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de  leur  entreprise  ;  mais  par  ailleurs,  la  législation  complexe  et  pesante,  et  la  bureaucratie  en 
général, rendent la formalisation de leur activité difficile.  
 
De  Soto  n'idéalise  pas  l'informalité,  car  elle  est  source  de  nombreux  obstacles  pour  les 
entrepreneurs. Il attribue la lenteur de la consolidation des micro-entreprises à leur impossibilité à 
faire valoir leurs droits et à utiliser certaines formules juridiques : par exemple, il note que les 
informels ne peuvent pas faire crédit, ni non plus bénéficier d'un crédit, ou bien à taux d'usure, et 
ne font pas de réparations ni ne donnent de garanties sur leurs produits. Ils ne disposent pas des 
installations nécessaires à la commercialisation de produits sophistiqués, n'ont pas de magasins 
adéquats  ni  de  systèmes  de  sécurité,  et  tardent  à  décider  de  tels  investissements  à  cause  du 
manque de sécurité dans lequel les plonge l'informalité: leurs biens peuvent être à tout moment 
confisqués,  et  quand  ils  veulent  s'assurer  d'un  lieu  de  vente  fixe  par  invasion  d'un  terrain,  les 
coûts de cette invasion freinent durablement leurs possibilité d'investir plus directement dans leur 
commerce3.  
 
Parallèlement,  De  Soto  croit  en  la  capacité  de  ces  mêmes  entrepreneurs  à  consolider  leurs 
activités,  s'ils  avaient  la  possibilité  de  la  formaliser.  Il  montre  qu'avec  le  temps,  les  micro-
entreprises se stabilisent et augmentent leur volume d'activités. Souvent, les petits entrepreneurs 
commencent par pratiquer un petit commerce ambulatoire itinérant. Ils achètent un petit chariot à 
moindre  prix  et  ils  se  déplacent  avec.  S'ils  ne  peuvent  acquérir  ce  chariot,  ils  transportent 
quelques bibelots  dans  une boîte  qui, ouverte,  servira  de  présentoir.  Cette  phase  est,  selon  De 
Soto,  utile  à  l'observation:  le  commerçant  ou  la  commerçante  apprend  à  connaître  la  ville, 
« observe  quels  produits  se  vendent »,  « voit  d'autres ambulants  apparemment  plus  prospères, 
qui travaillent avec des chariots mais au même endroit chaque jour » (De Soto, 1989, p67). Il se 
familiarise  avec  les  fournisseurs,  apprend  de  parents  ou  d'amis  plus  expérimentés.  Il  finit  par 
augmenter ses ventes en identifiant les lieux de passage de ses potentiels clients. L'échelle de ses 
activités augmente au fil des années. La boîte devient un chariot, le  chariot cède la place à un 
kiosque ambulant, puis à un poste plus grand qui n'est plus réellement destiné à être changé de 
place. Selon l'auteur,  il aspire alors à la stabilité et à la sécurité.  
 
Les  commerçants  cherchent  à  se  sédentariser,  soit  en  acquérant  un  bien  immobilier,  soit  en 
formant  entre  eux  des  contrats  tacites  d'invasion  par  lesquels  ils  s'emparent  d'un terrain vague 
pour y installer un marché. Ils s'organisent alors en associations de commerçants et sont prêts à 
faire front ensemble si les pouvoirs publics tentent de les déloger.  
 
L'hypothèse de De Soto est que sans les freins  légaux qui  les empêchent de se transformer  en 
entreprises légalement constituées, les petites initiatives économiques se consolideraient plus vite 
et leurs créateurs deviendraient les promoteurs d'un capitalisme populaire à même d'impulser le 
développement  du  pays.  Il  est  donc  partisan  d'un  formalisation  des  entreprises,  mais  pour  y 
parvenir,  il  préconise  que  soient  grandement  simplifiées  les  procédures  d'enregistrement,  que 
soient  allégées  les  charges  fiscales  et  que  la  législation  sur  le  travail  soit  considérablement 
assouplie.  La  « forme  imposée  devient  minimale  et  molle »,  comme  le  note  Bruno  Lautier 
(Lautier, 2004, p101).  
                                                 
3Il est vrai que de façon générale, l'informalité est clairement liée à la pauvreté. Plus un département est pauvre, plus 
il compte de travailleurs informels ; par ailleurs, les revenus mensuels d'un travailleur d'une petite entreprise formelle 
sont 75% plus élevés que ceux d'une petite entreprise informelle ( voir Ministerio del Trabajo del Peru, 2005).