La physiopathologie de l`insuffisance cardiaque chronique

V1226F_2009
La physiopathologie de l’insuffisance
cardiaque chronique
Walter Van Mieghem
Service de Cardiologie, Ziekenhuis Oost-Limburg
Keywords: heart failure – pathophysiology – neurohormonal activation – cardiorenal syndrome
Pathogenèse et classification
L’insuffisance cardiaque chronique peut avoir
toute une série de causes. Celles-ci entraînent
une diminution de la contractilité du muscle car-
diaque la dysfonction systolique –, un trouble
de la relaxation diastolique du ventricule la
dysfonction diastolique –, une augmentation
de la postcharge ou une surcharge volumique.
En cas de dysfonction systolique, on note une
diminution de la contractilité due à une des-
truction des cardiomyocytes, comme en cas
d’infarctus myocardique, d’anomalie de fonction
des myocytes ou de fibrose. En cas de dysfonc-
tion diastolique, on observe une diminution du
remplissage ventriculaire, due à une perturba-
tion de la relaxation diastolique précoce (un
processus actif, dépendant de l’énergie), à une
augmentation de la rigidité de la paroi ventricu-
laire (une propriété passive) ou aux deux. En cas
d’augmentation de la postcharge, la diminution
du débit systolique est due à une résistance ac-
crue à l’écoulement, comme en cas de sténose
aortique ou d’hypertension artérielle sévère. La
surcharge volumique se produit lorsqu’une partie
du débit systolique du ventricule ne parvient pas à
l’organisme, mais retourne vers l’oreillette lors de
la systole, comme en cas d’insuffisance mitrale,
ou qu’elle reflue pendant la diastole, de l’aorte
vers le ventricule gauche, en cas d’insuffisance
aortique. En pratique, l’insuffisance cardiaque
peut souvent être provoquée conjointement
par plusieurs de ces mécanismes. Par exemple,
une hypertension artérielle de longue durée
entraîne une hypertrophie ventriculaire gauche
concentrique, avec une diminution de la compli-
ance et une dysfonction diastolique; elle peut
également entraîner une diminution de la fonc-
tion systolique due à une fibrose interstitielle
ou à la survenue d’un infarctus myocardique,
et une surcharge volumique peut finalement
survenir suite à une dilatation supplémentaire du
ventricule gauche et à l’apparition d’une
insuffisance mitrale fonctionnelle.
Mécanismes d’adaptation en
cas d’insuffisance cardiaque
L’insuffisance cardiaque s’accompagne de plu-
sieurs modifications dans l’organisme, qui visent
à compenser la diminution du débit cardiaque
et de la perfusion tissulaire (1-2). Plusieurs
de ces mécanismes de compensation entrent
également en action dans des circonstances
normales, par exemple pendant l’effort ou en
cas de stress accru. On distingue les mécanis-
mes d’adaptation cardiaques, les modifications
neurohormonales, la compensation rénale en
cas d’insuffisance cardiaque et l’adaptation de
l’extraction périphérique d’oxygène. En cas de
décompensation cardiaque, il est souvent impos-
sible de distinguer les processus d’adaptation
complexes, qui surviennent conjointement.
Au stade initial et dans les formes légères
d’insuffisance cardiaque, ces mécanismes
d’adaptation permettent le plus souvent
d’obtenir une situation pratiquement normale
au repos ou en cas d’effort modéré, moyennant
peu ou pas de signes de troubles fonctionnels
ailleurs dans l’organisme. Avec l’évolution de
l’insuffisance, les mécanismes de compensation
peuvent eux-mêmes accélérer la progression de
la maladie et majorer les symptômes.
Adaptations du muscle
cardiaque
En cas de troubles de contractilité du muscle
cardiaque et/ou de surcharge hémodynamique
exagérée des ventricules, le coeur dispose de
2 importants mécanismes de compensation in-
trinsèques pour maintenir sa fonction de pompe:
le mécanisme de Frank-Starling et l’hypertrophie
myocardique, avec ou sans dilatation des
ventricules (Tableau 1).
Le mécanisme de Frank-Starling
Il y a plus de 100 ans, les physiologistes Frank et
Starling ont démontré qu’une plus grande dila-
tation du ventricule (un plus grand remplissage)
pendant la diastole entraîne un plus grand débit
systolique pendant la contraction systolique
suivante (Figure 1). En cas de diminution de la
contractilité ventriculaire gauche, la courbe de
fonction ventriculaire est déplacée vers la droite et
le bas. Pour une même précharge, il en résulte une
diminution du débit systolique (Figure 1). Cette
diminution du débit systolique signifie que le
ventricule se vide insuffisamment, ce qui entraîne
l’accumulation d’une plus grande quantité de sang
dans le ventricule au cours de la diastole suivante.
Les fibres musculaires sont à présent davantage
étirées et, via le mécanisme de Frank-Starling,
un plus grand débit systolique sera éjecté lors
de la contraction suivante. Cela contribue à une
meilleure vidange d’un ventricule dilaté et au
maintien du débit cardiaque. Il va de soi que ce
mécanisme de compensation est limité. En cas
d’insuffisance cardiaque sévère et de diminution
importante de la contractilité, la courbe se déplacera
Vaisseaux, Coeur, Poumons n Numéro Spécial n 2009
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On parle d’insuffisance cardiaque lorsque le coeur n’est pas capable d’assurer une fonction
de pompe suffisante à des pressions de remplissage normales, pour répondre aux besoins
métaboliques des tissus.
Mécanisme de Frank-Starling
Hypertrophie musculaire excentrique
Hypertrophie musculaire concentrique
Tableau 1: Compensation cardiaque en cas
d’insuffisance cardiaque.
vers la droite et le bas, et deviendra quasi plate
pour de plus grands volumes diastoliques, de telle
sorte qu’une augmentation supplémentaire du
remplissage n’entraînera pas d’augmentation du
débit cardiaque. Le coeur défaillant n’est alors plus
dépendant du volume mais davantage dépendant
de la pression ou de la postcharge (Figure 2).
Hypertrophie avec ou sans
dilatation du ventricule
L’hypertrophie musculaire ventriculaire gauche et
le remodelage sont d’importants mécanismes de
compensation qui s’installent progressivement
en cas de surcharge hémodynamique. La tension
pariétale, égale à selon la loi de Laplace
T représente la tension pariétale, P la pression,
r le rayon du ventricule et d l’épaisseur de la
paroi musculaire – est souvent augmentée lors
de l’apparition d’une insuffisance cardiaque, à
la fois par une dilatation du ventricule gauche
(augmentation de r) et par une augmentation de
pression systolique dans le ventricule en cas de
postcharge majorée, comme en cas de sténose
valvulaire aortique ou d’hypertension artérielle.
Associée à des modifications neurohormonales
et des cytokinines, une augmentation persistante
de la tension pariétale induira une hypertrophie
myocardique, doublée d’une prolifération de la
matrice extracellulaire. La manière selon laquelle
cette hypertrophie compensatoire et ce remo-
delage se développent dépend du type de sur-
charge. En cas de surcharge de pression, on note
une importante augmentation de l’épaisseur
pariétale, sans augmentation de la cavité du
ventricule (hypertrophie musculaire concen-
trique); par contre, en cas de surcharge volu-
mique, on note une importante augmentation
de la cavité, où l’hypertrophie musculaire peut
être aussi importante, mais avec un épaississe-
ment du muscle moins prononcé qu’en cas de
surcharge de pression (hypertrophie musculaire
excentrique). Globalement, l’hypertrophie mus-
culaire du ventricule se développe de manière
telle que la tension pariétale systolique peut
rester pratiquement normale. En cas de sur-
charge de pression, on observe une réplication
parallèle des sarcomères, avec augmentation
de l’épaisseur pariétale. Par contre, en cas de
surcharge volumique primaire, l’augmentation
de la tension pariétale diastolique entraînera la
réplication des sarcomères en série, un allonge-
ment des fibres musculaires et une augmentation
des diamètres du ventricule. Le développement
de l’hypertrophie musculaire dans le ventricule
provoque également une modification des pro-
priétés diastoliques. En présence d’une hyper-
trophie musculaire concentrique, l’augmentation
de la masse musculaire et de l’épaisseur parié-
tale provoque une augmentation de la rigidité
pariétale, doublée d’une compliance réduite.
Une augmentation de la pression diastolique
est nécessaire pour remplir le ventricule hyper-
trophié, de sorte que pour chaque augmentation
de volume diastolique, la pression télédia-
stolique du ventricule est anormalement élevée
(Figure 3). En cas d’hypertrophie musculaire
excentrique, on note un glissement de la courbe
pression-volume du ventricule vers la droite, le
long de l’axe des volumes, ce qui fait qu’en cas
de surcharge volumique chronique, la pression
diastolique dans le ventricule gauche augmente
relativement peu, et qu’elle reste de ce fait un
assez bon paramètre pour évaluer la sévérité de
la décompensation cardiaque (Figure 3). En cas
d’hypertrophie musculaire concentrique (dys-
fonction diastolique), la courbe pression-volume
est déplacée vers le haut (Figure 3), de sorte que
pour chaque volume diastolique, la pression dans
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Contractilité accrue
Normal
Insuffisance cardiaque
Débit systolique (débit cardiaque)
Lorsque la fonction systolique du ventricule gauche est réduite,
le débit cardiaque sera moindre (b) pour un même remplissage par
rapport à un coeur normal (a). Ici, une augmentation du remplissage
n’entraînera qu’une augmentation limitée du débit cardiaque (c).
Pression télédiastolique du ventricule gauche
(ou volume télédiastolique) Stase pulmonaire
a
bc
Figure 1: Courbe de Frank-Starling du ventricule gauche, rapport entre le remplissage et le débit systolique
ou le débit cardiaque pour un coeur normal, une contractilité accrue et une insuffisance cardiaque.
Débit systolique (ml)
RVS
Dyne.sec.cm-5
Normal
Insuffisance cardiaque
100
75
50
25
600 1.200 1.800
Figure 2: En cas d’augmentation de la postcharge, le débit systolique diminue, ce phénomène étant
plus marqué en cas de diminution de la fonction systolique du ventricule gauche (RVS; résistance
vasculaire systémique).
CARDIOLOGIE
le ventricule est plus élevée que la normale. Cela
entraîne un petit volume télédiastolique avec
une pression télédiastolique élevée. Lorsque la
compliance ventriculaire diminue, la contribution
de l’oreillette au remplissage ventriculaire devient
particulièrement importante. La perte d’une
contraction auriculo-ventriculaire normalement
synchronisée, qui se produit en cas de fibrillation
auriculaire ou de dissociation auriculo-ventricu-
laire, provoquera une forte augmentation de la
pression intra-auriculaire, avec une diminution
du débit cardiaque.
Modifications neurohormonales
L’insuffisance cardiaque s’accompagne de
plusieurs modifications neurohormonales,
provenant essentiellement du coeur lui-même,
des surrénales, des reins et de l’hypophyse. Ces
modifications neurohormonales, qui visent en
premier lieu à tenter de compenser au mieux
les anomalies hémodynamiques (Tableau 2),
sont bien corrélées à la sévérité et la durée de
l’insuffisance cardiaque.
Peptides natriurétiques
Les peptides natriurétiques ont une place par-
ticulière dans l’activation neurohormonale. Leur
action diffère fondamentalement de celle des
autres neurohormones. Ils sont sécrétés par le
coeur, en cas d’augmentation de la pression in-
tracardiaque. Les mieux connus sont le peptide
natriurétique auriculaire (ANP) et le peptide
natriurétique du type B (BNP). L’ANP se trouve
dans les cellules auriculaires et est sécrété
lorsque l’oreillette est étirée. Le BNP n’est pas
présent dans le coeur normal, mais il est très
rapidement synthétisé en cas d’augmentation
du stress hémodynamique dans le myocarde
ventriculaire. Les taux sanguins de BNP sont bien
corrélés à la sévérité clinique de l’insuffisance
cardiaque et semblent également importants sur
le plan pronostique. L’activité des peptides na-
triurétiques implique l’activation de récepteurs
natriurétiques spécifiques, et celle-ci est plutôt
opposée à l’action des autres neurohormones.
Les peptides natriurétiques favorisent l’excrétion
d’eau et de sel via le rein, provoquent une vaso-
dilatation artériolaire, inhibent la sécrétion de
rénine et neutralisent les effets de l’angiotensine
II sur l’aldostérone et la sécrétion de vasopres-
sine. Ils sont très rapidement libérés au départ du
coeur en cas d’insuffisance cardiaque, mais leur
effet hémodynamique plutôt favorable est très
rapidement annihilé par l’activation des autres
neurohormones.
Modifications au niveau
de la fonction du système
adrénergique
En cas d’insuffisance cardiaque, il se produit im-
médiatement une mobilisation des réserves car-
diaques de catécholamines. Celles-ci s’épuisent
rapidement, de sorte qu’on assiste à une diminu-
tion du taux de catécholamines dans le muscle
cardiaque. La diminution du débit cardiaque en
cas d’insuffisance cardiaque est enregistrée par
les barorécepteurs dans le sinus carotidien et la
crosse aortique comme une chute de la pres-
sion de perfusion. Ces récepteurs diminuent leur
activité proportionnellement à la diminution
de la tension artérielle et ce signal est transmis
au centre de contrôle cardiovasculaire dans la
moelle par le biais des 9e et 10e nerfs crâniens.
Suite à cela, il se produit une augmentation de
la production et de la sécrétion d’adrénaline et
surtout de noradrénaline dans la médullaire sur-
rénale et une libération au départ des terminai-
sons nerveuses orthosympathiques, ainsi qu’une
diminution du tonus parasympathique. Cette
stimulation adrénergique accrue entraîne une
augmentation de la fréquence cardiaque (effet
chronotrope), une amélioration de la contractilité
du ventricule (effet inotrope positif) et une vaso-
constriction, par stimulation des alpharécepteurs,
tant au niveau du système veineux qu’artériel.
L’accélération de la fréquence cardiaque et
l’augmentation de la contractilité du ventricule
(augmentation du débit systolique) provoquent
une augmentation du débit cardiaque. La vaso-
constriction des veines systémiques réduit la
compliance veineuse et favorise le retour veineux
vers le coeur, ce qui entraîne une augmentation
de la précharge et du débit systolique, suite au
mécanisme de Frank-Starling. La vasocon-
striction artériolaire provoque l’augmentation
de la résistance périphérique, ce qui entraîne
l’élévation tensionnelle. La distribution régionale
des alpharécepteurs entraîne une redistribution
du flux sanguin en faveur des organes vitaux
(coeur et cerveau), au détriment de la perfusion
de la peau, du réseau vasculaire splanchnique et
des muscles.
Le système rénine-
angiotensine-aldostérone
Ce système est également activé précocement
chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque.
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La diminution de la fonction systolique du ventricule gauche (1 -> 2 dans A)
déplace la courbe de fonction systolique du ventricule gauche vers la droite et le bas.
Le débit systolique diminue, de sorte qu’il reste davantage de sang dans le ventricule
à la fin de la systole. Le retour veineux, qui s’ajoute alors au volume télésystolique accru,
fera augmenter le nouveau volume télédiastolique, avec une élévation de pression et
un plus grand débit systolique lors de la systole suivante.
La diminution de compliance (1 -> 2 dans B) déplace la courbe pression-volume diastolique
vers le haut, ce qui entraîne un volume télédiastolique plus petit, avec une pression
télédiastolique plus élevée.
Volume (ml) Volume (ml)
AB
1
2
1
2
Figure 3: La courbe pression-volume en cas de dysfonction systolique (A) et diastolique (B) du
ventricule gauche.
Effet inotrope positif du débit cardiaque
Effet chronotrope positif du débit cardiaque
Augmentation du retour veineux du débit cardiaque
Vasoconstriction artérielle de la tension artérielle
Tableau 2: Conséquences bénéfiques de la compensation neurohormonale et rénale.
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Chez ces patients, la rénine est sécrétée par les
cellules juxtaglomérulaires du rein, suite à une
diminution de la pression de perfusion rénale se-
condaire au débit cardiaque faible, à une dimi-
nution de la quantité de sel au niveau de la
tache dense (macula densa) du rein, en raison de
modifications de la répartition intra-rénale du
sang et d’une stimulation directe des récepteurs
juxtaglomérulaires bêta-2, due à l’élévation des
catécholamines. Suite à un processus enzyma-
tique, la rénine transformera l’angiotensinogène
circulant, provenant du foie, en angiotensine
I, elle-même très rapidement transformée en
angiotensine II par l’enzyme de conversion de
l’angiotensine. Cette angiotensine II élevée pro-
voque une puissante vasoconstriction des arté-
rioles, avec une augmentation de la résistance
périphérique totale et dès lors une nouvelle élévation
tensionnelle. En outre, l’angiotensine II est égale-
ment responsable d’une augmentation du volume
intra-vasculaire, via la stimulation du centre de
la soif au niveau de l’hypothalamus avec une
augmentation des apports hydriques et via une
augmentation de la sécrétion d’aldostérone au
niveau du cortex surrénal. L’aldostérone favorise
la absorption de sodium au niveau du néphron
distal, avec une augmentation supplémentaire
du volume intra-vasculaire. Cela entraîne une
nouvelle augmentation de la précharge du ven-
tricule gauche avec une augmentation du débit
cardiaque, via le mécanisme de Frank-Starling.
L’hormone antidiurétique
Chez les patients souffrant d’insuffisance car-
diaque, la sécrétion d’hormone antidiurétique
(vasopressine) par l’hypophyse est stimulée, via
les barorécepteurs artériels et les taux sanguins
élevés d’angiotensine II. L’hormone antidiuré-
tique provoque une augmentation de la réten-
tion d’eau au niveau du néphron distal. Cela
provoquera une élévation supplémentaire du
volume intravasculaire, avec augmentation de
la précharge du ventricule gauche et du débit
cardiaque. L’hormone antidiurétique contribue
également à la vasoconstriction artériolaire.
Endothéline I
L’endothéline I est également un vasoconstric-
teur puissant, produit par les cellules endothé-
liales, dont la sécrétion est stimulée tant par
l’angiotensine II que par l’épinéphrine. Cela con-
tribuera également davantage à une élévation de
la tension artérielle.
Mécanismes d’adaptation
rénaux
En cas d’insuffisance cardiaque, le rein se com-
porte comme en situation d’hypovolémie. Dans
les deux cas, le débit cardiaque et la perfusion
rénale sont inadéquats. On assistera alors à une
rétention d’eau et de sel, dans une tentative
de restaurer le volume circulant effectif. Les
modifications au niveau du transport tubulaire
du sodium sont le principal mécanisme pour la
régulation de l’excrétion sodée. Le tubule rénal
proximal est le principal endroit pour la réab-
sorption du sodium dans le néphron, environ
60% du sodium isotonique filtré sont réabsorbés.
Ici, l’angiotensine II a un rôle important. Le sang
parvient au néphron, via les artérioles afférentes,
atteint les artérioles efférentes via les capillaires
glomérulaires et circule ensuite dans un réseau
de capillaires tubulaires périphériques. Lorsque
le débit cardiaque chute, différents stimuli tels
que la stimulation orthosympathique accrue et
les taux sanguins élevés d’angiotensine II pro-
voqueront une vasoconstriction rénale, surtout
au niveau des artérioles efférentes. En raison de
cette résistance relativement majorée au niveau
de l’artériole efférente, la pression dans les capil-
laires glomérulaires – qui constitue la pression
de filtration pour le glomérule augmente. Bien
que la circulation rénale soit réduite, la fraction
de filtration le rapport filtration glomérulaire/
circulation rénale augmentera. On observe
donc une augmentation relative de l’élimination
d’eau et de sel au niveau du néphron, ce qui pro-
voquera une augmentation de la concentration
de protéines dans les capillaires péri-tubulaires,
avec une diminution de la pression hydrostatique
capillaire post-glomérulaire. Cela signifie que le
gradient de pression hydrostatique transcapil-
laire augmente, entraînant une augmentation
du reflux passif d’eau et de sel depuis le tubule
rénal proximal vers les capillaires péri-tubulaires.
A différents niveaux passivement au niveau du
tubule rénal proximal et sous l’influence de l’effet
de l’hormone antidiurétique et de l’aldostérone
au niveau du néphron distal – le rein sera donc
en grande partie responsable de l’augmentation
du volume circulant et du retour veineux.
Conséquences négatives des
mécanismes de compensation
Les mécanismes de compensation neurohor-
monaux et rénaux peuvent souvent masquer en
grande partie les symptômes de l’insuffisance
cardiaque pendant une période prolongée. Toute-
fois, la vasoconstriction artériolaire augmente la
résistance périphérique ainsi que la postcharge.
Cela provoque une diminution du débit systolique
du ventricule gauche, avec une diminution de la
fonction systolique (Figure 2). La rétention d’eau
et de sel et le retour veineux accru provoquent
une augmentation du volume diastolique, avec
une élévation de la pression diastolique et une
augmentation de pression dans l’oreillette gauche,
les vaisseaux pulmonaires, le ventricule droit et
l’oreillette droite. Cela entraîne une formation
d’oedèmes périphériques et une stase pulmo-
naire (Figure 1). La tachycardie, la stimulation
inotrope, l’augmentation de la postcharge et de
la tension pariétale augmentent la consommation
en oxygène de la cellule musculaire cardiaque.
L’hypertrophie musculaire, l’angiotensine II et
l’aldostérone sont associées à une augmenta-
tion de la fibrose interstitielle dans le muscle car-
diaque ou la provoquent. Cela majore la distance
entre les capillaires coronaires et les myocytes,
ce qui complique la diffusion de l’oxygène vers
les cellules musculaires cardiaques. L’insuffisance
cardiaque est souvent provoquée par une athéro-
matose coronaire et bon nombre de patients souf-
frant d’insuffisance cardiaque sont des personnes
âgées, mais qui présentent presque toujours un
certain degré d’insuffisance coronaire. A nouveau,
cela compliquera l’apport d’oxygène aux cellules
musculaires cardiaques. Cette augmentation des
besoins en oxygène, associée à un moins bon ap-
port d’oxygène, provoque la nécrose des cellules
musculaires cardiaques, doublée d’une réaction in-
flammatoire et de la formation de tissu conjonctif.
Les cellules musculaires cardiaques peuvent aussi
mourir par apoptose ou mort cellulaire program-
mée. Sous l’influence de l’augmentation du taux
sanguin de catécholamines, de l’angiotensine II,
des cytokines inflammatoires et de la surcharge
mécanique des myocytes due à la tension par-
tale accrue, on assiste à un retour à un phénotype
embryonnaire. La cellule continue à grandir, mais
n’a pas la possibilité de se diviser. En définitive,
on observera une fragmentation du noyau cel-
lulaire, suivie d’une sclérose cellulaire et enfin de
la phagocytose par d’autres cellules, sans réaction
inflammatoire. Associée à l’augmentation de la
pré- et de la postcharge, largement influencée
par les mécanismes de compensation neuro-
hormonaux, cette mort des cellules musculaires
cardiaques conduira à la progression ultérieure de
CARDIOLOGIE
Vaisseaux, Coeur, Poumons n Numéro Spécial n 2009
10
la maladie (Tableau 3). Un aspect important du
traitement de l’insuffisance cardiaque est donc
le blocage ou l’inhibition de la compensation
neurohormonale par l’utilisation d’inhibiteurs
de l’enzyme de conversion de l’angiotensine ou
d’antagonistes des récepteurs de l’angiotensine,
de bêtabloquants et d’antagonistes des récepteurs
de l’aldostérone.
Le syndrome
cardio-rénal-anémie
Insuffisance cardiaque et insuffisance
rénale chronique
L’insuffisance cardiaque (HF) et l’insuffisance
rénale coexistent fréquemment chez les pa-
tients hospitalisés. Les facteurs de risque tels
que l’âge avancé, l’hypertension artérielle ou le
diabète sont les mêmes pour les deux affections.
Une maladie d’un des deux organes entraînera
souvent une dysfonction ou une détérioration
de l’autre. Ces interactions ont donné lieu au
terme «syndrome cardio-rénal» (CRS). La pre-
mière définition du CRS était: «une situation
le traitement des symptômes de l’insuffisance
cardiaque congestive est limité par une dégrada-
tion de la fonction rénale» (3). Par la suite, pour
souligner l’influence réciproque entre le coeur
et le rein, la définition a été adaptée et on parle
à présent d’une «affection physiopathologique
la dysfonction aiguë ou chronique d’un des
deux organes entraîne une dysfonction aiguë ou
chronique de l’autre» (3).
On établit une distinction entre les différents
«types» de CRS, selon que l’apparition est aiguë
ou non et selon l’élément étiologique essentiel,
cardiaque ou rénal (4). Le syndrome cardio-rénal-
anémie se retrouve principalement en cas de CRS
de type II (CRS chronique).
CRS de type II (CRS chronique)
En cas de CRS de type II, il s’agit d’un patient
présentant une HF chronique, qui développe une
insuffisance rénale progressive. Cette détériora-
tion de la fonction rénale a une répercussion
négative importante sur le pronostic du patient
souffrant d’insuffisance cardiaque chronique et
entraîne des hospitalisations plus fréquentes
et plus longues (5). On ne connaît pas bien la
physiopathologie des troubles de la fonction
rénale en cas d’insuffisance cardiaque chronique.
Ainsi, on n’a démontré aucun lien entre le débit
cardiaque et la créatinine sérique (6). Par contre,
il existe une relation entre la pression auriculaire
droite et la fonction rénale, ce qui suggère que la
stase rénale puisse jouer un rôle important (6).
Les médiateurs biologiques sont probablement
l’hyperactivité du système nerveux sympathique,
le système rénine-angiotensine-aldostérone, un
trouble de la production et de la fonction du NO
et un état inflammatoire chronique. Un traite-
ment inadéquat de l’insuffisance cardiaque
avec une hypovolémie induite par des diuré-
tiques –, l’instauration précoce d’un blocage du
système rénine-angiotensine-aldostérone ou une
hypotension iatrogène peuvent jouer un rôle (4).
Nous discuterons plus loin du rôle potentiel de
l’érythropoïétine.
Anémie et insuffisance cardiaque
chronique
Les chiffres relatifs à la prévalence d’anémie en
cas d’insuffisance cardiaque diffèrent selon la
définition et la sélection des patients. Dans les
études cliniques et les registres de l’insuffisance
cardiaque, la prévalence varie de 15% à 61%
et de 14% à 71% chez les patients hospitalisés
(7-9). La prévalence est la même, que les pa-
tients aient une fonction ventriculaire gauche
systolique préservée ou diminuée (10-13).
L’étiologie de l’anémie en cas d’insuffisance
cardiaque peut être très diverse (Tableau 4).
C’est ainsi qu’on mentionne des saignements
gastro-intestinaux aigus ou chroniques chez les
patients sous acide acétylsalicylique ou anti-
coagulants. La carence martiale est fréquente
(14), mais même si le taux de fer sérique est
normal, les réserves en fer au niveau de la
moelle osseuse sont souvent complètement
épuisées (15). Cela est potentiellement impu-
table à une accumulation de fer dans d’autres
réserves réticulo-endothéliales, où le fer n’est
pas disponible pour l’érythropoïèse, un tableau
biochimique analogue à l’anémie caractérisant
les états pathologiques chroniques (16). Les
taux sanguins d’érythropoïétine sont souvent
élevés, mais moins que prévu selon le degré
d’anémie, ce qui suggère une diminution de la
production d’érythropoïétine et une diminu-
tion de la réponse clinique à l’érythropoïétine
(17-19). L’angiotensine II stimule la produc-
tion d’érythropoïétine ainsi que les cellules
souches érythroïdes dans la moelle osseuse
(20). Un traitement par IEC ou antagonistes
des récepteurs de l’angiotensine peut dans une
certaine mesure faire chuter l’hémoglobine
en raison d’une diminution de la production
d’érythropoïétine et d’une augmentation de la
résistance à l’érythropoïétine (21-23). Les cyto-
kines pro-inflammatoires, comme le facteur de
nécrose tumorale alpha et l’interleukine-6, sont
élevées en cas d’insuffisance cardiaque, tout
comme la CRP. Elles provoquent également une
diminution de la production d’érythropoïétine
dans le rein (26) et inhibent la prolifération
des cellules souches érythroïdes dans la moelle
osseuse (27). Un état pro-inflammatoire ac-
tif peut contribuer de différentes manières à
l’apparition d’une anémie en cas d’insuffisance
cardiaque, comme c’est également le cas dans
d’autres maladies chroniques. Chez un nombre
important de patients insuffisants cardiaques,
l’hémodilution peut provoquer une «pseudo-
anémie» ou aggraver une anémie existante
(28-29).
L’anémie et un faible taux d’hémoglobine
sont des facteurs de risque indépendants pour
l’augmentation de la mortalité et de la fréquence
d’hospitalisation pour cause d’insuffisance car-
diaque, tant en cas de dysfonction ventriculaire
gauche aiguë que chronique (7, 9).
Sur-remplissage formation d’oedèmes
Augmentation de la postcharge du débit cardiaque
Nécrose cellulaire perte de cellules musculaires
Apoptose perte de cellules musculaires
Fibrose interstitielle diminution de la compliance
Tableau 3: Conséquences néfastes de la compensation neurohormonale.
- Déficit relatif en érythropoïétine
- Résistance à l’érythropoïétine
- Etat ferriprive
- Accumulation de fer en dehors de la
moelle osseuse
- Elévation des cytokines inflammatoires
- Hémodilution
- Médicaments (IEC, ARB, anti-
coagulants, acide acétylsalicylique)
Tableau 4: Causes de l’anémie en cas
d’insuffisance cardiaque.
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La physiopathologie de l`insuffisance cardiaque chronique

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