|Les limites de la performativité des énoncés en économie 559
économique, le débat sur la performativité (Felin et Foss, 2009a ;
299b ; Ferraro, Pfeffer et Sutton, 2005 ; 2009). Ce débat part du
constat que, en fonction d’un tel principe, la science économique
est soumise à un effet de circularité d’où découlerait une grande
relativité de ses propositions et conclusions : la théorie économique,
comme représentation de la réalité engendrant les comportements
sociaux, peut devenir «vraie3»à la seule condition que les
acteurs économiques la considèrent comme telle. La réalité sociale
est alors tributaire des représentations qu’on en a. Le critère de
vérité classique de la correspondance entre les mots et les choses
n’étant plus opérant, le contenu analytique des théories n’aurait
plus d’importance et la validation d’une théorie serait uniquement
liée à sa puissance rhétorique : la discipline économique perdrait
toute valeur scientifique. Néanmoins, ce travail entend compléter ce
raisonnement et montrer que pareille circularité n’exclut pas l’idée
que le phénomène de la performativité puisse trouver des limites
au sein du monde social : dans un environnement physique et
social particulier, toute théorie ne peut pas devenir performative.
Partant de là, et si l’on s’écarte des critères de validation classiques
des théories, fondés sur le désir d’identifier l’unique bonne théorie
afin de se rapprocher d’une définition particulière de la «vérité »
comme accord entre croyances théoriques des agents et leurs
pratiques du monde – ceci dans la droite lignée de la philosophie
pragmatiste américaine4–, on nuance le relativisme potentiel de
l’approche par la performativité en permettant à la fois de mieux
comprendre le phénomène en question (pourquoi une théorie devient
performative ?) et de penser une valeur scientifique des théories
économiques (une théorie «performe »le monde parce qu’elle
est vraie au sens où elle permet aux agents de réaliser leurs
plans).
On s’appuiera sur la philosophie sociale de John Searle afin
de penser les mondes physique et social comme exerçant, par
le biais des pratiques des agents5, une pression sélective sur les
théories économiques. Notre argumentation reposera essentiellement
3 Notre emploi du mot «vrai »doit ici être compris au sens de «vrai ou non
réfuté ». Nous n’abordons pas ici les débats relatifs à la pertinence d’un tel critère.
4SelonJames,
«toute idée qui, soit pratiquement, soit intellectuellement, nous
aide à traiter avec une réalité ou avec ce qui s’y rattache, qui n’entrave pas notre
marche par des déceptions, qui convient, en fait, et permet à notre vie de s’adapter
au cadre général de la réalité, suffira pour satisfaire cette exigence d’ “ accord ”. Elle
sera vraie en ce qui concerne cette réalité »(James, 1907, 212).
5 Comme le souligne Dupuy (1992, 227), «on a ici plus qu’un cercle, plus
qu’une causalité circulaire. L’élément hiérarchique est fondamental : le cercle ne
peut fonctionner que parce que les acteurs mettent la réalité en priorité sur les
représentations ».
Œconomia – History | Methodology | Philosophy, 1(4) : 557-588