DOSSIER : Management durable
Les entreprises sont responsables en grande
partie de cette situation, parce qu’elles se sont
cantonnées, au cours des dernières décennies,
dans une théorie aujourd’hui dépassée de la
création de la valeur. En interprétant cette
notion de façon étroite, elles ont obstinément
cherché à maximiser leurs performances finan-
cières à court terme, sans égard aux besoins les
plus élémentaires des consommateurs ni aux
facteurs propres à contribuer à leur propre
succès à long terme. C’est ce qui explique que les
entreprises négligent à ce point la satisfaction de
leur clientèle, la raréfaction des ressources
naturelles, la solidité de leurs principaux four-
nisseurs et le désarroi, face aux problèmes éco-
nomiques des collectivités qui les font vivre et
dont elles sont parties prenantes. Si ce n’était
pas le cas, elles ne verraient pas, par exemple, la
délocalisation dans des pays où les salaires sont
inférieurs comme la seule solution durable pour
assurer leur compétitivité.
Pour réconcilier le monde des affaires et la
société, les entreprises doivent réagir ; les entre-
prises de pointe et les leaders les plus éclairés le
savent bien, et des indices laissent d’ailleurs
penser qu’un nouveau modèle est en train
d’émerger. Mais il faudrait un cadre général
pour mieux orienter les efforts qui se font en ce
sens, puisque, dans la plupart des entreprises,
on comprend encore la responsabilité sociale
comme une notion dont les composantes sont
périphériques plutôt que centrales.
En fait, ce cadre général doit s’appuyer sur le
principe de la valeur partagée, qui permet
non seulement de créer de la valeur économique,
mais aussi de la valeur qui peut profiter à la
société tout entière, en répondant à ses besoins et
en lui permettant de relever les défis qu’elle
affronte. La valeur partagée n’est pas extérieure
à l’activité des entreprises, elle en fait partie
intégrante. Mais il ne faut pas confondre valeur
partagée et responsabilité sociale, philanthropie
ou développement durable : la valeur partagée est
une nouvelle façon d’assurer le succès des entre-
prises. C’est pourquoi ces dernières doivent
recréer un lien entre réussite économique et
progrès social. Nous croyons que ce principe peut
mener les entreprises à une toute nouvelle façon
de concevoir leurs activités.
De plus en plus d’entreprises — GE, Google,
IBM, Intel, Johnson & Johnson, Nestlé, Unilever et
Wal-Mart, par exemple —, qui ne sont pourtant
pas connues pour faire du sentiment, ont adopté
le principe de la valeur partagée et travaillent à
modifier le rapport entre leurs performances et
les besoins de la société. Et nous commençons
tout juste à entrevoir le réel pouvoir de cette
approche. Sans compter que, pour que celle-ci
puisse être largement mise en œuvre, il faut que
les dirigeants d’entreprise acquièrent de nouvelles
compétences : une vision plus précise des
besoins sociétaux, une meilleure compréhension
des bases véritables de la productivité et la capa-
cité de travailler hors du cadre de la rentabilité à
tout prix, par exemple.
Le capitalisme reste un système incomparable
pour satisfaire les besoins de l’humanité de
façon toujours plus efficace ainsi que pour
créer de l’emploi et de la richesse, mais une
conception étroite de ce système a bien souvent
empêché les entreprises d’exploiter leur plein
potentiel et de contribuer à relever les grands
défis auxquels la société fait face. Les occasions
n’ont pourtant pas manqué, mais on ne les a pas
saisies. Parce que c’est en se comportant comme
des organisations dont l’Objectif est le profit
— et non comme des œuvres de bienfaisance —
que les entreprises constituent la plus grande
force susceptible de résoudre les problèmes
urgents de nos sociétés. Le moment est donc
venu de repenser le capitalisme, car les besoins
sont de plus en plus nombreux. En outre, les
consommateurs et les travailleurs — en particu-
lier ceux des nouvelles générations — demandent
aux entreprises de faire leur part.
Les entreprises doivent redéfinir leur rôle, ce
qui signifie créer de la valeur partagée et pas
seulement du profit. C’est ce qui permettra de
lancer une nouvelle vague d’innovation et de
productivité dans l’économie mondiale, et de
remodeler le capitalisme. Et c’est ainsi que les
entreprises retrouveront leur légitimité, passa-
blement malmenée depuis un certain temps.
Finis les compromis !
Voilà trop longtemps que le monde des affaires
et la société s’affrontent. La faute en revient, en
partie, aux économistes qui ont défendu l’idée
que, pour être profitables à l’ensemble de la
société, les entreprises devaient tempérer leurs
ardeurs économiques. Selon la théorie néoclas-
sique, tout progrès social (une meilleure
sécurité ou des emplois pour les personnes han-
dicapées, par exemple) constitue une contrainte
L’avis de
Pierre Batellier
L’aggravation
de la crise
financière actuelle
et des crises socio-
environnementales
– comme celles
attribuables à BP
en Louisiane ou à
l’exploitation du
gaz de schiste
au Québec –
ont contribué
à exacerber la crise
de légitimité et
la perception
publique
d’indifférence des
entreprises envers
le bien-être
de la société.
De surcroît,
la population
est consciente que
les nombreux
gestes posés
le sont sous
la contrainte,
plutôt qu’issus
d’une démarche
intègre de révision
du rôle de
l’entreprise dans
la société.