CAROLINE FRISCO L'ARRET DU DEVELOPPEMENT CHEZ LES LÉPIDOPTÈRES : LA 20-HYDROXYECDYSONE ESTELLE TOUJOURS IMPLIQUÉE? Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en sciences forestières pour l'obtention du grade de maître es sciences (M. Se.) FACULTÉ DE FORESTERIE ET GÉOMATIQUE UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2006 Caroline Frisco, 2006 Résumé Le développement des insectes est régulé par diverses hormones dont les deux principales sont la 20-hydroxyecdysone et l'hormone juvénile. Certains facteurs endogènes ou exogènes comme la diapause et le parasitisme, respectivement, peuvent perturber le développement chez les Lépidoptères. Dans les deux cas, le développement est arrêté soit de façon temporaire dans le cas de la diapause, soit jusqu'à la mort de l'insecte dans le cas du parasitisme. Chez les larves de deuxième stade de la tordeuse des bourgeons de l'épinette, Choristoneura fumiferana (Clem.) (Lepidoptera : Tortricidae), la diapause est caractérisée par la suppression des titres 20-hydroxyecdysone. Toutefois, les titres de cette hormone chez des larves de sixième (dernier) stade de Lacanobia oleracea (Lepidoptera : Noctuidae) parasitées par Eulophus pennicornis (Hymenoptera : Eulophidae), ne sont pas affectés de façon significative par rapport à ceux observés chez des larves de sixième stade non parasitées, malgré un arrêt apparent du développement. 11 Avant-Propos C'est une passion pour l'entomologie, l'amour des bestioles à six pattes qui a débuté dans mon enfance, lorsque je les emprisonnais dans des pots de verre pour mieux les observer, qui m'aura conduite jusqu'aux études graduées, en me donnant l'occasion d'en apprendre beaucoup plus sur ces êtres fascinants. Cette grande aventure aura été semée de bons moments, d'embûches, de casse-tête et de surprises, mais surtout, elle aura contribué à faire de moi une personne plus accomplie scientifiquement et intellectuellement. Évidemment, rien de tout cela n'aurait été possible sans la contribution indispensable de plusieurs personnes. Tout d'abord, j'aimerais exprimer mes plus sincères remerciements au Dr Michel Cusson, mon co-directeur, pour m'avoir fait confiance dès le départ et m'avoir accueillie aussi chaleureusement dans son laboratoire. Merci mille fois Michel pour ta patience, ton professionnalisme et ton toujours très grand optimisme. La porte de ton bureau a toujours été ouverte lorsque j'en ai eu le besoin et je l'ai grandement apprécié tout au long de mon parcours. Je n'aurais pu souhaiter meilleur encadrement pour mes études graduées et j'espère avoir hérité, au moins en partie, de ton amour des sciences et de ta vision très positive des choses. Je remercie aussi mon directeur, le Dr Éric Bauce, pour son implication tout au long du projet et son soutien financier. Merci aux membres de l'équipe du labo, Catherine, Diane et Anic, pour leur aide précieuse autant technique que théorique, moi qui arrivais de loin en ce qui concerne la biologie moléculaire. J'ai eu beaucoup de plaisir à côtoyer les gens de « l'aile de l'entomologie » du CFL, Mariève et Renée, qui sont des amies fantastiques que je souhaite garder très longtemps, et Jacques, Pierre, Mireille et Alain, qui ont su rendre les heures de repas et les pauses tellement plus agréables, sans oublier les anniversaires et les soupers. Je ne peux évidemment passer sous silence l'appui de ma famille et de mes amis, qui ont été présents au cours de cette période. Merci à Steph, Alain, Sandra, dad et particulièrement à toi, mom, pour ton support constant, tant moral que financier, ton amour inconditionnel ainsi 111 que ta très grande écoute. Sans votre aide et vos encouragements, je n'aurais sûrement jamais terminé ce projet. Merci à mes amis qui m'ont supporté et diverti pendant les moments plus difficiles; Karine, Jude, Marie-Line, Annie et Bru : vous êtes les meilleurs. Merci à la Fondation de l'Université Laval, qui a financé une partie du projet, ainsi qu'au Centre de foresterie des Laurentides, pour l'utilisation des infrastructures et du matériel, et ses employés, pour m'avoir inclus dans l'équipe comme un membre à part entière. Un remerciement particulier va à Michèle Bernier-Cardou pour son aide précieuse avec les analyses statistiques. Les résultats présentés au premier chapitre de ce mémoire, seront publiés prochainement dans un numéro spécial de Pest Management Science, sous le titre « Diapause disruption with tebufenozide for early instar control of the spruce budworm, Choristoneura fumiferana », avec Daniel Doucet, Michel Cusson, Éric Bauce, Reddi Palli, Bill Tomkins, Basil Arif et Arthur Retnakaran comme co-auteurs. Aussi, les résultats présentés au deuxième chapitre, ont été acceptés pour fin de publication dans Journal of Insect Physiology, avec John P. Edwards, Howard A. Bell, Neil Audsley, Gay C. Marris, Anne Kirkbride-Smith, Gareth Bryning et Michel Cusson comme co-auteurs. IV Table des matières Résumé i Avant-propos ii Table des matières iv Liste des figures vi Introduction Le développement des insectes Biosynthèse et action des ecdystéroïdes Activité biologique des ecdystéroïdes dans la mue des insectes Contrôle hormonal de la métamorphose Arrêt du développement chez les Lépidoptères Objectifs du projet 1 1 2 6 7 8 11 CHAPITRE 1 TITRES DE 20-HYDROXYECDYSONE LORS DE LA DIAPAUSE CHEZ CHORISTONEURA FUMIFERANA 13 13 Introduction 14 Méthodologie Élevage des insectes Préparation des échantillons Radioimmunoessais Analyse des données 17 17 17 18 20 Résultats Titres de 20E chez les larves non diapausantes Titres de 20E chez les larves diapausantes 21 21 23 Discussion 25 CHAPITRE 2 IMPACT DU PARASITISME PAR EULOPHUS PENNICORNIS SUR LES TITRES DE 20-HYDROXYECDYSONE CHEZ SON HÔTE, LACANOBIA OLERACEA. 31 31 Introduction 32 Méthodologie Élevage des insectes et préparation des échantillons Radioimmunoessais Analyse des données 36 36 36 36 Résultats 37 Discussion 39 Conclusion générale 44 Bibliographie 47 ANNEXE EFFET DU MÉTHOPRÈNE SUR LA PRODUCTION DES PROTÉINES C F D A P CHEZ LES LARVES DE SIXIÈME STADE DE LA TORDEUSE DES BOURGEONS DE L'ÉPINETTE 56 56 VI Liste des figures Figure 1. Développement schématisé d'un Lépidoptère 2 Figure 2. Structures moléculaires des principaux ecdystéroïdes d'insectes et du cholestérol 4 Figure 3. Les différentes formes d'hormones juvéniles présentes chez les Lépidoptères 8 Figure 4. Titres de 20-hydroxyecdysone (20E) après l'éclosion chez la TBE non diapausante, de la fin du premier stade larvaire au début du troisième stade larvaire. Chaque point représente la valeur moyenne de 9 groupes de 2 larves, accompagnée de son écart type 22 Figure 5. Titres de 20-hydroxyecdysone (20E) chez la TBE diapausante du début du premier stade larvaire à la fin du deuxième stade larvaire (sem = semaines et pd = post diapause). Chaque point représente la valeur moyenne de 9 groupes de 2 larves accompagnée de son écart type 24 Figure 6. Titres de 20-hydroxyecdysone (20E) chez les larves de sixième stade de Lacanobia oleracea parasitées ou non par Eulophus pennicornis. Chaque point représente la valeur moyenne de 10 larves (8 larves pour les non parasitées au jour 5) et de 3 mesures par larve 38 Figure 7. Analyse SDS-PAGE des protéines solubles d'hémolymphe de larves de sixième stade larvaire traitées ou non traitées avec 10,0 ug de méthoprène pendant quatre jours. Les protéines provenant de 0,07 ul d'hémolymphe ont été séparées sur gel de polyacrylamide SDS 7,5% et colorées au bleu de Coomassie 59 Introduction Véritables champions de l'évolution, les insectes ont colonisé la grande majorité des niches écologiques disponibles sur Terre. Depuis leur apparition, ils ont traversé plusieurs grands bouleversements auxquels ils ont su s'adapter et à la suite desquels plusieurs espèces ont radié. Cette importante radiation adaptative a été favorisée par plusieurs caractéristiques inhérentes au peuple de ce microcosme : leur très petite taille, leur temps de génération très court, la sophistication de leurs systèmes sensoriel et neuromoteur, les interactions évolutives avec les plantes et les autres organismes, la métamorphose et l'existence d'adultes ailés (Gullan et Cranston, 2000). Le système endocrinien n'a pas échappé à cette évolution et joue le rôle de régulateur d'un bon nombre de processus physiologiques importants chez ces organismes. Les hormones d'insectes, particulièrement les ecdystéroïdes et les hormones juvéniles (JH), ont été les sujets de plusieurs études, et leur rôle central dans la régulation des processus de développement ne fait plus aucun doute (voir Gâde et al., 1997 pour une revue). Le développement des insectes En raison de la présence d'un exosquelette rigide, le développement des arthropodes est caractérisé par l'obligation de muer pour permettre la croissance. Chez les insectes holométaboles, tels les Lépidoptères, la croissance se fait graduellement par une succession de stades larvaires séparés les uns des autres par des mues. À la fin de la période larvaire, toutefois, un changement radical survient et le corps de l'insecte se transforme complètement en une pupe : c'est la métamorphose (Fig. 1). La mue est un processus complexe qui implique des changements hormonaux et comportementaux ainsi que des changements aux niveaux de l'épiderme et de la cuticule (Gullan et Cranston, 2000). La mue se produit en deux étapes principales : l'apolyse et l'ecdysie. À l'apolyse, l'épiderme se sépare de la cuticule du stade précédent. Entre l'apolyse et l'ecdysie, l'insecte « nouveau » est à l'état pharate, caché sous sa vieille cuticule. C'est cette étape, parfois difficile à observer, qui sert à identifier le début et la fin de chaque stade. L'ecdysie est l'étape où l'insecte se débarrasse de son ancienne cuticule, ou exuvie. La métamorphose des Lépidoptères implique un stade pupal, pendant lequel les structures adultes sont élaborées à partir des structures larvaires. Les organes qui fonctionneront chez l'adulte mais qui étaient sous-développés chez les larves croissent à un rythme plus rapide que le reste du corps. Souvent, la pupe est entourée d'une enveloppe protectrice ou d'un cocon. L'émergence hors de la pupe par l'adulte nouvellement transformé se fait à l'aide d'épines abdominales ou d'une projection présente sur la tête. C'est le cerveau qui serait programmé pour déclencher la métamorphose après que l'insecte ait atteint une certaine taille « seuil » (Gullan et Cranston, 2000). éclosion Émerge oeuf ponte pupe adulte Figure 1. Développement schématisé d'un Lépidoptère. Biosynthèse et action des ecdystéroïdes Les ecdystéroïdes sont les hormones de mue des arthropodes (Chang, 1993). L'ecdysone est un stéroïde issu du métabolisme du cholestérol, substance que les insectes sont incapables de synthétiser de novo et qu'ils doivent donc obtenir de leur diète (Clayton, 1964). C'est une hormone stéroïde classique, avec un noyau tétracyclique et la chaîne latérale complète du cholestérol (Fig. 2). Les insectes phytophages doivent donc déalkyler les phytostérols, tandis que les autres espèces obtiennent le cholestérol directement de leur diète (Warren et Hetru, 1990). La voie biosynthétique du cholestérol vers l'ecdysone est complexe. La plupart des intermédiaires impliqués dans cette synthèse ont été identifiés et les réactions enzymatiques correspondantes sont partiellement connues (Gilbert et al., 2002). Chez les larves, les glandes prothoraciques ou leurs homologues (la « ring gland » des Diptères ou la glande ventrale de certains insectes primitifs) sont le site de biosynthèse de l'ecdysone. Les glandes prothoraciques se développent et deviennent fonctionnelles vers la fin de l'embryogenèse, sont actives tout au long de la vie larvaire et dégénèrent chez plusieurs espèces à la mue pupale ou pendant l'ecdysie adulte. Certains autres tissus de l'insecte, comme les cellules épidermiques, pourraient aussi servir de sites de synthèse secondaires des ecdystéroïdes (Delbecque et al., 1990). Zhu et collaborateurs (1983) et Loeb et collaborateurs (1984) ont montré que les ovaires et les testicules produisent des ecdystéroïdes à la fin du stade pupal et au stade adulte, où ces hormones jouent un rôle dans la reproduction. L'ecdysone est une prohormone, sa forme active étant le 20-hydroxyecdysone (20E). La 20E est donc la substance responsable de la mue puisqu'elle seule induit la mue des stades larvaires chez les arthropodes (Gâde et al., 1997). L'ecdysone, libérée par exocytose sous forme de complexe protéine-prohormone, est convertie en 20E par une ecdysone 20-monooxygénase, particulièrement dans les corps gras, les tubes de Malpighi et l'intestin moyen. Il n'y a pas de stockage d'hormones dans les glandes. Certains insectes utilisent des formes différentes d'ecdystéroïdes dans le contrôle du développement. Warren et al. (1988) ont montré que les glandes prothoraciques de Manduca sexta ne libèrent pas d'ecdysone in vitro comme principal ecdystéroïde, mais un mélange de 2-déhydroecdysone et de 3-déhydroecdysone qui sont rapidement converties en ecdysone dans l'hémolymphe, en présence de 3-déhydroecdysone 3(3réductase. Certains insectes, comme les Hétéroptères, les Hyménoptères et les Diptères utilisent la makistérone A comme hormone de mue (Feldlaufer et al., 1986). La makistérone A est utilisée par les insectes phytophages incapables de déalkyler les phytostérols (C28 et C29) pour les convertir en cholestérol (C27). OH OH- J OH OH 20-hydroxyecdysone Ecdysone OH 3-déhydroecdysone Makisterone A 2-déhydroecdysone Cholestérol Figure 2. Structures moléculaires des principaux ecdystéroïdes d'insectes et du cholestérol. L'ecdystéroïdogenèse est stimulée par l'hormone prothoracicotrope (PTTH) qui est produite par une paire de cellules neurosécrétrices du cerveau dont les axones ont cours postérieurement et se terminent dans les corps allâtes (CA), l'organe neurohémal de la PTTH (Gilbert et al., 2002). Sous l'influence de divers stimuli, tels la photopériode et certains facteurs physiologiques, la PTTH, libérée par les CA chez les Lépidoptères, agit comme déclencheur pour que les glandes prothoraciques sécrètent l'ecdysone dans l'hémolymphe. Possiblement, d'autres neuropeptides, comme l'ecdysiotropine (Gelman et Beckage, 1995) et la prothoracicostatine (Tanaka et al., 1999) jouent un rôle dans la régulation des glandes prothoraciques. Chez M. sexta, Bollenbacher et al. (1984) ont observé la présence de deux PTTH différentes, une petite d'environ 7 kDa et une de plus grande taille d'environ 25,5 kDa. Ces deux PTTH ont une structure différente, mais leurs effets biologiques sont similaires. Les PTTH agissent en augmentant les concentrations de l'AMPc intracellulaire, ce qui stimule la stéroïdogenèse (Watson et al., 1993). L'hypothèse actuellement acceptée est que la PTTH stimule l'influx de Ca2+ dans les glandes prothoraciques, ce cation augmentant la formation et l'accumulation d'AMPc. L'AMPc, pour sa part, activerait une protéine kinase AMPc-dépendante responsable d'activer une enzyme (dépendante des taux) de la voie de biosynthèse de l'ecdysone (Gâde et al., 1997). La libération de la PTTH serait régulée par la JH chez les larves de Lépidoptères (Gilbert et Shneiderman, 1959). Les hormones stéroïdes agissent en modifiant la transcription de gènes spécifiques. La 20E entre dans les cellules cibles et migre jusqu'au noyau où elle se lie à une molécule réceptrice, le récepteur d'ecdysone (EcR). Pour agir, le récepteur a besoin de former un hétérodimère avec le produit du gène ultraspiracle (usp) (Thomas et al., 1993). Le complexe EcR/usp et 20E interagit soit avec une séquence palindromique (Cherbas et al., 1991) ou une répétition directe (Antoniewski et al., 1996) dans la région du promoteur d'un gène pour induire de nouveaux transcrits d'ARN (Koolman, 1990). Ces nouveaux transcrits encodent des protéines responsables de changements dans les cellules épidermiques au moment de la sécrétion d'une nouvelle cuticule. L'ecdysone induit aussi la transcription de gènes responsables du processus de métamorphose. La régulation de l'action des ecdystéroïdes se ferait principalement par les niveaux de l'hormone elle- même. En effet, les fluctuations dans les niveaux de récepteur correspondent aux fluctuations des titres d'ecdystéroïdes. Le nombre de récepteurs à tout moment durant le développement serait donc régulé par les titres de l'hormone (Deak et Lauter, 1995). Les ecdystéroïdes de l'hémolymphe peuvent aussi jouer un rôle de régulation de la biosynthèse d'ecdysone à certaines périodes de développement, via la régulation par rétroaction de l'axe de PTTH et via l'action directe sur les glandes productrices d'ecdystéroïdes (Beydon et Lafont, 1983). La JH est aussi reconnue pour moduler les niveaux d'ecdystéroïdes. Activité biologique des ecdystéroïdes dans la mue des insectes Les périodes de mues sont associées à des augmentations significatives des titres d'ecdystéroïdes dans l'hémolymphe. En général, les titres de 20E augmentent avant l'apolyse, atteignent un maximum à l'apolyse et chutent à un niveau très bas ou indétectable à l'ecdysie (Walgraeve et Verhaert, 1988). Le déclin des niveaux d'ecdysone vers la fin de chaque mue semble être essentiel, et c'est peut-être le déclencheur physiologique pour l'ecdysie. Ce déclin rendrait les tissus sensibles à une autre hormone, l'hormone d'éclosion (EH), un neuropeptide (Gullan et Cranston, 2000). L'EH, de concert avec d'autres neuropeptides, agit sur un système nerveux central sensible aux stéroïdes pour amorcer les activités motrices coordonnées associées au rejet de la vieille cuticule. Les ecdystéroïdes agissent donc de concert avec d'autres hormones pour coordonner le processus complexe de la mue, de la digestion partielle de la vieille cuticule à l'apolyse et l'ecdysie, jusqu'à la formation de la nouvelle cuticule. En général, pour les mues larvaires et pupale de M. sexta, il y a un pic d'ecdystéroïdes qui est visible et distinct environ deux jours avant l'ecdysie (Riddiford, 1980). La majorité des Lépidoptères, sauf Bombyx mori (Gu et Chow, 1996), ont deux pics d'ecdystéroïdes au dernier stade larvaire. Chez M. sexta, le premier pic, beaucoup plus faible que le second, semble initier la métamorphose; la larve arrête de se nourrir, quitte la plante hôte, creuse dans le sol et construit son enveloppe pupale (Riddiford, 1980). Une fois ceci accompli, les ecdystéroïdes sont libérés pour permettre la pupaison (Kiguchi et Riddiford, 1978). Les ecdystéroïdes sont aussi présents chez les œufs et seraient associés à la coordination de la mue embryonnaire qui a souvent lieu juste avant l'éclosion. Contrôle hormonal de la métamorphose L'ecdysone est considérée comme l'hormone de la mue des arthropodes, mais la présence d'hormones juvéniles (JH) est essentielle dans la coordination du développement chez les insectes. En effet, les mues sont déclenchées par les ecdystéroïdes, qui contrôlent directement le cycle d'activité des cellules épidermiques, tandis que la nature des mues dépend des JH. Les JH sont présentes en cinq formes chimiques (JH III, JH 0, JH I, JH II et 4-méthyl JH I, Fig. 3) chez les Lépidoptères et agissent apparemment en modulant la transcription de gènes (Glinka et Wyatt, 1996). Chez les larves de Lépidoptères, la JH I et la JH II sont prédominantes et souvent les seules formes détectées pendant la période larvaire. Des titres élevés de JH au cours du développement larvaire assurent le maintien des caractéristiques juvéniles en prévenant l'activation des gènes de métamorphose par l'ecdysone (voir Riddiford, 1994 pour une revue). Les titres de JH demeurent élevés tout au long de la période larvaire et chutent abruptement au dernier stade larvaire pour permettre aux ecdystéroïdes d'induire la transformation larve-adulte (Riddiford, 1994). Les JH sont des sesquiterpénoïdes lipophiles produits et sécrétés dans l'hémolymphe par des glandes endocrines, les corps allâtes, et inhibent l'expression des traits adultes (Cusson et Palli, 2000). Lorsque les titres de JH sont élevés, la mue est larvaire, lorsqu'ils sont faibles la mue est pupale, et finalement lorsqu'ils sont indétectables, la mue est adulte. La JH est donc le plus souvent absente au cours du développement pupal pour permettre le développement complet des tissus adultes. Le principal mécanisme de régulation des titres de JH est via la régulation des taux de biosynthèse. Au moment de la métamorphose, les titres d'ecdystéroïdes ont un effet important — celui de déclencher le processus — car l'organisme est exposé pour la première fois aux ecdystéroïdes en absence de JH (Riddiford, 1980). Au moment du déclenchement de la métamorphose, un facteur additionnel entre en jeu, l'estérase de l'hormone juvénile (JHE). Cette enzyme permet de débarrasser l'hémolymphe de toute trace de JH, condition pré-requise au déclenchement de la métamorphose. Chez M. sexta, il a été démontré que la 20E est un régulateur positif de la synthèse de JH par les corps allâtes chez les larves de dernier stade larvaire engagées dans le processus de pupaison (Whisenton et al., 1985). Il y a d'ailleurs une hausse significative des titres de JH à la toute fin du dernier stade larvaire juste après le pic d'ecdysone. Les titres de JH vont de nouveau augmenter au stade adulte, où l'hormone joue un rôle dans la reproduction. 4-methyl JH-I Figure 3. Les différentes formes d'hormones juvéniles présentes chez les Lépidoptères. Arrêt du développement chez les Lépidoptères Chez les insectes, certains événements peuvent entraîner l'arrêt du développement. C'est ce qui est observé lors de la diapause et, très souvent, chez des insectes parasités au stade larvaire. Dans le cas de la diapause, l'insecte entre dans un état de ralentissement métabolique majeur pour une certaine période, ce qui l'aide à survivre à des conditions environnementales non favorables. Cette adaptation a certainement contribué au grand succès évolutif des insectes, en leur permettant d'exploiter les ressources saisonnières, et de survivre aux hivers difficiles, aux saisons sèches et autres conditions extrêmes. La diapause peut être obligatoire, c'est-à-dire qu'elle fait partie du cycle de vie de l'insecte, qu'elle est programmée génétiquement et se produit peu importe les conditions auxquelles on expose l'insecte. Chez certaines espèces, elle est toutefois facultative, donc optionnelle et induite par des conditions environnementales défavorables. Même lorsqu'elle est obligatoire, l'expression du programme de diapause est typiquement déclenchée par des signaux environnementaux particuliers, tels la photopériode, la température ou l'humidité. La diapause implique un arrêt du développement, des changements physiologiques dynamiques et la reprise du développement, dû ou non au retour de conditions favorables. L'interruption du développement et le ralentissement métabolique ont été observés chez des insectes à diverses phases de développement embryonnaire, différents stades larvaires, chez la pupe, chez les adultes pharates et les adultes. Cependant, pour une espèce donnée, la diapause est restreinte à un seul stade du développement (Denlinger, 2002), bien qu'elle puisse se produire à répétition à l'intérieur d'un même stade. La diapause embryonnaire a généralement lieu avant la maturation des systèmes sensoriel et neuroendocrinien, et les insectes dépendent alors de ressources provenant de la mère pour la régulation de la diapause (Yamashita, 1996). Les études faites jusqu'à présent sur la régulation hormonale de la diapause embryonnaire ont principalement porté sur Bombyx mori, espèce chez laquelle il a été observé que la diapause est induite par l'action de l'hormone de diapause (Hasegawa, 1957), un neuropeptide libéré par le ganglion suboesophagien de la femelle. Chez Lymantria dispar, la diapause a lieu un peu plus tard, lorsque le développement embryonnaire est terminé mais avant que la larve de premier stade n'éclose (larve de premier stade pharate). Cette diapause est maintenue par une augmentation des titres d'ecdystéroïdes et ces mêmes titres doivent chuter pour que le développement puisse reprendre (Lee et Denlinger, 1997). Aux stades larvaire et pupal, la diapause est généralement due à une fermeture de l'axe cerveau-glandes prothoraciques. Cette fermeture serait causée soit par une incapacité du cerveau à produire la PTTH (Richards et Saunders, 1987), soit par l'absence de réponse des glandes prothoraciques à l'action de la PTTH (Meola et Adkisson, 1977). Il y a donc, par conséquent, une baisse importante des titres d'ecdystéroïdes. Chez certains individus ayant des mues stationnaires au cours de la diapause larvaire, les titres de JH restent élevés, ce qui garantit que la mue sera stationnaire et non progressive (Yin et Chippendale, 1979). Finalement, dans les cas où la JO diapause a lieu chez l'adulte, on observe habituellement une absence de la JH (Denlinger, 1985). Cette absence de JH empêche certains processus reproductifs régulés par cette hormone de se produire. Il s'ensuit la cessation de la maturation des œufs, l'atrophie des glandes accessoires, la dégénérescence des muscles du vol et une diminution des accouplements. C'est l'activation des corps allâtes, les glandes sécrétant la JH, qui permet la terminaison de la diapause. Les cas de parasitisme où on observe un arrêt de développement chez le Lépidoptère hôte impliquent le plus souvent des parasites Hyménoptères qui sont connus sous le nom de parasitoïdes. Les parasitoïdes attaquent un grand nombre d'insectes et d'arthropodes en pondant leurs œufs sur (ectoparasitoïdes) ou à l'intérieur (endoparasitoïdes) de leur hôte. Le parasitoïde complète alors une partie de son cycle vital, de l'embryon à la prépupe, en se nourrissant des tissus internes de l'hôte. Afin d'éviter les perturbations que pourraient entraîner la mue ou la métamorphose de l'hôte, le parasitisme cause typiquement l'arrêt du développement de l'insecte parasité, le plus souvent pour empêcher le déclenchement de la métamorphose. Le passage au stade pupal est une entrave à la réussite du parasitisme lorsque le développement larvaire du parasitoïde n'est pas terminé. En effet, la cuticule épaisse et sclérotisée de la pupe, ainsi que le cocon, le cas échéant, serait une entrave à la sortie du parasitoïde. On croit que c'est là une des raisons pour lesquelles les parasitoïdes « larvaires » complètent habituellement leur développement avant la pupaison de leur hôte. La prolongation du stade parasité, ou l'arrêt du développement, peut être réalisée en induisant une augmentation des titres de JH (empêchant la métamorphose) ou une diminution des titres d'ecdystéroïdes (empêchant la mue). Les parasitoïdes réussissent à manipuler les titres hormonaux à l'aide de différents facteurs, tels les polydnavirus (PDV), les tératocytes et le venin. Les PDV sont des virus qui entretiennent une relation symbiotique avec leur hôte Hyménoptère (ichneumonidés ou braconidés) mais qui modifient la physiologie, la croissance et le développement de l'hôte de la guêpe. Les infections par les PDV causent des déficiences immunitaires et des altérations du développement nécessaires au développement et à la survie du parasitoïde (Shelby et Webb, 1999). Les PDV permettraient le maintien de faibles titres d'ecdystéroïdes en causant la dégénérescence des glandes prothoraciques ou la perte de 11 leur capacité à sécréter l'ecdysone (Dover et al., 1987, 1988; Pennacchio et al., 1997, 1998a et b), en inhibant la 20-monooxygénase (Beckage et Templeton, 1986) ou encore en permettant la conversion de la 20E en métabolites inactifs (Pennacchio et al., 1994). Les tératocytes sont des cellules ou de petits amas de cellules qui originent de la dissociation de la membrane sérosale extra-embryonnaire chez certaines espèces de braconidés, trichogrammatidés et de scélionidés. Ces amas de cellules ont des fonctions trophiques, immunosuppressives et sécrétrices (Dahlman et Vinson, 1993). Ils affectent le développement et la survie des hôtes (Strand et al., 1988) et induisent des changements au niveau des titres hormonaux et des facteurs qui affectent ceux-ci chez l'hôte, dont l'estérase de l'hormone juvénile et les ecdystéroïdes (Zhang et al., 1992; Pennachio et al., 1994). Certaines guêpes parasitoïdes injectent un venin dans leur hôte lors de l'oviposition. Des substances régulatrices contenues dans ce venin induisent des changements pathologiques graduels chez l'hôte et qui rendent celui-ci physiologiquement compatible au développement du parasitoïde (Vinson et Iwantsch, 1980; Beckage, 1985). Les symptômes de l'hôte peuvent être la paralysie, la diminution de la consommation de nourriture, la suppression des défenses immunitaires, mais l'effet secondaire le plus marqué est l'interruption du développement (Vinson et Iwantsch, 1980; Lawrence, 1986). L'action du venin de E. pennicornis sur L. oleracea aurait un effet sur les titres d'ecdysone (Marris et al., 1996). Le venin causerait l'arrêt de la mue chez les larves de 5e stade parasitées en empêchant l'augmentation des titres d'eedystéroïdes requis avant la mue. Il a été suggéré que les glandes prothoraciques peuvent être inactivées temporairement à la suite du parasitisme ou de l'injection artificielle de venin (Marris et al., 1999). Objectifs du projet La présente étude avait pour but de mesurer les titres d'eedystéroïdes chez des chenilles qui sont en arrêt de développement, soit en raison d'une entrée en diapause, soit parce qu'elles ont été parasitées. Le premier système étudié, présenté au Chapitre 1, est celui de la tordeuse des bourgeons de l'épinette (TBE), Choristoneura fumiferana (Clem.) 12 (Lepidoptera : Tortricidae). La TBE est un insecte qui passe son deuxième stade larvaire en diapause obligatoire pour favoriser sa survie aux conditions hivernales (limitantes) prévalant dans le nord-est de l'Amérique du Nord. Dans un premier temps il a été possible de mesurer les niveaux d'ecdystéroïdes chez des jeunes larves de TBE d'une souche non diapausante. Dans un deuxième temps, les titres d'ecdystéroïdes ont été évalués à différents moments de la diapause pour mettre en lumière le rôle des ecdystéroïdes dans l'arrêt du développement des larves pendant cette période. Tout en permettant de mieux comprendre cette partie assez méconnue du cycle de vie de la TBE, les résultats obtenus pourraient aussi servir de guide pour le développement de nouvelles méthodes de lutte contre cet important ravageur forestier. Au chapitre 2 sont présentés les résultats obtenus avec le deuxième système étudié, soit celui de Lacanobia oleracea L. (Lepidoptera : Noctuidae) et de son ectoparasitoïde, Eulophus pennicornis Nées (Hymenoptera : Eulophidae). L. oleracea est un insecte polyphage qui cause des dommages économiques importants dans les cultures en serre en Europe et dont les effets du parasitisme par E. pennicornis ont été le sujet de plusieurs études (Marris et Edwards, 1995; Mosson et al., 2000; Richards et Edwards, 2000). E. pennicornis est un ectoparasitoïde grégaire qui injecte un venin à son hôte lors de l'oviposition. Ce venin bloque le développement et la mue chez la larve-hôte (Weaver et al., 1997). E. pennicornis est considéré comme ayant le potentiel d'être un agent de lutte biologique des populations de noctuelles en serre. Il est donc d'intérêt de comprendre les effets du parasitoïde sur son hôte. Afin de mieux comprendre cette relation hôte/parasitoïde, les titres d'ecdystéroïdes ont donc été mesurés chez des larves de dernier stade de L. oleracea parasitées ou non par E. pennicornis. 13 CHAPITRE 1 Titres de 20-hydroxyecdysone lors de la diapause chez Choristoneura fumiferana 14 Introduction Afin de coloniser les niches écologiques qui présentent des conditions environnementales contraignantes, les insectes ont développé des mécanismes adaptatifs leur permettant d'augmenter leur survie. L'un de ces mécanismes est la diapause. Pendant la diapause, la croissance des organismes est arrêtée et leur activité métabolique considérablement réduite. La diapause est un état dynamique pendant lequel surviennent des changements physiologiques qui sont régulés par l'action de plusieurs facteurs environnementaux (Danks, 1978). Les espèces chez lesquelles la diapause est limitée à un seul stade de développement, la température est le principal facteur influençant l'évolution de la diapause. Dans ce cas précis, la diapause requiert une régulation de nature hormonale. Le système neuroendocrinien joue un rôle important dans la transmission des signaux environnementaux à la larve, et donc dans l'initiation et le maintien du programme de diapause. Plusieurs hormones clés régulent la diapause, mais la nature des ces hormones dépend de l'espèce et du stade de développement de l'insecte en diapause (Denlinger, 1985). La régulation de la diapause larvaire a été étudiée chez plusieurs espèces de Lépidoptères (voir Denlinger, 2002 pour une revue). L'inactivation des cellules neurosécrétrices du cerveau serait la cause immédiate de l'initiation de la diapause (Lavenseau et al., 1986). En général, les diapauses pupale et larvaire sont caractérisées par une fermeture de l'axe cerveau-glandes prothoraciques. Le cerveau ne serait pas en mesure de produire l'hormone prothoracicotrope (PTTH) nécessaire à la stimulation des glandes prothoraciques (Richard et Saunders, 1987) ou les glandes échoueraient à répondre à la PTTH, tant et aussi longtemps que l'insecte n'a pas traversé une période suffisamment longue d'exposition à des températures froides (Meola et Adkisson, 1977). Il y aurait conséquemment une baisse importante des titres d'ecdystéroïdes dès le début de la diapause et ceux-ci seraient maintenus bas tout au long de cette période. Un déficit en ecdystéroïdes ne semblent toutefois pas être le seul élément responsable du déclenchement et du maintient de la diapause larvaire. Une augmentation des titres 15 d'hormone juvénile (JH) serait aussi impliquée dans la suppression de l'axe cerveauglandes prothoraciques en empêchant la libération d'ecdystéroïdes nécessaires à l'arrêt de la croissance (Denlinger, 1985). Yin et Chippendale (1979) ont observé ce phénomène chez certaines espèces de Lépidoptères ayant des mues stationnaires lors de la diapause larvaire; les titres de JH restant élevés, les mues ne permettent pas à l'insecte de progresser vers le stade suivant, l'insecte est alors incapable de puper. Les niveaux de JH sont contrôlés en partie par l'estérase de l'hormone juvénile (JHE), qui n'est pas sécrétée chez les larves se préparant à la diapause, ce qui a pour effet de favoriser le maintien de niveaux élevés de JH (Feng et al., 1999). Les niveaux élevés de JH réguleraient les titres d'ecdystéroïdes à la baisse, entraînant ainsi l'arrêt du développement ou la diapause. Chez D. grandiosella, l'ablation des corps allâtes entraîne une baisse des niveaux d'hormones juvéniles, ce qui induit une augmentation des titres d'ecdystéroïdes et entraîne la terminaison de la diapause (Yin et Chippendale, 1979). La tordeuse des bourgeons de l'épinette (TBE), Choristoneura fumiferana Clem. (Lepidoptera : Tortricidae), est un important ravageur forestier, indigène à l'Amérique du Nord. La TBE n'a qu'une seule génération par année, et passe son deuxième stade de développement larvaire en diapause obligatoire (Harvey, 1957). Après Péclosion de l'œuf, la larve de premier stade cherche un site propice à l'hivernation et à la construction de son hibernaculum, habituellement à l'intérieur des cicatrices florales, des lichens arborescents et des interstices des plantes hôtes (sapin baumier et épinettes blanches, noires et rouges). Peu après, la larve mue au deuxième stade et entre en diapause. Cette adaptation permet à l'insecte d'exploiter les courtes saisons de croissance qui suivent les hivers froids et secs de l'écozone de la forêt boréale. La diapause débute habituellement vers la fin de l'été et se termine au printemps suivant (Martineau, 1985) occupant ainsi pratiquement 75% du cycle saisonnier de l'insecte (Han et Bauce, 2000). Strictement parlant, la diapause se termine avant la fin de février, i.e. l'insecte est en mesure, à partir de ce moment, de reprendre son développement si on le transfert dans des conditions environnementales favorables (Régnière, 1990), mais l'insecte demeure en état de quiescence jusqu'au retour de températures plus clémentes. La TBE subit plusieurs changements physiologiques au moment de la diapause : ses réserves de glycérol augmentent, son point de congélation s'abaisse et son contenu en eau diminue (Han et 16 Bauce, 1993). La TBE est intolérante au gel, et la résistance à la dessiccation pendant sa diapause hivernale présente un grand défi en raison de son ratio surface/volume élevé (Han et Bauce, 2000). Si l'écologie et les mécanismes physiologiques impliqués dans la diapause de la TBE ont fait l'objet de travaux récents (voir Han et Bauce, 2000 pour une revue), peu d'études ont été réalisées sur le contrôle hormonal de cette période du cycle de vie de la TBE. Vraisemblablement, les ecdystéroïdes ne sont pas produits au cours de cette période, tel qu'observé chez d'autres espèces ayant une diapause larvaire. Cependant, les diapauses larvaires ont habituellement lieu aux deux derniers stades larvaires ou à l'état pharate du premier stade larvaire, du moins chez les autres espèces de Lépidoptères qui ont fait l'objet d'études à ce sujet (Chippendale, 1977). Par son caractère unique, la diapause à un si jeune stade larvaire chez la TBE s'avère particulièrement intéressante. Cette étude a donc été entreprise dans le but de déterminer si la diapause de la TBE était, elle aussi, associée à une dépression des titres d'ecdystéroïdes. Dans un premier temps, les titres de 20E ont été mesurés par radioimmunoessai chez des larves d'une souche non diapausante de la TBE au cours de leurs trois premiers stades larvaires. Ces mesures ont permis d'estimer les variations des titres de cette hormone en absence de diapause. Dans un deuxième temps, les titres d'ecdystéroïdes chez des larves de la souche diapausante ont été mesurés à différents moments lors de la diapause et comparés aux titres observés chez la souche non diapausante. 17 Méthodologie Élevage des insectes Les œufs et les larves de C. fumiferana utilisés pour cette étude provenaient du Centre de foresterie des Grands Lacs, du Service canadien des forêts (Sault-Sainte-Marie, Ontario). Les TBE de la souche non diapausante ont été reçues sous forme d'oeufs et ont été élevées sur de la diète artificielle (McMorran, 1965) en chambre de croissance, à 25 ± 1,O°C, 60 ± 5,0% h.r., et sous une photopériode 16h :8h (L : N). Les TBE diapausantes ont été reçues à différentes périodes de leur développement : œufs, tout juste après avoir tissé l'hibemaculum, 4, 8, 12, 16, 20 et 24 semaines en diapause et post diapause. Les œufs ont été placés en chambre de croissance aux conditions mentionnées ci-dessus, en présence de coton fromage pour permettre la fabrication de l'hibemaculum. Immédiatement après la construciton de l'hibemaculum et la mue au deuxième stade, les larves étaient placées en chambre de croissance à 18°C ± l,0°C, 60 ± 5,0% h.r., et sous une photopériode 16h :8h (L : N) pour deux semaines; ensuite les insectes diapausants étaient maintenus à 2 ± l,0°C en chambre froide pendant un minimum de 24 semaines pour permettre aux larves de compléter leur diapause. Les larves post-diapausantes ont été élevées en chambre de croissance sur diète artificielle, sous les conditions décrites plus haut pour les larves non diapausantes. Préparation des échantillons Des larves entières ont été utilisées pour les mesures des titres d'ecdystéroïdes. Des tests préliminaires ont permis de déterminer expérimentalement que deux larves par échantillon étaient nécessaires pour obtenir une mesure optimale des titres de 20E. Des échantillons ont été pris chez les larves non diapausantes de 3 à 9 jours après l'éclosion, ce qui comprend la période allant de la fin du premier stade larvaire jusqu'au début du troisième. Chez les larves diapausantes, les échantillons ont été prélevés à différentes périodes couvrant la diapause : 1 jour après l'éclosion, tout juste après la construction de 18 l'hibernaculum, 7 et 14 jours après le transfert à 18°C, 4, 8, 12, 16, 20 et 24 semaines après le transfert à 2°C, et 1, 2 et 3 jours post diapause. À des fins de représentation graphique, ces larves ont été respectivement désignées : 1 jour, 7 jours, 2 sem, 3 sem, 7 sem, 11 sem, 15 sem, 19 sem, 23 sem, 27 sem, jour 1 pd, jour 2 pd et jour 3 pd. Les larves ont été broyées par groupe de deux à l'aide d'un homogénisateur en verre, dans une solution 80% méthanol selon la méthode de Chang (1997). Pour chaque période d'échantillonnage, 9 échantillons de deux larves ont été utilisés. Les larves étaient broyées dans 0,1 ml de méthanol 80% et le broyeur était lavé deux fois avec 0,025 ml de la même solution. Les échantillons ont été centrifugés pour éliminer les tissus, et le surnageant a été récupéré. Les échantillons ont été conservés à -20°C jusqu'à leur utilisation. Juste avant le traitement des échantillons, le solvant fut évaporé des échantillons à l'aide d'un système de centrifugation sous vide. Radioimmunoessais Les titres d'ecdystéroïdes ont été mesurés à l'aide de la technique du radioimmunoessai (RIA) modifié de Borst et O'Connor (1972), Chang et O'Connor (1979) et Chang (1997). Des tubes de culture jetables (# Cat 14-958-A) de 6 x 50 mm (Fisher Scientific) ont été utilisés tout au long de ces analyses. L'antisérum antiecdysone 2A utilisé a été produit par le Dr. Walter E. Bollenbacher (Univ. of North Carolina, Chapel Hill) et distribué par le Dr E.S. Chang (Bodega Marine Laboratory, Bodega Bay, CA). Bien que cet anticorps soit très efficace pour détecter le 20E, cette hormone n'est pas le compétiteur ecdystéroïdien le plus efficace (50% de compétition à 125 pg de 25-déoxyecdysone, 150 pg de 3-déhydroecdysone, 175 pg d'ecdysone et 600 pg de 20E). Une courbe standard a été générée à chaque prise de données, en ajoutant à une série de tubes des quantités connues de 20E (Sigma). Les concentrations utilisées étaient de 0, 25, 50, 125, 250, 500, 1000, 2000 et 4000 pg. Ces concentrations ont été obtenues par dilutions d'une solution stock de 50 ng/ml de 20E. La concentration de la solution stock était déterminée par spectrophotométrie à 242 nm. Les solvants des tubes standards ont été évaporés par centrifugation sous vide. Un blanc, ne contenant pas de 20E, a été 19 ajouté à la série pour la mesure du bruit de fond. Toutes les mesures ont été faites en triplicata. Les tubes contenant les quantités connues de 20E, les témoins et les échantillons expérimentaux ont ensuite reçu 0,1 ml de tampon borate (0,1 M d'acide borique, 0,1 M de tétraborate de sodium, 0,075 M de NaCl, pH 8,4) contenant approximativement 24 000 dpm de 3H-ecdysone (New England Nuclear). Puis, 0,1 ml d'une solution d'antisérum à 0,05% dans le tampon borate a été ajouté aux tubes pour l'obtention d'une concentration finale de 0,025% d'antisérum. Une concentration finale de sérum total de 6% était maintenue par l'ajout d'un volume approprié de sérum pré-immun de lapin aux dilutions d'antisérum (facilitent la formation d'un culot). Les tubes témoins ont reçu 0,1 ml d'une solution de sérum de lapin 6% dans le tampon borate. Les contenus des tubes ont tous été bien mélangés avant d'être incubés à 4°C durant la nuit. Après l'incubation, les tubes ont été placés sur glace et gardés ainsi durant toutes les étapes subséquentes. L'incubation a été terminée par l'ajout de 0,2 ml de sulfate d'ammonium saturé froid au complexe anticorps-haptène suivi d'une incubation de 20 minutes pour favoriser la précipitation du complexe. Les échantillons ont ensuite été centrifugés pendant 20 minutes à 4000 rpm, 4°C, et le surnageant a été éliminé par aspiration sous vide. Les culots ont été lavés avec 0,4 ml de sulfate d'ammonium saturé à 50% et centrifugés pendant 30 minutes à 4000 rpm, 4°C. Les surnageants ont aussi été éliminés par aspiration vacuum. Les culots ont finalement été resuspendus dans 0,025 ml d'eau distillée, suivi d'un ajout de 0,5 ml de liquide à scintillation Ready Safe™ (Beckman Coulter). Les échantillons ont été placés dans des tubes à scintillation en plastique de 7 ml (Fisher) pour permettre le comptage dans un compteur à scintillation liquide (Beckman LS 6000SC). 20 Analyse des données Les données de chacune des courbes standards ont été ajustées à un modèle de prédiction développé par le Dr Jacques Régnière, Centre de foresterie des Laurentides, Service canadien des forêts, Qc. Le modèle est basé sur l'équation suivante : où x est logarithmique et y = a est le maximum de la fonction, et y I—»• d est le minimum de la fonction. Ce modèle de régression non linéaire a permis d'ajuster, à l'aide de la procédure NLIN de SAS/STAT (SAS Institute, 1990), les résultats prédits aux résultats observés par un processus itératif, en maximisant la valeur de r2 et en minimisant l'erreur. Une fois le modèle ajusté aux données de la courbe standard, il a été possible de connaître les valeurs de x, c'est-à-dire les valeurs en pg de 20E contenu dans les échantillons testés, en isolant x dans l'équation obtenue. Les données obtenues pour les TBE non diapausantes ont été analysées à l'aide de la procédure MIXED de SAS/STAT. Les données ont été traitées avec une ANCOVA en utilisant les jours comme effet principal. Une transformation log x +1 de ces données a été utilisée afin de stabiliser la variance et normaliser les résidus. 21 Résultats Titres de 20E chez les larves non diapausantes Le patron des titres de 20E mesurés par RIA chez la souche non diapausante de la TBE montre une augmentation lors des mues (Fig. 4). Les mues se produisent entre les jours 4 et 5, pour la mue du premier au deuxième stade larvaire, et entre les jours 8 et 9, pour la mue du deuxième au troisième stade larvaire. Le passage des larves au stade suivant a été déterminé visuellement par évaluation de la taille de la capsule céphalique des larves, celle-ci augmentant de façon significative après chaque mue. Les titres de 20E sont nettement plus élevés avant la mue du deuxième au troisième stade qu'avant la mue précédente, soit de 338 ± 262 pg de 20E contre 51 ± 34 pg de 20E par larve pour la mue du premier au deuxième stade. Les titres de 20E diminuent entre les mues pour retomber à des niveaux très bas, ce qui est visible au jour 6, où les titres étaient seulement de 16 ± 28 pg par larve. Les analyses statistiques ont montré un faible effet de jour (p = 0,0344), ce qui signifie que les augmentations des titres de 20E lors des mues sont significatives. Ces effets sont particulièrement marqués aux jours 7 et 8. 22 Jour 3 Jour 4 i.i Jour 5 Jour 6 1,2 Jour 7 Jour 8 Jour 9 1.3 Figure 4. Titres de 20-hydroxyecdysone (20E) après l'éclosion chez la TBE non diapausante, de la fin du premier stade larvaire au début du troisième stade larvaire. Chaque point représente la valeur moyenne de 9 groupes de 2 larves, accompagnée de son écart type. 23 Titres de 20E chez les larves diapausantes Les titres de 20E ont été mesurés à différents moments au court de la période allant de l'éclosion de l'œuf à la fin de la diapause chez la souche diapausante de la TBE. Les titres mesurés au cours de cette période se situent tous sous la barre des 200 pg de 20E par larve (Fig. 5). Le titre le plus élevé se situe au jour 1, à 156 ± 107 pg de 20E par larve. Ce jour correspond au premier jour du premier stade larvaire, juste avant la mue au deuxième stade, qui se produit plus tôt chez les larves de la souche diapausante que chez celles de la souche non-diapausante. Malgré les hausses apparentes des titres de 20E à 3 et 15 semaines, soit à 77 ± 97 et à 63 ± 56 pg par larve respectivement, ces valeurs ne sont pas significativement différentes de celles mesurées aux autres périodes ayant des titres moyens sous la valeur de 35 pg par larve pour toutes les autres périodes analysées. Les analyses statistiques par ANCOVA n'ont montré aucune valeur significative pour l'effet mesuré, soit aucun effet de jours ( p > 0,05). Les titres de 20E ne subissent donc pas de variations importantes pendant la diapause et sont plus bas que chez des L2 de la souche non-diapausante. 24 400 S' •" y </ y tf"y y >* \N 1,2 Figure 5. Titres de 20-hydroxyecdysone (20E) chez la TBE diapausante du début du premier stade larvaire à la fin du deuxième stade larvaire (sem = semaines et pd = post diapause). Chaque point représente la valeur moyenne de 9 groupes de 2 larves accompagnée de son écart type. Discussion Les titres de 20E ont été déterminés par RIA au deuxième stade larvaire chez les souches diapausantes et non diapausantes de la TBE pour examiner le rôle possible de cette hormone dans l'induction et le maintien de la diapause. Le patron des niveaux de 20E chez la souche non diapausante montre une augmentation des titres peu de temps avant la mue au troisième stade larvaire, qui se produit entre le jour 8 et le jour 9 (Fig. 4). Ce patron est similaire à ceux observés chez Manduca sexta (Riddiford, 1980) et chez Bombyx mori (Kiguchi et Agui, 1981), d'un stade larvaire à un autre. Les titres de 20E augmentent à l'apolyse pour ensuite redescendre à l'ecdysie, patron qui est plus clair lorsque les titres sont mesurés aux 6 heures plutôt qu'aux 24 heures, comme dans la présente étude (Kiguchi et Agui, 1981). Ce patron est en accord avec le rôle connu du 20E dans le contrôle des mues larvaires. Chez les larves diapausantes de TBE, les titres de 20E mesurés par RIA sont faibles tout au long du deuxième stade larvaire, c'est-à-dire tout au long de la période diapausante chez cette espèce (Fig. 5). Les valeurs, en pg de 20E par larve, ne sont pas significativement différentes les unes des autres et sont similaires aux valeurs observées entre les périodes de mue, avant l'apolyse, chez la souche non diapausante (Fig. 4, jour 6). Ces résultats sont en accord avec ceux obtenus pour Pieris brassicae (Chippendale, 1983), espèce chez laquelle on observe une diapause au dernier stade larvaire; une comparaison des titres de 20E chez des larves diapausantes et non-diapausantes de cette espèce donne des résultats comparables à ceux présentés ici. Les résultats présentés ici appuient donc l'hypothèse selon laquelle l'arrêt du développement lors de la diapause de la TBE est associé à une dépression des titres de 20E, tel que généralement observée pour les espèces de Lépidoptères ayant une diapause larvaire. Une autre espèce de tortricidé de l'ouest de l'Amérique du Nord, Choristoneura Hennis, passe par deux diapauses dans son cycle de développement (aux deuxième et quatrième stades larvaires); 26 il serait intéressant de mesurer les titres de 20E au cours de ces deux diapauses pour vérifier si, dans les deux cas, la diapause est associée à de faibles titres d'ecdysteroïdes. Les mesures de 20E faites chez les larves diapausantes comme chez les larves non diapausantes montrent une grande variabilité, tel qu'il est possible de le constater par la taille des écart-types aux Figures 4 et 5. Cette grande variabilité s'explique en partie par la nécessité de sacrifier les insectes utilisés à chaque mesure, ce qui nous empêche de suivre un même individu sur une longue période. La variabilité entre les individus étant importante, il s'ensuit une différence de production d'ecdysteroïdes d'un individu à l'autre à une période donnée. Il serait préférable de faire des analyses sur un même individu couvrant la totalité de la période voulue, ce qui est impossible vu la taille des larves et les méthodes d'analyse disponibles. La façon dont les résultats sont exprimés, c'est-à-dire en pg par larve plutôt qu'en poids absolu, pourrait aussi expliquer, en partie, la grande variabilité observée. Le rôle central que semblent jouer les ecdystéroïdes dans la régulation des diapauses larvaire et pupale démontre que les gènes régulés par cette hormone peuvent aussi être critiques dans la coordination de la diapause. Des études faites par Rinehart et collaborateurs (2001) ont démontré que les titres d'ecdysteroïdes sont élevés chez le Diptère Sarcophaga crassipalpis juste avant la pupaison et, à ce même moment, les gènes du récepteur de l'ecdysone (EcR) et de l'ultraspiracle (usp) sont fortement exprimés. Au début de la diapause, les titres d'ecdysteroïdes chutent et restent à de très faibles niveaux tout au long de la diapause, mais l'expression du gène EcR persiste. Par contre, l'expression du gène usp décline graduellement dès le début de la diapause avant de réapparaître vers la fin de la diapause, suggérant que ce gène joue un rôle dans la terminaison de la diapause chez cette espèce. Le gène EcR est aussi présent tout au long de la diapause chez Chironomus tentans (Imhor et al., 1993) mais pas chez M. sexta (Fujirawa et al., 1995). L'expression des gènes EcR et usp a aussi été mesurée chez C. fumiferana par Palli et collaborateurs (2001). Ces gènes sont exprimés tout au long de la diapause, mais les facteurs de transcription induits par l'ecdysone, le récepteur d'hormone 75 (CHR75A et CHR75B) et le récepteur d'hormone 3 (CHR3) sont absents 27 lors de la diapause et ne réapparaissent que lorsque la diapause est terminée. Donc, ces observations suggèrent que toute la machinerie est en place pour la réponse à l'ecdysone au cours de la diapause et que seule l'hormone est absente, ce qui est confirmé par les mesures présentées à la Fig. 5. La dépression des titres d'ecdystéroïdes pendant la diapause semble être associée à une production réduite de PTTH ou à un échec des glandes prothoraciques à répondre à la PTTH. Cependant, Gelman et collaborateurs (1992) ont observé, chez O. nubilalis, que la PTTH continue à être synthétisée au cours de la diapause, sans toutefois être libérée, tel qu'aussi observé chez Diatrea grandiosella. La TBE ayant, elle aussi, une diapause larvaire, il serait intéressant de vérifier si la libération de PTTH est bloquée comme c'est le cas chez O, nubilalis et D. grandiosella. Il n'existe présentement pas de données sur les titres de JH au cours de la diapause chez la TBE. Vu l'importance que joue cette hormone dans la diapause larvaire chez d'autres espèces de Lépidoptères, il est fort probable qu'elle joue aussi un rôle important dans la diapause de la TBE. En effet, chez le Pyralidé Omphisa fuscidentalis, une application de S-methoprène, un analogue de l'hormone juvénile (JHA), a causé la terminaison de la diapause (Singtripop et al., 2000). Le JHA agirait en stimulant les glandes prothoraciques de la larve. Ces résultats suggèrent que l'absence d'hormone juvénile est nécessaire au développement de la diapause chez cette espèce. Plusieurs études faites chez D. grandiosella montrent que l'hormone juvénile est un régulateur important de la diapause chez cette espèce. Contrairement à O. fuscidentalis, chez D. grandiosella ce sont des titres élevés de JH au cours des premiers stades de la diapause qui coordonneraient le développement de la diapause (Yin et Chippendale, 1979). Les larves diapausantes de cette espèce maintiennent des titres élevés de JH dans leur hémolymphe contrairement aux larves de la souche non diapausante (Chippendale, 1978). De plus, le traitement des larves non diapausantes par un analogue de la JH a permis d'observer certains des traits comportementaux des larves se préparant à la diapause. La présence d'hormone juvénile stimule la synthèse de protéines solubles associées à la diapause chez les larves pré-diapausantes, ce qui n'est pas observé chez les larves non diapausantes de cette espèce (Turunen et Chippendale, 1980). Chez O. nubilalis, il a été démontré que la JH est absente tout au long de la diapause, mais qu'elle n'en influence pas la terminaison 28 (Bean et Beck, 1980). Chez C. fumiferana, de faibles titres de JH chez les larves prédiapausantes seraient aussi nécessaires pour permettre le développement de la diapause. Chez cette espèce, deux protéines (Ç/DAP 1 et Ç/DAP 2 pour Choristoneura fumiferana diapause-associated proteins 1 et 2) sont produites juste avant la diapause et la pupaison (Palli et al., 1998). Ces protéines sont associées à l'initiation de périodes durant lesquelles la larve ne se nourrit pas, et agiraient à titre de réserves d'acides aminés. Il a été démontré par nos travaux que les larves de sixième stade larvaire de C. fumiferana se préparant à la pupaison ne produisaient que très peu de la protéine Ç/DAP 1 lorsque traitées avec un analogue de l'hormone juvénile, le méthoprène (Annexe 1). Ces résultats suggèrent que les titres de JH doivent aussi être faibles chez les larves pré-diapausantes pour permettre la production de la protéine Ç/DAP 1. Ces résultats diffèrent de ceux obtenus pour D. grandiosella, chez laquelle des protéines DAP s'accumulent dans les corps gras de l'insecte en réponse à des titres élevés de JH (Turunen et Chippendale, 1979). Des tests mesurant l'activité de l'estérase de l'hormone juvénile ont été faits dans le but de mesurer l'activité de cette enzyme chez les larves de fin de premier stade de TBE diapausantes (données non publiées). Ces tests n'ont montré aucune différence entre les larves de premiers stades de la souche diapausante et de la souche non diapausante, suggérant que l'activité de la JHE est presque nulle à cette période du développement. Des mesures semblables faites chez les larves de sixième stade larvaire de la TBE, où l'activité de la JHE est élevée, montrent une différence nette avec les mesures prises chez les larves de premier stade. Ces résultats peuvent suggérer la faible présence de la JH juste avant l'entrée en diapause de la TBE, la régulation par activité estérasique n'étant donc pas requise. Le rôle de la JH dans l'initiation et le maintien de la diapause larvaire semble différer d'une espèce à l'autre. Il serait donc intéressant de connaître les titres de cette hormone tout au long de la diapause chez C. fumiferana afin d'obtenir plus d'informations sur le rôle de la JH dans la diapause de cette espèce. Les résultats de la présente étude s'ajoutent aux connaissances existantes sur une phase très importante, en termes de durée et de processus physiologiques impliqués, mais encore mal connue du cycle de vie d'un insecte considéré comme étant le plus important ravageur forestier dans l'est de l'Amérique du Nord. Les études sur le système 29 endocrinien permettent d'évaluer les perturbations susceptibles d'affecter le développement normal des ravageurs et d'exploiter ces faiblesses pour développer de nouveaux outils de lutte intégrée des ravageurs. Jusqu'à maintenant, plusieurs analogues de la JH sont connus et certains ont été commercialisés à titre d'insecticides (Cusson et Palli, 2000). Les succès n'ont pas toujours été ceux escomptés, mais ce domaine de recherche est en perpétuelle évolution. Du côté des ecdystéroïdes, peu d'analogues ont été développés. Les produits développés et commercialisés les mieux connus sont des agonistes non-stéroïdaux, le RH-5849 et le RH-5992 (tébufénozide). Les travaux faits sur le RH-5849 et le RH-5992 ont montré que ces produits sont létaux chez Acherontia atropos et Lacanobia oleracea à 1 et 10 ppm, respectivement (Blackford et Dinan, 1997). Le RH-5992 cause des mues précoces chez les larves de C. fumiferana (Retnakan et Oberlander, 1993) et M. sexta (Wing et al., 1988). Retnakaran et collaborateurs (1997) ont démontré que le traitement d'un peuplement d'épinettes blanches à raison de 70 g/ha de RH-5992 entraîne une diminution de 100% de la survie larvaire. Ce produit a des effets similaires au 20E; il se lie au complexe EcR-usp et régule l'expression d'une série de gènes qui contrôlent le processus de mue. Le RH-5992 a aussi des effets sur les adultes de C. fumiferana, chez lesquels le traitement des pupes avec cet agoniste cause des difformités des ailes et réduit le potentiel reproducteur et d'oviposition (Sundaram et al., 2002). Le traitement au RH-5992 des pupes de C. fumiferana a augmenté, de façon dépendante de la dose, l'induction du CHR3, suggérant que le produit agit de façon similaire chez les pupes et les larves. Les agonistes non-stéroïdaux de l'ecdysone échappent plus facilement à la dégradation et à l'excrétion que les hormones stéroïdes naturelles, ce qui permet la persistance de ces produits chez les insectes (Blackford et Dinan, 1997). Cette persistance accroît l'efficacité des agonistes non-stéroïdaux par rapport aux produits naturels tels les ecdystéroïdes (agoniste) et les cucurbitacines (antagoniste), qui sont rapidement éliminés par le système excréteur de l'insecte (Blackford et Dinan, 1997). Les résultats prometteurs sur l'utilisation d'agonistes d'ecdystéroïdes dans le contrôle de populations d'insectes ravageurs montrent que les études sur le système endocrinien et ses perturbations ont une importance capitale dans une perspective de gestion intégrée. Les résultats obtenus au cours de la présente étude montrent que l'utilisation de tels produits au cours de la diapause de la TBE pourrait 30 grandement perturber le développement et mener à une baisse importante des populations de ce ravageur. L'application d'agonistes non-stéroïdaux à la fin de la saison estivale pourrait donc entraîner une mue chez les larves de deuxième stade en diapause, ce qui causerait l'arrêt de la diapause et vraisemblablement la mort des insectes au cours de l'hiver. Il serait donc possible de faire un arrosage d'un produit tel que le RH-5992 à l'automne, lorsque les larves de TBE ont commencé leur diapause. 31 CHAPITRE 2 Impact du parasitisme par Eulophus pennicornis sur les titres de 20-hydroxyecdysone chez son hôte, Lacanobia oleracea 32 Introduction Lacanobia oleracea (Lepidoptera : Noctuidea), un ravageur des cultures de tomates de serre de l'Europe, a connu une recrudescence de ses activités dévastatrices à la suite de la réduction importante de l'utilisation de méthodes chimiques pour lutter contre les insectes ravageurs. Les dernières années ayant été marquées par la montée du développement d'outils de lutte biologique pour contrôler les populations d'espèces indésirables, l'intérêt pour Eulophus pennicornis (Hymenoptera : Eulophidae), une guêpe ectoparasitoïde attaquant les stades immatures de L. oleracea, s'est grandement accru. Cet ectoparasitoïde a un taux de développement pré-adulte rapide et cause, en conditions naturelles, un certain degré de mortalité chez les populations de Lépidoptères ravageurs, ce qui en fait un agent de lutte biologique potentiel (van de Veire, 1993). Les parasitoïdes konobiontes, qui ont besoin que la larve de l'hôte survive pour un certain temps après l'attaque, vont induire une variété de changements pathologiques graduels chez l'hôte avant que ce dernier ne succombe. Les guêpes produisent ces changements à l'aide de substances régulatrices qu'elles introduisent chez l'hôte à l'oviposition, afin de le rendre compatible physiologiquement avec les besoins de sa propre progéniture (Vinson et Iwantsch, 1980; Beckage, 1985). La consommation de nourriture et le développement peuvent être sévèrement inhibés, et plusieurs hôtes montrent un arrêt du développement de leurs stades larvaires (Iwantsch et Smilowitz, 1975; Vinson et Barras, 1970). L'arrêt du développement, dans le but de retarder ou de prévenir les mues ou la pupaison, peut être le résultat d'une augmentation des titres d'hormone juvénile (JH) au dernier stade larvaire (pour bloquer la métamorphose) ou d'une inhibition de la hausse des titres de 20-hydroxyecdysone (20E) avant les mues. Dans la grande majorité des systèmes hôte-parasitoïde étudiés, un changement dans les titres de l'une ou de ces deux hormones a été observé. Chez des larves de Manduca sexta parasitées par Cotesia congregata, un polydnavirus (PDV) introduit à l'intérieur de l'hôte par la guêpe au moment de l'oviposition cause l'augmentation des titres de JH et la chute des titres de 20E, ce qui entraîne un blocage de la métamorphose de M, sexta (Beckage et Riddiford, 33 1982). Dans ce système, le maintien de faibles titres de 20E au moment où la mue devrait normalement se produire est relié à une baisse de l'activité de l'ecdysone 20monooxygénase, ce qui empêche la conversion efficace de la prohormone ecdysone en 20E (Beckage et Templeton, 1986). Chez des larves de Pseudaletia separata parasitées par Apanteles kariyai, la sécrétion et/ou la synthèse de l'hormone prothoracicotrope (PTTH), produite par le cerveau et libérée par les corps allâtes (CA), comme chez les autres Lépidoptères, est affectée par le parasitisme, ce qui cause un délai de la pupaison dû au maintien de titres d'ecdystéroïdes faibles (Tanaka et al., 1987). La diminution des fonctions des glandes prothoraciques a aussi été observée chez des larves à'Heliothis virescens parasitées par Cardiochiles nigriceps (Tanaka et Vinson, 1991). L'inhibition de la métamorphose de larves de Choristoneura fumiferana parasitées par Tranosema rostrale serait causée par un PDV qui bloque l'augmentation des titres de 20E dans l'hémolymphe de l'hôte et diminue l'activité de l'estérase de l'hormone juvénile (JHE) (Cusson et al., 2000). L'activité de la JHE est aussi réduite chez des larves de H. virescens parasitées par C. nigriceps, mais cette baisse serait plutôt causée par l'action des tératocytes (Zhang et al., 1992). Par contre, chez des larves de Trichoplusia ni parasitées par Euplectrus plathypenae, le blocage de la mue est indépendant des titres de 20E et de JH. Des facteurs non-paralysants provenant du parasitoïde affectent les tissus épidermiques de l'abdomen et du thorax; la cuticule et les tissus de l'épiderme ne présentent aucun signe d'apolyse ou d'ecdysie (Coudron et al., 1990). La majorité des études antérieures consacrées aux manipulations hormonales exercées par des parasitoïdes sur leurs hôtes concernent les endoparasitoïdes; peu de ces études concernent les ectoparasitoïdes. E. pennicornis pond ses œufs sur les membranes intersegmentaires (où la cuticule est plus mince) de ses hôtes, et les larves se nourrissent en utilisant leurs pièces buccales pour faire un trou dans la cuticule et sucer l'hémolymphe (Marris et Edwards, 1995). Une caractéristique clé de ce processus est que les larves se nourrissent pendant dix jours et que l'alimentation ne semble pas être compromise par la guérison de l'hôte et la coagulation de l'hémolymphe (Cherbas, 1973; Bohn, 1977). E. pennicornis attaque particulièrement les larves de cinquième et sixième (dernier) stades de L. oleracea (Marris et Edwards, 1995) et injecte un venin non-létal à 34 son hôte au moment de l'oviposition. Le parasitisme des stades pénultième ou ultime confère un avantage nutritionnel au parasitoïde car l'hôte est à son poids maximal et il contient une quantité appréciable de protéines de stockage en vue de la métamorphose (Edwards et al., 2001). Même les parasitoïdes qui attaquent les jeunes stades retardent souvent leur propre développement pour avoir le taux de croissance maximal aux derniers stades de l'hôte. Les larves de cinquième stade de L. oleracea parasitées par E. pennicornis ne croissent plus, ne subissent aucune mue et meurent éventuellement (Marris et Edwards, 1995; Marris et al., 1996). Le parasitisme de E. pennicornis sur L. oleracea cause la suppression de la phagocytose et de la reconnaissance du non-soi par les hémocytes (Richards et Edwards, 2000). Les sécrétions produites par les larves de E. pennicornis contiennent un facteur anti-hémocyte qui peut tuer et/ou changer le comportement des hémocytes de l'hôte (Richards et Edwards, 2002), lesquels montrent une viabilité et une morphologie grandement affectées (Richards et Edwards, 1999). Le parasitisme est aussi associé à la présence d'une protéine d'environ 27 kDa dans le plasma de l'hôte qui serait synthétisée et introduite par la larve de E. pennicornis (Richards et Edwards, 1999). Les effets décrits précédemment sont causés uniquement par la présence de larves de E. pennicornis sur son hôte, mais le venin injecté par la femelle de cette espèce semble jouer un rôle prépondérant dans la régulation hormonale de l'hôte. Les larves de cinquième stade de L. oleracea saines montrent un pic d'ecdystéroïdes dans l'hémolymphe deux jours après la mue au cinquième stade, tandis que chez les larves parasitées par E. pennicornis, ce pic serait déplacé dans le temps, arrivant trois jours plus tard (Weaver et al., 1997). Cette interruption serait causée par un composant du venin de la guêpe femelle, et non par les larves du parasitoïde, ce qui a été démontré en injectant artificiellement du venin chez des larves de L. oleracea (Marris et al., 1996). Donc, le venin cause l'arrêt de la mue en prévenant l'augmentation des titres d'ecdystéroïdes, lesquels sont requis pour la mue. Il a été suggéré que les glandes prothoraciques peuvent être inactivées temporairement à la suite du parasitisme ou à l'injection artificielle de venin (Marris et al., 1999). Contrairement aux résultats obtenus avec des glandes prothoraciques isolées de larves de L. oleracea saines, des glandes prothoraciques isolées de larves de L. oleracea 48h après 35 que celles-ci aient été parasitées par E. pennicornis ne produisent pas d'ecdystéroïdes de façon mesurable et ne répondent pas à la forskoline (Marris et al., 2001), un produit qui imite l'action de la PTTH sur les glandes prothoraciques (Pennachio et al., 1998a). Considérant à la fois les observations sur les titres d'ecdystéroïdes de larves de cinquième stade de L, oleracea parasitées par E. pennicornis et la préférence de cette guêpe pour les larves de sixième stade (Marris et Edwards, 1995), il semblait d'intérêt de vérifier les effets du parasitisme sur les titres d'ecdystéroïdes chez les larves parasitées au début du sixième stade. Les larves parasitées au dernier stade larvaire montrent aussi un arrêt du développement qui est caractérisé par l'inhibition de la métamorphose, ce qui suggère que le parasitisme empêche aussi l'élévation des titres d'ecdystéroïdes requis pour déclencher le processus de la métamorphose. Des larves de sixième stade saines, ou parasitées par E. pennicornis dès le premier jour suivant la mue au sixième stade, ont été utilisées pour vérifier cette hypothèse. Les titres de 20E de l'hémolymphe ont donc été mesurés et comparés chez ces deux groupes de larves par la méthode du radioimmunoessai, à chaque jour du sixième stade. 36 Méthodologie Elevage des insectes et préparation des échantillons Les échantillons d'hémolymphe utilisés pour les radioimmunoessais ont été obtenus du Dr Howard A. Bell, Central Science Laboratory, Department for Environment, Food and Rural Affairs, York, R.U. Les échantillons provenaient de larves de L. oleracea parasitées par E. pennicornis entre 0 et 12 heures après la mue au sixième stade ainsi que de larves saines d'âges équivalents. L'hémolymphe a été prélevée chez 10 larves de chaque groupe à toutes les 24 heures pendant le sixième stade, sauf chez les non parasitées au jour 5 où l'hémolymphe n'a été prélevé que chez 8 larves, et ce, jusqu'à la métamorphose des larves non parasitées ou la mort des larves parasitées. Les larves ont été élevées à 25°C. Le succès du parasitisme a été vérifié par l'observation d'œufs à la surface de la cuticule des larves de L. oleracea. Un volume de 5 ul d'hémolymphe a été prélevé de chaque larve et transféré dans un tube microfuge en présence de 45 |il de méthanol. Les échantillons ont été centrifugés pour éliminer les tissus, et le surnageant a été récupéré. Les échantillons reçus ont été conservés à -80°C jusqu'à leur utilisation. Juste avant l'utilisation des échantillons, les solvants ont été évaporés des échantillons à l'aide d'un système de centrifugation sous vide. Radioimmunoessais La technique du radioimmunoessai a été présentée au chapitre 1. Analyse des données Les données de chacune des courbes standard ont été ajustées au modèle de prédiction présenté au chapitre 1. 37 Les données obtenues ont été analysées à l'aide de la procédure MIXED de SAS/STAT. Une transformation log X +1 des données a été appliquée afin de stabiliser la variance et de normaliser les résidus. Les données transformées ont été traitées avec une ANCOVA en utilisant le traitement, les jours et l'interaction traitements*jour comme effets principaux. Résultats La figure 6 montre les titres moyens de 20E mesurés chez des larves de sixième stade de L. oleracea parasitées ou non par E. pennicornis. Pour chacun des groupes de larves, on observe un pic de 20E au 5e jour du sixième stade à environ 1230 pg de 20E par ul d'hémolymphe, qui se traduit par un effet de jour significatif (p < 0,0001). Les titres sont faibles au cours des premiers jours du stade pour les deux groupes, étant sous la barre des 110 pg de 20E par ul d'hémolymphe. Le dernier stade larvaire est plus long chez les larves parasitées (7 jours) que chez les larves non parasitées (6 jours). Chez les larves non parasitées, la mue pupale se produit au 6e jour du dernier stade larvaire, tandis que les larves parasitées par E. pennicornis voient leur développement prolongé d'une journée mais succombent finalement au parasitisme. L'analyse statistique indique qu'il n'y a aucun effet du traitement (p = 0,9716), ce qui signifie qu'il n'y a pas de différence significative entre les titres d'ecdystéroïdes mesurés chez des larves de L. oleracea parasitées par E. pennicornis et ceux mesurés chez des larves saines. Toutefois, chez les larves non parasitées, les titres d'ecdystéroïdes commencent à augmenter (faiblement) au jour 4, alors que les titres augmentent de façon importante au jour 3 chez les larves parasitées. D'ailleurs, il y a un effet légèrement significatif de l'interaction traitement*jour (p = 0,0255), ce qui suggère que les titres d'ecdystéroïdes augmentent plus tôt chez les larves de sixième stade parasitées. Chez ces dernières, les titres d'ecdystéroïdes chutent au jour 6 alors qu'ils demeurent relativement élevés pour la même période chez les larves non parasitées qui entreprennent alors la pupaison. 1400 N • parasitées 1200 non parasitées S 1000 - 1 ë o 800 ~ 600 - o 400 - 200 0 3 4 5 6 Jours du 6e stade larvaire Figure 6. Titres de 20-hydroxyecdysone (20E) chez les larves de sixième stade de Lacanobia oleracea parasitées ou non par Eulophus pennicornis. Chaque point représente la valeur moyenne de 10 larves (8 larves pour les non parasitées au jour 5) et de 3 mesures par larve. 39 Discussion Les larves de sixième stade de L. oleracea parasitées par E. pennicornis subissent un arrêt de leur développement, ce qui a pour conséquence l'évitement de la métamorphose. Ceci permet au parasitoïde de compléter son développement sans subir les effets de la métamorphose de son hôte. La métamorphose étant régulée en partie par les ecdystéroïdes, il était intéressant de savoir quels effets avait le parasitisme des larves de sixième stade de L. oleracea par E. pennicornis sur les titres de 20E, l'hormone principalement impliquée dans la mue des insectes. Les titres de cette hormone ont été mesurés chez des larves de sixième stade parasitées et non parasitées à chacun des jours du stade. Les larves non parasitées montrent de faibles titres d'ecdystéroïdes lors des quatre premiers jours du stade, suivi d'un pic d'ecdystéroïdes aux jours 5 et 6 [ce dernier jour correspondant à l'ecdysie], moment où les titres d'ecdystéroïdes sont habituellement les plus élevés chez les Lépidoptères. Les larves parasitées par E. pennicornis montrent le même pic d'ecdystéroïdes au jour 5 du sixième stade. Cependant, les larves parasitées ont des titres d'ecdystéroïdes plus de trois fois plus élevés aux jours 3 et 4 que les larves non parasitées. Les titres redescendent significativement au jour 6 et sont aussi faibles au jour 7. L'augmentation des titres d'ecdystéroïdes débute donc plus tôt dans le stade chez les larves parasitées par E. pennicornis que chez les larves n'ayant pas été parasitées. Une étude semblable, réalisée avec des larves de L .oleracea parasitées par E. pennicornis au début du cinquième stade larvaire, a démontré un retard dans la production du pic d'ecdystéroïdes nécessaire au déclenchement de la mue au sixième stade (Weaver et al., 1997). Les larves non parasitées montrent un pic d'ecdystéroïdes dans l'hémolymphe deux jours après la mue au cinquième stade, tandis que les larves parasitées ne montrent un tel pic que trois jours plus tard seulement (Weaver et al., 1997). Cette interruption serait causée par l'injection de venin par le parasitoïde au moment de l'oviposition plutôt que par la présence de la larve se nourrissant des tissus de l'hôte, ce 40 qui a été démontré en injectant artificiellement le venin des larves de L. oleracea (Marris et al., 1996). Le venin causerait donc l'inhibition de la mue en retardant la production des ecdystéroïdes nécessaires pour permettre la mue au sixième stade. Il a été suggéré que les glandes prothoraciques peuvent être inactivées temporairement suite au parasitisme ou à l'injection artificielle de venin (Marris et al., 2001). Les glandes prothoraciques ayant été prélevées chez des larves de L. oleracea 48 heures suivant le parasitisme par E. pennicornis ne produisent aucun ecdystéroïdes mesurables et ne répondent pas à la forskoline, contrairement à celles d'individus non parasités (Marris et al., 2001). Chez d'autres espèces de noctuidés parasitées, comme Pseudaletia separata attaquée par Apanteles kariyai, une production réduite d'ecdystéroïdes est causée par l'inhibition de la synthèse ou de la libération de PTTH nécessaire à l'initiation de l'activité de synthèse des glandes prothoraciques (Tanaka, 1987). Chez certaines autres espèces, la diminution des niveaux d'ecdystéroïdes n'est pas accompagnée d'une réduction de la production de PTTH dans le cerveau (Tanaka et Vinson, 1991; Pennachio et al., 1994). Des glandes prothoraciques viables vont tout de même libérer moins d'ecdystéroïdes si le parasitisme affecte leur habileté à répondre à la PTTH. Chez les larves de L, oleracea, la synthèse de PTTH ne semble pas être inhibée par le parasitisme de E. pennicornis, mais il a été suggéré que le parasitisme ou l'injection artificielle de venin pourrait agir en retardant la réponse des glandes prothoraciques, possiblement en détruisant des cellules de ces glandes ou en diminuant leur réponse à la stimulation par la PTTH (Marris et al., 1999). Le venin réduirait la libération d'ecdystéroïdes en diminuant la sensibilité des glandes prothoraciques in vitro à l'effet stimulant de la forksoline (cette substance stimule la production d'AMPc, tout comme la PTTH). La baisse de viabilité des cellules est plus importante chez les individus parasités que chez ceux ayant été injectés artificiellement de venin, ce qui peut indiquer que la présence d'une couvée a un effet débilitant indépendant sur la structure des glandes prothoraciques qui fait diminuer la production d'ecdystéroïdes (Marris et al., 2001). Ce serait donc l'insensibilité à la PTTH, plutôt que la diminution de la disponibilité de PTTH, qui serait en cause vu l'absence de réponse à la forksoline. Cette inhibition serait temporaire et réversible, puisque 120 heures après la mue les glandes produisent de fortes quantités d'ecdystéroïdes en comparaison avec les contrôles du même âge (Marris et al., 2001). La 41 20E est donc produite chez les larves de cinquième stade de L. oleracea parasitées par E. pennicornis, mais elle apparaît dans l'hémolymphe trop tard pour perturber le développement du parasitoïde. Chez les larves de sixième stade de L. oleracea parasitées par E. pennicornis, la synthèse des ecdystéroïdes n'est pas retardée, contrairement à ce qui a été observé chez les larves de cinquième stade, mais plutôt légèrement devancée, ce qui suggère que la fonction des glandes prothoraciques des larves de sixième stade n'est pas affectée par le parasitisme. Comme les ecdystéroïdes ne sont pas les seuls acteurs dans la régulation du développement des insectes, d'autres perturbations hormonales peuvent être en cause dans les cas de parasitisme. Selon une étude récente (Edwards et al., sous presse), les larves de sixième stade de L. oleracea parasitées par E. pennicornis produiraient une quantité beaucoup plus importante de JH que les individus non parasités (70 à 100 fois plus). La JH étant habituellement présente en faibles quantités lors du dernier stade larvaire chez les Lépidoptères, afin de permettre le déclenchement de la métamorphose, cette présence de l'hormone chez les larves parasitées pourrait causer les perturbations observées dans le développement. Ceci a été observé chez les larves de Manduca sexta parasitées par Apanteles congregatus. En effet l'augmentation des titres de JH de l'hôte pendant le parasitisme cause la prolongation du dernier stade larvaire en créant in situ un environnement incompatible avec la métamorphose (Beckage et Riddiford, 1982). Chez les larves de cinquième stade d'Heliothis virescens injectés avec des tératocytes de Microplitis croceipes, l'activité de l'estérase de l'hormone juvénile (JHE) dans l'hémolymphe est inversement proportionnelle au nombre de tératocytes injectés (Zhang et al., 1992). Les tératocytes semblent donc être responsables de l'inhibition de la libération de JHE et donc affectent indirectement les titres d'ecdystéroïdes, puisque la JHE est responsable de la dégradation rapide de la JH et que de hauts titres de JH peuvent prévenir la libération de PTTH et/ou garder les glandes prothoraciques dans un état latent. D'ailleurs, des études sur l'activité de la JHE chez les larves de sixième stade de L. oleracea parasitées par E. pennicornis démontrent que l'activité de la JHE est inhibée par le parasitisme tout au long du dernier stade larvaire de L. oleracea (Edwards et al., sous presse). 42 II est possible que les titres d'ecdystéroïdes ayant été mesurés chez les larves de sixième stade de L. oleracea parasitées par E. pennicornis n'étaient pas sous forme de 20E. En effet, ce phénomène a été observé chez les larves de Trichoplusia ni parasitées par l'ectoparasitoïde Euplectrus plathypenae. Les ecdystéroïdes produits chez les larves parasitées sont à 85% du 20,26-dihydroxyecdysone, alors que les larves non parasitées produisent du 20E et du 20,26-dihydroxyecdysone en parts pratiquement égales (Kelly et Coudron, 1990). Dans ce système, l'arrêt de la mue est indépendant de la 20E et de la JH. Ce sont plutôt les tissus épidermiques du thorax et de l'abdomen qui sont affectés, ces derniers ne répondant ni à la JH, ni à la 20E (Coudron et al., 1990). La cuticule et les tissus de l'épiderme des insectes parasités ne présentent aucun signe d'apolyse ou d'ecdysie. Chez les larves de M. sexta parasitées par A. congregatus, d'après des essais in vitro de l'activité de l'edysone 20-monooxygénase, la prohormone ecdysone ne serait pas efficacement convertie en 20E. La forme exacte des ecdystéroïdes mesurés chez les larves de L. oleracea parasitées dans la présente étude n'ayant pas été déterminée expérimentalement, il n'est pas possible de conclure que ces larves produisent de la 20E. Il est alors possible que les larves de sixième stade de L. oleracea parasitées par E. pennicornis produisent une forme inactive d'ecdystéroïdes et que le parasitisme ait un effet négatif sur la conversion des ecdystéroïdes en leur forme active, la 20E. L'identification des ecdystéroïdes produits par les larves parasitées, par immuno-HPLC, permettra de clarifier cette question. Les études portant sur les relations hôte/parasitoïde sont importantes dans un contexte d'utilisation des parasitoïdes comme moyen de lutte contre les insectes nuisibles et ce, afin d'augmenter leur efficacité comme agents de lutte biologique. Dans un contexte de lutte intégrée, l'utilisation conjointe de parasitoïdes et d'agonistes non-stéroïdaux, comme le tébufénozide (RH-5992) pourrait être envisagée. En effet, des études faites sur les larves de Cydia pomonella parasitées par Hyssopus sp. ont démontré que cet ectoparasitoïde, lorsque se développant sur des hôtes exposés au tébufénozide, subissaient la mue dans les mêmes délais que les larves se développant sur les larves non exposées à ce produit (Brown, 1994). De plus, une fois adultes, les parasitoïdes 43 émergeant des hôtes traités au tébufénozide étaient tout aussi féconds et fertiles que ceux émergeant des larves témoins. Il semblerait même que le parasitoïde puisse bénéficier de l'exposition de l'hôte au tébufénozide car ce produit maintiendrait l'hôte au stade larvaire et empêcherait la larve hôte de construire un cocon. Puisque les larves de L. oleracea qui ingèrent du RH-5992 subissent des arrêts de développement qui entraînent éventuellement leur mort (Blackford et Dinan, 1997), il serait intéressant d'évaluer le potentiel de l'utilisation de ce produit en combinaison avec les guêpes parasitoïdes E. pennicornis pour une gestion intégrée des ravages causés par cette noctuelle en serre. 44 Conclusion générale Les résultats obtenus au cours de cette étude démontrent que l'arrêt du développement chez les Lépidoptères, causé par une diapause ou le parasitisme, n'est pas toujours associé à une suppression de l'augmentation des titres de 20-hydroxyecdsysone (20E), l'hormone de la mue. En effet, bien que ce soit le cas au cours de la diapause larvaire de la tordeuse des bourgeons de l'épinette (TBE), Choristoneura fumiferana, un tel déficit d'ecdystéroïdes n'a pas été observé chez les larves de Lacanobia oleracea parasitées au sixième stade par le parasitoïde Eulophus pennicornis. Les titres de 20E ont été mesurés chez les larves de deuxième stade de la TBE, chez les souches diapausante et non-diapausante. Alors que les larves de la souche non- diapausante montrent des augmentations importantes de leurs titres de 20E seulement aux jours 3 et 4 après la première mue en préparation pour la mue au troisième stade, les titres de cette hormone demeurent faibles pendant les 27 semaines de la diapause chez la souche diapausante. Chez celle-ci, les titres réduits de 20E au cours de la diapause permettraient de maintenir l'insecte en arrêt de développement, empêchant ainsi la mue. Ce phénomène a été observé chez une autre espèce de Lépidoptères subissant une diapause larvaire au cours de son développement, Pieris brassicae (Chippendale, 1983). Des observations faites par Palli et collaborateurs (2001) suggèrent que toute la machinerie est en place pour la réponse à l'ecdysone au cours de la diapause chez la TBE et que seule l'hormone est absente. C'est probablement la fermeture de l'axe cerveauglandes prothoraciques, soit par une incapacité à produire la PTTH ou à y répondre, qui bloque la remontée des titres de 20E chez la TBE, comme cela a été suggéré pour plusieurs insectes ayant une diapause pupale ou larvaire. Même si la suppression des titres de 20E peut expliquer l'arrêt du développement pendant la diapause, l'hormone juvénile (JH), hormone aussi très importante dans le développement des insectes, doit également être prise en considération. Chez des espèces comme Omphisa fuscidentalis et D. grandiosella, deux espèces de Lépidoptères ayant une diapause larvaire, il a été démontré que la JH joue un rôle clé dans le contrôle de cette diapause (Chippendale, 1978, Singtripop et al, 2000, Yin et Chippendale, 1979). Sur la base de résultats 45 préliminaires (présentés à l'annexe 1), l'expression de la CJDA? 1, protéine associée à la diapause chez la TBE, nécessiterait le maintien de titres réduits de JH. Ceci suggère fortement que la JH est aussi impliquée, probablement de concert avec la 20E, dans la régulation hormonale de la diapause chez cette espèce. Chez les larves de L. oleracea parasitées au sixième stade par E. pennicornis, les titres de 20E mesurés n'étaient pas significativement différents de ceux mesurés chez des larves saines. Ainsi, l'arrêt du développement dans ce cas particulier de parasitisme ne serait pas le résultat d'une inhibition directe du processus de la mue. Ce serait plutôt le processus de la métamorphose, déclenché au sixième stade larvaire chez cette espèce, qui serait inhibé. Cette inhibition semble d'ailleurs due au maintien de titres élevés de JH au cours du sixième stade chez les larves parasitées (observations non publiées). La JH est maintenue à des niveaux élevés tout au long du développement larvaire chez les Lépidoptères, assurant ainsi la conservation des caractères juvéniles à chaque mue. Les titres de JH doivent donc diminuer de façon assez dramatique au dernier stade larvaire afin de permettre le déclenchement de la métamorphose et l'apparition des caractéristiques adultes, ce qui expliquerait pourquoi l'insecte parasité ne réussit pas à compléter son développement. Comme on a observé des titres réduits de 20E chez des larves de L. oleracea parasitées par E. pennicornis au cinquième stade larvaire (Weaver et al., 1997), il semble que ce parasitoïde utilise des stratégies différentes pour bloquer le développement de son hôte selon que celui-ci est à l'avant-dernier ou au dernier stade larvaire au moment du parasitisme. Ainsi, comme c'est la mue qui peut nuire au développement ce cet ectoparasitoïde lorsqu'il parasite une larve de cinquième stade, seulement les titres de 20E seraient affectés. Au cours du sixième stade larvaire de l'hôte, c'est la métamorphose qui a le potentiel de nuire au parasitoïde; ainsi ce sont les titres de JH qui sont affectés le plus dramatiquement. C'est par l'injection de venin au moment de l'oviposition que ce parasitoïde réussirait à inhiber le développement de son hôte (Marris étal., 1996). Cette étude démontre clairement que la régulation hormonale du développement chez les Lépidoptères est un processus complexe qui fait intervenir plusieurs hormones, dont deux 46 principales : l'hormone juvénile et la 20-hydroxyecdysone. Les études faites sur ces hormones dans le processus de développement des Lépidoptères devraient être réalisées conjointement (i.e. les titres des deux hormones devraient être mesurées), puisque les deux ont une importance capitale dans le bon déroulement du développement. Des niveaux anormalement bas ou anormalement élevés de l'une ou l'autre de ces hormones à un moment précis du développement peuvent grandement compromettre le développement, voire même l'arrêter. Cette observation est importante dans un contexte de développement de nouveaux outils de lutte biologique. Certains analogues de la JH et de la 20E, dont certains sont disponibles sur le marché, peuvent causer des mortalités importantes chez des insectes dont on perturbe le processus normal de développement, en déclenchant des mues à un moment innoportun ou en perturbant la métamorphose. L'utilisation de ces analogues est une avenue très intéressante dans le contrôle des insectes ravageurs puisqu'elle permet de cibler un spectre limité d'organismes étant affectés par ces hormones. Par exemple, on trouve chez les Lépidoptères des formes d'hormones juvéniles qui ne sont pas présentes chez les autres ordres d'insectes. Le développement de perturbateurs endocriniens basés sur ces formes d'hormones juvéniles permettrait de limiter les effets aux Lépidoptères. Dans un contexte de lutte intégrée, il est important de bien caractériser la relation hormonale entre le parasitoïde et son hôte, dans l'éventualité où l'utilisation d'un analogue d'hormone serait considérée de concert avec l'utilisation de parasitoïdes, afin de maximiser l'effet désiré. Dans le cas de L. oleracea, l'utilisation d'un analogue hormonal doit être méticuleusement réfléchi en tenant compte du stade larvaire de l'insecte au moment de l'intervention, puisque le parasitisme par E. pennicornis à des effets différents sur l'endocrinologie de l'hôte aux deux derniers stades. 47 Bibliographie Antoniewski C, O'Grady M.S., Edmondson R.G., Lassieur S.M. & Benes H. 1995. Characterization of an EcR/USP heterodimer target site that médiates ecdysone responsiveness of the Drosophila Lsp-2 gène. Molec. Gen. 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Ecdysteroids during oogenesis in the ovoviviparous cockroach Nauphoeta cinerea. J. Insect Physiol. 29, 225-235 56 ANNEXE Effet du méthoprène sur la production des protéines Ç/DAP chez les larves de sixième stade de la tordeuse des bourgeons de Pépinette Les larves de la tordeuse des bourgeons de l'épinette (TBE) produisent deux protéines hexamériques [Choristoneura fumiferana diapause associated proteins, QDAP 1 (74 kDa) et Ç/DAP 2 (72 kDa)] juste avant l'entrée en diapause et la pupaison (Palli et al., 1998). Ces protéines sont donc produites aux deux stades du cycle de vie de l'insecte où il n'y a pas de consommation de nourriture. Le rôle exact de ces deux protéines au cours de la diapause et de la pupaison n'est pas encore connu, mais il est probable que ces protéines servent de réserves d'acides aminés pour la terminaison de la diapause et pour le développement adulte. Comme ces protéines disparaissent lorsque la diapause se termine, il est possible qu'elles jouent un rôle clé dans cette période du cycle de vie de la TBE. Dans le but de comprendre les mécanismes de régulation endocrinien de la diapause, des larves de TBE ont été traitées avec un analogue de l'hormone juvénile (JH), le méthoprène. Les protéines de l'hémolymphe de larves traitées et non traitées ont été comparées pour évaluer les effets de l'exposition des larves au méthoprène sur la production des protéines Ç/DAP. Méthodologie Elevage des insectes Les larves de C. fumiferana utilisées pour cette étude provenaient du Centre de Foresterie des Grands Lacs, du Service canadien des forêts (Sault-Sainte-Marie, Ontario). Les larves de la souche non diapausante étaient reçues sur diète artificielle au deuxième stade 57 larvaire. Les TBE ont été élevées sur de la diète artificielle en chambre de croissance, à 25 ± 1,O°C, 60 ± 5,0% h.r., et sous une photopériode 16D :8L. Traitement Les larves de sixième stade larvaire ont été utilisées pour les traitements puisqu'il était plus facile de les traiter, les larves de premier stade larvaire pré-diapausantes étant beaucoup plus petites. Les larves étaient traitées dans l'heure suivant la mue au sixième stade, ce qui était déterminé visuellement par la blancheur de la capsule céphalique des larves. Les larves ont reçu 1 ul d'une solution contenant 10 ug de méthoprène dilué dans l'acétone. Les larves témoins ont été traitées avec un volume égal d'acétone pur. Le traitement a été effectué à l'aide d'une seringue à bout plat munie d'un distributeur permettant la libération de 1 ul de solution à la fois. La solution était déposée sur la cuticule des insectes, juste derrière la capsule céphalique. Cinq larves ont été traitées du jour 0 (1 er jour de la mue au sixième stade larvaire) au jour 4, et ce, à raison d'une fois par jour. Extraction et électrophorèse des protéines d'hémolymphe L'hémolymphe des cinq larves traitées et des cinq larves témoins a été prélevée à l'aide d'un tube capillaire gradué. L'hémolymphe a été transférée dans un tube microfuge avec une granule de phényl thiourée pour empêcher le noircissement de l'hémolymphe. Les quantités d'hémolymphe recueillies variaient d'un individu à l'autre et se situait entre 3,5 et 7 [il. À chacun des tubes contenant un volume déterminé d'hémolymphe était ajouté sept fois plus de tampon PBS (8 g NaCl, 0,2 g KC1 et 1,44 g Na2HPO4 par litre de H2O distillée, pH 7,4). Les tubes ont ensuite été centrifugés à 4°C, 12 000 g pendant 10 minutes. Le surnageant a été récupéré et une quantité égale de bleu d'échantillon 2x (0,12M Tris-HCl pH 6,8, 4% SDS, 20% glycérol, 10% mercaptoéthanol et 0,02% Coomassie brillant blue R-250) a été ajoutée. Les échantillons ont été conservés à -80°C jusqu'à leur utilisation. Avant l'électrophorèse, le contenu des tubes des larves traitées a été combiné, ainsi que celui des larves témoins dans le but de réduire la variabilité entre 58 les individus. Les protéines d'hémolymphe ont été séparées par électrophorèse sur gel de sodium dodécyl sulphate-polyacrilamide (SDS-PAGE) selon la méthode de Laemmli (1970), avec un gel d'empilement de 5% (pH 6,8) et un gel de résolution de 7,5% (pH 8,8). Un volume d'échantillon équivalent à 0,07 ul d'hémolymphe a été déposé sur gel pour chacun des groupes analysés, soient les larves traitées au méthoprène et les témoins. Après la migration à 200 Volt, le gel a été coloré au bleu de Coomassie pour permettre la révélation des protéines. Résultats Les protéines solubles d'hémolymphe isolées des larves de sixième stade traitées pendant quatre jours avec l'analogue de l'hormone juvénile ont été révélées sur un gel SDSPAGE de 7,5% (Fig. 7). Les protéines solubles d'hémolymphe de larves témoins, ayant subi un traitement à l'acétone uniquement pendant quatre jours, ont aussi été révélées sur le même gel. Aux concentrations de protéines utilisées, les deux protéines Ç/DAP étaient les seules protéines visibles sur le gel, suggérant que ces protéines sont les plus abondantes à cette période du cycle de vie de la TBE. Ces protéines sont facilement identifiables grâce à leurs poids moléculaires respectifs, de 74 kDa (QDAP1) et 72 kDa (Ç/DAP2) (Palli et al., 1998). Le gel montre une différence nette dans la production des protéines Ç/DAP entre les larves traitées au méthoprène et les larves n'ayant subi aucun traitement. En effet, les larves traitées pendant quatre jours avec 10,0 (ig de méthoprène ont très peu de la protéine Ç/DAP 1 dans leur hémolymphe comparativement aux larves non traitées. Il n'y a pas de différence notable dans la quantité présente sur gel de la protéine CfDAP 2 entre les deux groupes d'insectes. 59 Nontraitées Traitées QDAP 1 (74 kDa). Ç/DAP 2 (72 kDa)- Figure 7. Analyse SDS-PAGE des protéines solubles d'hémolymphe de larves de sixième stade larvaire traitées ou non traitées avec 10,0 ug de méthoprène pendant quatre jours. Les protéines provenant de 0,07 jul d'hémolymphe ont été séparées sur gel de polyacrylamide SDS 7,5% et colorées au bleu de Coomassie. Discussion La séparation des protéines solubles d'hémolymphe sur gel de polyacrylamide de larves de sixième stade traitées ou non avec du méthoprène a montré une différence importante entre ces deux groupes de larves. En effet, chez les larves de TBE traitées au méthoprène, les titres de Ç/DAP 1 dans leur hémolymphe sont faibles, comparativement à celui de larves témoins traitées uniquement à l'acétone. Il n'y a cependant pas de différences significatives entre les deux groupes pour les quantités de protéine Ç/DAP 2 présentes 60 dans l'hémolymphe. Ces résultats suggèrent que la production de la protéine QDAP 1 au dernier stade larvaire de la TBE, nécessite une diminution importante des titres de JH, comme c'est habituellement le cas chez les Lépidoptères. Aussi, même si ces résultats ont été obtenus pour des larves de 6e stade se préparant à la pupaison, il est possible de penser que des résultats semblables auraient été obtenus chez les larves de 1er stade se préparant à la diapause. Les protéines QDAP étant présentes tout au long de la diapause, leur rôle à cette période est vraisemblablement essentiel au bon déroulement de la diapause ou pour la reprise du développement après la diapause. Par conséquent, si on considère que les larves de 1er stade doivent produire la protéine C/DAP 1, il apparaît possible que la JH soit absente (ou en très faibles quantités) chez ces larves. On ne peut donc pas écarter la possibilité que la JH joue un rôle dans la régulation de la diapause, et que l'absence de cette hormone au début de cette période permette la production d'une protéine associée à la diapause, la QDAP 1, dont le rôle précis n'a pas encore été élucidé.