettre à mal la croissance de la demande privée, alors même
qu'au-delà d'une reprise à caractère technique, elle sera, comme nous l'avons vu au
chapitre précédent, peu encline à retrouver d'elle-même les conditions d'avant la crise. Il
est à craindre d'ailleurs que les prévisions à moyen terme des entreprises et des ménages
intègrent dès à présent le durcissement à venir des politiques macroéconomiques, affaiblissant plus encore l'incitation à investir et la propension à la dépense.
Source : IMF, Regional economic outlook, Europe, May 2011, p. 1.
61
Le but des politiques recommandées par le courant de pensée dominant, tel qu'il s'exprime
dans les rapports ministériels ou d'institutions comme l'OCDE ou le FMI, est de réduire le
ratio dette publique/PIB de manière substantielle, afin que les marchés continuent de
prêter à l'État sans exiger une prime de risque pénalisante. Ces principes peuvent être
justifiés dans une économie de plein emploi en bonne santé. Ils permettent le cas échéant
de mettre un terme à la séquence perverse : déficit public – accroissement de la dette –
accroissement de la prime de risque – élévation du déficit public... Mais ils peuvent être
contreproductifs dans une économie convalescente. Il est notamment particulièrement
contre-indiqué de s'obstiner à réduire le déficit (a fortiori de cibler un excédent) avant que
la demande privée ait retrouvé son propre dynamisme, car la reprise est d'autant plus
difficile que les autorités s'empressent d'éliminer le déficit public plus rapidement, en
conséquence de quoi les rentrées fiscales sont amoindries, entraînant un ralentissement
des dépenses, donc une croissance et des rentrées fiscales encore plus faibles... Le résultat,
si la faiblesse des profits des entreprises qu'induit un tel contexte ne produit pas une nouvelle crise selon le mécanisme mis en évidence par Minsky (61), peut prendre des allures
de cercle vicieux engluant l'économie dans une croissance molle, sans que le ratio de
dette soit assuré de pouvoir diminuer au bout du compte (62).
Scénarios d'après crise (1)
Le cercle vicieux de la croissance molle
Croissance molle
Dette publique
croissante
(Faible soutien publique)
Faibles rentrées fiscales
déficit persistant
Faute d'un dynamisme suffisant de la demande privée et d'un soutien substantiel par les
dépenses publiques, la lenteur de la reprise et les déficits budgétaires persistants s'entretiennent
mutuellement.
C'est ainsi que malgré les plans de rigueurs adoptés par la Grèce, la notation de sa dette
n'a cessé de se dégrader, témoignant de l'incapacité des restrictions budgétaires à
résoudre le problème.
Les Échos, 15/7 : 2011
(61) « Si nous avions vécu dans un monde de "laissez faire" dans lequel l'État ne joue qu'un faible rôle, les problèmes financiers de 1974, 1979-80, 1982-83 auraient fort bien pu nous conduire à un effondrement cumulatif et
interactif comme celui qui s'est déroulé entre 1929 et 1933 ». Minsky, 1985, p. 326. Ce qui intéressait Minsky
dans cet article était le processus pouvant conduire à éviter « un "effondrement" de la structure financière mondiale » comme celui survenu en 1933, quatre ans après les événements de 1929.
(62) Au niveau d'un pays, la demande externe peut éventuellement compenser la dépression de la demande
interne si le contexte international est favorable. Mais une telle issue est fort peu probable lorsque les politiques
restrictives se généralisent à une échelle internationale.
62
Dans le cas d'une économie affaiblie et à dette publique élevée, un programme de réduction
du déficit budgétaire peut même inquiéter les marchés davantage au lieu de les rassurer si
les investisseurs anticipent une moindre expansion des débouchés, donc une moindre
rentabilité des investissements, une croissance plus faible, et au final une aggravation
des déficits publics malgré les efforts déployés pour l'éviter. La pression des marchés sur
une économie fortement endettée peut alors déboucher sur une politique budgétaire et
fiscale plus agressive, capable de faire basculer l'économie de la croissance molle à la
dépression, comme l'ont montré les cas de la Grèce et de l'Irlande (cf. encadré).
Scénarios d'après crise (2)
Stabilisation agressive du ratio de dette
Dépression écon.
Ratio de dette publique
stabilisé
(Politique budgétaire
agressive)
Faibles rentrées fiscales
déficit éliminé
Indice d'évolution du PIB en volume
Source : Calculs à partir des Perspectives économiques de l'OCDE, n° 89
Ce type de scénario menace sérieusement l'Italie, le Portugal et l'Espagne, et l'adoption
de politiques budgétaires agressives à une large échelle, au moment où la Banque centrale
européenne commence à remonter ses taux d'intérêt, dégrade plus encore les perspectives
de croissance en Europe. Mais au rythme où vont les choses, lequel peut cependant
encore connaître des inflexions majeures tant l'économie et la finance mondiale restent
vulnérables, c'est à l'horizon de quelques années que les dangers pourraient être les plus
élevés. Comme l'indiquent les simulations du FMI présentées plus haut, la stabilisation
des ratios de dette publique suppose qu'à un moment ou à un autre les budgets primaires exhibent des excédents, dans certains cas très conséquents. Suivant ce scénario,
la contribution du secteur public à l'activité deviendrait alors négative, après une période
de contributions positives mais décroissantes.
63
« Les mesures vigoureuses prises par les pouvoirs publics ont réussi à circonscrire, jusqu’à présent, les
problèmes afférents à la dette souveraine et au secteur financier dans la périphérie de la zone euro,
mais la contagion aux pays du noyau dur de la zone euro, puis aux pays émergents d’Europe, demeure
un risque réel. Il s’avère difficile de briser le cycle des interactions négatives entre les inquiétudes
concernant la stabilité des finances publiques et celle des bilans des banques. De plus, les craintes
suscitées par l’état des finances publiques et les bilans du secteur financier dépassent la périphérie de
la zone euro. » (FMI, Perspectives économiques régionales – Europe, mai 2011, p. 2).
Il serait donc plus sage, d'un point de vue postkeynésien, de remettre les programmes
d'ajustement budgétaires à plus tard. Les problèmes de dette publique que nombre
d'économies ont aujourd'hui à affronter résultent de la grave dépression provoquée par
la crise financière. Ces problèmes s'estomperont d'eux-mêmes quand les économies
auront récupéré. Si des mesures restrictives sont alors toujours nécessaires, elles seront
alors moins importantes, plus supportables et donc plus facile à mettre en œuvre. C'est
une fois que la demande privée a retrouvé son propre dynamisme que la rigueur budgétaire a les meilleures chances de réduire la dette publique, c'est-à-dire quand, au-delà des
reprises automatiques induites par l'épuisement des stocks et l'augmentation des
tensions sur les capacités de production, les prévisions à long terme encouragent à la
dépense et à l'investissement ; d'autant plus que les rentrées fiscales sont dans ce cas
spontanément entraînées à la hausse. Dans la période actuelle, où les besoins d'aides
publiques sont fortement accrus, les restrictions budgétaires risquent au contraire de
dégrader le climat social et l'état de la confiance dans le système économique et financier.
C) Propositions pour débrider la reprise
Au début de la reprise économique, les capacités de production inutilisées ont permis aux
entreprises de répondre à l'expansion des débouchés, jusqu'à ce que l'économie ait
rejoint le niveau d'avant la crise, ou un niveau sensiblement inférieur compte tenu de la
dégradation du potentiel productif. Le soutien des politiques publiques s'est avéré décisif
à ce stade, car les incitations à la dépense et à l'investissement dans le secteur privé
étaient au plus bas. Mais, contrairement à l'optimisme affiché par les institutions comme
le FMI ou l'OCDE, la demande privée n'a été réamorcée que de manière mécanique, de
sorte que le désengagement programmé du secteur public sur une longue période est tout
à fait problématique. Il serait préférable que les pouvoirs publics cherchent à restaurer la
confiance des investisseurs privés en maintenant des programmes pluriannuels d'investissement publics (63), dont les retombées en termes de croissance future du revenu national
et des recettes fiscales garantissent la soutenabilité à long terme, y compris aux yeux des
marchés.
Le problème de la soutenabilité d'une telle politique à court terme reste bien entendu
posé, mais il peut être géré si l'on s'en donne les moyens. La liberté de circulation des
capitaux a montré à quels dangers elle pouvait exposer l'économie mondiale, et elle
pourrait encore faire plus de dégâts. Si les autorités veulent prendre au sérieux les
avertissements livrés par les approches théoriques qui non seulement mettent en doute
l'efficience des marchés concurrentiels, mais apportent en outre une lecture cohérente
des crises, elles devront accepter quelques concessions aux dogmes qui ont fini par
égarer le courant de pensée économique dominant, et permis l'avènement de la plus
grave crise économique depuis 1929. Et les signaux d'alerte ne cessent d'affluer de la part
des voies les plus autorisées sur les risques d'une nouvelle déflagration liée à la question
des dettes souveraines et à l'exposition des banques (64).
Il faudra peut-être attendre une rechute, qui comme nous l'avons vu promet d'être bien
plus grave, pour que des solutions radicales soient apportées ; mais les pouvoirs publics
seraient bien inspirés de reconsidérer dès à présent l'utilité d'un contrôle des mouvements
(63) Un gouvernement peut rapidement épuiser ses marges de manœuvres s’il s’échine à soutenir continuellement la demande effective sans parvenir à ré-enclencher l’incitation à investir et à la dépense dans le secteur
privé.
(64) On ne compte plus les réunions de crise au sein de l'Union européenne sur la dette de la Grèce. Le FMI tient
également des propos alarmants dans son rapport annuel 2011. Les propos tenus en juillet 2011 par le président
de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, sur les conséquences catastrophiques qu'aurait un défaut de paiement
même mineur de la part des États-Unis, sont également révélateurs de l'état de la finance mondiale. Il suffit
d'ailleurs de parcourir les rapports officiels du FMI, de la Banque des règlements internationaux, de l'OCDE, ou
des grandes banques centrales pour se convaincre de la persistance des menaces qui planent sur le système
financier.
64
de capitaux dans le contexte d'extension des crises de la dette souveraine en Europe. Un
tel contrôle permettrait à l'Union de couper leurs effets aux agences de notation quand
elle envisagerait de garantir les dettes souveraines de ses États-membres. La Grèce,
l'Irlande ont déjà payé un prix élevé. L'Union aurait les moyens, si elle parvenait à trouver
l'adhésion sur un plan politique, d'empêcher que les marchés et les agences de notations
imposent leur solution aux problèmes de la dette souveraine. Si la solution des marchés
était porteuse de plus de croissance, on aurait bien tort de s'y opposer, mais le fait est
qu'elle n'est porteuse que de forces dépressives qui de ce fait menacent la stabilité du
système financier international et les conditions de la reprise.
C'est au prix de mesure radicales, comme une garantie européenne des prêts accordés
aux États dont les finances publiques ont été mises en péril par la crise financière, et/ou
un retour au contrôle des mouvements de capitaux, que les pays membres de l'Union
pourront consolider le retour de la confiance dans le secteur privé. Plusieurs facteurs sont
d'ailleurs de nature à rendre les politiques budgétaires expansionnistes plus efficaces
dans un système économique fortement éprouvé. Les politiques de relance apportent
tout d'abord un soutien à la demande agrégée, à la fois directement par la dépense
publique, mais aussi en redressant la profitabilité anticipée des investissements productifs et l’état de la confiance qui conditionnent les dépenses dans le secteur privé. Compte
tenu de l'ampleur de la crise actuelle et des divers facteurs qui continuent de miner la
confiance dans les économies nationales, il est vraisemblable que l'effet stimulant serait
très supérieur à ce qu'on peut attendre du concours des politiques budgétaires en temps
normaux (65).
Revue de l'OFCE, n° 115, Octobre 2010, p. 164.
Deuxièmement, la part des créances irrécouvrables peut être considérablement réduite
dans un contexte de reprise économique, d'autant plus si celle-ci bénéficie des effets favorables mentionnés ci-avant, ce qui revient en l'occurrence à attaquer le mal à la source.
C'est en effet le problème du recyclage des créances douteuses par les pouvoirs publics
qui, comme nous l'avons vu expose les autorités à des problèmes aigus de dette publique,
d'inflation (pas seulement des prix des actifs) et de sous-emploi. Troisièmement, la reprise
économique induite par une relance génère des rentrées fiscales susceptibles d’aider le
gouvernement à socialiser les pertes sans avoir à augmenter le taux de pression fiscale.
(65) Dans des systèmes ouverts, les politiques expansionnistes produisent une partie de leurs effets à l’extérieur. Les relances isolées sont par conséquent pénalisées par rapport aux initiatives collectives qui pourraient
être menées à l'échelle de l'union européenne.
65
Dans un contexte de croissance économique affaiblie, un déficit budgétaire temporaire
pourrait donc, au bout du compte, induire une croissance supérieure, une baisse du
déficit et une inflation moindre (66).
Scénarios d'après crise (3)
Redresser les comptes publics par la croissance
Croissance rapide
Stabilisation du ratio
de dette publique
(Soutien publique)
Amélioration des comptes publics
Une fois le dynamisme de la demande privée retrouvé, les problèmes soulevés par la
collectivisation des pertes privées sont moins lourds à gérer. Il est en effet plus opportun
d'absorber les masses de liquidités injectées en contrepartie des dettes douteuses dans
un contexte où les créances irrécouvrables sont sensiblement inférieures, grâce à la
croissance, à ce qu'elles auraient été dans une trajectoire moins dynamique. Mais pour
échapper totalement aux forces dépressives et/ou inflationnistes, il faut que la croissance
économique puisse absorber les liquidités libérées par les effets de la réglementation
prudentielle (les marchés d'actifs perdant de leur attractivité) et par la diminution de la
préférence pour la liquidité qui normalement accompagne le retour de la confiance, du
moins pour la part que les autorités monétaires auront renoncé à retirer pour préserver le
système financier. Comme il est possible que l'investissement et la croissance ne soient
pas assez vifs pour neutraliser les tensions inflationnistes susceptibles de se produire, il
pourrait être opportun de confier à un organisme public ad hoc la mission d'emprunter
des capitaux au secteur privé (capitaux en principe relativement abondants et donc bon
marché dans ce scénario), afin de financer les investissements publics, en étalant les
dépenses dans le temps afin que les capacités de production ne soient pas saturées (67).
Le redressement des prévisions à long terme et l'amélioration des finances publiques
sont d’autant plus souhaitables qu’ils sont susceptibles d’atténuer la préférence pour la
liquidité et d’apaiser par conséquent les tensions sur les taux d’intérêt à long terme (donc
l'incitation à investir dans le secteur privé, mais aussi la charge de la dette publique) plus
sûrement que ne pourrait le faire la banque centrale en période de crise financière. La
politique monétaire sera en effet désavantagée sur le terrain de la relance économique
tant que l’« état de la confiance » restera affaibli, car il est bien plus difficile d’obtenir une
baisse des taux d’intérêt à long terme en baissant les taux de refinancement dans un
contexte de marchés baissiers. Dans l’approche postkeynesienne, une baisse des taux
longs requiert en effet une diminution de l’aversion pour le risque et de la préférence
pour la liquidité de telle sorte que soient modifiées les vues conventionnelles concernant
le futur ; c’est une question de confiance, pas seulement une affaire de coût des refinancements.
Une politique monétaire accommodante reste cependant hautement souhaitable, d'une
part afin de limiter autant que faire se peut les tensions sur les taux d'intérêt à long terme
et donner toutes les chances à une reprise en profondeur de l'investissement et de la
consommation privés, et d'autre part afin de faire savoir aux marchés que l'Union a largement les moyens de refinancer temporairement les gouvernements mis en difficulté par
le seul fait de l'ampleur très exceptionnelle de la crise. En rassurant les marchés sur la
solvabilité des États-membres, un franc refinancement des pays les plus en difficultés
pourrait même suffire à faire retomber les primes de risques sur les dettes souveraines
des autres pays membres, et a réduire de ce fait et la charge de la dette et les risques
d'une nouvelle crise de la dette en Europe.
(66) Dans la mesure où il s'agit pour les pouvoirs publics de renforcer les incitations à la dépense privée de
manière temporaire, le déficit public est seulement temporaire alors que les revenus d'activité et recettes
fiscales qui seront générés auront un caractère permanent une fois la croissance consolidée.
(67) Cela revient à transférer temporairement du pouvoir d'achat du secteur privé vers le secteur public, à la
manière des propositions de Keynes (1940) en faveur du "paiement différé", par lequel il cherchait à éviter les
pressions inflationnistes que provoquerait la saturation des capacités de production due à l'effort de guerre.
66
Une politique monétaire accommodante ne devrait pas laisser craindre des effets inflationnistes à ce stade, tant que la monnaie de crédit sert au financement d’investissements
économiques sains et non pas à des opérations hasardeuses (68). Le risque serait plutôt
de faire payer le poids des erreurs passées à des projets économiquement rentables en
freinant indûment le crédit.
Distribution du revenu et croissance
Dans de nombreux pays, l’idée progresse selon laquelle une redistribution du revenu national
moins défavorable aux salariés serait à la fois équitable et susceptible d’élever la propension
moyenne à consommer, l’activité et l’emploi. Il s'agit là d'une thèse fréquemment mise en avant
au sein du courant postkeynésien, en laquelle Keynes voyait un complément utile aux politiques
orientées vers l'investissement productif (Keynes 1936, pp. 324-326). Il convient à cet égard de ne
pas perdre de vue les effets négatifs qu’une redistribution autoritaire pourrait avoir sur la rentabilité anticipée du capital et donc de la demande de biens d’investissement. La difficulté n’est
donc pas tant d’élever la part des salaires dans la valeur ajoutée que d’obtenir ce résultat sans
affaiblir davantage la croissance et, au bout du compte, le pouvoir d’achat des salariés et des
personnes sans emploi. C’est pourquoi une solution négociée permettant aux entreprises de
s’adapter à la nouvelle donne pourrait être préférable à des décisions centralisées. De plus, si
une augmentation du coût du travail peut être plus ou moins amortie dans une phase de croissance soutenue par des gains de productivité substantiels, elle risque fort d’être répercutée sur le
prix des biens et services et d’alimenter les tensions inflationnistes dans le contexte de croissance
faible qui se profile. Cela plaide en faveur d’une politique graduelle : d’une part, la perspective de
hausses futures du coût du travail est de nature à faire anticiper ou accélérer les dépenses
d’investissement dans les entreprises ; d’autre part, dans la mesure où le gradualisme permet
d’éviter les tensions inflationnistes, il éloigne la perspective d’une politique monétaire restrictive.
CONCLUSION
Les deux tendances issues du courant de pensée dominant (« nouvelle économie classique »,
« nouvelle économie keynésienne ») s'opposent sur bien des points, que leurs tenants ont
souvent à cœur de mettre en avant. Ils ont cependant en commun une représentation théorique de l'économe dans laquelle la crise, non pas comme une inefficience due à telle
imperfection des marchés, mais au sens fort de perte de capacité du système à fonctionner
par lui-même, ne peut se concevoir que comme un accident temporaire. Dans ce cadre, les
marchés n'ont fondamentalement pas besoin de l'intervention des pouvoirs publics pour
fonctionner de manière stable, même s'il y a place pour une réglementation visant justement à corriger les inefficiences. Les approches issues du courant de pensée dominant ont
de ce fait une lecture défaillante des causes de la crise, et font une analyse erronée de
l'après crise et des politiques économiques à mettre en œuvre.
L'analyse post-keynésienne appréhende le système économique comme intrinsèquement
sujet à des forces déstabilisantes. Il est alors possible de penser la nécessaire intervention
de l’État dans un cadre cohérent, où la crise n'est pas expliquée par des erreurs grossières ou des a priori idéologiques imputés aux gouvernants (ce qui ne signifie pas qu'ils
n'en aient pas), mais par une dérive à caractère systémique dont les acteurs ne peuvent
prévoir l'issue, et à laquelle les institutions et les pouvoirs publics peuvent apporter une
réponse stabilisante, à défaut de pouvoir l'éviter. Alors que, du point de vue orthodoxe,
les interventions des acteurs qui sont extérieurs au marché stricto sensu (réglementation,
syndicats, autorités monétaires...) paraissent introduire des distorsions dans le processus
concurrentiel, elles ont en fait pour fonction de protéger le système contre les errements
auxquels les forces de la concurrence pourraient le soumettre. C’est pourquoi, malgré
l’absence de l'« ordre naturel » implicite à la pensée dominante, les systèmes concurrentiels présentent en fait une certaine stabilité. Supprimer les garde-fous institutionnels au
nom d’une croyance dogmatique dans les bienfaits de la concurrence, comme le suggère
(68) On notera que dans un tel contexte, il est possible qu'une baisse du taux d'intérêt associée à un endettement public supplémentaire réduise les pressions inflationnistes, dans la mesure où les tensions inflationnistes
proviennent d'une insuffisance des capacités de production que des taux d'intérêt plus modérés et des
dépenses en investissements publics contribuent à atténuer.
67
le courant de pensée dominant (à l'exception notable de la réglementation financière
pour les « nouveaux keynésiens ») serait le plus sûr moyen de précipiter les économies
dans le chaos.
À moins que l’action des pouvoirs publics ne parvienne à soutenir des vues suffisamment
optimistes quant aux risques associés aux actifs financiers, quant à la rentabilité des investissements et quant aux débouchés futurs, c'est-à-dire, à rétablir l’« état de la confiance »
dans la terminologie de Keynes, l'après crise devrait être caractérisé par une dégradation
des perspectives à long terme, susceptible dès à présent de durcir les conditions de financement de l'économie, de peser sur la consommation et l'investissement privés, et de ralentir
par conséquent l'accumulation du capital et la croissance par rapport à la période qui a
précédé la crise. Contrairement à ce qui s'était produit lors de la grande crise de 1929, les
premières réactions des pouvoirs publics ont cette fois-ci permis de limiter considérablement les dégâts dans le secteur financier. Mais ces réactions n'ont fait que transformer le problème, afin qu'il soit supportable pour les acteurs privés, en collectivisant les pertes et en
accablant ce faisant le secteur public.
Il en résulte une situation passablement problématique pour les pouvoirs publics, du
moins tant qu'ils abordent la question sous l'angle habituel. D'une part les masses de
liquidités injectées en échange de créances douteuses dans le système bancaire pour le
préserver alimentent indûment la spéculation sur les marchés d'actifs, mais aussi de plus
en plus sur des marchés de biens durables et de matières premières. Or le retrait de ces
liquidités s'avère délicat, car il fragiliserait le système financier davantage, et menacerait
de déboucher sur une nouvelle crise dans un contexte où la capacité des pouvoirs publics
serait considérablement amoindrie... De sorte qu'à mesure que les nouvelles règles
prudentielles entrent en action, la réorientation d'une partie des capitaux vers les marchés de biens durables et de matières premières fait planer le spectre d'un dérapage
inflationniste généralisé. D'autre part, la dégradation très forte des finances publiques
oriente les gouvernements vers des politiques budgétaires qui, loin de soutenir un processus de reprise encore fragile, assombri plus encore les perspectives à moyen-long
terme, et pèsera par conséquent à court terme sur les décisions d'investissement et de
dépenses du secteur privé. En Europe, la dégradation des perspectives de croissance à
moyen et long terme de la demande interne a déjà commencé à relancer le plaidoyer en
faveur des politiques visant à élargir à l'extérieur les débouchés pour la production nationale. Mais comme l'a montré l'histoire européenne, la désinflation compétitive ne permet
pas mieux que les dévaluations compétitives de générer de la croissance lorsque tous les
partenaires s'y lancent en même temps ; quelques-uns éventuellement tirent mieux leur
épingle du jeu, mais cela survient dans un contexte global déprimé. C'est aussi ce que
suggère la recherche à l'échelle internationale d'un accord concernant les déséquilibres
des balances courantes et la valeur des monnaies, dans le but d'éviter le cercle vicieux
des dévaluations compétitives.
L'approche postkeynésienne ouvre d'autres perspectives, du moins en théorie, car ses
chances d'être exploitées peuvent paraître infimes, tant la domination des « nouvelles
macroéconomies » est ancrée dans la gouvernance des économies avancées. Cela suppose
en premier lieu que le mal soit attaqué à la racine : il s'agit de résorber la masse des
créances douteuses qui a inondé le système financier international, causé l'expansion des
liquidités, l'inflation des prix des actifs, creusé les déficits publics, et dont la permanence
empêche le retour de la confiance et de prévisions à long terme favorables aux investissements des entreprises et à la consommation des ménages. Les recommandations du
courant postkeynésien reposent à cet égard sur des mesures radicales, mais moins
douloureuses pour les populations que les programmes d'ajustements mis en œuvre un
peu partout, et avec une certaine brutalité en Grèce, en Irlande, au Royaume-Uni, au
Portugal, en Espagne, en Italie... Il s'agit, tout en maintenant des conditions de financement favorable, de donner les moyens aux gouvernements de continuer à soutenir la
demande privée lorsque la reconstitution en cours des stocks et des capacités de production arrivera à son terme, ou tout au moins, des moyens de ne pas freiner la demande
agrégée tant qu'elle n'a pas retrouvé son propre dynamisme.
Le risque de voir les marchés sanctionner les audaces des gouvernements qui planifieraient de nouvelles dépenses d'investissement à moyen terme serait parfaitement
gérable si l'Europe décidait, par l'intermédiaire d'un fonds spécial (à l'image de ce qui
a été mis en place à l'occasion de la crise Grecque), ou par des financements directs
qu'octroierait la Banque centrale européenne, et si nécessaire par l'instauration d'un
contrôle des mouvements internationaux de capitaux, de garantir les dettes souveraines
68
de ses pays membres. Un tel scénario renforcerait les bilans des entreprises et des
banques, et générerait d'importantes rentrées fiscales tout en réduisant les dépenses
liées au soutien apporté par l'État pendant la dépression. Il pourrait au demeurant
s'avérer anti-inflationniste, dans la mesure où la croissance permettrait simultanément de
réduire le montant des créances douteuses et d'absorber une partie des liquidités
injectées en contrepartie. L'inflation menace en fait quand les projets financés ne sont pas
suffisamment rentables pour rembourser les prêts, ce qui risque bien plus d'arriver dans
un scénario de croissance molle, voire chaotique, que dans un scénario de croissance
forte sans tensions sur les capacités.
ANNEXES
Annexe n° 1 – L'ajustement de la balance globale
L'ajustement en régime de change flottant
Lorsqu'un pays exporte globalement plus qu'il n'importe, sa monnaie devient rare sur
le marché des changes. En effet, les dépôts en devises effectués auprès des banques
commerciales sont plus importants que la demande de devises formulée par les importateurs. Lorsque le système bancaire répercute le besoin net de devises sur le marché des
changes, il fait apparaître une demande excédentaire de monnaie nationale (69). L'appréciation qui en résulte (baisse de e) a vocation à rétablir l'équité de l'échange, en permettant au pays excédentaire d'acquérir une plus grande quantité de biens, de services et/ou
d'actifs financiers avec une même quantité de monnaie.
D'une part, elle diminue le change réel (appréciation réelle), ce qui réduit l’excédent à
travers les transactions commerciales (bc). Cet effet est limité par la baisse des importations induite par la baisse de la demande agrégée. D'autre part, le caractère dépressif de
l'ajustement (y et p diminuent) réduit la demande de liquidités (md), de sorte qu’une
baisse éventuelle du taux d'intérêt (r) est susceptible de rendre les actifs financiers du pays
moins attractifs, et d'orienter les capitaux vers l'acquisition de titres étrangers (en pointillés
sur le schéma ci-dessous). De plus, quand le choc à l'origine du déséquilibre externe est
supposé transitoire, les marchés prévoient le retour du change à sa valeur initiale, ce qui
provoque des sorties de capitaux. Le processus d'ajustement déclenché par l'appréciation
implique donc à la fois la balance courante (bc) et la balance des capitaux (bk). Il se poursuit nécessairement jusqu'au rétablissement de l'équilibre externe, de manière à ce que
la pression sur le change disparaisse.
L’ajustement en change flexible
Excédent global
"y,"p
"e
"bc
"md
"bk
"r
"
Choc
e prévue
Remarque : l’appréciation monétaire diminue le prix des produits importés, ce qui peut
induire une détente salariale et accentuer la baisse des prix domestiques (« désinflation
importée »).
(69) Pour la simplicité du raisonnement, on pourra supposer que les exportations sont facturées en monnaie
nationale et que les importations sont payées en devises étrangères. Mais la monnaie de facturation n'a pas
d'incidence sur le résultat du processus d'ajustement.
69
L'ajustement en régime de change géré
En régime de change fixe, le taux d'échange entre les monnaies est garanti par les autorités
monétaires, qui achètent ou vendent leur monnaie contre des devises afin d'en stabiliser le
cours. Ces opérations conduisent à une diminution de la masse monétaire dans le cas d’un
rachat net de monnaie nationale par la banque centrale (destruction de monnaie), ou à une
augmentation dans le cas d’une vente nette (création monétaire).
La viabilité d’un tel régime nécessite la détention (par les banques centrales qui ont la
charge de stabiliser le change) (70) d'un stock de devises (les réserves de change) proportionné à l'importance des déficits envisageables pour la balance globale. Concrètement,
si les paiements extérieurs sont globalement déficitaires, le système bancaire fait face à
une demande nette de devises. Les banques de second rang qui en ont besoin pour les
mettre à disposition de leurs clients achètent alors des devises sur le marché des changes
ou auprès de l'institut d'émission (du moins tant que le stock des réserves détenu par la
banque centrale l'autorise, à défaut de quoi un changement de parité – dévaluation –
s'impose). Dans tous les cas, les réserves de change de la banque centrale diminuent.
Alors qu'en régime de changes flexibles c’est la variation du cours de la monnaie qui
rétablit l'équilibre extérieur, en régime de change fixe c’est la variation des réserves de
change qui déclenche des mécanismes correcteurs. Le processus d'ajustement externe
repose cette fois sur les variations de la liquidité. La monnaie de base (dite à haute puissance) est en effet émise par la banque centrale en contrepartie des créances détenues
auprès du système bancaire et du Trésor (base monétaire interne), et des créances sur
l'extérieur (base monétaire externe). Les réserves de change sont la contrepartie de
la monnaie émise au titre des créances sur l'extérieur. Toute variation de ces créances
modifie proportionnellement la base monétaire et la liquidité de l'économie.
Dans le cas d'un déficit global, la diminution de la base monétaire provoquera une hausse
du taux d'intérêt, qui rétablira l'équilibre de la balance globale en attirant d'une part les
capitaux étrangers, et en déprimant d'autre part la demande interne et les prix (ce qui
freine les importations et stimule les exportations).
L’ajustement en change fixe
Choc
Déficit global
"res
#r
#bk
#bc
"yd,"p
Remarques
a) Une contraction de la base monétaire interne peut contribuer au processus d’ajustement et limiter la contraction des réserves de change.
b) Des opérations de stérilisation peuvent être décidées, lorsque les variations des
réserves de change entrent en conflit avec d'autres objectifs de la politique monétaire. Si
la stabilisation du change requiert par exemple une diminution des réserves de change,
ses effets sur la base monétaire pourront être plus ou moins neutralisés par une augmen-
(70) Dans un système asymétrique, le taux de change entre deux monnaies est stabilisé par les interventions de
l'une des deux banques centrales, qui « ancre » sa monnaie sur une monnaie de référence. Nous supposons ici
que ce sont les autorités monétaires du pays considéré qui ont la responsabilité de stabiliser le change. Dans un
système symétrique, les deux autorités monétaires sont censées intervenir de concert sur le marché des
changes.
70
tation des autres contreparties de la base monétaire (créances sur le Trésor et/ou sur le
système bancaire). La stérilisation inhibe cependant l'ajustement externe, ce qui en fait
une opération nécessairement transitoire, car les réserves de change ne peuvent varier à
l'infini.
c) Un pays émettant une monnaie de réserve internationale, comme les États-Unis, peut
avoir un déficit de la balance globale récurrent si une demande internationale additionnelle
pour sa monnaie s’exprime de période en période. En effet, la dépréciation et la correction
du déficit global n’interviennent que pour autant que celui-ci excède la demande étrangère
additionnelle de la monnaie de réserve.
71
Annexe n° 2 – "Hedge", "speculative" et "Ponzi finance"
Hedge financing units are those which can fulfill all of their contractual payment obligations by their cash flows: the greater the weight of equity financing in the liability structure, the greater the likelihood that the unit is a hedge financing unit. Speculative finance
units are units that can meet their payment commitments on "income account" on their
liabilities, even as they cannot repay the principle out of income cash flows. Such units
need to "roll over" their liabilities: (e.g. issue new debt to meet commitments on maturing
debt). Governments with floating debts, and banks are typically hedge units.
For Ponzi units, the cash flows from operations are not sufficient to fulfill either the repayment of principle or the interest due on outstanding debts by their cash flows from operations. Such units can sell assets or borrow. Borrowing to pay interest or selling assets to
pay interest (and even dividends) on common stock lowers the equity of a unit, even as it
increases liabilities and the prior commitment of future incomes. A unit Ponzi finances
lowers the margin of safety that it offers the holders of its debts.
It can be shown that if hedge financing dominates, then the economy may well be an
equilibrium seeking and containing system. In contrast, the greater the weight of speculative and Ponzi finance, the greater the likelihood that the economy is a deviation amplifying system.
(Minsky, 1992, p. 7)
72
Annexe n° 3 – Coût de l'aide apportée au secteur financier
Source : IMF, Update on Fiscal Stimulus and Financial Sector Measures, April 2009, p. 6
73
Shifting gears – Tackling challenges on the road to fiscal adjustment, IMF, Fiscal Monitor
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