Archeologia Polski, t. LX: 2015
PL ISSN 0003-8180
ALAIN GALLAY
CONSTRUIRE UNE PALÉOANTHROPOLOGIE
« Mais aucun historien ne se risque à élaborer une théorie générale des causes
de la décadence des empires. Ils diront que ce nest pas leur travail. Sans doutes
ont-ils raison. Mais ce nest pas non plus le travail des sociologues. Et comme
ce nest le travail de personne de comparer historiquement – ni des historiens
qui ne comparent pas, ni des sociologues qui ne font pas d’histoire – on ne
risque pas de trouver l’explication convaincante que la raison demande, et qui
ne peut être convaincante que de sappliquer à tous les cas possibles, selon une
formule qui en précise les modalités particulières dapplication. En bref il faut
une sociologie historique comparée » (A. Testart 2010, p. 242).
Abstract : Dès 1955, Jean-Claude Gardin inaugure une vaste réexion sur les fondements du
raisonnement archéologique. Cette approche est connue aujourd’hui sous le nom de logicisme.
Nous avons cherché à la prolonger afin d’intégrer ces acquis dans une réexion théorique plus
générale sur les fondements dune archéologie que nous voudrions voir contribuer aujourdhui
àla construction d’une anthropologie générale.
Mots clés : Jean Claude Gardin, Alain Testart, logicisme, taxonomie, cladistique, évolutionnisme,
constructivisme.
Abstrakt: Od roku 1955 Jean-Claude Gardin inicjował rozległą reeksję dotyczącą rozumowania
(dowodzenia) w archeologii. Podejście to znane jest dziś pod nazwą logicyzmu. Podejmowane
są próby poszerzenia go i włączenia do bardziej ogólnej reeksji teoretycznej nad podstawami
archeologii oraz nad jej udziałem w konstruowaniu antropologii ogólnej ; kilka znich przedstawia
niniejszy artykuł.
Słowa kluczowe: Jean-Claude Gardin, Alain Testart, logicyzm, taksonomia, kladystyka, ewolu-
cjonizm, konstruktywizm.
Dès 1955, Jean-Claude Gardin inaugure une vaste réexion sur les fondements du
raisonnement archéologique. Cette approche est connue aujourdhui sous le nom de
logicisme, un terme qui napparaît que tardivement sous la plume de notre collègue.
Dans les années 60 du XXesiècle se développent de nombreuses réexions sur
l’utilisation des méthodes mathématiques suivant pas à pas les perfectionnements
de loutil informatique, réexions qui cherchent à bénéficier directement des acquis
technologiques, hardware et soware (F. Djindjian 1991). Parallèlement à ce mou-
vement Jean-Claude Gardin se concentre sur les aspects proprement sémiologiques
des démarches et anticipe régulièrement ces développements informatiques en
Archeologia Polski, t. 60 (2015), pp. 39-51
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proposant une réexion de fond sur nos pratiques qui restent encore aujourd’hui
parfaitement dactualité (J.-C. Gardin 1979 ; A. Gallay, à paraître e ; J.-C. Gardin,
A. Gallay, à paraître).
Acquis dès le début des années 60 du XXe siècle à cette approche, nous avons
cherché à la prolonger afin d’intégrer ces acquis dans une réexion théorique plus
générale sur les fondements d’une archéologie que nous voudrions voir contribuer
aujourd’hui à la construction d’une anthropologie générale (Fig. 1).
Nous voyons dans cette perspective trois types dexigences : 1) une exigence
formelle relevant du logicisme, 2) une exigence structurale en relation avec le déve-
loppement de certains outils mathématiques et logiques sensu lato, 3) une exigence
explicative issue dune perspective actualiste de lanthropologie.
1. L’EXIGENCE FORMELLE : LOGICISME
Il y plus de 30 ans Jean-Claude Gardin avait proposé dutiliser le terme de « logi-
cisme » pour désigner une méthode danalyse et dévaluation des écrits archéo-
logiques (J.-C. Gardin 1979 ; 1991 ; J.-C. Gardin, M.S. Lagrange, J.-M. Martin,
J. Molino, J. Natali-Smit 1981 ; J.-C. Gardin, O. Guillaume, Q. Herman, A. Hesnard,
M.-S. Lagrange, M. Renaud, E. Zadora-Rio 1987). Le logicisme repose sur le postulat
que, dans les sciences de l’homme, comme dans celles de la nature, le discours est
« construit », pour les raisons et selon les modalités qui sont celles des disciplines
empiriques en général. Le terme de logicisme sapplique au projet de reconstruction
du discours scientifique sur des fondements logiques plus clairs, mais distincts
de la logique formelle des logiciens. Il teste les fondements méthodologiques des
constructions et non, dans un premier temps tout au moins, lutilité empirique des
produits, cest-à-dire leur pertinence interprétative et leur adéquation à la réalité.
Il est possible de distinguer dans cette perspective deux aspects complémentaires :
La n a l y s e l o g i c i s t e réunit d’abord des exercices de réécriture de travaux
« traditionnels » sur le plan de la formulation. Cet exercice permet néanmoins de
déboucher sur un certain nombre de contraintes qui pourraient assurer au texte
une meilleure assise. Nous passons ainsi d’une analyse purement descriptive àdes
aspects proprement normatifs.
L a s y n t h è s e l o g i c i s t e se situe au niveau de la mise en oeuvre de ces
contraintes dans de nouveaux discours. Ce second aspect du logicisme, qui concerne
autant les mécanismes de production de constructions inédites que la forme que
pourraient prendre à l’avenir ces dernières.
Le cycle de la recherche peut se diviser en quatre étapes successives :1.les com-
pilations (constructions compilatoires Cc), réunion des données de base spéci-
fiques ou comparatives, pour servir la construction envisagée ; 2. les ordinations
(constructions typologiques Ct) ou mise en ordre des données à travers des typolo-
gies, soit des mises en correspondance de caractéristiques intrinsèques (physiques,
géométriques ou sémiologiques) et extrinsèques (de lieu, de temps, de fonction) ;
3.les interprétations (constructions explicatives Ce) : résultats de la construction
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Fig. 1. Les bases de la construction d’une anthropologie générale. Chaque exigence se concentre
particulièrement (mais non exclusivement) sur lun des pôles du triangle scénarios – régularités
–mécanismes.
Élaboré par A. Gallay
Ryc. 1. Podstawy konstrukcji antropologii ogólnej. Każdy z wymogów skupia się szczególnie (choć
nie wyłącznie) na jednym z wierzchołków trójkąta: scenariusze – prawidłowości – mechanizmy.
Opracował A. Gallay
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concernant la vie des hommes dautrefois, 4. les pronostics permettant l’adminis-
tration de la preuve à travers un retour au niveau de faits empiriques nouveaux.
Une présentation logiciste utilise dautre part des schématisations situées à mi-
chemin entre la surabondance des formes dexpression que tolèrent, ou recom-
mandent, les sciences humaines et l’ascèse des formalismes qu’imposerait la logique
formelle, l’une et l’autre excessives. On peut en eet montrer que les démonstrations
des archéologues (argumentation reliant des données empiriques à une ou plusieurs
interprétations) peuvent se formaliser dans des enchaînements de propositions
répondant à un calcul dont la formule peut se résumer comme « si Pi alors Pi+1 ».
On distinguera alors : 1. les propositions P0, données déclarées, sans antécédents
explicites dans la construction, correspondant aux données du corpus (Cc) (ce qui
nexclut pas quelles puissent avoir des antécédents ailleurs) ; 2.les propositions Pi
dérivées ; 3.la ou les propositions Pn correspondant aux résultats obtenus, qu’il
sagisse d’une typologie (Ct) ou d’une explication (Ce).
Ce premier niveau dexigence reste donc purement formel, mais il nen constitue
pas moins une base indispensable pour construire des discours plus solidement
argumentés permettant une meilleure cumulativité de savoirs (Fig. 2).
2. L’EXIGENCE STRUCTURALE : MATHÉMATIQUES
Loutil mathématique sensu lato a, de tout temps, retenu lattention des archéo-
logues soucieux dasseoir leurs démonstrations sur des bases plus solides. Nous
ne reviendrons pas ici sur ces développements qui ont fait lobjet d’innombrables
publications (F. Djindjian 1991 ; A. Gallay 1998 ; 2007).
Fig. 2. La démarche logiciste intégrant constructions compilatoires (Cc), typologiques (Ct)
et explicatives (Ce).
Élaboré par A. Gallay
Ryc. 2. Podejście logicystyczne łączy konstrukcje o charakterze kompilacyjnym (Cc),
typologicznym (Ct) oraz wyjaśniającym (Ce).
Opracował A. Gallay
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Loutil mathématique est indissociable dune approche structurale de la réalité,
de la « mise en paquets » des données et de la création de modèles.
Au cours de la longue histoire de leur discipline les archéologues, comme beau-
coup d’autres praticiens des sciences humaines ou naturelles, ont eu recours essen-
tiellement à des classifications « phénétiques » mobilisant des données jugées équi-
valentes aux plans interprétatif et fonctionnel, sans réellement discuter cet a priori
(P. Tassy 1991 ; P. Darlu, P. Tassy 1993).
Il est néanmoins important que lon sentende sur la pertinence des diérentes
manières de classer les phénomènes humains. Nous pouvons en eet distinguer
(A. Gallay 2012b) :
Les classements dynamiques des phénomènes
Nous pouvons placer sous ce type dapproche le classement des sociétés proposé
par Alain Testart (2005 ; 2012). Les entités reconnues affichent de potentialités évo-
lutives indéniables, mais les partitions proposées ne reposent pas sur une probléma-
tique taxonomique explicite, sinon une excellente connaissance de l’anthropologie
mondiale et sur la reconnaissance d’un certain nombre de critères jugés particuliè-
rement pertinent, notamment au niveau de la richesse et des structures politiques.
Les taxonomies cladistiques
Lapproche cladistique ne fait que systématiser l’approche précédente en prenant
comme critère fondamental celui de la descendance avec modification, un concept
issu des problématiques darwinistes (M.J. O’Brien, R.L. Lyman 2003).
Malgré cela, cette approche relève d’une épistémologie générale située en dehors
du domaine des sciences biologiques. Elle est donc applicable à n’importe quel phé-
nomène se modifiant au cours de l’histoire et ne préjuge d’aucune équivalence ou
identité postulée entre espèces biologiques et phénomènes culturels tels que sociétés,
systèmes techniques, systèmes sociaux, systèmes politiques, systèmes religieux, etc.
La situation est donc identique à celle de la taxonomie numérique qui peut être
appliquée à toutes sortes de phénomènes naturels ou culturels.
Les taxonomies phénétiques
Les classifications phénétiques se sont développée dans les années 60 avec lappa-
rition des algorithmes de taxonomie numérique et les nouvelles possibilités de calcul
oertes par les ordinateurs. Toutes ces analyses reposent sur l’idée et l’illusion, d’une
part, qu’il est possible de donner une description unique et exhaustive de la réalité
sous la forme d’un langage documentaire unique, dautre part que cette représen-
tation de la réalité peut générer d’elle-même une interprétation. Il suffirait donc
daccumuler les critères descriptifs pour générer de bonnes classifications riches
de sens, une position que nous ne pouvons accepter.
Les taxonomies phylogénétiques
Les classification phylogénétiques correspondent aux premières approches
classificatoires du darwinisme, mais se retrouvent dans certaines classifications
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