
Bpifrance Le Lab | PME ET ETI MANUFACTURIÈRES Ι Tribune d’Olivier TORRES
OCTOBRE 2014
patronales, Offerlé écrit que « travailler sur le patronat pouvait être assimilé au mieux à une perte de
temps, au pire à une compromission douteuse avec ‘l’ennemi de classe’ ».
Quant aux économistes, a priori les plus prompts à faire de l’activité matérielle leur objet de recherche, ils
n’ont conféré aux PME et aux ETI qu’un rôle assez mineur. En effet, la PME dans la théorie libérale de la
concurrence pure et parfaite est condamnée à subir la loi du marché puisque le prix s’impose à elle,
tandis que dans la théorie marxiste, elle, subit la loi tendancielle de la concentration croissante. Dominée
soit par les forces de la ‘main invisible’ du marché, soit par les forces du grand capital, elle ne joue en
vérité qu’un rôle passif. Plus récemment, les théories keynésiennes ont davantage insisté sur le rôle
d’intervention de l’État. L’anglais Alfred Marshall est l’un des premiers à théoriser la PME, mais cette
dernière se fond dans une entité collective qu’il nomme ‘district industriel’. La PME n’est pas ici étudiée
en soi, mais comme un élément d’un tout qui fait système. Le concept de district industriel prendra
d’autres appellations comme le système productif local (SPL) de l’école grenobloise ou le cluster de
Michael Porter, lequel fait des petites organisations l’élément moteur. Mais dans ces conceptions, la PME
se fond dans un collectif fortement territorialisé. Ces théorisations concernent moins la PME que
l’aménagement, voire le management des territoires.
Même l’autrichien Joseph Schumpeter, souvent cité comme le père de l’entrepreneuriat, conclut sa
réflexion en considérant que l’entrepreneur va disparaître au profit des grandes entités industrielles. La
révolution managériale, mise en évidence en 1932 par Berle et Means, deux américains, semble avoir
tout emporté sur son passage et totalement préempté le cerveau des scientifiques. Les termes de
‘Fordisme’, puis de ‘Toyotisme’, montrent la prégnance mentale de la grande industrie sur les esprits.
En management, les travaux sur les PME et les ETI sont également ultra minoritaires. Le management
est une discipline qui se décline en grandes fonctions (finance, marketing, gestion des ressources
humaines, etc.), découpage fonctionnel qui correspond au modèle organisationnel des grandes
entreprises. Mais en PME, le dirigeant n’a pas de DRH, ni de directeur financier ou marketing. Quant aux
ETI, elles sont vues au mieux comme des formes hybrides, mais sans véritables spécificités.
De même, les théories des économies d’échelle, des économies de champ et des économies
d’apprentissage ont encore un fort pouvoir d’attraction sur les explications données, pour justifier la
course au gigantisme industriel et aux politiques de diversification. Les matrices stratégiques du Boston
Consulting Group, AD Little ou Mc Kinsey sont encore enseignées dans toutes les business schools,
même si leurs champs d’application portent exclusivement sur les très grandes entreprises diversifiées,
qui gèrent des portefeuilles d’activités dans le monde entier.
Les théories dominantes de l’Histoire, de la Sociologie, de l’Économie et du Management s’intéressent
davantage à la très grande entreprise plutôt qu’à la petite. Cet oubli, qu’il soit volontaire ou non, a pour
effet de produire ce que Pierre Yves Gomez appelle un effet Gulliver, c’est-à-dire une représentation du
monde à partir des géants. « En généralisant le cas particulier des géants économiques, l’image de
l’entreprise dans l’esprit du public mais aussi les analyses des spécialistes et les recommandations du
pouvoir politique sont faussées par un effet de taille ».
Ce biais de représentation théorique induit des lacunes concernant des grandes questions économiques
et stratégiques comme la dépendance économique des PME, les évolutions des relations bancaires, la
souffrance et la solitude patronale, le rôle et l’importance du patrimoine économique, la fonction de
propriétaire… Or, tous ces aspects sont évoqués dans le présent rapport, ce qui montre que dès lors que
l’on change de taille d’entreprises, les préoccupations ne sont plus les mêmes.
Dans ce rapport, et c’est heureux, ce sont au contraire les stratégies de spécialisation et de niches qui
sont mises de l’avant. Quant à la diversification dont il est traité ici, il serait aisé de montrer qu’il s’agit
d’une diversification de proximité où les synergies jouent à plein comme dans le cas HYTEC, étude de
cas qui alimente le séminaire que nous animons dans le cadre du CETIM depuis plusieurs années. Les