Article "Les jeunes pourront-ils/elles être moteurs de changement ?"

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Les jeunes pourront-ils/elles être moteurs de
changement ?
Ada Bazan, Quartiers du Monde
Etude de cas : projet Quartiers du Monde
I. Présentation
« Quartiers du Monde : histoires urbaines » a été un projet/processus1 de formation
politique à la participation citoyenne de jeunes, garçons et filles, habitants et habitantes
de quinze quartiers populaires du monde, en Afrique, en Amérique Latine et en Europe.
Ce processus a duré 6 ans, ayant une année de diagnostic, trois de recherche action
participative sur des thèmes communs, choisis par les jeunes pendant les rencontres
internationales : les discriminations, la construction sociale du territoire, les
migrations… et deux ans de consolidation des collectifs des jeunes. Actuellement les
jeunes protagonistes de ce projet/processus sont en train d’organiser un Forum
international des Jeunes de quartiers populaires du monde à Salé‐ Maroc pour restituer
et partager les discussions et questionnement sur lesquels ils ont travaillé durant ces
années.
Il s’est agit d’un processus de renforcement des capacités (d’empowerment) des jeunes
(filles et garçons), pour se construire en tant que sujets sociaux et politiques capables de
penser au‐delà de leur environnement immédiat, capables d’assumer des
responsabilités et des leaderships au sein de leur communauté, de leur quartier, de leur
ville. Nous voulions un processus de rénovation des leaderships, abandonnant ceux qui
traditionnellement, se sont forgés dans l’exercice autoritaire du pouvoir , et rêvant de
pouvoirs renouvelés, démocratiques, collectifs, solidaires, égalitaires en termes de genre
et d’âge, de classe sociale et de couleur de peau.
On considère la participation au sein du réseau comme l’élément fondateur du
processus, comme un mécanisme de régulation du pouvoir existant dans tous les
espaces et entre tous les acteurs –groupe d’ami‐es, famille, école, association, quartier,
ville‐. Ceci nécessite la construction des relations horizontales, transparentes, le même
niveau d’information/compréhension pour les acteurs/trices du processus, du temps
pour la réflexion, l’échange et la négociation et principalement le même accès à la prise
de décision.
1
On l’appelle projet/processus car pour se présenter aux appels à projets il fallait avoir un format de projet avec
une durée prédéterminé. Par ailleurs, on le considère comme un processus parce qu’il s’est étendu dans le
temps, il n’est pas terminé, il a pris des formes différentes selon les contextes et acteurs/trice ou il s’est déroulé.
1
Dans cette perspective, l’égalité de genre est devenue la thématique centrale et la
condition sine‐qua‐none de tout le processus. La participation des filles et des femmes
au sein du réseau a été le premier défi, la compréhension de la perspective de genre en
tant que droit humain, la sensibilisation des entités et des jeunes, filles et garçons, a été
un travail sans relâche tout au long du processus. On a essayé d’apprendre à regarder le
monde et à le vivre avec des lunettes de genre. Ce qui n’a pas toujours été facile et reste
encore un défi.
Le quartier comme scénario
Nous avons défini « le quartier » comme scénario du processus, parce qu’il est le
territoire physique et subjectif où les jeunes, filles et garçons, ont leurs racines, où ils se
rencontrent, vivent des émotions, évoluent et construisent un lien d’appartenance
parfois plus fort qu’avec la ville. Ce territoire est aussi l’espace de transmission de la
culture et du control social, où les
différences ne sont pas toujours
les bienvenues…
La ville, elle, apparaît comme un
territoire vaste, lointain et
anonyme dans lequel les jeunes
se sentent souvent vulnérables,
discriminés et exclus.
Si tu vis là-bas, pourquoi tu es ici ? …Equipe de Rio de Janeiro, Capitalisation, 2006
D’importantes différences culturelles, sociales et économiques existent entre les
différents « quartiers du monde ». En termes urbanistiques, certains quartiers ont été
entièrement construits par la volonté politique de l’Etat : une ville nouvelle pour
décongestionner la capitale (El Alto en Bolivie, Evry en France), des urbanisations
subventionnées construites loin de la ville pour des populations pauvres (Son Gotleu,
Son Roca à Palma de Mallorca), la relocalisation de zones d’habitat spontané ou de
bidonvilles (quartiers de Salé au Maroc, de Montreuil en France) ; tandis que d’autres
quartiers sont le résultat de l’initiative populaire, en marge ou parfois contre toute
intervention publique : invasion de terrains vagues sans infrastructures et construction
non planifiée par les habitants eux‐mêmes (Suba à Bogota‐ Colombie, Pikine à Dakar ‐
Sénégal, Sikoro, Niamakoro à Bamako – Mali, La Maré à Rio de Janeiro ‐ Brésil).
Nos quartiers sont multiculturels, composés de populations issues de processus
migratoires régionaux, nationaux et/ou internationaux, de déplacements causés par les
conditions économiques ou par la violence, par la recherche de nouvelles opportunités :
différences ethniques et religieuses à Bamako et à Pikine, habitants d’origine rurale ou
urbaine à Bogota, Berbères ou Arabes à Salé, Aymaras, Quechuas ou métisses de El Alto,
populations du Nord‐Est ou Cariocas à Rio de Janeiro, Marocains, Pakistanais, Maliens et
2
Dominicains à Evry, Montreuil et Barcelone, Catalans, Sud‐Américains et Espagnols à
Palma de Majorque…
La vie dans les quartiers est variée. Chaque quartier à son propre rythme, ses habitudes,
ses particularités dans l’organisation spatiale, ses activités culturelles et ses modes de
relations sociales. Pour cette raison, le rythme, la façon de travailler et de déconstruire
les perceptions et rôles de genre ont été différentes et on a du s’adapter aux spécificités
culturelles et résistances de chaque groupe.
Mon futur, c’est mon quartier… Jeune de San Luís, Bogota, Vidéo « Etre égaux en étant
différents », 2006
L’option méthodologique du projet/processus
Il nous fallait construire un cadre méthodologique souple et participatif qui permette la
créativité et l’autonomie à chaque groupe, tout en gardant des liens communs pour
faciliter les analyses et la réflexion commune au réseau.
C’est dans cette optique que la Recherche-Action Participative a été choisie comme
méthodologie centrale du processus, dans une approche inclusive d’articulation des
savoirs2 et des connaissances, valorisant et en reconnaissant les expériences de chaque
participant : filles et garçons, hommes et femmes, habitants des quartiers et
organisations sociales dans la construction des savoir collectifs. Nous avons intégré les
présupposés épistémologiques qui déclarent que l’expérience permet aux participants
« d’apprendre à apprendre », en rupture avec les modèles traditionnels d’enseignement
dans lesquels les individus jouent un rôle passif et accumulent simplement l’information
que l’instructeur leur apporte.
La cartographie sociale a été proposée comme un outil méthodologique
complémentaire de la RAP. Nous l’avons utilisé pour s’approcher du territoire et le
redécouvrir de façon collective et individuelle. A travers de l’exercice commun de la
représentation du territoire, des discussions et des parcours dans le quartier, cette
méthodologie a facilité la compréhension de la dimension systémique du territoire. Elle
a permis de visualiser l’invisible, la dimension micro, le monde des relations
quotidiennes sur le territoire, d’ordonner la pensée et s’exprimer. C’est un outil qui nous
a permis de gagner une conscience sur la réalité, sur les conflits et les capacités
transformatrices de ses acteurs/trices. Elle a créé des complicités face aux futurs
possibles où chacun aura un rôle à assumer.
Le résultat de la cartographie nous a révélé la réalité du quartier et toutes ses
problématiques : manque d’infrastructures environnementales, éducatives, sociales, de
logement, l’existence de constructions clandestines (maisons qui n’ont pas de titres de
propriété, bien qu’elles soient en briques et en bon état).
2
Nous utilisons ici le mot « savoirs » avec l’objectif de valoriser les savoirs populaires locaux et de les distinguer
de la « connaissance techno-scientifique » dont l’aspiration est la rationalité universelle. E.Lizcano, Imaginario
colectivo y creación matemática, Gedisa, Barcelona, (1993)
3
Jeunes de Salé, Rencontre Internationale à Montreuil, 2007
La communication au sein du processus « Quartiers du Monde » a été mise au service
du dialogue, de la réflexion et de l'analyse. Cela signifie que les différents supports et
techniques et ludiques utilisés, ont surtout permis de valoriser le processus, les
réflexions et les analyses, plutôt que le produit final en soit.
Les jeunes ont exploré aussi bien, la vidéo, le théâtre forum, la bande dessinée et ils ont
crées d’autres jeux et dynamiques, ils/elles se sont approprié ces outils. Certaines
équipes ont utilisé le théâtre‐forum pour explorer
les subjectivités de situations qui semblaient
immobiles, globales et sans visage. D’autres ont
utilisé la vidéo pour collecter des informations,
poser des questions, analyser, négocier au sein du
groupe ce qui voulaient présenter et pourquoi…
chacun a essayé de construire leur propre image,
dans leur propre monde, celui qu’ils ont découvert à
mesure que la recherche, le questionnement et
l’analyse l’ont permis.
Le processus de cette 3ème année a été très important pour nous, pas seulement à cause de
ce qu’on a produit, mais parce qu’il nous a poussé à repenser le processus auquel nous
étions arrivé et qui nous a changé… Nous, nous sommes demandés, si nous étions parvenus
à transformer le quartier et nous avons conclu que dès le moment où nous regardons le
quartier d’une autre manière, la transformation commence.
Jeunes de Rio de Janeiro, Rencontre Internationale à Montreuil, 2007
II. Que signifie être jeune dans les quartiers du monde ?
« C’est une étape de la vie, un moment, avoir entre 16 et 25 ans, rire, jouer, travailler, être
responsable, dépendre de la famille, apprendre, avoir un avis qui n’est pas pris en compte,
être considéré comme immature, dangereux, être une ressource pour un continent, avoir
peu d’argent, pouvoir réaliser ses rêves3. »
La jeunesse est définie comme étant une phase transitoire de la vie, entre l’enfance et la
vie adulte. Elle se caractérise par les activités auxquelles se consacrent les jeunes,
garçons et filles, comme l’éducation, le travail, des loisirs divers ; par des attitudes
particulières comme la créativité et la révolte. La jeunesse est également une période
d’exposition à des situations de risque pour la santé (drogues, grossesses précoces,
violence), mais aussi de l’exercice affirmé des ses droits et de la citoyenneté. C’est enfin,
3
Ensemble de réflexions recueillies dans la vidéo « Etre égaux en étant différents », Capitalisation Quartiers du
Monde - 2006
4
une période qui se caractérise par l’exercice d’un double rôle social : celui de moteur de
changements dans la société et de désagrégation des valeurs structurelles
traditionnelles.4
Les jeunes, garçons et filles, participant à « Quartiers du Monde » sont différents sur le
plan des origines et de la culture. Certains étudient, d’autres travaillent, d’autres
essaient d’étudier et/ou de travailler. Tous et toutes vivent dans des quartiers
stigmatisés et souffrent du manque d’opportunités et de l’exclusion découlant du simple
fait d’habiter dans ces quartiers.
C’est une population considérée comme un
« problème » par les politiques publiques qui, à partir
de référents de contrôle social et d’insertion
économique, proposent des mesures qui tentent de
conduire les jeunes vers des modèles construits par
les adultes, dans une vision adulte‐centriste5
préoccupée par le maintien de la « sécurité » et par la
reproduction des normes sociales6.
A travers cette diversité, les jeunes nous montrent à
quel point leur identité est définie par la société (les
institutions, la famille, les politiques publiques), mais
elle est également reconstituée de façons différente
par eux‐mêmes, dans leur langage, leurs idées, leurs
comportements. D’un côté, elle semble être
déterminée et pourtant, elle est dynamique et multiple.
Le projet « Quartiers du Monde » a misé sur le protagonisme des jeunes7, filles et
garçons, sur leur lucidité, leur capacité à lire leur environnement et à être porteurs de
changements.
…et les adultes du processus ?
4
Cynthia Ozon, Juventude et participação. Quem, como e porqué, 2007
L’adulte-centrisme correspond à la vision suivante : à partir du monde adulte, on peut organiser le
futur des jeunes, leur préparation, leur développement, leur protection et il se traduit par l'approche
des politiques et des programmes. Krauskopf, Dina. Participación social y desarrollo en la
adolescencia
6
Par norme, nous entendons un ensemble de spécificités qui décrivent un objet ou un sujet. Tout ce
qui entre dans la norme est considéré comme normal, ce qui sort de la norme est anormal. La norme
implique une notion de pouvoir. Effectivement, pour qu'une norme, qu’une règle de vie fonctionne au
sein d’une société, elle doit être acceptée par la majorité, ou imposée par un pouvoir totalitaire.
Ensuite, en se reproduisant de génération en génération, il semble qu’elle ait toujours existé ainsi, on
5
arrête de questionner et on finit par accepter que les normes du groupe social soient naturelles. (Bazan, Carré,
Capitalisation de la deuxième année du processus, « Pouvoir et Participation », 2006)
7
L’équipe de Rio de Janeiro a apporté la notion de protagonisme juvénile, affirmant la position
d’acteur principal des jeunes dans les actions, depuis leur identification, leur réalisation jusqu’à leur
évaluation, en interaction avec les adultes, dans un processus de construction d’autonomie.
5
Ce sont les professionnels, animateurs/trices, accompagnateurs, conseillers, ces adultes,
hommes et femmes, qui composaient les équipes locales et dont le rôle a été de
« faciliter » la réflexion, le dialogue, le questionnement, les documents, les contacts et
tout ce qui est se construit dans le cadre du processus d’apprentissage collectif.
Au sein de Quartiers du Monde, être « facilitateur, facilitatrice » est une posture qui
demande des habitudes et des pratiques différentes de celles des travailleurs sociaux :
elle requiert une flexibilité du temps de travail, une compréhension des contextes
locaux, une capacité d'analyse, une empathie avec les jeunes et leurs évolutions
contemporaines, et surtout la connaissance des méthodologies et des outils nécessaires
pour développer une autre approche du travail social avec eux.
Les facilitateurs et facilitatrices de QDM étaient aussi divers que les jeunes en termes de
formation, d’expérience et de reconnaissance au sein de leur entité. Ils/elles ont été en
permanence aux côtés des jeunes et ils ont été, sans aucun doute, le plus confrontés au
défi de la transformation personnelle de chaque jeune dans son contexte. Ils/elles ont
facilité ces changements et y ont été attentifs, dans la limite de leur propre capacité de
questionnement, de transformation de leur propre langage, de leur façon de voir le
monde, de concevoir les relations à partir de soi même et de ses propres attitudes.
Quid de la construction de la perspective de genre au sein du réseau …
La perspective de genre s’est peu à peu intégrée dans le travail quotidien avec les jeunes.
A partir du lien et de la relation que nous établissons dans le travail avec eux, nous
observons leurs comportements et raisonnements en ce qui concerne la perspective de
genre, en intervenant pour les questionner ou les faire réfléchir sur de tels comportements.
Capitalisation de Palma de Mallorca
Cette construction n’as pas été un processus linéaire de connaissances, dans lequel il
existe un point d’arrivée déterminé et auquel on adhère automatiquement. Sur chaque
territoire les jeunes, filles et garçons, comme les adultes (bien sur) avaient déjà des
« certitudes de genre », connaissaient très bien les rôles et spécificités qui les sont
alloués et qui les définissent « filles » et « garçons » dans chaque société du réseau.
C’est la raison pour la quelle, avant de commencer le projet, les « adultes du réseau » on
s’est mis d’accord sur des “minimaux universels”, une sorte de cadre éthique et politique
qui guiderait notre action: le respect des droits humains fondamentaux, économiques,
sociaux, culturels, environnementaux, à la sexualité et à la reproduction ; la lutte contre
la mutilation génitale, contre toute forme de violence à l’égard des femmes et toutes les
formes de violence ; la construction de chemins vers l’égalité et l’équité entre les sexes ;
6
la lutte contre toute forme de discrimination pour des raisons de sexe, de classe,
d’ethnie, de génération, de religion”8.
Ce cadre bien que respecté par tous et toutes, restait dans l’ordre du politiquement
correcte, ayant une certaine distance avec la réalité quotidienne des jeunes et des
fonctionnements sociaux des quartiers. Construire des égalités de genre demandait
surtout de la déconstruction de prémisses personnelles liées à la capacité de douter et à
la relation de pouvoir de chacun, cela se produit de manière différente en fonction de
chaque contexte.
En effet, le projet ne présente pas d’avancés homogènes, pour toutes les raisons déjà
évoqués mais aussi parce que les groupes des jeunes était mobiles, en dehors du
« noyau » qui resté en permanence, il y avait toujours de nouveaux jeunes, filles et
garçons, qui venaient enrichir les groupes et d’autres qui partaient pour des raisons
diverses. Non seulement, les discussions de genre, n’étaient jamais gagnés d’avance,
mais il y avait des nouvelles résistances, les « anciens » devaient argumenter encore et
toujours face aux nouveaux qui arrivaient avec un regard surpris, voire effrayé et des
rappels à l’ordre.
Les avances en termes d’égalité de genre doivent se mesurer en relation au degré des
résistances existantes dans chaque territoire. Sur des indicateurs construit sur mesure.
Ce mouvement, d’une part augmentait en permanence le nombre des jeunes à se
questionner sur le bien fondé de l’égalité de genre tout comme les connaissances et
arguments des « anciens » et d’autre part, nous rappelait sans cesse la fragilité des
acquis, la force de l’ordre établi, la nécessité d’inclure la perspective de genre dans
toutes les actions, activités, réflexions, discours, dynamiques, mots utilisées, par
insignifiant que celui –ci paraisse.
Le bilan…
Les jeunes de QDM ne sont pas étrangers aux doutes, aux sensibilités, à la recherche de
la justice et de l’équité. Les jeunes, avec des nuances dans les réflexions, s’accordent à
dire que l’impacte économique, politique, culturel et social est différent sur les hommes
et les femmes. On a appris à interroger et à analyser cet impacte sur la vie quotidienne.
« les filles, dit‐elle, étaient autant présentes que les garçons, mais ce sont les garçons qui
intervenaient le plus. Lorsque les filles ont pris la parole c’était pour dire qu’elles ne
souhaitent pas migrer, et que si elles doivent le faire, ce sera uniquement pour aller
rejoindre leur mari ou pour étudier et revenir, elles n’ont pas du tout le même état d’esprit
que les garçons ».
Jeunes fille du groupe de Pikine – Rencontre des jeunes – Salé 2008
8
Trujillo U., Pilar: “Ellas y Ellos: entre los Temores y las Resistencias: la Formación en Género hacia
Nuevas Sensibilidades”. Conférence présentée au Colloque “Genre et Développement : défis pour
l’action”. Université Bordeaux 3, France, 2006.
7
On a beaucoup travaillé et réfléchi sur la division sexuelle du travail et son impacte dans
toutes les sociétés. Ainsi, le travail des femmes proches des jeunes (mères, sœurs, petites
amies, grand‐mères, amies), devient plus visible et mieux valorisé aux niveaux
domestique et communautaire. On a réfléchit au rôle structurant des femmes dans le
réseau social et au travail que représente la dimension reproductive.
Le genre ne pose pas de problèmes dans l’exécution des activités de l’équipe (tout le monde
contribue) seulement qu’il n’est pas toujours facile de mobiliser les filles (chose beaucoup
liée leurs occupations familiales, et aux circonstances sociales de leurs proches auxquelles
elles participent beaucoup : mariages, baptêmes, fiançailles....).Voila une réalité qui a
beaucoup joué sur le nombre de filles dans l’équipe...
Groupe des jeunes de Bamako
Les jeunes de El Alto ont crée avec d’autres associations des jeunes un forum pour
promouvoir et défendre les droits des femmes, et la participation politique des jeunes filles :
« les femmes pour une nouvelle Bolivie ».
On a discuté du modèle économique et de l’impact du chômage sur la situation des
hommes en tant que pourvoyeurs économiques ainsi que sur leurs ressentis. Ceci n’a pas
été ressenti de la même façon de deux cotés de l’océan. La remise en question de
« l’homme‐pourvoyeur » est plus forte en Amérique Latine, à Rio de Janeiro comme à
Bogota les jeunes ont rencontré des mouvements d’hommes qui travaillent sur « les
nouvelles masculinités », ces échanges leur ont questionné et leur permis de voir
d’autres constructions du masculin….
On a caractérisé les discriminations liées au sexe et à l’âge, leurs causes, leurs
mécanismes de production et les manières dont elles s’expriment dans un contexte
immédiat et dans la société en général. Les jeunes on adopté des postures face à ces
discriminations.
« Être différents des autres, c’est très difficile – mais qui est pareil? »
Jeunes de Rio de Janeiro
Les Jeunes ont exprimé la volonté de participer à la transformation des relations entre
hommes et femmes dans la sphère immédiate de la vie domestique et associative. On a
organisé des conversations critiques sur le thème de la violence contre les femmes;
ils/elles ont manifesté des engagements individuels dans l’intention de ne plus exercer
de violence à l’encontre des femmes.
Mais malgré ces avancées, les jeunes garçons n’expriment pas d’intention de prendre
part aux tâches domestiques, à l’exception de ceux de Palma.
8
Resistances et difficultés au sein même du réseau
Quartiers du Monde, au travers des outils qui facilitent l’interprétation des
contradictions présentes dans chaque situation, incite à la réflexion, questionne les
certitudes, et inévitablement suscite des résistances réelles, ouvertes ou voilées
notamment chez certains adultes du réseau.
Les nouveaux savoirs liés au genre – relatifs à l’émancipation et à la libération ‐ se
confrontent à l’histoire, aux imaginaires, aux postures et, en somme, aux constructions
culturelles et aux sensibilités individuelles : on a intégré les stéréotypes, les rôles, les
relations existantes entre les hommes et les femmes parce qu’on fait partie de cet
environnement. Ainsi, certains facilitateurs/trices reproduisent dans leurs interactions
avec les jeunes les caractérisations symboliques du masculin et du féminin, celles‐ci
culturellement normalisés de telle façon qu’ils finissent par devenir des stéréotypes
rigides, qui limitent les potentialités des jeunes.
Par ailleurs, certaines jeunes filles et facilitatrices, abordaient pour la première fois ce
thème publiquement. Dans le contexte mixte du groupe, elles présentent les rôles
féminins et masculins tels qu’elles les perçoivent, c’est à dire comme l’expression de
fondements biologiques, défendant avec conviction la présence des femmes dans la
sphère privée, avec des occupations limitées aux soins familiaux et essentiellement
orientées vers la reproduction. Elles voient la présence des femmes dans le cadre du
travail communautaire ou associatif comme une ascension vers la sphère publique et ne
remettent pas en cause le fait qu’on leur assigne des rôles subordonnés, craignant le
retour au confinement domestique.
Toutefois, en privé elles manifestent sans inhibition un regard profondément critique
sur ces pratiques, expriment leurs points de vue, racontent des histoires de
discrimination et construisent des alternatives et des aspirations futures. La tension
entre « le dedans » et « le dehors » est toujours très présent dans les équipes du réseau.
Notamment au sein des équipes africaines ou les jeunes arrivent à construire des
relations de genre égalitaires et complices au sein du groupe mais ils/elles n’arrivent
pas à les rendre publiques dans le quartier.
Il est nécessaire de signaler que les entités du projet n’ont pas tous rejoint le réseau de la
même manière ni avec la même vision politique. Cela a été mis en évidence au cours du
processus, en naviguant entre le politiquement correct et l’engagement politique réel. Au
début du projet dans certaines équipes (de travail) du réseau il n’y avait que des
facilitateurs hommes qui travaillaient avec les jeunes, les justifications et explications
des entités étaient diverses, il a fallu beaucoup de négociation et une certaine pression
du réseau pour obtenir l’équilibre de genre au sein des équipes. Toute fois, certaines
facilitatrices manquaient de pouvoir de décision, d’accès aux ressources et/ou de
contrôle de celles‐ci. Bien qu’elles accompagnent le projet sur le terrain, les
perspectives, activités et décisions budgétaires étaient définies par les facilitateurs et/ou
les entités qui exécutent le projet localement, et qui n’ont, parfois, aucune vision
9
égalitaire sur les relations de genre. Cette attitude révèle les discriminations sexistes au
sein même des entités du réseau, met en lumière leur propre contradictions internes.
Ce phénomène prouve la nécessité de renforcer la formation des facilitateurs et des
adultes qui travaillent sur les questions de genre, et d’identifier les entités, et les
professionnels de soutien capables de garantir la cohérence du projet.
Dans d’autres contextes, les résistances ont été de nature différente. Elles ne découlaient
pas du manque de conviction quant à la nécessité de travailler à l’équité et à l’égalité
entre êtres humains ou d’abolir toutes les formes de discrimination. Il s’agit de
perspectives idéologiques différentes, centrées sur le Pouvoir : le pouvoir économique,
politique et social des classes populaires, le combat contre l’injustice, la participation des
jeunes aux dynamiques sociopolitiques, organisations et mouvements sociaux en vue
d’un empowerment politique pour amener des transformations sociales structurelles.
Cette perspective dissimule souvent les différences liées au genre, ou les place au second
rang. Des thématiques telles que la liberté d’orientation sexuelle, la prévention des
grossesses précoces, l’existence de ressentis différents, les droits liés à la sexualité et à la
reproduction, l’impact différencié du modèle économique selon les sexes, ne semblent
pas très importantes par rapport aux propositions de transformations politiques,
économiques et sociales conçues comme fondamentales.
Les jeunes sont le futur… et pourquoi pas le présent ?
Les rapports de genre comme ceux des générations sont principalement des rapports
fondés sur le pouvoir hégémonique adulte‐centriste et masculin. Ce pour quoi les jeunes,
filles et garçons, et les femmes habitant‐es des quartiers populaires se trouvent exclus
d’un « présent actif », celui de l’espace public, de la prise de décisions, celui qui prend
une partie du pouvoir aux habitués.
Les jeunes, filles et garçons, de Quartiers du Monde, lors de leur recherche action sur les
discriminations avaient identifié les discriminations de genre, d’âge et d’ethnie comme
étant les plus récurrentes dans les quartiers. Ils/elles avaient identifié aussi que la base
de ses discrimination nourrissaient des intérêts économiques et que les institutions
(système éducatifs, famille et autres) comme les politiques publiques reproduisaient ces
discriminations, les normalisant et faisant qu’on les intériorise. Ils/elles ont compris que
les discriminations sont construites différemment par chaque culture et que par
conséquent, pour les changer, il fallait questionner la culture, au travers du dialogue, le
respect et la réflexion.
Ils/elles avaient compris que les discriminations allaient toujours en double sens, qu’on
n’était pas uniquement discriminé‐es, mais que le discriminé‐e pouvait être aussi
discriminateur/trice à son tour. Et qu’il ne fallait pas se contenter d’être spectateur, mais
qu’il fallait agir, car au contraire on devenait complice de la discrimination, et terminer
10
parfois dans un douloureux exercice d’auto discrimination… c’est pour quoi il ne fallait
pas avoir peur de se perdre car c’était le meilleur chemin pour se retrouver9.
Dire que « les jeunes sont le future de leur quartier, de la nation… » C’est leur enlever la
possibilité de s’impliquer dans la vie social et politique de leur quartier. Leur enlever
toute capacité de lecture et compréhension de leur environnement et surtout la
légitimité à la revendication, c’est les laisser en attente… pour qu’un jour, devenus
adultes ils/elles puissent reproduire le fonctionnement social, économique et politique
qu’on leur confie.
A la question: en quoi consiste le projet QDM? le débat est arrivé à la conclusion qu’il s’agit
de la valorisation politique et du travail face aux difficultés de la participation des jeunes.
Pour cela, le travail de toutes les équipes a comme perspective la participation et l’égalité
de genre. Cette manière de travailler est en elle-même subversive, parce qu’elle met en
cause ce qui est établit, et ce qu’il est difficile de questionner. C’est important qu’ils y aient
des confrontations, mais aussi des alliances.
Rencontre International des jeunes Quartiers du Monde – Bogota - 2006
Nous sommes convaincus que travailler avec les jeunes, filles et garçons, est essentiel à
la construction de sociétés plus justes et inclusives, que les jeunes ont une lecture lucide
de leur environnement, une sensibilité de genre, et une capacité de questionnement que
certains adultes ont perdu. A mesure que le processus s'est développé, les jeunes, dans
un exercice de réflexion, de dialogue, d'analyse et d'organisation, ont compris,
questionné et redéfini de manière collective les différentes notions et les éléments
fondateurs qui les ont guidés. C’est au sein de ce processus que nous, nous sommes
construits de manière interactive, en tant qu’acteurs/trices et propriétaires de celui‐ci.
Il n’existe pas de pratiques pures, parfaites, ni d’acteurs sociaux idéaux : Quartiers du
Monde est une mesure de la réalité dans laquelle nous vivons et à laquelle nous sommes
confrontés, c’est un miroir de ce que nous sommes.
9
Rapport de la 2ème Rencontre Internationale des Jeunes – Bogota 2006
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