Liaison et hiatus : évolution historique 3
de certains cas. En premier lieu, l’usage spontané montre que, dans un certain nombre de
constructions, l’ancienne consonne de liaison a été entièrement incorporée au mot suivant
(procédé historique d’agglutination bien connu pour l’article élidé, p. ex. l’hierre > le
lierre). Ainsi la consonne [z] s’est agglutinée aux pronoms enclitiques compléments,
comme dans vas-y [va·zi], donnes-en [dɔn·zɑ̃]. Dans les usages modernes, [zi] et [zɑ̃] sont
des mots clitiques autonomes qui peuvent apparaître après les autres enclitiques : donne-
moi-zen, force-le-zy pas (cf. Morin 1979:14–17). De la même manière, [t] s’est agglutiné
dans les enclitiques -t-il(s), -t-elles, -t-on, qui ont perdu leur fonction sujet et peuvent aussi
renvoyer à un proclitique objet, comme dans cela la dérange-t-elle ? (cf. Morin 1985:793–
797).
D’autre part, conformément à la thèse structuraliste de Gougenheim, le [z] de « liaison »
devant les noms et adjectifs au pluriel était analysé comme un préfixe de pluriel (Morin
1981:42–43, Morin et Kaye 1982)5. Les analyses de Tranel (1981) et de Bybee (2001), en
effet, ne sauraient expliquer des généralisations spontanées telles que : C’est quoi, comme
z-arbres ?, On prend quoi, comme z-affaires, …qui consiste en z-éléments indépendants, Je
préfère ça (dans la) version z-années soixante (cf. aussi les exemples de Damourette et
Pichon 1911–1940:§279). Ainsi selon Bybee (2001:176), les sujets parlants n’auraient pas
reconnu dans les expressions : les z-arbres, des z-arbres, trois z-arbres, des grands
z-arbres, un simple mot-forme z-arbres, pluriel de arbre, précédé d’un déterminant, d’un
cardinal ou d’un adjectif, mais auraient associé le son [z] à une construction « du pluriel »
— où il apparaît entre deux membres, le premier étant un déterminant, un cardinal, un
adjectif, etc. et le second un nom à initiale vocalique — comme dans la construction
suivante6,7 :
5 Morin et Kaye (1982) n’ont jamais proposé que la liaison [z] du pluriel du français moderne soit le
résultat d’une règle d’épenthèse consonantique comme il est parfois rapporté : « According to
Morin and Kaye (1982:316), each word displaying a final C/Ø alternation is lexically marked for
one of [several] specific rules of epenthesis » (Paradis et El Fenne 1995:173 ; c’est moi qui
souligne) ; « On the basis of examples such as [quatre z-enfants] … Morin and Kaye (1982) …
argue for an analysis which inserts the liaison consonant in certain context before a vowel »
(Bybee 2001:176) ; « L’apparition des consonnes de liaison a aussi été analysée comme le résultat
de plusieurs règles d’épenthèse consonantique … (Morin & Kaye 1982 …). Morin a récemment
poursuivi cette approche, concevant par exemple la liaison adjectivale comme une forme de
déclinaison (Morin 1992) ou encore comme une forme de préfixation nominale (Morin 2003
[1998]) » (Tranel 2000:51 ; c’est moi qui souligne). Si Morin (1992) et Morin (2003 [1998])
proposent bien que les consonnes de liaison après les adjectifs prénominaux représentent une
forme de déclinaison et, dans le dernier cas, que ce sont des préfixes, ces analyses excluent toute
forme d’épenthèse ; dans les deux cas, ces consonnes sont des affixes au même titre que le s de
pluriel dans le nom anglais boys, par exemple.
6 On notera que cette construction et toutes les autres proposées par Bybee pour rendre compte du
[z] de pluriel font intervenir un « constituant » au pluriel comprenant l’ensemble des mots
impliqués dans la construction. Or comme l’ont montré Morin et Kaye (1982:322–323), ce n’est
pas la pluralité de tels constituants qui est en jeu, mais celle de l’expression apparaissant à droite
de la consonne de liaison. C’est ainsi que le [z] de liaison n’apparaît pas devant le à de des