Article "Les jeunes pourront-ils/elles être moteurs de changement ?"

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Les jeunes pourront-ils/elles être moteurs de
changement ?
Ada Bazan, Quartiers du Monde
Etude de cas : projet Quartiers du Monde
I. Présentation
« Quartiers du Monde : histoires urbaines » a été un projet/processus1 de formation
politique à la participation citoyenne de jeunes, garçons et filles, habitants et habitantes
de quinze quartiers populaires du monde, en Afrique, en Amérique Latine et en Europe.
Ce processus a duré 6 ans, ayant une année de diagnostic, trois de recherche action
participative sur des thèmes communs, choisis par les jeunes pendant les rencontres
internationales : les discriminations, la construction sociale du territoire, les
migrations… et deux ans de consolidation des collectifs des jeunes. Actuellement les
jeunes protagonistes de ce projet/processus sont en train d’organiser un Forum
international des Jeunes de quartiers populaires du monde à Salé‐ Maroc pour restituer
et partager les discussions et questionnement sur lesquels ils ont travaillé durant ces
années.
Il s’est agit d’un processus de renforcement des capacités (d’empowerment) des jeunes
(filles et garçons), pour se construire en tant que sujets sociaux et politiques capables de
penser au‐delà de leur environnement immédiat, capables d’assumer des
responsabilités et des leaderships au sein de leur communauté, de leur quartier, de leur
ville. Nous voulions un processus de rénovation des leaderships, abandonnant ceux qui
traditionnellement, se sont forgés dans l’exercice autoritaire du pouvoir , et rêvant de
pouvoirs renouvelés, démocratiques, collectifs, solidaires, égalitaires en termes de genre
et d’âge, de classe sociale et de couleur de peau.
On considère la participation au sein du réseau comme lélément fondateur du
processus, comme un mécanisme de régulation du pouvoir existant dans tous les
espaces et entre tous les acteurs –groupe d’ami‐es, famille, école, association, quartier,
ville‐. Ceci nécessite la construction des relations horizontales, transparentes, le même
niveau d’information/compréhension pour les acteurs/trices du processus, du temps
pour la réflexion, l’échange et la négociation et principalement le même accès à la prise
de décision.
1 On l’appelle projet/processus car pour se présenter aux appels à projets il fallait avoir un format de projet avec
une durée prédéterminé. Par ailleurs, on le considère comme un processus parce qu’il s’est étendu dans le
temps, il n’est pas terminé, il a pris des formes différentes selon les contextes et acteurs/trice ou il s’est déroulé.
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Dans cette perspective, l’égalité de genre est devenue la thématique centrale et la
condition sine‐qua‐none de tout le processus. La participation des filles et des femmes
au sein du réseau a été le premier défi, la compréhension de la perspective de genre en
tant que droit humain, la sensibilisation des entités et des jeunes, filles et garçons, a été
un travail sans relâche tout au long du processus. On a essayé d’apprendre à regarder le
monde et à le vivre avec des lunettes de genre. Ce qui n’a pas toujours été facile et reste
encore un défi.
Le quartier comme scénario
Nous avons défini « le quartier » comme scénario du processus, parce qu’il est le
territoire physique et subjectif les jeunes, filles et garçons, ont leurs racines, ils se
rencontrent, vivent des émotions, évoluent et construisent un lien d’appartenance
parfois plus fort qu’avec la ville. Ce territoire est aussi l’espace de transmission de la
culture et du control social, les
différences ne sont pas toujours
les bienvenues…
La ville, elle, apparaît comme un
territoire vaste, lointain et
anonyme dans lequel les jeunes
se sentent souvent vulnérables,
discriminés et exclus.
Si tu vis là-bas, pourquoi tu es ici ? …Equipe de Rio de Janeiro, Capitalisation, 2006
D’importantes différences culturelles, sociales et économiques existent entre les
différents « quartiers du monde ». En termes urbanistiques, certains quartiers ont été
entièrement construits par la volonté politique de l’Etat : une ville nouvelle pour
décongestionner la capitale (El Alto en Bolivie, Evry en France), des urbanisations
subventionnées construites loin de la ville pour des populations pauvres (Son Gotleu,
Son Roca à Palma de Mallorca), la relocalisation de zones dhabitat spontané ou de
bidonvilles (quartiers de Salé au Maroc, de Montreuil en France) ; tandis que dautres
quartiers sont le résultat de l’initiative populaire, en marge ou parfois contre toute
intervention publique : invasion de terrains vagues sans infrastructures et construction
non planifiée par les habitants eux‐mêmes (Suba à Bogota‐ Colombie, Pikine à Dakar
Sénégal, Sikoro, Niamakoro à Bamako – Mali, La Maré à Rio de Janeiro ‐ Brésil).
Nos quartiers sont multiculturels, composés de populations issues de processus
migratoires régionaux, nationaux et/ou internationaux, de déplacements causés par les
conditions économiques ou par la violence, par la recherche de nouvelles opportunités :
différences ethniques et religieuses à Bamako et à Pikine, habitants d’origine rurale ou
urbaine à Bogota, Berbères ou Arabes à Salé, Aymaras, Quechuas ou métisses de El Alto,
populations du Nord‐Est ou Cariocas à Rio de Janeiro, Marocains, Pakistanais, Maliens et
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Dominicains à Evry, Montreuil et Barcelone, Catalans, Sud‐Américains et Espagnols à
Palma de Majorque…
La vie dans les quartiers est variée. Chaque quartier à son propre rythme, ses habitudes,
ses particularités dans l’organisation spatiale, ses activités culturelles et ses modes de
relations sociales. Pour cette raison, le rythme, la façon de travailler et de déconstruire
les perceptions et rôles de genre ont été différentes et on a du s’adapter aux spécificités
culturelles et résistances de chaque groupe.
Mon futur, c’est mon quartier… Jeune de San Luís, Bogota, Vidéo « Etre égaux en étant
différents », 2006
L’option méthodologique du projet/processus
Il nous fallait construire un cadre méthodologique souple et participatif qui permette la
créativité et l’autonomie à chaque groupe, tout en gardant des liens communs pour
faciliter les analyses et la réflexion commune au réseau.
Cest dans cette optique que la Recherche-Action Participative a été choisie comme
méthodologie centrale du processus, dans une approche inclusive d’articulation des
savoirs2 et des connaissances, valorisant et en reconnaissant les expériences de chaque
participant : filles et garçons, hommes et femmes, habitants des quartiers et
organisations sociales dans la construction des savoir collectifs. Nous avons intégré les
présupposés épistémologiques qui déclarent que l’expérience permet aux participants
« d’apprendre à apprendre », en rupture avec les modèles traditionnels d’enseignement
dans lesquels les individus jouent un rôle passif et accumulent simplement l’information
que l’instructeur leur apporte.
La cartographie sociale a été proposée comme un outil méthodologique
complémentaire de la RAP. Nous lavons utilisé pour sapprocher du territoire et le
redécouvrir de façon collective et individuelle. A travers de l’exercice commun de la
représentation du territoire, des discussions et des parcours dans le quartier, cette
méthodologie a facilité la compréhension de la dimension systémique du territoire. Elle
a permis de visualiser l’invisible, la dimension micro, le monde des relations
quotidiennes sur le territoire, d’ordonner la pensée et s’exprimer. C’est un outil qui nous
a permis de gagner une conscience sur la réalité, sur les conflits et les capacités
transformatrices de ses acteurs/trices. Elle a créé des complicités face aux futurs
possibles où chacun aura un rôle à assumer.
Le résultat de la cartographie nous a révélé la réalité du quartier et toutes ses
problématiques : manque d’infrastructures environnementales, éducatives, sociales, de
logement, l’existence de constructions clandestines (maisons qui n’ont pas de titres de
propriété, bien qu’elles soient en briques et en bon état).
2 Nous utilisons ici le mot « savoirs » avec l’objectif de valoriser les savoirs populaires locaux et de les distinguer
de la « connaissance techno-scientifique » dont l’aspiration est la rationalité universelle. E.Lizcano, Imaginario
colectivo y creación matemática, Gedisa, Barcelona, (1993)
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Jeunes de Salé, Rencontre Internationale à Montreuil, 2007
La communication au sein du processus « Quartiers du Monde » a été mise au service
du dialogue, de la réflexion et de l'analyse. Cela signifie que les différents supports et
techniques et ludiques utilisés, ont surtout permis de valoriser le processus, les
réflexions et les analyses, plutôt que le produit final en soit.
Les jeunes ont exploré aussi bien, la vidéo, le théâtre forum, la bande dessinée et ils ont
crées d’autres jeux et dynamiques, ils/elles se sont approprié ces outils. Certaines
équipes ont utilisé le théâtre‐forum pour explorer
les subjectivités de situations qui semblaient
immobiles, globales et sans visage. D’autres ont
utilisé la vidéo pour collecter des informations,
poser des questions, analyser, négocier au sein du
groupe ce qui voulaient présenter et pourquoi…
chacun a essayé de construire leur propre image,
dans leur propre monde, celui quils ont découvert à
mesure que la recherche, le questionnement et
l’analyse l’ont permis.
Le processus de cette 3ème année a été très important pour nous, pas seulement à cause de
ce qu’on a produit, mais parce qu’il nous a poussé à repenser le processus auquel nous
étions arrivé et qui nous a changé… Nous, nous sommes demandés, si nous étions parvenus
à transformer le quartier et nous avons conclu que dès le moment où nous regardons le
quartier d’une autre manière, la transformation commence.
Jeunes de Rio de Janeiro, Rencontre Internationale à Montreuil, 2007
II. Que signifie être jeune dans les quartiers du monde ?
« C’est une étape de la vie, un moment, avoir entre 16 et 25 ans, rire, jouer, travailler, être
responsable, dépendre de la famille, apprendre, avoir un avis qui n’est pas pris en compte,
être considéré comme immature, dangereux, être une ressource pour un continent, avoir
peu d’argent, pouvoir réaliser ses rêves3. »
La jeunesse est définie comme étant une phase transitoire de la vie, entre l’enfance et la
vie adulte. Elle se caractérise par les activités auxquelles se consacrent les jeunes,
garçons et filles, comme l’éducation, le travail, des loisirs divers ; par des attitudes
particulières comme la créativité et la révolte. La jeunesse est également une période
d’exposition à des situations de risque pour la santé (drogues, grossesses précoces,
violence), mais aussi de l’exercice affirmé des ses droits et de la citoyenneté. C’est enfin,
3 Ensemble de réflexions recueillies dans la vidéo « Etre égaux en étant différents », Capitalisation Quartiers du
Monde - 2006
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une période qui se caractérise par l’exercice d’un double rôle social : celui de moteur de
changements dans la société et de désagrégation des valeurs structurelles
traditionnelles.4
Les jeunes, garçons et filles, participant à « Quartiers du Monde » sont différents sur le
plan des origines et de la culture. Certains étudient, dautres travaillent, d’autres
essaient détudier et/ou de travailler. Tous et toutes vivent dans des quartiers
stigmatisés et souffrent du manque d’opportunités et de l’exclusion découlant du simple
fait d’habiter dans ces quartiers.
C’est une population considérée comme un
« problème » par les politiques publiques qui, à partir
de référents de contrôle social et d’insertion
économique, proposent des mesures qui tentent de
conduire les jeunes vers des modèles construits par
les adultes, dans une vision adulte‐centriste5
préoccupée par le maintien de la « sécurité » et par la
reproduction des normes sociales6.
A travers cette diversité, les jeunes nous montrent à
quel point leur identité est définie par la société (les
institutions, la famille, les politiques publiques), mais
elle est également reconstituée de façons différente
par eux‐mêmes, dans leur langage, leurs idées, leurs
comportements. D’un côté, elle semble être
déterminée et pourtant, elle est dynamique et multiple.
Le projet « Quartiers du Monde » a misé sur le protagonisme des jeunes
7, filles et
garçons, sur leur lucidité, leur capacité à lire leur environnement et à être porteurs de
changements.
…et les adultes du processus ?
4 Cynthia Ozon, Juventude et participação. Quem, como e porqué, 2007
5 L’adulte-centrisme correspond à la vision suivante : à partir du monde adulte, on peut organiser le
futur des jeunes, leur préparation, leur développement, leur protection et il se traduit par l'approche
des politiques et des programmes. Krauskopf, Dina. Participación social y desarrollo en la
adolescencia
6 Par norme, nous entendons un ensemble de spécificités qui décrivent un objet ou un sujet. Tout ce
qui entre dans la norme est considéré comme normal, ce qui sort de la norme est anormal. La norme
implique une notion de pouvoir. Effectivement, pour qu'une norme, qu’une règle de vie fonctionne au
sein d’une société, elle doit être acceptée par la majorité, ou imposée par un pouvoir totalitaire.
Ensuite, en se reproduisant de génération en génération, il semble qu’elle ait toujours existé ainsi, on
arrête de questionner et on finit par accepter que les normes du groupe social soient naturelles. (Bazan, Carré,
Capitalisation de la deuxième année du processus, « Pouvoir et Participation », 2006)
7 L’équipe de Rio de Janeiro a apporté la notion de protagonisme juvénile, affirmant la position
d’acteur principal des jeunes dans les actions, depuis leur identification, leur réalisation jusqu’à leur
évaluation, en interaction avec les adultes, dans un processus de construction d’autonomie.
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