chose ? Untel serait-il heureux d`être informé ? etc. Il faut

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chose ? Untel serait-il heureux d’être informé ? etc. Il faut parfois se faire une idée
de la genèse du message, des intentions et des circonstances sous-jacentes : pourquoi
m’écrit-il cela ? A-t-il une idée derrière la tête ?
La seule fonction cérébrale disponible pour conduire cette succession d’analyses,
élémentaires ou sophistiquées, est l’imagination. Cette imagination est nourrie par la
mémoire (4), par les éléments de culture accumulés dans le cortex, par la conception
qu’on se fait des choses (vision du monde en général, préjugés, partis pris) et influencée
par ses désirs au sens large, mais il s’agit bien d’imagination. Sa réponse aux problèmes
posés, du plus minuscule au plus lourd sera une création personnelle. Il « compose »
avec le réel, dans les deux sens du verbe. La créativité est le facteur de production
ordinaire des bureaux, et elle n’a pas place dans le schéma idéologique dominant.
Deux agents de mêmes caractéristiques professionnelles (diplômes, position dans
l’organigramme, ancienneté…) donneront des réponses différentes aux sollicitations de
la même boîte aux lettres. C’est d’ailleurs l’objet d’un test classique de personnalité et
d’aptitude, en formation ou en recrutement.
Autre exemple : lors d’une réunion de service organisée pour traiter un problème, chacun
va solliciter son imagination pour contribuer aux solutions (et certains, rarement, pour
handicaper la recherche de solution). Les uns s’exprimeront, d’autres non, mais tous
les participants réels (ceux qui se sentent concernés par le sujet) « se creusent » pour
produire informations (tirées de leur mémoire et mises en forme pour s’intégrer à la
problématique) analyses et propositions. Les imaginations individuelles sont à l’ouvrage,
mais on peut voir s’esquisser une sorte d’imagination collective ; chacun influence l’autre
(plus ou moins selon le fonctionnement du groupe), l’information se partage, les points
de vue se frottent et se rapprochent, des conclusions sont tirées, parfois formellement
approuvées par le groupe, de sorte qu’un groupe « qui fonctionne bien » ressemble à un
être doué d’imagination : « notre groupe a pensé que… ».
L’exercice de l’imagination emporte toujours plus ou moins création, changement, si
modestement que ce soit, de l’état des choses, « dé-rangement » de l’ordre établi et réordonnancement pour le meilleur et pour le pire.
Le meilleur parce que c’est le vecteur du progrès entendu comme meilleure adaptation
de l’homme et de son outillage à son milieu : l’âge de pierre ne s’est pas arrêté faute
de pierres, mais parce que des humains avaient imaginé les premières techniques
métallurgiques et qu’elles se sont révélées avantageuses.
Le pire parce que l’imagination, la création, comporte une part irréductible d’imprévisible,
de non maîtrisable. Le progrès technique a amélioré les machine à tuer (les armes, les
drogues…) comme les machines à soigner… plus fondamentalement, il procède par
transformations irréversibles, détruisant l’état antérieur pour y substituer un nouveau.
Il ne procède pas par additions mais par substitutions. Non, l’imagination n’est pas un
« plus », mais une machine à rendre obsolète l’objet, petit ou grand, auquel elle s’attaque.
Un processus de dérangements imprévisibles et irréversibles successifs ne saurait être
a priori bienvenu pour un responsable hiérarchique rationnel.
(4) Notons que la mémoire et l’imagination sont deux fonctions cérébrales localisées dans les mêmes zones du
cerveau : d’une certaine manière, la mémoire est imagination. Elle reconstruit des images à partir d’éléments
dispersés dans le cerveau pour figurer une représentation, évidemment déformée d’un évènement du passé.
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N°44 • Novembre 2013
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