De la physique à la technologie La sonde atomique tomographique Analyser un matériau métallique atome par atome est maintenant possible : une nouvelle sonde atomique fournit en effet une image topographique et chimique du volume analysé avec une résolution spatiale de quelques angströms. es progrès et innovations réalisés ces vingt dernières années dans les méthodes d’observation et d’investigation telles que la microscopie électronique à haute résolution ou la microscopie à effet tunnel illustrent clairement l’importance de la structure et de la chimie à très fine échelle des matériaux pour une pleine compréhension de leurs propriétés. La conception et l’optimisation des matériaux modernes qui peuvent être structurés à l’échelle du nanomètre sont ainsi de plus en plus tributaires de notre capacité à comprendre et à appréhender les phénomènes depuis l’échelle macroscopique jusqu’à l’échelle atomique, visée par la sonde tomographique. L L’apport majeur de l’instrument que nous avons développé récemment est qu’il permet de dresser une cartographie tridimensionnelle des hétérogénéités chimiques présentes dans le matériau à une échelle subnanométrique. L’image de petits précipités finement dispersés dans une solution solide peut être réalisée dans les trois dimensions de l’espace. La reconstruction tridimensionnelle d’un alliage FeCu très dilué (1,5 % en poids de cuivre) de la figure 1 met en évidence la présence de petites particules riches en cuivre dont la taille est voisine de 2 nm. A partir d’une telle image, on obtient la morphologie des particules et leur densité par unité de volume. – Groupe de métallurgie physique (UMR 6634 CNRS), Université de Rouen, INSA, place E. Blondel, 76821 Mont-SaintAignan Cedex. – * Institut universitaire de France. Figure 1 - Reconstruction tridimensionnelle de la distribution des atomes de Cu issue de l’analyse d’un alliage à base de fer contenant 1,5 % de cuivre en poids. La taille des petits nodules de cuivre est voisine de 2 nm. La sonde tomographique n’est pas seulement un microscope à haute résolution spatiale, c’est aussi un instrument de microanalyse chimique quantitative. Les concentrations locales peuvent être extraites de n’importe quelle région du petit volume qui est analysé et reconstruit. On accède ainsi à la composition des petits précipités visualisés dans la figure 1. Poussé à ses limites ultimes, cet appareil mesure la composition locale à l’échelle du plan atomique. LES PRINCIPES L’échantillon, taillé sous la forme d’une pointe de faible rayon R (10-100 nm), est placé dans une 103 Figure 2 - Principe de la sonde atomique tomographique. Les atomes évaporés depuis la surface de l’échantillon sont identifiés par spectrométrie de masse à temps de vol. Leurs positions sont calculées (projection quasi stéréographique) à partir des coordonnées des impacts sur le détecteur spatial. L’aire grisée de l’échantillon représente le volume analysé. enceinte à vide et soumis à un potentiel positif Vo de plusieurs kilovolts (figure 2). Le champ électrique intense ainsi créé (Vo/R), de l’ordre de quelques dizaines de volts par nanomètre, est suffisant pour arracher les atomes de surface. Le phénomène physique exploité est l’évaporation par effet de champ décrite dans l’encadré 1. En superposant des impulsions de tension (Vp) au potentiel continu (Vo), les atomes de surface sont évaporés à des instants précis sous forme d’ions. La mesure des temps de vol (t) des espèces chimiques depuis l’échantillon jusqu’à un détecteur situé à une distance L permet de déterminer leur vitesse et d’accéder directement à leur rapport masse sur charge (m/n). Ce rapport m/n 104 des ions (n est l’état de charge de l’ion formé) s’exprime à partir de la conservation de l’énergie : 1/2 m~ L/t ! = ne~ Vo + Vp ! comportant comme un microscope à projection, il est possible de calculer la position des atomes de chaque couche évaporée à partir des coordonnées des impacts sur le multidétecteur via une homothétie. Simultanément, la nature des ions émis par l’échantillon est identifiée par spectrométrie de masse à temps de vol, comme pour la sonde classique. On reconstruit alors le volume analysé couche par couche. Bien que cette sonde tridimensionnelle soit simple dans son principe, la mise en œuvre de l’idée s’est révélée assez délicate. Il s’agit d’enregistrer les images matérielles successives correspondant à chacune des espèces chimiques issues de l’échantillon (figure 2). La difficulté majeure provient du fait que ces images doivent être saisies indépendamment pour chaque salve d’ions (c’est-à-dire pour chaque temps de vol caractéristique). Or, les ions arrivent dans des intervalles de temps extrêmement courts. Les images matérielles correspondant par exemple au cobalt et au nickel réunis dans un même alliage ne sont séparées que de quelques dizaines de nanosecondes. Le détecteur (encadré 3) doit permettre, en outre, la localisation de plusieurs impacts simultanés (ions de même masse). LA LOCALISATION DES ATOMES 2 Pour une longueur L de 0,5 m les temps de vol t sont voisins d’une microseconde. Pour obtenir une résolution en masse suffisante (∆m/m ≈ 5.10-3) la mesure du temps de vol nécessite une précision voisine de la nanoseconde. La nouveauté de notre instrument, comparé aux sondes atomiques classiques (encadré 2), provient du multidétecteur que nous avons conçu. Il est sensible à la position des impacts d’ions contrairement à l’appareil inventé par E.W. Muller, il y a près de 25 ans. La sonde atomique tomographique se En première approximation, les trajectoires asymptotiques des ions peuvent être considérées comme issues d’un même point. La transformation qui permet de passer de la position des atomes en surface de l’échantillon aux coordonnées (x) des impacts sur le détecteur est proche d’une projection stéréographique. A partir du grandissement de l’appareil (G), on calcule les coordonnées des atomes à la surface de la pointe xa = x/G avec G = L/bR où R est le rayon de courbure de la pointe (b ~ 2 pour une projection stéréographique). Avec une pointe dont le rayon de courbure vaut 50 nm, De la physique à la technologie Encadré 1 ÉMISSION DE CHAMP L’émission par effet de champ d’un atome situé à la surface d’un échantillon, sous la forme d’un ion n fois chargé, se produit en deux étapes. L’atome quitte d’abord la surface sous la forme d’un ion 1+ puis est ionisé plusieurs fois. niveaux sont à la même énergie. L’état de charge final de l’ion ne dépend, pour chaque élément chimique, que de la valeur du champ électrique qui règne au voisinage de la surface (xc ~ 0,5 nm). ÉVAPORATION IONIQUE La première étape peut être décrite en comparant les courbes d’énergie potentielle d’un atome neutre Ua et d’un ion Ui en présence d’un champ électrique E comme elles sont représentées sur la figure 1. L’origine de la courbe ionique Ui est translatée d’une quantité I1 − φ par rapport à la courbe atomique Ua où I1 est la première énergie d’ionisation de l’atome et φ travail de sortie d’un électron du métal car l’électron reste dans le métal. L’atome part en s’ionisant une fois en franchissant la barrière de potentiel de hauteur Qa et de largeur D soit par activation thermique, soit par effet tunnel. Dans le premier cas, la fréquence d’évaporation m s’exprime en fonction de la température T par m = m0 exp~ − Qa /kT ! où m0 est la fréquence de vibration des atomes en surface. A très basse température (T < 50 K) la désorption s’effectue par effet tunnel ionique et m = m0 exp − pD =2 MQa dans le cas d’un modèle de 2h barrière parabolique, où M est la masse de l’ion. ~ ! Figure 1 - La courbe Ua représente l’énergie potentielle d’un atome à la surface en fonction de la distance à celle-ci, la courbe -eEx décalée de I1-U l’énergie potentielle électrostatique d’un ion chargé une fois et Ui la somme des deux. Qa et D indiquent respectivement la hauteur et la largeur de la barrière de potentiel que doit franchir l’atome pour sortir du métal sous forme d’ion. La hauteur de la barrière doit être de l’ordre d’une fraction d’eV (≈ 0,1 eV) et sa largeur d’une fraction de nm (≈ 0,01 nm) pour que le flux d’ions soit appréciable. Cela implique des valeurs du champ électrique appliqué E de quelques dizaines de volts par nm. Cela est obtenu en préparant l’échantillon sous la forme d’une pointe métallique très fine de quelques dizaines de nm de rayon R à son extrémité et en lui appliquant un potentiel de quelques milliers de volts (E ~ V/R). POST-IONISATION Les ions évaporés depuis la surface sont post-ionisés au-delà I2 − φ où d’une certaine distance critique xc donnée par xc = eE I2 est l’énergie de seconde ionisation. En deçà de cette distance un électron lié à l’ion ne peut pas passer dans le métal par effet tunnel car son énergie est en dessous du niveau de Fermi. La figure 2 illustre la situation où les deux le grandissement atteint 5 106. La taille effective du détecteur, voisine de 8 cm × 8 cm, détermine la surface analysée (16 nm × 16 nm). Figure 2 - La courbe eEx représente l’énergie potentielle d’un électron en fonction de sa distance à la surface. L’énergie potentielle d’un électron lié à un ion situé en xc est représentée en dessous. La pointe a généralement la forme d’un tronc de cône si bien que le rayon de courbure de la pointe augmente au fur et à mesure de l’évaporation. Il est donc nécessaire d’augmenter en proportion le potentiel appliqué à l’échantillon pour maintenir le champ électrique 105 Encadré 2 LA SONDE ATOMIQUE CLASSIQUE La mesure du temps de vol des ions de l’échantillon au détecteur permet d’identifier les différentes espèces chimiques. La figure 1 montre un spectre de masse relatif à l’analyse d’une petite particule dans un alliage à base de nickel. L’aire de la zone analysée (la surface d’analyse) correspond à la projection du détecteur sur la surface de l’échantillon. Ainsi un détecteur de 1 cm de diamètre placé à 1 m d’une pointe de 50 nm de rayon de courbure sélectionne une surface d’analyse de 1 nm de diamètre. Dans la sonde atomique classique le détecteur n’est pas sensible à la position des impacts des ions si bien que le diamètre d’analyse fixe également la résolution latérale de l’instrument, ce qui constitue une limite essentielle. L’évaporation atome par atome de l’échantillon permet d’explorer le matériau en profondeur. La figure 2 présente schématiquement le résultat d’une analyse d’un échantillon contenant des petits précipités sphériques. La pointe représentée en trait plein au début de l’analyse a été progressivement détruite jusqu’au trait pointillé. Les ions reçus sur le détecteur et identifiés proviennent d’un volume (cylindre d’analyse) engendré couche atomique par couche atomique par la surface d’analyse. Figure 1 - Spectre de masse d’un alliage à base de nickel en unités de masse atomique. L’échelle temporelle est indiquée en haut. La sonde atomique classique permet d’obtenir ainsi le long de ce cylindre les profils de concentration des différentes espèces chimiques présentes dans l’échantillon avec une résolution en profondeur voisine de 0,1 nm. La réduction de trois à une dimension (due à la projection sur l’axe du cylindre d’analyse) des fluctuations de concentration est une autre limite de la sonde atomique classique. Il subsiste alors toujours une ambiguïté lorsque des zones de concentration différente ont une dimension comparable au diamètre d’analyse, comme c’est indiqué sur la figure 2. (E ~ V/R, voir encadré 1) et le flux d’évaporation. Le grandissement diminue donc au cours de l’analyse. Le rayon de courbure et le grandissement peuvent toutefois être calculés à tout moment à partir du potentiel V appliqué à la pointe et du flux d’atomes (qui mesure le champ électrique E). On a R = V/βE où β est une constante liée à la forme géométrique de l’extrémité de la pointe qui peut être estimée préalablement en mesurant le rayon R par microscopie ionique ou électronique. Notons que la connaissance de 106 Figure 2 - Illustration des diffıcultés d’interprétation des résultats fournis par la sonde atomique classique. La partie des précipités qui intersectent le volume analysé est hachurée. Le profil de concentration en fonction de la distance le long de la pointe est schématisé en dessous. la position de l’impact de l’ion sur le détecteur permet de connaître la longueur de vol exacte et d’en tenir compte dans le calcul du rapport m/n. On accède ainsi à la localisation et à la nature chimique des atomes dans une couche évaporée. L’étude de l’échantillon en profondeur, couche atomique par couche atomique, permet une reconstruction complète du volume évaporé. La profondeur p, qui constitue la troisième dimension, est proportionnelle au nombre de couches évaporées. Elle est calculée à partir du nombre N d’ions détectés et de la conservation du volume analysé qui implique que : p = N~ va /gda ! 2 où η et va sont le rendement de détection (de l’ordre de 0,5) et le volume atomique moyen. De façon pratique une profondeur d’un angström est analysée lorsque 1 000 ions sont détectés. Comme dans les conditions standards, 20 ions sont détectés par seconde (encadré 3), la vitesse d’évaporation est voisine de 1 Å/min. De la physique à la technologie Encadré 3 LE MULTIDÉTECTEUR SPATIAL L’innovation est ici la conception d’un multidétecteur résolu en temps, à l’échelle de la dizaine de ns, et sensible à la position d’impacts multiples, simultanés ou non. Le principe repose sur l’emploi d’une paire de galettes de microcanaux (MCP, multiplicateur de charges) et d’un réseau d’anodes (10 × 10) arrangées en damier. Pour chaque impact d’ion, la gerbe d’électrons produite par les galettes est recueillie sur cette multianode (figure 2 du texte). Le diamètre du spot est légèrement supérieur à la taille de chacune des anodes (a = 1 cm) afin d’éviter les effets de seuils indésirables inhérents à l’électronique de mesure des charges déposées. Un impact irradie donc quatre anodes voisines comme le montre la figure 1. De la mesure des charges recueillies par chacune des anodes associées à un même impact, on calcule la position du barycentre du nuage d’électrons et donc de l’impact avec une précision meilleure que a/20, soit 0,5 mm. Dans les conditions expérimentales habituelles, 0,2 ion en moyenne est reçu par impulsion d’évaporation. L’expérience montre ainsi que la plupart des impulsions communiquées à l’échantillon produisent entre 0 et 8 ions. La probabilité d’en avoir davantage est très faible (< 0.001). Ces ions pouvant être de natures différentes (espèces, isotopes différents), nous avons prévu que jusqu’à 8 temps de vol distincts puissent être enregistrés. Pour chacun des temps de vol successifs (tAl, tNi... par exemple), la distribution des charges électroniques sur la multianode est mesurée. Plusieurs impacts simultanés peuvent être localisés pour chaque temps de mesure. La mesure est répétée pour chacune des impulsions d’évaporation (toutes les 10 ms environ). Une centaine de milliers d’atomes sont donc enregistrés par heure. La position des impacts et la nature chimique des ions sont calculées en temps réel et affıchées sur une console. Figure 1 - Schéma de la répartition sur quatre anodes carrées des charges créées par un seul impact circulaire. (a) Lorsque la charge à droite de l’axe y (Qr en hachuré) est égale à celle de gauche (Ql), l’impact (I) est tombé en x = 0. (b) La charge de droite croît à mesure que x(I) augmente. A chaque valeur du rapport Qr/Ql correspond une valeur de x. LA RÉSOLUTION SPATIALE Une précision de 0,5 mm sur le détecteur correspond à 1 angström à la surface de l’échantillon. Le détecteur que nous avons conçu permet facilement d’accéder à une telle précision. Toutefois, à cause des aberrations subies par les ions dans leurs trajectoires à proximité de la surface de la pointe, une imprécision supplémentaire de quelques angströms intervient. Ces aberrations sont dues aux inhomogénéités locales du champ électrique. La précision totale est ainsi essentiellement contrôlée par les limites physiques liées à la mécanique du vol des ions dans les premiers nanomètres parcourus. RÔLE EN SCIENCES DES MATÉRIAUX Grâce à sa haute résolution spatiale, la sonde tomographique ouvre de nouvelles perspectives pour des études fondamentales qui portent en particulier sur les interfaces et sur les premiers stades de séparation de phase. Depuis sa mise au point, en 1993, des résultats spectaculaires 107 ont été obtenus sur divers alliages métalliques (Al, Ti, Fe, Cu, Ni). Nous illustrons ici les applications pour des alliages à base de nickel développés pour l’aéronautique. Les matériaux étudiés, appelés superalliages, contiennent différents éléments d’addition comme l’aluminium et le chrome. Ces superalliages sont utilisés dans les parties chaudes des réacteurs d’avion. Ces matériaux, qui ont de hautes performances, sont mis en œuvre dans les aubes de turbines (parties mobiles des turbomachines), où ils subissent des contraintes centrifuges équivalant à 50 000 fois le poids des pièces mises en mouvement. La température du métal excède 1 000 °C par endroits. Ces propriétés de tenue mécanique remarquable à haute température sont obtenues en grande partie grâce à la présence de petites hétérogénéités chimiques dans le matériau. Celles-ci sont dispersées dans l’alliage sous la forme de précipités enrichis en solutés, en aluminium en particulier. Leur taille peut varier de 5 nm à plusieurs microns tandis que leur stoechiométrie est proche de Ni3Al. Figure 3 - Reconstruction atome par atome d’un alliage à base de nickel contenant de petits précipités c′, dont la taille est voisine de 7 nm. Seuls l’aluminium et le chrome sont représentés. L’aire analysée en surface de la pointe correspond à la plus petite section (8 × 8 nm2), et la profondeur, à la plus grande longueur du volume (30 nm). riches en aluminium. Ces précipités baignent dans une solution solide enrichie en chrome. La taille des particules est voisine de 7 nm. A partir de telles images, de nombreuses informations sur la microstructure du matériau sont accessibles : la densité de particules, la fraction volumique précipitée, la dispersion en taille des précipités, la morphologie des phases en présence. L’ORDRE À GRANDE DISTANCE DES PARTICULES c′ PRÉCIPITATION DANS UN SUPERALLIAGE Une des premières reconstructions tridimensionnelles obtenues avec la sonde atomique tomographique est présentée dans la figure 3. Elle correspond à près de 150 000 ions enregistrés. L’analyse a été effectuée sur un alliage modèle monocristallin à base de nickel comportant de petits précipités Ni3Al appelés c'. La plus grande dimension du volume représenté est parallèle à l’axe de la pointe et correspond à la direction cristallographique <001> du monocristal. Seuls les atomes d’aluminium et de chrome sont représentés. Cette image met clairement en évidence la présence de petites zones, grossièrement sphériques et 108 Une des particularités de ces précipités est leur structure ordonnée : les atomes de nickel et d’aluminium ne sont pas distribués au hasard sur le réseau cubique à faces centrées (CFC) de l’alliage. Le nickel occupe plutôt les centres de face du cube alors que l’aluminium se place préférentiellement aux sommets de la maille cristalline (figure 4). Pour la première fois, la sonde tomographique révèle dans l’espace réel cet ordre chimique au sein des précipités. La figure 4 présente une vue plus détaillée d’une partie de la zone analysée, où seul l’aluminium est représenté. Cette image est vue dans une direction perpendiculaire à l’axe de la pointe, donc sous une incidence parallèle aux plans atomiques (001). Elle met nettement en évidence l’existence d’un empilement périodique de plans riches en aluminium. La distance entre ces plans correspond précisément au paramètre cristallin de l’alliage (a = 0,36 nm). Environ 20 plans sont observés le long du diamètre du précipité. Dans la structure CFC, la distance entre plans (001) successifs est égale à la moitié du paramètre (d002 = a/2 = 0.18 nm). L’image reconstruite montre donc l’alternance de plans riches en aluminium avec des plans pauvres en aluminium (et donc riches en nickel). Cette séquence d’empilement des plans (001) est tout à fait caractéristique de la structure ordonnée des précipités. La dispersion observée dans la position des atomes par rapport au plan idéal est due aux imprécisions de mesure et aux limites physiques de l’instrument. Toutefois, ces premières images démontrent d’ores et déjà que la sonde tomographique est en mesure de donner des informations sur la chimie locale des matériaux à l’échelle de la maille cristalline. LA SÉGRÉGATION INTERGRANULAIRE La présence de joints de grains dans les superalliages se traduit le plus souvent par une certaine fragi- De la physique à la technologie ques de l’alliage : l’influence bénéfique du bore liée au renforcement de la cohésion du joint, qui évite ainsi la fracture intergranulaire du matériau ou le rôle du chrome dans les mécanismes de corrosion intergranulaire sous contrainte... UNE SONDE CHIMIQUE A L’ÉCHELLE ATOMIQUE Figure 4 - Vue de côté d’une partie du volume analysé de la figure 3 dans une direction perpendiculaire à la direction cristallographique <001> qui est aussi l’axe de la pointe. Ici seul l’aluminium est représenté. L’alternance de plans (001) riches et pauvres en aluminium montre la structure ordonnée des précipités Ni3Al. L’interface entre le précipité et la matrice appauvrie en aluminium (isosurface de concentration - CAl = 10 % at.) est représentée par l’enveloppe grisée. lité. On assiste alors à des fractures intergranulaires sous contrainte. Pour pallier ce problème, divers éléments d’addition sont incorporés pour renforcer les joints. La tomographie atomique permet d’en étudier le rôle. La figure 5 illustre les possibilités de cette technique dans l’étude de la ségrégation intergranulaire dans des superalliages « astroloy » dopés au bore. Les images reconstruites montrent un joint à la géométrie dentelée qui est liée à la présence de précipités c′ (enrichis en Al et appauvris en Cr) le long du joint. La matrice γ dans laquelle baignent ces particules est enrichie en Cr et en Mo et appauvrie en Al. Ces cartographies tridimensionnelles vues parallèlement au joint démontrent que le bore et le molybdène s’accumulent au joint de grains. On remarque également un enrichissement de chrome entre les deux précipités qui jouxtent le joint. Enfin, on observe un appauvrissement en aluminium et titane sur une épaisseur voisine de 1 nm. Toutes ces informations permettent de comprendre le rôle des éléments d’addition sur les propriétés mécani- A partir de telles cartographies tridimensionnelles, on extrait les compositions locales d’une région soigneusement repérée dans le volume analysé. Les données recueillies sont quantitatives lorsque les conditions expérimentales nécessaires (température, etc.) sont convenablement établies au préalable. La composition de la matrice et des précipités dans un alliage modèle Figure 5 - Reconstructions tridimensionnelles de la répartition spatiale des éléments Al et Ti, Cr, Mo, B et C dans un superalliage astroloy qui comporte un joint de grains dentelé. Noter la présence de deux précipités c ′ enrichis en Al+Ti et appauvris en Cr qui jouxtent le joint. Le volume reconstruit est orienté parallèlement au plan du joint et à la direction <001> de surstructure d’un des précipités c ′ qui borde le joint. Les plans (001) apparaissent dans c ′ dans le grain au-dessus du joint, alors qu’ils sont invisibles dans le grain adjacent qui est désorienté. L’ordre chimique dans la phase c′ est donc préservé jusqu’au joint de grains. 109 comportant 10 % en atome d’aluminium est donnée en exemple dans le tableau ci-dessous. Les imprécisions ~ DC ! sont contrôlées pour l’essentiel par les fluctuations d’échantillonnage statistique : DC = 2r = 2 =C~ 1 − C !/N où N est le nombre d’ions collectés et C la concentration (estimée sur N atomes). La Tableau 1 Compositions des phases dans un alliage modèle mesurées à partir d’une analyse avec la sonde tomographique Composition (% at.) ± 2r Al Cr Ni nominale 10 23.4 66.6 Phase c 5±1 31 ± 2 64 ± 2 20 ± 2 11 ± 2 69 ± 3 Précipités c′ précision sur la composition des précipités est donc contrôlée à la fois par le nombre et la taille des précipités analysés. PERSPECTIVES Avec le développement des sondes atomiques tridimensionnelles, c’est une nouvelle approche combinée de la microscopie et de la microanalyse qui émerge à une échelle proche de la maille cristalline. Une des perspectives séduisantes, notamment dans l’étude des phénomènes fondamentaux de précipitation et de mise en ordre, est la confrontation des expériences avec les images tridimensionnelles obtenues par simulation. Une autre perspective concerne le champ d’application de l’appareil. La sonde tomographique est limitée pour l’instant à l’analyse Article proposé par : Didier Blavette*, tél. 02 35 14 66 51, Alain Bostel, tél. 02 35 14 66 41, Alain Menand, tél. 02 35 14 66 50. 110 des matériaux métalliques : l’échantillon, préparé sous la forme d’une pointe, doit être suffisamment conducteur pour propager les impulsions électriques d’évaporation. En utilisant des impulsions de « chaleur » produites par une source laser pulsée, l’étude des semiconducteurs est envisageable. POUR EN SAVOIR PLUS Muller (E.W.), Panitz (J.A.), Mc Lane (S.B.), Rev. Sci. Instr. 39, 1968, p. 83-86. Blavette (D.), Menand (A.), La Recherche n° 253 (avril 1993), p. 464466. Blavette (D.), Bostel (A.), Sarrau (J.M.), Deconihout (B.), Menand (A.), Nature 363, 1993, p. 432-435. Cerezo (A.), Godfrey (T.J.), Smith (G.D.W.), J. de Phys. C66-49, 1988, p. 25-30. Menand (A.), Blavette (D.), Techniques de l’ingénieur P 902-1/7, 1995.