Cours HES-SO - Université de Genève / La supraconductivité

Introduction à la supraconductivité
Louis Antognazza*, Michel Decroux* & Gilles Triscone#
* Ecole de Physique, Département de Physique de la Matière Condensée,
24 quai Ernest-Ansermet, 1211 Genève 4
# Ecole d'Ingénieurs de Genève, 4 rue de la Prairie, 1202 Genève
Ce cours d'introduction à la supraconductivité a été initié par la formation continue de
l'Ecole d'Ingénieurs de Genève (EIG). Suite à une demande d'élargir l'audience de ce
dernier, il a été décidé de faire une collaboration avec la section de Physique de
l'Université de Genève; en particulier avec le Département de Physique de la Matière
Condensée (DPMC). Le but de ce cours est de donner une vue générale sur le
phénomène physique de la supraconductivité et de ses applications. Le traitement
théorique microscopique de l'interaction attractive responsable du phénomène ne peut
être abordé que dans un cadre académique1.
Ce cours d'introduction à la supraconductivité a été initié par la formation continue de
l'Ecole d'Ingénieurs de Genève (EIG). Suite à une demande d'élargir l'audience de ce
dernier, il a été décidé de faire une collaboration avec la section de Physique de
l'Université de Genève; en particulier avec le Département de Physique de la Matière
Condensée (DPMC). Le but de ce cours est de donner une vue générale sur le
phénomène physique de la supraconductivité et de ses applications. Le traitement
théorique microscopique de l'interaction attractive responsable du phénomène ne peut
être abordé que dans un cadre académique1.
1 Pour les personnes que cela intéresse cf e.g. Problèmes à N-corps et champs quantiques, Cours élémentaire, P.A. Martin
et F. Rothen, Presses polytechniques et universitaires romandes, CH-1015 Lausanne, 1990.
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1 Propriétés générales des supraconducteurs
1.1 Historique
La résistivité de certains échantillons chute à des valeurs infiniment petites en dessous
d'une température, appelée température critique Tc, qui dépend du matériau étudié.
Heike Kamerlingh Onnes
Figure originale de la mesure de la résistance
R(T) du mercure; Kamerlingh Onnes (1991).
La supraconductivité a été découverte en 1911 par H.
Kamerlingh Onnes2 à l'Université de Leiden en Hollande.
H. Kamerlingh Onnes observa que la résistance
électrique de certains métaux comme le mercure, le
plomb ou l'étain disparaissait à basses températures; voir
la Figure ci-contre et la partie gauche de la Figure 1-1. H.
Kamerlingh Onnes (Nobel3 Prize in 1913) donna le nom
de supraconductivité à ce nouvel état des propriétés
électroniques de la matière4 et appela température
critique Tc la température en dessous de laquelle la
résistance devenait infiniment petite5. La question relative
à la valeur de la résistance électrique dans cet état a été
investiguée en effectuant des expériences où l'on
induisait dans un anneau des courants supraconducteurs
à l'aide d'un champ magnétique externe; voir Figure 1-2. En effet, la diminution du courant électrique
avec le temps, déterminée à l'aide de la variation du champ magnétique induit, permet de calculer la
résistance. A l'aide d'une mesure de champ des plus sensibles, la résonance magnétique nucléaire, les
scientifiques on conclut qu'il faudrait attendre au moins 105 ans pour qu'une possible diminution soit
détectable !
La conductibilité électrique parfaite de la matière dans l'état supraconducteur a donc été la première
propriété associée à cet état. De fait, cette propriété est banale car si l'on suppose pouvoir obtenir e.g.
un cristal de cuivre parfait, ce qui est impossible étant donné qu'il serait thermodynamiquement instable
(terme associé à l'entropie des défauts), la résistance de ce dernier serait nulle à T=0. La Figure 1-1
(partie droite) montre la dépendance typique d'un métal normal en fonction de la température dans le
cas des limites sales (avec défauts; libre parcours moyen≠∞) et propres (sans défauts; libre parcours
moyen=∞). La conductibilité infinie de l'état supraconducteur n'est donc pas une propriété en soi mais
la conséquence d'une autre beaucoup plus fondamentale: L'effet Meissner !
2 H. Kamerlingh Onnes, Leiden Comm. 120b, 122b, 12ac (1911).
3 http://www.nobel.se/
4 Remarquons tout de même que durant 46 ans, de 1911 à 1957, le phénomène de supraconductivité fut inexpliqué.
5 Suite à cette découverte il s'est avéré que le phénomène de supraconductivité apparaissait dans beaucoup de matériaux
conducteurs comme: Al: 1.19 K, Hg: 4.16 K, In: 3.4 K, Nb: 9.2 K, Pb: 7.2 K, Sn: 3.72 K, Ta: 4.4 K, Tc: 8.0 K, V: 5.3 K, Zn:
0.86 K, etc.
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Figure 1-1: A gauche: résistivité électrique en fonction de la température pour un matériel supraconducteur. A droite:
résistivité électrique en fonction de la température pour un métal contenant des défauts (sale) et parfait (propre). A haute
température R
T (les interactions avec les phonons dominent) et à basse température R
Ro + aT2 + bT5 où Ro est la
résistance résiduelle qui provient des diffusions des électrons sur les impuretés-défauts`(si pas d'imputerés-défauts, Ro
0).
Figure 1-2: Figure schématisant un anneau supraconducteur où circulent des courants supraconducteurs persistants. La
mesure de l'induction magnétique B en fonction du temps permet d'estimer la valeur de conductibilité électrique du
supraconducteur. Si au temps t=0 un courant i(t=0) circule dans un anneau d'induction mutuelle L et de résistance R, le
courant diminue de façon exponentielle avec une constante de temps égale à L/R comme indiqué dans l'équation.
Avant de parler de l'effet Meissner, le fait de disposer d'un câble sans résistance électrique nous amène
immédiatement à la conclusion que le flux magnétique à l'intérieur d'un anneau ne peut changer tant
que l'anneau n'a pas de résistance. La loi de Lenz nous dit que toute variation de flux magnétique à
l'intérieur d'un anneau induit un courant électrique tendant à s'opposer à cette variation; cf e.g.6. Toute
variation de flux φ génère donc une tension induite Vind et on a:
Equation 1-1 dt
di
L Ri
dt
dB
A
dt
d
Vind +==
φ
=
où B est l'induction magnétique et A la surface frontale de l'anneau vue par le champ. Ainsi, dans le cas
où R=0, on a AB + Li=constante; le flux total dans un circuit électrique dépourvu de résistance
ne peut pas changer. Les applications sont nombreuses comme les aimants permanents, les écrans
contre les perturbations magnétiques (l'équivalent d'une cage de Faraday pour les champs électriques),
etc.
6 Physique générale, J. Rossel, Editions du Griffon, 1970, p 415.
Ro
Tc
Supraconducteur Métal "parfait"
ρ
(
.cm)
ρ (.cm)
Métal "sale"
T (K) T (K)
i
Anneau supraconducteur
refroidi en dessous de sa
température critique Tc.
B
t
L
R
e )0t(i)t(i
==
0
dt
di
L i R =+
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Figure 1-3: Figure schématisant le fonctionnement d'un aimant supraconducteur permanent. Une fois le courant circulant
dans le solénoïde a été ajusté à la valeur voulue, l'interrupteur est abaissé et le circuit devient un anneau dépourvu de
résistance où le flux total (AB + Li) ne peut donc pas changer.
1.2 Résistivité en fonctionnement dynamique
Ce n'est pas parce que la résistance est nulle que l'on peut croire que l'on puisse transporter de
l'énergie sans perte ! En effet, le fait d'avoir une résistance nulle implique aucune différence de
potentielle entre les extrémités du câble et donc l'absence de perte ssi7 la valeur du courant est une
constante. Par contre lorsque cette dernière varie, comme c'est le cas pour un courant alternatif par
exemple, il s'avère que des pertes apparaissent. En effet, dans un supraconducteur, les porteurs de
charges sont les "supers électrons" qui se déplacent sans résistance (ne subissent aucune collision
dissipative; libre parcours moyen=) et les électrons normaux qui, eux, se déplacent avec résistance
(subissent des collisions dissipatives; libre parcours moyen≠∞) comme dans un conducteur normal8. La
proportion de ces deux "fluides" à l'intérieur du supraconducteur, qui dépend de la température, est
traitée dans le modèle dit des deux fluides9. A T=0K, on peut quasiment considérer que tous les
électrons participant à la conduction du courant se comportent comme des supers électrons mais
lorsque la température augmente, la proportion de ces derniers diminue au profit des normaux et
devient nulle à Tc où tous les porteurs sont alors normaux. Ainsi, dans le cas particulier où le courant
est constant, il ne doit pas y avoir de champ électrique E dans le supraconducteur car autrement les
supers électrons seraient continûment accélérés et le courant augmenterait infiniment. Si il n'y a pas de
champ électrique, les électrons normaux sont donc au repos. On en conclut que seuls les supers
électrons transportent le courant en régime stationnaire. Par contre, si l'on varie le courant à l'aide d'une
alimentation par exemple, une différence de potentiel évidemment apparaît et le courant augmenterait à
l'infini s'il n'était pas limité par la résistance interne de l'alimentation. On en déduit qu'un champ
électrique existe à l'intérieur du supraconducteur lorsque la valeur du courant change. Ainsi, comme
l'augmentation de courant n'est pas instantanée due à l'inertie de masse des porteurs de charge
supraconducteur, les électrons normaux vont subir une force et se déplacer de façon dissipative. On en
conclut qu'en mode dynamique (non dc), le courant est transporté par les deux types de porteurs de
charge et que le processus est dissipatif. Les propriétés électriques d'un supraconducteur peuvent donc
se représenter comme une inductance parfaite en parallèle avec une résistance.
7 si et seulement si.
8 De fait, c'est l'observation expérimentale de l'apparition de perte en régime dynamique qui a mis en évidence le fait que des
électrons normaux participent à la conduction du courant.
9 voir e.g. Introduction to Superconductivity, M. Tinkham, 1975 McGraw-Hill Inc.
i R
Aimant supraconducteur
permanent
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R
L
Figure 1-4: Schéma électrique équivalent d'un supraconducteur. Il est composé d'une résistance en parallèle avec une self
pure.
Finalement, étant donné que l'état énergétique des supers électrons est plus bas que celui des
électrons dits normaux, il existe une fréquence limite en mode ac (de l'ordre de 100 GHz) où les
photons produits par les accélérations des électrons (Bremsstrahlung) peuvent exciter les supers
électrons et les rendre normaux.
1.3 L'effet Meissner-Ochsenfeld10
1.3.1 Réponse d'un conducteur parfait soumis à un champ magnétique
Comme vu précédemment, le flux magnétique dans un anneau composé d'un conducteur parfait ne
change pas; c'est-à-dire: dB/dt=0. Il en est donc de même à l'intérieur d'un échantillon composé par une
telle matière. Ainsi, lorsque on applique un champ magnétique Ha (créé par une source externe) sur un
échantillon dépourvu de résistance électrique, des courants vont se mettre à circuler à sa périphérie de
sorte à annuler l'induction B en son intérieur (B=µo(H+M); µo est la constante de perméabilité du vide et
M est l'aimantation). La Figure 1-5 montre sur un échantillon de forme ellipsoïdale la réponse de ce
dernier suite à l'application d'un champ externe Ba=µoHa. Les courants de surface engendrent un
champ Bi tel que B=0 en son intérieur. Le profil du champ résultant (addition vectorielle de Ba avec Bi(r))
est donné sur la partie droite de la figure. Remarquer que la réponse diamagnétique de l'échantillon fait
que le champ aux pôles de l'ellipsoïde est plus important que celui appliqué Ba (lignes de flux plus
rapprochées). De même, le champ à l'équateur est nul. Ceci est dû à la réponse de l'échantillon à un
champ externe (l'aimantation M) qui modifie le profil de flux. Ce phénomène est traité dans la littérature
sous la dénomination de "facteur de désaimantation" (ou facteur de reconstruction). Si l'on coupe le
champ magnétique externe, l'échantillon se retrouve dans son état original comme le montre la partie
gauche de la Figure 1-6.
10 Cet effet fut découvert par W. Meissner et R. Ochsenfeld.
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