Au total il me semble que l’urgence serait plutôt d’intensifier les recherches sur la production des
biens que sur leur échange. Cela permettrait d’atteindre un niveau équivalent sur les deux volets,
évidemment complémentaires, alors que le volet production me paraît en retard.
2-La circulation des biens : qu’entendre sous cette expression ?
-échange marchand de biens immobiliers (terres et maisons), de biens mobiliers (produits
agricoles et fabriqués),
argent et créances (fiscalité, loyers, crédit…). Le crédit, beaucoup étudié ces dernières années,
tient une place particulière dans la circulation des biens, puisque c’est lui qui la lubrifie, et qui
souvent aussi la declenche lorsqu’il aboutit à la vente forcée des biens d’un emprunteur
insolvable (aussi le crédit sur gage mobilier, très mal connu). Et le crédit peut aussi prendre la
forme d’une avance de produits, de blé surtout.
-et même biens immatériels : échange de biens matériels contre des prières.
-circulation sous forme de prélèvement (seigneurial et fiscal, d’ailleurs souvent difficiles à
délimiter ; très étudié ces dernières années), de salaires et formes voisines (je n’en parlerai guère),
- transaction non marchande : entraide et troc dans le cadre de communautés comme le village,
distributions gratuites (de nourriture en particulier, surtout lors des disettes : monastères,
associations charitables, municipalités…). Les byzantinistes sont un modèle pour ces échanges
non commerciaux, cf. EHB (§ 12 de la bibliographie) : tributs, butin, cadeaux, charité…
3-Circulation des biens et évolution sociale
Je ne parlerai pas en détail de l’aspect social de la circulation des biens, et il n’y a pas de § là-
dessus dans la bibliographie. C’est pourtant essentiel : accumulation, appauvrissement et
prolétarisation… L’objet final de toute étude sur la circulation des biens, c’est d’identifier son
impact social. Par exemple :
-le jeu du marché de la terre, dans l’Occident des XIe-XIVe s. –d’après l’exemple italien en tout
cas, mais aussi toulousain ou anglais (et de façon accélérée en temps de crise, autour de 1300)-,
aboutit à la transformation de la société rurale : disparition des petits propriétaires-exploitants
qui formaient le tissu social, transformation en dépendants (métayers…) et exode vers la ville.
-le programme de recherche sur le « conjoncture de 1300 » s’achève par la question : comment la
crise a-t-elle modifié la mobilité sociale? l’idée de départ : forte mobilité sociale pendant le XIIIe s.
(ex. villes italiennes), impression de blocage à partir du dernier tiers du XIIIe, alors même que la
crise agricole s’amplifie. Quelle est la corrélation entre les deux?
4-Les transferts de problématiques
En fait les objets de la recherche sont en partie modelées par la recherche elle-même : le marché
de la terre, la rente foncière dans certains pays, la commercialisation, ne sont devenus des objets
historiques autonomes que lorsqu’ils ont été identifiés et délimités par une recherche. Les
historiens français par ex. ont plus ou moins travaillé sur le marché de la terre ou la
commercialisation sans le savoir.
Le phénomène historiographique que l’on retourve dans toutes les démarches que je passe en
revue, c’est un fort mouvement, dans un pays, chez un groupe d’historiens : prise de conscience
d’une question, dénomination (commercialisation, marché de la terre, prélèvement seigneurial,
crédit ; un cas qui ne fonctionne pas très bien pour l’identification de l’objet : « conjoncture de
1300 », pas très compréhensible à l’expérience) et travail dans les sources, puis diffusion dans
d’autres écoles historiographiques.
C’est le phénomène de transferts que j’ai suivi pour le marché de la terre (j’en profite pour traiter
ici tout ce thème) (§ 2 de la bibliographie), un sujet particulièrement intéressant où l’on voit la
circulation entre les continents, au gré des intérêts des historiens mais aussi des circonstances
politiques : découvert par Postan en 1936, dans une société que l‘on croyait ignorer le marché de
la terre (les serfs n’avaient pas de droit de propriété), au moment où disparaissait Chayanov, qui
de son côté avait élaboré un modèle de « société paysanne » à marché de la terre stable, qui allait
avoir une grande influence. Les deux influences ne débouchent qu’en 1960 : publication des
Charters of the Villeins, et redecouverte de l’oeuvre de Chayanov, notamment en Amérique latine
(correspond bien aux préoccupations de réforme agraire), et se mêlent ausitôt à de multiples
courants d’idées : réciprocité (Pastor-Rodriguez), la micro-histoire (Levi). Influence les
modernistes, les byzantinistes, les médiévistes espagnols, anglais…; les médiévistes français ne
seront touchés que beaucop plus tard, los de la reprise des études à la fin des années 90. Deux
volumes collectifs : l’intérêt se poursuit.