Charles Hampden-Turner
Fons Trompenaars
Au-delà du choc
des cultures
Dépasser les oppositions
pour mieux travailler ensemble
Traduit de l’anglais par Larry COHEN
© Éditions d’Organisation, 2004
ISBN: 2-7081-3015-3
© Éditions d’Organisation XXI
Introduction
Nous pensons avoir fait une importante découverte après dix-huit ans de
recherches transculturelles. Pour l’exprimer avec un peu plus d’humilité,
nous avons enfin remarqué ce qui nous crevait les yeux depuis longtemps :
«Tout a déjà été vu par quelqu’un qui ne l’a pourtant pas découvert»,
comme le dit si bien Alfred North Whitehead.
Nous avons fini par nous rendre compte que les différences entre les cultu-
res ne sont ni arbitraires ni fortuites. En fait, les valeurs de l’une sont
l’image inversée des valeurs de l’autre, le renversement de l’ordre et des
séquences gouvernant sa façon de voir et son mode d’apprentissage.
De tels renversements sont à la fois effrayants pour certaines personnes et
source de fascination et d’admiration pour d’autres. Nous espérons que ce
livre vous conduira de la peur à la fascination. La peur survient parce que
nous avons souvent tendance à interpréter toute image inversée de nos sys-
tèmes de valeurs comme une négation de nos convictions. C’est comme si
l’on célébrait quelque messe noire en récitant les Écritures à l’envers
devant un crucifix retourné. Satan, dit-on, est gaucher, comme l’est le
reflet d’une personne droitière. Certains pensent que, si vous restez suffi-
samment longtemps au contact d’une culture étrangère, vous finirez par
perdre votre ancrage éthique et par sombrer dans le marécage du relati-
visme. Mais pour effrayés que nous soyons, la culture qui est l’envers de
la nôtre est en fait cohérente et intelligible. Elle fonctionne en grande par-
tie comme la nôtre, même si ses priorités sont différentes. Les valeurs qui
ont permuté de gauche à droite ou de droite à gauche se révèlent néan-
moins efficaces et logiques.
Une fois que nous comprenons ce «renversement de perspective», les
principes et les actes de la culture étrangère se mettent en place, comme
d’ailleurs nous-mêmes lorsque nous séjournons dans le «pays miroir».
Une culture a toujours été le reflet du monde tel qu’il lui apparaît. Qui
peut nous dire où doit se porter notre regard en premier lieu, ou dans
© Éditions d’Organisation
XXII
INTRODUCTION
quelle direction regarder ? Aucune direction n’est en soi «normale» : cha-
que culture a tout simplement fait un choix initial particulier.
Nous aurions dû réfléchir à ces problèmes depuis longtemps. Après tout,
on conduit à gauche dans certains pays et à droite dans d’autres, mais il
n’en demeure pas moins que toutes les cultures dans lesquelles il existe
des chaussées affectent un côté différent de la route selon le sens de la cir-
culation.
En Chine, au Japon et en Asie du Sud-Est, les livres – pour un Occidental
– se lisent en sens inverse : de la fin au début. Au lieu de lire latéralement,
de gauche à droite, comme nous le faisons, on lit de droite à gauche et le
plus souvent en colonnes.
Le nom de famille arrive en deuxième place dans la plupart des cultures
occidentales, qui laissent la première au prénom. Cet ordre est inversé
dans les cultures sino-japonaises, peut-être parce qu’on considère que la
famille prime sur l’individu. Quand vous indiquez une adresse à un chauf-
feur de taxi à Pékin ou à Tokyo, la ville ou le quartier viennent en premier
lieu, puis la rue, ensuite le bâtiment et enfin le numéro de l’appartement.
Cela lui permet de se mettre en route sans attendre la fin de vos explica-
tions. Chaque monde a sa cohérence et peut-être même ses avantages. Au
départ, l’envers a quelque chose d’effrayant, mais quand on traverse le
miroir, des mondes nouveaux apparaissent de l’autre côté. Qui plus est,
nous ne perdons pas pour autant nos propres valeurs. Nous les considérons
plutôt comme notre pierre de touche au sein d’un contexte plus vaste.
Le contexte de l’image inversée est illustré ci-dessous. Ici, nous nous con-
centrons sur les trois premières dimensions étudiées dans ce livre :
UN-PA
(universalisme-particularisme)
IN-CO
(individualisme-collectivisme)
VD-VE
(vision de détail-vision d’ensemble)
L’universalisme insiste sur l’application d’une règle unique à un univers
d’individus, tandis que le particularisme souligne les exceptions et les cas
particuliers.
© Éditions d’Organisation
INTRODUCTION
XXIII
L’individualisme met l’accent sur l’individu; le collectivisme privilégie
son groupe d’appartenance : famille, organisation, communauté, pays.
La vision de détail insiste sur la précision, l’analyse et la rigueur, alors que
la vision d’ensemble considère le tout dans un contexte plus vaste.
Illustration I.1 : La culture comme image inversée
Voyons toutefois ce qui se passe quand nous tenons ces trois dimensions
devant le miroir (comme dans l’illustration I.1). À part l’effet de miroir,
qui rend l’écriture un peu difficile à lire, nous constatons que les paires de
concepts binaires ont changé de place et que leur séquence s’est inversée :
le particularisme passe devant l’universalisme, la collectivité devant
l’individu et l’ensemble devant le détail. La culture continue de devoir
affronter les mêmes dilemmes, mais la conception de ce qui est primordial
a permuté.
Dans ce livre, nous décrivons ce qui est pour nous l’ordre habituel des
choses, puis nous le comparons avec un renversement inhabituel de cet
ordre, tel qu’on le trouve dans certaines cultures (mais pas toutes). Que
découvrons-nous par ce biais-là? Que certains étrangers ne remarquent
pas ce que nous voyons si clairement, alors que nous sommes aveugles à
ce qui, pour eux, relève de l’évidence. L’idéal que nous exposons dans cet
ouvrage consiste à utiliser les deux registres. C’est une autre façon de
défendre l’idée que nous devons apprendre à penser en cercles, ou de
façon cybernétique.
© Éditions d’Organisation
XXIV
INTRODUCTION
Appliquons à présent la pensée circulaire à nos trois dimensions. Non seu-
lement les règles universelles (universalisme) renferment de plus en plus
d’exceptions ou de cas spécifiques (particularisme), mais il faut utiliser
ces exceptions pour améliorer l’universalisme de nos règles.
De même, non seulement l’individu doit-il se justifier en fondant une
famille, une entreprise, une communauté, mais cette communauté et les
unités sociales qui en font partie doivent se justifier par le soin qu’elles
prennent de ses membres.
Enfin, non seulement convient-il de décomposer analytiquement chaque
ensemble en détails distincts, mais ceux-ci doivent être synthétisés de
manière à créer des configurations d’ensemble.
Lorsqu’on parcourt ces cercles, on voit que la première valeur mène à la
deuxième, qui ramène à la première. Chaque culture valorise un arc diffé-
rent du même cercle, exaltant le mouvement de A à Z ou, au contraire, de
Z à A. Bien que l’arc descendant semble ridiculiser et contredire l’arc
ascendant et vice versa, en vérité, ils se complètent comme le yin et le
yang. La capacité de penser en cercles, au moyen de la raison globalisante,
est une forme de sagesse. L’expression actuellement à la mode dans le
monde du conseil en entreprise est la «compétence transculturelle». C’est
cette capacité acquise que cet ouvrage tente de mettre sous les projecteurs.
En plus des trois dimensions déjà évoquées, nous en présentons trois
autres. Une culture considère-t-elle que le statut social est acquis par la
réussite personnelle ou est-il attribué pour d’autres raisons? La motivation
de l’individu est-elle endogène (trouvant sa source à l’intérieur de la per-
sonne) ou exogène (venant de l’extérieur), auquel cas elle s’adapte au flux
des événements? Enfin, une culture conçoit-elle le temps comme un mou-
vement séquentiel, une série, un défilé de petits éléments, ou comme une
réalité synchronique, une conjonction d’événements dont il s’agit de tirer
habilement parti?
L’ubiquité des dilemmes
Nous connaissons tous la question de l’œuf ou de la poule. Lequel est venu
en premier? Les six dimensions étudiées dans ce livre offrent des dilemmes
équivalents. Qu’est-ce qui a la priorité, la règle universelle ou l’événement
exceptionnel? Qu’est-ce qui est prépondérant, la famille ou l’individu, le
tout ou ses éléments? Il n’existe pas de réponses définitives à ces questions,
1 / 15 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !