La sonde atomique tomographique L

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De la physique à la technologie
La sonde atomique tomographique
Analyser un matériau métallique atome par atome est maintenant possible : une nouvelle sonde
atomique fournit en effet une image topographique et chimique du volume analysé avec une
résolution spatiale de quelques angströms.
es progrès et innovations
réalisés ces vingt dernières
années dans les méthodes
d’observation et d’investigation telles que la microscopie électronique
à haute résolution ou la microscopie
à effet tunnel illustrent clairement
l’importance de la structure et de la
chimie à très fine échelle des matériaux pour une pleine compréhension de leurs propriétés. La conception et l’optimisation des matériaux
modernes qui peuvent être structurés à l’échelle du nanomètre sont
ainsi de plus en plus tributaires
de notre capacité à comprendre et
à appréhender les phénomènes depuis l’échelle macroscopique jusqu’à l’échelle atomique, visée par la
sonde tomographique.
L
L’apport majeur de l’instrument
que nous avons développé récemment est qu’il permet de dresser une
cartographie tridimensionnelle des
hétérogénéités chimiques présentes
dans le matériau à une échelle subnanométrique. L’image de petits
précipités finement dispersés dans
une solution solide peut être réalisée
dans les trois dimensions de l’espace. La reconstruction tridimensionnelle d’un alliage FeCu très dilué (1,5 % en poids de cuivre) de la
figure 1 met en évidence la présence
de petites particules riches en cuivre
dont la taille est voisine de 2 nm. A
partir d’une telle image, on obtient
la morphologie des particules et leur
densité par unité de volume.
– Groupe de métallurgie physique (UMR
6634 CNRS), Université de Rouen, INSA,
place E. Blondel, 76821 Mont-SaintAignan Cedex.
– * Institut universitaire de France.
Figure 1 - Reconstruction tridimensionnelle de la distribution des atomes de Cu issue de l’analyse
d’un alliage à base de fer contenant 1,5 % de cuivre en poids. La taille des petits nodules de cuivre
est voisine de 2 nm.
La sonde tomographique n’est
pas seulement un microscope à
haute résolution spatiale, c’est aussi
un instrument de microanalyse chimique quantitative. Les concentrations locales peuvent être extraites
de n’importe quelle région du petit
volume qui est analysé et reconstruit. On accède ainsi à la composition des petits précipités visualisés
dans la figure 1. Poussé à ses limites ultimes, cet appareil mesure la
composition locale à l’échelle du
plan atomique.
LES PRINCIPES
L’échantillon, taillé sous la forme
d’une pointe de faible rayon R
(10-100 nm), est placé dans une
103
Figure 2 - Principe de la sonde atomique tomographique. Les atomes évaporés depuis la surface de
l’échantillon sont identifiés par spectrométrie de masse à temps de vol. Leurs positions sont calculées
(projection quasi stéréographique) à partir des coordonnées des impacts sur le détecteur spatial.
L’aire grisée de l’échantillon représente le volume analysé.
enceinte à vide et soumis à un potentiel positif Vo de plusieurs kilovolts (figure 2). Le champ électrique
intense ainsi créé (Vo/R), de l’ordre
de quelques dizaines de volts par
nanomètre, est suffisant pour arracher les atomes de surface. Le phénomène physique exploité est l’évaporation par effet de champ décrite
dans l’encadré 1.
En superposant des impulsions de
tension (Vp) au potentiel continu
(Vo), les atomes de surface sont
évaporés à des instants précis sous
forme d’ions. La mesure des temps
de vol (t) des espèces chimiques depuis l’échantillon jusqu’à un détecteur situé à une distance L permet
de déterminer leur vitesse et d’accéder directement à leur rapport masse
sur charge (m/n). Ce rapport m/n
104
des ions (n est l’état de charge de
l’ion formé) s’exprime à partir de la
conservation de l’énergie :
1/2 m~ L/t ! = ne~ Vo + Vp !
comportant comme un microscope à
projection, il est possible de calculer
la position des atomes de chaque
couche évaporée à partir des coordonnées des impacts sur le multidétecteur via une homothétie.
Simultanément, la nature des ions
émis par l’échantillon est identifiée
par spectrométrie de masse à temps
de vol, comme pour la sonde
classique. On reconstruit alors le
volume analysé couche par couche.
Bien que cette sonde tridimensionnelle soit simple dans son principe, la mise en œuvre de l’idée
s’est révélée assez délicate. Il s’agit
d’enregistrer les images matérielles
successives correspondant à chacune des espèces chimiques issues
de l’échantillon (figure 2). La difficulté majeure provient du fait que
ces images doivent être saisies indépendamment pour chaque salve
d’ions (c’est-à-dire pour chaque
temps de vol caractéristique). Or,
les ions arrivent dans des intervalles
de temps extrêmement courts. Les
images matérielles correspondant
par exemple au cobalt et au nickel
réunis dans un même alliage ne sont
séparées que de quelques dizaines
de nanosecondes. Le détecteur (encadré 3) doit permettre, en outre, la
localisation de plusieurs impacts simultanés (ions de même masse).
LA LOCALISATION DES ATOMES
2
Pour une longueur L de 0,5 m les
temps de vol t sont voisins d’une
microseconde. Pour obtenir une
résolution en masse suffisante
(∆m/m ≈ 5.10-3) la mesure du temps
de vol nécessite une précision voisine de la nanoseconde.
La nouveauté de notre instrument, comparé aux sondes atomiques classiques (encadré 2), provient du multidétecteur que nous
avons conçu. Il est sensible à la position des impacts d’ions contrairement à l’appareil inventé par E.W.
Muller, il y a près de 25 ans. La
sonde atomique tomographique se
En première approximation, les
trajectoires asymptotiques des ions
peuvent être considérées comme issues d’un même point. La transformation qui permet de passer de la
position des atomes en surface de
l’échantillon aux coordonnées (x)
des impacts sur le détecteur est proche d’une projection stéréographique.
A partir du grandissement de l’appareil (G), on calcule les coordonnées des atomes à la surface de la
pointe xa = x/G avec G = L/bR où R
est le rayon de courbure de la pointe
(b ~ 2 pour une projection stéréographique). Avec une pointe dont
le rayon de courbure vaut 50 nm,
De la physique à la technologie
Encadré 1
ÉMISSION DE CHAMP
L’émission par effet de champ d’un atome situé à la surface
d’un échantillon, sous la forme d’un ion n fois chargé, se
produit en deux étapes. L’atome quitte d’abord la surface sous
la forme d’un ion 1+ puis est ionisé plusieurs fois.
niveaux sont à la même énergie. L’état de charge final de
l’ion ne dépend, pour chaque élément chimique, que de la
valeur du champ électrique qui règne au voisinage de la
surface (xc ~ 0,5 nm).
ÉVAPORATION IONIQUE
La première étape peut être décrite en comparant les courbes
d’énergie potentielle d’un atome neutre Ua et d’un ion Ui en
présence d’un champ électrique E comme elles sont
représentées sur la figure 1. L’origine de la courbe ionique Ui
est translatée d’une quantité I1 − φ par rapport à la courbe
atomique Ua où I1 est la première énergie d’ionisation de
l’atome et φ travail de sortie d’un électron du métal car
l’électron reste dans le métal. L’atome part en s’ionisant une
fois en franchissant la barrière de potentiel de hauteur Qa et
de largeur D soit par activation thermique, soit par effet
tunnel. Dans le premier cas, la fréquence d’évaporation m
s’exprime en fonction de la température T par
m = m0 exp~ − Qa /kT ! où m0 est la fréquence de vibration des
atomes en surface. A très basse température (T < 50 K) la
désorption s’effectue par effet tunnel ionique et
m = m0 exp − pD =2 MQa dans le cas d’un modèle de
2h
barrière parabolique, où M est la masse de l’ion.
~
!
Figure 1 - La courbe Ua représente l’énergie potentielle d’un atome à
la surface en fonction de la distance à celle-ci, la courbe -eEx décalée
de I1-U l’énergie potentielle électrostatique d’un ion chargé une fois et
Ui la somme des deux. Qa et D indiquent respectivement la hauteur et
la largeur de la barrière de potentiel que doit franchir l’atome pour
sortir du métal sous forme d’ion.
La hauteur de la barrière doit être de l’ordre d’une fraction
d’eV (≈ 0,1 eV) et sa largeur d’une fraction de nm (≈ 0,01 nm)
pour que le flux d’ions soit appréciable. Cela implique des
valeurs du champ électrique appliqué E de quelques dizaines
de volts par nm. Cela est obtenu en préparant l’échantillon
sous la forme d’une pointe métallique très fine de quelques
dizaines de nm de rayon R à son extrémité et en lui
appliquant un potentiel de quelques milliers de volts
(E ~ V/R).
POST-IONISATION
Les ions évaporés depuis la surface sont post-ionisés au-delà
I2 − φ
où
d’une certaine distance critique xc donnée par xc =
eE
I2 est l’énergie de seconde ionisation. En deçà de cette
distance un électron lié à l’ion ne peut pas passer dans le
métal par effet tunnel car son énergie est en dessous du
niveau de Fermi. La figure 2 illustre la situation où les deux
le grandissement atteint 5 106. La
taille effective du détecteur, voisine
de 8 cm × 8 cm, détermine la surface analysée (16 nm × 16 nm).
Figure 2 - La courbe eEx représente l’énergie potentielle d’un électron
en fonction de sa distance à la surface. L’énergie potentielle d’un électron lié à un ion situé en xc est représentée en dessous.
La pointe a généralement la
forme d’un tronc de cône si bien
que le rayon de courbure de la
pointe augmente au fur et à mesure
de l’évaporation. Il est donc nécessaire d’augmenter en proportion le
potentiel appliqué à l’échantillon
pour maintenir le champ électrique
105
Encadré 2
LA SONDE ATOMIQUE CLASSIQUE
La mesure du temps de vol des ions de l’échantillon au
détecteur permet d’identifier les différentes espèces chimiques.
La figure 1 montre un spectre de masse relatif à l’analyse
d’une petite particule dans un alliage à base de nickel.
L’aire de la zone analysée (la surface d’analyse) correspond à
la projection du détecteur sur la surface de l’échantillon.
Ainsi un détecteur de 1 cm de diamètre placé à 1 m d’une
pointe de 50 nm de rayon de courbure sélectionne une surface
d’analyse de 1 nm de diamètre. Dans la sonde atomique
classique le détecteur n’est pas sensible à la position des
impacts des ions si bien que le diamètre d’analyse fixe
également la résolution latérale de l’instrument, ce qui
constitue une limite essentielle.
L’évaporation atome par atome de l’échantillon permet
d’explorer le matériau en profondeur. La figure 2 présente
schématiquement le résultat d’une analyse d’un échantillon
contenant des petits précipités sphériques. La pointe
représentée en trait plein au début de l’analyse a été
progressivement détruite jusqu’au trait pointillé. Les ions
reçus sur le détecteur et identifiés proviennent d’un volume
(cylindre d’analyse) engendré couche atomique par couche
atomique par la surface d’analyse.
Figure 1 - Spectre de masse d’un alliage à base de nickel en unités de
masse atomique. L’échelle temporelle est indiquée en haut.
La sonde atomique classique permet d’obtenir ainsi le long de
ce cylindre les profils de concentration des différentes espèces
chimiques présentes dans l’échantillon avec une résolution en
profondeur voisine de 0,1 nm.
La réduction de trois à une dimension (due à la projection sur
l’axe du cylindre d’analyse) des fluctuations de concentration
est une autre limite de la sonde atomique classique. Il subsiste
alors toujours une ambiguïté lorsque des zones de
concentration différente ont une dimension comparable au
diamètre d’analyse, comme c’est indiqué sur la figure 2.
(E ~ V/R, voir encadré 1) et le flux
d’évaporation. Le grandissement
diminue donc au cours de l’analyse.
Le rayon de courbure et le grandissement peuvent toutefois être calculés à tout moment à partir du potentiel V appliqué à la pointe et du flux
d’atomes (qui mesure le champ
électrique E). On a R = V/βE où β
est une constante liée à la forme
géométrique de l’extrémité de la
pointe qui peut être estimée préalablement en mesurant le rayon R par
microscopie ionique ou électronique. Notons que la connaissance de
106
Figure 2 - Illustration des diffıcultés d’interprétation des résultats
fournis par la sonde atomique classique. La partie des précipités qui
intersectent le volume analysé est hachurée. Le profil de concentration
en fonction de la distance le long de la pointe est schématisé en dessous.
la position de l’impact de l’ion sur
le détecteur permet de connaître la
longueur de vol exacte et d’en tenir
compte dans le calcul du rapport
m/n. On accède ainsi à la localisation et à la nature chimique des atomes dans une couche évaporée.
L’étude de l’échantillon en profondeur, couche atomique par couche atomique, permet une reconstruction complète du volume
évaporé. La profondeur p, qui constitue la troisième dimension, est
proportionnelle au nombre de couches évaporées. Elle est calculée à
partir du nombre N d’ions détectés
et de la conservation du volume
analysé qui implique que :
p = N~ va /gda !
2
où η et va sont le rendement de détection (de l’ordre de 0,5) et le volume atomique moyen. De façon
pratique une profondeur d’un angström est analysée lorsque 1 000 ions
sont détectés. Comme dans les
conditions standards, 20 ions sont
détectés par seconde (encadré 3), la
vitesse d’évaporation est voisine de
1 Å/min.
De la physique à la technologie
Encadré 3
LE MULTIDÉTECTEUR SPATIAL
L’innovation est ici la conception d’un multidétecteur résolu
en temps, à l’échelle de la dizaine de ns, et sensible à la
position d’impacts multiples, simultanés ou non. Le principe
repose sur l’emploi d’une paire de galettes de microcanaux
(MCP, multiplicateur de charges) et d’un réseau d’anodes
(10 × 10) arrangées en damier. Pour chaque impact d’ion, la
gerbe d’électrons produite par les galettes est recueillie sur
cette multianode (figure 2 du texte). Le diamètre du spot est
légèrement supérieur à la taille de chacune des anodes
(a = 1 cm) afin d’éviter les effets de seuils indésirables
inhérents à l’électronique de mesure des charges déposées. Un
impact irradie donc quatre anodes voisines comme le montre
la figure 1. De la mesure des charges recueillies par chacune
des anodes associées à un même impact, on calcule la
position du barycentre du nuage d’électrons et donc de
l’impact avec une précision meilleure que a/20, soit 0,5 mm.
Dans les conditions expérimentales habituelles, 0,2 ion en
moyenne est reçu par impulsion d’évaporation. L’expérience
montre ainsi que la plupart des impulsions communiquées à
l’échantillon produisent entre 0 et 8 ions. La probabilité d’en
avoir davantage est très faible (< 0.001). Ces ions pouvant
être de natures différentes (espèces, isotopes différents), nous
avons prévu que jusqu’à 8 temps de vol distincts puissent être
enregistrés.
Pour chacun des temps de vol successifs (tAl, tNi... par
exemple), la distribution des charges électroniques sur la
multianode est mesurée. Plusieurs impacts simultanés peuvent
être localisés pour chaque temps de mesure. La mesure est
répétée pour chacune des impulsions d’évaporation (toutes les
10 ms environ). Une centaine de milliers d’atomes sont donc
enregistrés par heure. La position des impacts et la nature
chimique des ions sont calculées en temps réel et affıchées sur
une console.
Figure 1 - Schéma de la répartition sur quatre anodes carrées des charges créées par un seul impact circulaire. (a) Lorsque la charge à droite de
l’axe y (Qr en hachuré) est égale à celle de gauche (Ql), l’impact (I) est tombé en x = 0. (b) La charge de droite croît à mesure que x(I) augmente.
A chaque valeur du rapport Qr/Ql correspond une valeur de x.
LA RÉSOLUTION SPATIALE
Une précision de 0,5 mm sur le
détecteur correspond à 1 angström
à la surface de l’échantillon. Le détecteur que nous avons conçu permet facilement d’accéder à une telle
précision. Toutefois, à cause des
aberrations subies par les ions dans
leurs trajectoires à proximité de la
surface de la pointe, une imprécision supplémentaire de quelques
angströms intervient. Ces aberrations sont dues aux inhomogénéités
locales du champ électrique. La précision totale est ainsi essentiellement contrôlée par les limites physiques liées à la mécanique du vol des
ions dans les premiers nanomètres
parcourus.
RÔLE EN SCIENCES DES MATÉRIAUX
Grâce à sa haute résolution spatiale, la sonde tomographique ouvre
de nouvelles perspectives pour des
études fondamentales qui portent en
particulier sur les interfaces et sur
les premiers stades de séparation de
phase. Depuis sa mise au point, en
1993, des résultats spectaculaires
107
ont été obtenus sur divers alliages
métalliques (Al, Ti, Fe, Cu, Ni).
Nous illustrons ici les applications pour des alliages à base de
nickel développés pour l’aéronautique. Les matériaux étudiés, appelés
superalliages, contiennent différents
éléments d’addition comme l’aluminium et le chrome. Ces superalliages sont utilisés dans les parties
chaudes des réacteurs d’avion. Ces
matériaux, qui ont de hautes performances, sont mis en œuvre dans les
aubes de turbines (parties mobiles
des turbomachines), où ils subissent
des contraintes centrifuges équivalant à 50 000 fois le poids des pièces mises en mouvement. La température du métal excède 1 000 °C par
endroits.
Ces propriétés de tenue mécanique remarquable à haute température sont obtenues en grande partie
grâce à la présence de petites hétérogénéités chimiques dans le matériau. Celles-ci sont dispersées dans
l’alliage sous la forme de précipités
enrichis en solutés, en aluminium en
particulier. Leur taille peut varier de
5 nm à plusieurs microns tandis que
leur stoechiométrie est proche de
Ni3Al.
Figure 3 - Reconstruction atome par atome d’un alliage à base de nickel contenant de petits précipités c′, dont la taille est voisine de 7 nm. Seuls l’aluminium et le chrome sont représentés. L’aire
analysée en surface de la pointe correspond à la plus petite section (8 × 8 nm2), et la profondeur, à la
plus grande longueur du volume (30 nm).
riches en aluminium. Ces précipités
baignent dans une solution solide
enrichie en chrome. La taille des
particules est voisine de 7 nm. A
partir de telles images, de nombreuses informations sur la microstructure du matériau sont accessibles : la densité de particules, la
fraction volumique précipitée, la
dispersion en taille des précipités,
la morphologie des phases en
présence.
L’ORDRE À GRANDE DISTANCE DES
PARTICULES c′
PRÉCIPITATION DANS UN
SUPERALLIAGE
Une des premières reconstructions
tridimensionnelles obtenues avec la
sonde atomique tomographique est
présentée dans la figure 3. Elle correspond à près de 150 000 ions enregistrés. L’analyse a été effectuée
sur un alliage modèle monocristallin
à base de nickel comportant de petits précipités Ni3Al appelés c'. La
plus grande dimension du volume
représenté est parallèle à l’axe de la
pointe et correspond à la direction
cristallographique <001> du monocristal. Seuls les atomes d’aluminium et de chrome sont représentés.
Cette image met clairement en
évidence la présence de petites
zones, grossièrement sphériques et
108
Une des particularités de ces précipités est leur structure ordonnée :
les atomes de nickel et d’aluminium
ne sont pas distribués au hasard sur
le réseau cubique à faces centrées
(CFC) de l’alliage. Le nickel occupe
plutôt les centres de face du cube
alors que l’aluminium se place préférentiellement aux sommets de la
maille cristalline (figure 4). Pour la
première fois, la sonde tomographique révèle dans l’espace réel cet ordre chimique au sein des précipités.
La figure 4 présente une vue plus
détaillée d’une partie de la zone
analysée, où seul l’aluminium est
représenté. Cette image est vue dans
une direction perpendiculaire à l’axe
de la pointe, donc sous une incidence parallèle aux plans atomiques
(001). Elle met nettement en évidence l’existence d’un empilement
périodique de plans riches en aluminium. La distance entre ces plans
correspond précisément au paramètre
cristallin
de
l’alliage
(a = 0,36 nm). Environ 20 plans sont
observés le long du diamètre du
précipité. Dans la structure CFC, la
distance entre plans (001) successifs
est égale à la moitié du paramètre
(d002 = a/2 = 0.18 nm). L’image reconstruite montre donc l’alternance
de plans riches en aluminium avec
des plans pauvres en aluminium
(et donc riches en nickel). Cette
séquence d’empilement des plans
(001) est tout à fait caractéristique de la structure ordonnée des
précipités.
La dispersion observée dans la
position des atomes par rapport au
plan idéal est due aux imprécisions
de mesure et aux limites physiques
de l’instrument. Toutefois, ces premières images démontrent d’ores et
déjà que la sonde tomographique est
en mesure de donner des informations sur la chimie locale des
matériaux à l’échelle de la maille
cristalline.
LA SÉGRÉGATION INTERGRANULAIRE
La présence de joints de grains
dans les superalliages se traduit le
plus souvent par une certaine fragi-
De la physique à la technologie
ques de l’alliage : l’influence bénéfique du bore liée au renforcement
de la cohésion du joint, qui évite
ainsi la fracture intergranulaire du
matériau ou le rôle du chrome dans
les mécanismes de corrosion intergranulaire sous contrainte...
UNE SONDE CHIMIQUE
A L’ÉCHELLE ATOMIQUE
Figure 4 - Vue de côté d’une partie du volume analysé de la figure 3 dans une direction perpendiculaire à la direction cristallographique <001> qui est aussi l’axe de la pointe. Ici seul l’aluminium est
représenté. L’alternance de plans (001) riches et pauvres en aluminium montre la structure ordonnée
des précipités Ni3Al. L’interface entre le précipité et la matrice appauvrie en aluminium (isosurface
de concentration - CAl = 10 % at.) est représentée par l’enveloppe grisée.
lité. On assiste alors à des fractures
intergranulaires sous contrainte.
Pour pallier ce problème, divers éléments d’addition sont incorporés
pour renforcer les joints. La tomographie atomique permet d’en étudier le rôle. La figure 5 illustre les
possibilités de cette technique dans
l’étude de la ségrégation intergranulaire dans des superalliages « astroloy » dopés au bore. Les images reconstruites montrent un joint à la
géométrie dentelée qui est liée à la
présence de précipités c′ (enrichis
en Al et appauvris en Cr) le long du
joint. La matrice γ dans laquelle
baignent ces particules est enrichie
en Cr et en Mo et appauvrie en Al.
Ces cartographies tridimensionnelles vues parallèlement au joint
démontrent que le bore et le molybdène s’accumulent au joint de
grains. On remarque également un
enrichissement de chrome entre les
deux précipités qui jouxtent le joint.
Enfin, on observe un appauvrissement en aluminium et titane sur une
épaisseur voisine de 1 nm. Toutes
ces informations permettent de
comprendre le rôle des éléments
d’addition sur les propriétés mécani-
A partir de telles cartographies
tridimensionnelles, on extrait les
compositions locales d’une région
soigneusement repérée dans le
volume analysé. Les données recueillies sont quantitatives lorsque
les conditions expérimentales nécessaires (température, etc.) sont convenablement établies au préalable. La
composition de la matrice et des
précipités dans un alliage modèle
Figure 5 - Reconstructions tridimensionnelles de la répartition spatiale des éléments Al et Ti, Cr, Mo,
B et C dans un superalliage astroloy qui comporte un joint de grains dentelé. Noter la présence de
deux précipités c ′ enrichis en Al+Ti et appauvris en Cr qui jouxtent le joint. Le volume reconstruit
est orienté parallèlement au plan du joint et à la direction <001> de surstructure d’un des précipités
c ′ qui borde le joint. Les plans (001) apparaissent dans c ′ dans le grain au-dessus du joint, alors
qu’ils sont invisibles dans le grain adjacent qui est désorienté. L’ordre chimique dans la phase c′ est
donc préservé jusqu’au joint de grains.
109
comportant 10 % en atome d’aluminium est donnée en exemple dans le
tableau ci-dessous. Les imprécisions
~ DC ! sont contrôlées pour l’essentiel par les fluctuations d’échantillonnage statistique : DC = 2r =
2 =C~ 1 − C !/N où N est le nombre d’ions collectés et C la concentration (estimée sur N atomes). La
Tableau 1
Compositions des phases dans un alliage
modèle mesurées à partir d’une analyse avec
la sonde tomographique
Composition (%
at.) ± 2r
Al
Cr
Ni
nominale
10
23.4
66.6
Phase c
5±1
31 ± 2
64 ± 2
20 ± 2
11 ± 2
69 ± 3
Précipités c′
précision sur la composition des
précipités est donc contrôlée à la
fois par le nombre et la taille des
précipités analysés.
PERSPECTIVES
Avec le développement des sondes atomiques tridimensionnelles,
c’est une nouvelle approche combinée de la microscopie et de la microanalyse qui émerge à une échelle
proche de la maille cristalline. Une
des perspectives séduisantes, notamment dans l’étude des phénomènes
fondamentaux de précipitation et de
mise en ordre, est la confrontation
des expériences avec les images
tridimensionnelles obtenues par
simulation. Une autre perspective
concerne le champ d’application de
l’appareil. La sonde tomographique
est limitée pour l’instant à l’analyse
Article proposé par : Didier Blavette*, tél. 02 35 14 66 51, Alain Bostel,
tél. 02 35 14 66 41, Alain Menand, tél. 02 35 14 66 50.
110
des matériaux métalliques : l’échantillon, préparé sous la forme d’une
pointe, doit être suffisamment
conducteur pour propager les impulsions électriques d’évaporation. En
utilisant des impulsions de « chaleur » produites par une source
laser pulsée, l’étude des semiconducteurs est envisageable.
POUR EN SAVOIR PLUS
Muller (E.W.), Panitz (J.A.), Mc
Lane (S.B.), Rev. Sci. Instr. 39, 1968,
p. 83-86.
Blavette (D.), Menand (A.), La Recherche n° 253 (avril 1993), p. 464466.
Blavette (D.), Bostel (A.), Sarrau
(J.M.), Deconihout (B.), Menand
(A.), Nature 363, 1993, p. 432-435.
Cerezo (A.), Godfrey (T.J.), Smith
(G.D.W.), J. de Phys. C66-49, 1988,
p. 25-30.
Menand (A.), Blavette (D.), Techniques de l’ingénieur P 902-1/7, 1995.
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