moi que pourtant il soutient de l’extérieur l’un et l’autre ; il est le reste d’une
division du sujet qui s’opère chez celui-ci du seul fait qu’il accepte d’en pas-
ser par « le défilé du signifiant ». La loi du langage le divise en sujet de
l’énonciation et sujet de l’énoncé. Celui qui dit « je » dans une phrase, dans
une œuvre, dans l’énonciation de son désir, découvre qu’il ne figure qu’à titre
de mot anonyme et universel dans le « je » de l’énoncé. Toute l’épaisseur de
son moi, de son être, de son désir lié au réel de son histoire et de sa vie, se
trouve laminée par ce passage au signifiant universel 5. Seul moyen d’y
retrouver quelque chose de sa singularité : son style propre.
Le réel ne se constitue pas seulement dans la théorie lacanienne à partir
de la conception nouvelle de l’objet. Il est également une dimension de la
structure au même titre que l’Imaginaire et le Symbolique. Il figure à deux
titres dans la topologie des nœuds borroméens des derniers séminaires 6, car,
dans un souci de cohérence théorique, Lacan finit par concevoir un réel
englobant, celui du nouage borroméen qui est comme la structure totalisante
reliant Réel, Symbolique et Imaginaire. La triade RSI s’impose avec tant d’évi-
dence qu’elle sert bientôt à repenser toutes les catégories fondamentales de
la psychanalyse. Ainsi, non seulement l’objet envisagé sous les trois registres,
imaginaire, réel et symbolique (en particulier dans La Relation d’objet 7), mais
autant le Père et la Mère, qui peuvent être conçus respectivement sous ces
trois chefs.
Par ailleurs, le réel devient synonyme de traumatisme, de ce qui est
impossible à symboliser et qui échappe même à toute prise imaginaire. Ce
serait le cas par exemple de l’hypocondrie et d’un certain type d’affections
psychosomatiques qui ne peuvent déboucher, selon Lacan, sur une perlabo-
ration imaginaire ni symbolique.
Mais Lacan identifie également le réel à la jouissance, laquelle est l’au-
delà de toute prise ou chiffrage dans le symbolique, dans le langage, et,
comme telle, mortifère. Ce n’est pas le moindre paradoxe de sa théorie que
d’assigner à la mort deux positions radicalement antithétiques : le père mort
SUR LES ORIGINES ANTHROPOLOGIQUES DU RÉEL CHEZ LACAN 225
5.Cette dualité, qui joue un rôle majeure dans la théorie lacanienne puisqu’elle finit par rem-
placer le refoulement freudien par la division du sujet, n’a pas pour seule origine la théorie lin-
guistique, en particulier celle de Roman Jakobson, mais d’abord la conception hégélienne du
langage telle qu’elle se formule dans la Phénoménologie de l’esprit à propos de la certitude sen-
sible : le vrai n’est pas la certitude de telle perception concrète mais l’universel du mot « main-
tenant » qui les contient toutes possiblement, en se vidant lui-même de tout contenu particulier.
6.Si Lacan distingue d’abord trois registres, le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire, susceptibles
d’être noués entre eux selon la prévalence de l’un sur les autres de telle sorte que la coupure de
l’un entraîne inévitablement la séparation des deux autres, il envisagera d’autres modes pos-
sibles de nouage, en particulier un nœud à quatre, dans lequel le symptôme lui-même est un
rond de ficelle qui fait tenir ensemble les trois autres.
7.J.Lacan, séminaire, Livre IV, La Relation d’objet (1956-1957), Paris, Le Seuil, 1994.
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