SECRÉTARIAT GÉNÉRAL DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE ANNEXE Concept relatif à la prévention de la récidive chez les auteurs d’infractions à caractère sexuel Groupe de travail composé par des représentants du Ministère de la Santé, du Centre Hospitalier Neuropsychiatrique, du Service Central d’Assistance Sociale, du Centre Pénitentiaire de Luxembourg et du Centre Pénitentiaire de Givenich Avril 2009 Introduction Le présent concept concernant la prise en charge des délinquants sexuels en milieu carcéral est le fruit d’un groupe de travail1 créé au sein de l’administration pénitentiaire et du Centre Hospitalier Neuropsychiatrique (CHNP par la suite) sur initiative du Ministère de la Justice. Il a pour finalité la conceptualisation de deux nouvelles mesures, à savoir, dans une première phase, l’injonction de soins, et dans une deuxième phase, la rétention de sûreté. La problématique de la délinquance sexuelle est une question ouverte qui évolue tant en fonction de l’époque qu’en fonction du contexte culturel. Au courant de la dernière décennie, les représentations humaines ont été influencées par la médiatisation excessive de certaines affaires particulièrement tragiques. L’opinion publique ainsi scandalisée a obligé les législateurs à adopter des cadres juridiques particuliers (et répressifs dans certains pays) pour cette catégorie de délinquants et prône le retour à une justice rétributive. Compte tenu de ce qui précède, il s’avère d’autant plus nécessaire de concevoir un modèle de prise en charge des auteurs d’infractions à caractère sexuel pour assurer l’efficacité de la mise en œuvre de l’avant-projet de loi relatif à la prévention de la récidive chez les auteurs d’infractions à caractère sexuel. Ce modèle de prise en charge est adapté non seulement au cadre juridique, mais également à la population pénale au Luxembourg. 1. Objectif Le présent concept est élaboré sur base de l’avant-projet de loi relatif à la prévention de la récidive chez les auteurs d’infractions à caractère sexuel qui introduit deux nouvelles phases dans la procédure applicable aux délinquants sexuels. D’abord, la procédure envisage au moment de la condamnation des auteurs d’infractions à caractère sexuel une injonction de soins pendant l’exécution des peines. Ensuite, les auteurs d’infractions à caractère sexuel arrivés en fin de peine et considérés comme dangereux et 1 M. Daniel Biancalana (Service Central d’Assistance Sociale), Dr André Doeblé (Service MédicoPsychologique Pénitentiaire), Dr Jo Joosten (Centre Hospitalier Neuropsychiatrique), Dr Dorothée Knauf (Ministère de la Santé), M. Lucien Kurtisi (Service Psycho-Socio-Educatif), Mme Caroline Lieffrig (Secrétariat Général de l’Administration Pénitentiaire), M. Georges Rodenbourg (Service Médico-Psychologique Pénitentiaire), M. Jean-François Schmitz (Service Psycho-Socio-Educatif), Dr Pierre Weicherding (Ministère de la Santé), Madame Sandrine Werer (Centre Pénitentiaire de Luxembourg). 2 dont il est établi qu’il existe un risque de récidive, sont éligibles pour une mesure de sûreté : la surveillance de sûreté et la rétention de sûreté. 2. Objet du concept Le présent concept constitue une référence permettant de guider tous les professionnels intervenant dans le cadre de la prise en charge des auteurs d’infractions à caractère sexuel. 3. Méthodologie L’élaboration du présent concept est basée sur la description détaillée de la trajectoire suivie par un détenu depuis son incarcération jusqu’à son élargissement. Les étapes suivantes ont pu être dégagées de l’analyse de la trajectoire : Le diagnostic d’entrée L’injonction de soins L’expertise de dangerosité La rétention de sûreté 3 Section 1 - Diagnostic d’entrée Dès leur incarcération, c’est-à-dire dès la détention préventive, le Service MédicoPsychologique Pénitentiaire (ci-après SMPP) effectue un premier repérage des auteurs d’infractions à caractère sexuel dans le cadre de leur consultation psychiatrique des nouveaux arrivants. L’utilité de ce premier repérage des auteurs d’infractions à caractère sexuel est bien résumée ainsi : « la principale raison de ce signalement particulier est précisément de porter une attention accrue à ces détenus réputés tranquilles, peu demandeurs de soins (et pourtant souvent en grande souffrance psychologique), susceptibles par leur attitude de passer, plus que les autres, entre les mailles du système de prise en charge ».2 Un diagnostic d’entrée est ensuite réalisé pour chaque détenu. La coordination de la réalisation du diagnostic d’entrée relève de la compétence du SMPP. Dans un premier temps, il apparaît nécessaire de définir ce que nous entendons par diagnostic dans le cadre de ce concept. Le diagnostic est un outil d’évaluation permettant d’identifier la cause d’un problème ou d’une maladie à des moments réguliers de la phase de la détention (détention préventive, condamnation, avant le terme de la peine). Le diagnostic évolue et s’affine avec le temps d’où l’importance d’une réévaluation régulière. Le diagnostic d’entrée, quant à lui, est défini comme étant la « photo » de la personne à son entrée en prison permettant d’identifier les causes d’un problème à partir des symptômes relevés par des observations, des entretiens et des tests de la personnalité. Des tests de dangerosité criminologique3 (nous y reviendrons notamment dans la section consacrée à l’expertise) ne pourront être réalisés une fois le délinquant sexuel condamné. Il s’agit d’un rapport final standardisé renfermant une expertise psychiatrique, des tests et une conclusion actée sur les soins à prodiguer à la personne concernée. Le diagnostic d’entrée est réalisé indistinctement pour les prévenus et les condamnés au début de leur incarcération. Le diagnostic d’entrée se divise en deux parties : (a) le diagnostic psycho-pathologique et (b) une évaluation psycho-criminologique réalisée après la condamnation. 2 J. Alvarez, N. Gourmelon, La prise en charge pénitentiaire des auteurs d’agressions sexuelles – Etat des lieux et analyse de nouvelles pratiques, Dossiers thématiques, Centre Interdisciplinaire de Recherche Appliquée au champ Pénitentiaire, ENAP, 2007, p.19. 3 La dangerosité criminologique est définie comme étant la probabilité que présente un individu de commettre une infraction (J. Debuyst, Déviance et société, 1977, vol.1, n°4, p.363-387). 4 Le diagnostic psycho-pathologique relève de la compétence du SMPP et l’expertise psychiatrique réalisée pendant la phase de l’instruction judiciaire en constitue une partie. Il est réalisé dès l’entrée en milieu carcéral, c’est-à-dire en principe avant la condamnation. 1. Evaluation psycho-criminologique L’évaluation psycho-criminologique renferme les informations sur le parcours criminologique et sur l’état psychologique de la personne. Il relève de la responsabilité et de la compétence du Service Psycho-Socio-Éducatif (ci-après SPSE) et du Service Central d’Assistance Sociale (ci-après SCAS). En effet, dans le cadre d’un emprisonnement antérieur éventuel, le SPSE ainsi que le SCAS disposent d’informations importantes relevées lors du suivi individuel dans le cadre de l’exécution des peines et susceptibles d’être intégrées dans le diagnostic. Le SCAS réunit toutes les informations relatives à l’évolution de la situation de l’ex-détenu et à la situation familiale, professionnelle et sociale en dehors du contexte carcéral. Le SPSE, quant à lui, réunit, toutes les informations relatives aux tests et aux échelles psychologiques, aux compétences de vie, à la situation sociale, à l’employabilité, à la participation aux activités du centre pénitentiaire et au comportement lors de la détention. Etant donné que ce type de diagnostic se réfère directement au vécu criminologique, c’est-àdire aux faits incriminés, il ne peut être réalisé qu’une fois la condamnation définitive et la culpabilité établie. L’intervention du SCAS, selon les dispositions en vigueur, ne s’effectue qu’après la condamnation définitive du justiciable ayant résidence officielle au Luxembourg. Après la condamnation, le rapport final est communiqué par le SMPP au Délégué du Procureur Général d’Etat pour l’exécution des peines. Il est conservé dans les locaux respectifs du SMPP, du SPSE et du SCAS dans une armoire spéciale sous clé. Hormis le Délégué du Procureur Général d’Etat pour l’exécution des peines et les membres de la Commission des longues peines, aucune personne n’est susceptible de recevoir copie du rapport final. 2. Suivi Le Délégué du Procureur Général d’Etat notifie les conclusions du rapport final au détenu. Lesdites conclusions sont expliquées de manière conjointe par les agents respectifs du SMPP, du SPSE et du SCAS au détenu concerné afin de générer une meilleure acceptation de la thérapeutique proposée. Le détenu reçoit des explications concrètes concernant les 5 raisons de son traitement ainsi que la manière dont il va être traité. La communication conjointe des conclusions est indispensable afin d’éviter toute tentative de manipulation de la part du détenu envers les services impliqués dans la prise en charge spécifique ultérieure. 6 Section 2 - Injonction de soins 1. Définitions Avant d’aborder l’injonction de soins proprement dite, il nous paraît opportun de définir à ce stade la notion de soins. On entend par soins toute thérapie, psychothérapie, traitement médicamenteux, prise en charge socio-éducative, accompagnement psycho-social, programme socio-thérapeutique pouvant être dispensés aux auteurs d’infractions à caractère sexuel dans le cadre de leur incarcération. L’injonction de soins est l’obligation définie par le juge et adressée aux auteurs d’infractions à caractère sexuel condamnés de se soumettre à des soins pendant le temps de leur incarcération. L’accessibilité à une injonction de soins est intimement liée à la reconnaissance des faits, celle-ci étant une condition préalable au traitement. Cette mesure requiert le consentement préalable au soin de l’intéressé s’agissant d’une obligation juridique et non pas d’un soin sans consentement.4 Or, cette prise de conscience s’acquiert souvent de manière graduelle. Concernant la question de l’obligation et de la participation aux soins, les agents du SCAS et du SPSE réalisent un travail constant de motivation auprès des personnes qui ne seraient pas consentantes. D’après R. COUTANCEAU, « dans la pratique de l’obligation de soins, on constate souvent qu’un abord clair, direct du passage à l’acte, de la réalité pénale, de la vie psychosexuelle suscite souvent un intérêt non dissimulé. Formulé autrement, il s’agit de faire émerger la demande présente, « chemin faisant ». Confronté, s’abandonnant peu à peu à une certaine authenticité, le sujet vient souvent à adhérer d’une certaine manière au suivi, du moins à en accepter le principe ».5 4 G. du Mesnil du Buisson, Quelles sont les implications juridiques de l’obligation de soin, injonction de soin, soin volontaire dans la prise en charge d’auteurs d’agressions sexuelles ?, in Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agression sexuelle, Conférence de consensus de la fédération française de Psychiatrie, Ed John Libbey, 2001. 5 R. Coutanceau, Délinquants sexuels : stratégies de prise en charge et association de techniques thérapeutiques, in Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agression sexuelle, Conférence de consensus de la fédération française de Psychiatrie, Ed John Libbey, 2001, p. 310. 7 2. Permanence Afin de développer une stratégie thérapeutique et de définir le contenu et les modalités de l’injonction de soins, il est formalisée une plate-forme spéciale dénommée « permanence », ayant existé antérieurement sous forme de réunions informelles, et composée des membres du SMPP, du SPSE, du SCAS, des thérapeutes et de tous les autres intervenants professionnels concernés par le détenu en question. Nous soulignons ici l’aspect pluridisciplinaire de l’évaluation de l’auteur d’infractions à caractère sexuel lors de la permanence. En effet, « seule cette lecture pluridisciplinaire peut éclairer les aspects particuliers de la personnalité de base, mais aussi du développement psychosexuel particulier, et également analyser les éléments psychologiques pré-délictuels, délictuels et post-délictuels (en particulier en attachant un intérêt pour le positionnement psychoaffectif du sujet après son passage à l’acte) ».6 La permanence se réunit au moins une fois par mois sinon plus en cas de besoin sur invitation du coordinateur du SMPP après demande de tout collaborateur des trois services. Elle a pour missions en ce qui concerne les auteurs d’infractions à caractère sexuel : un échange formel d’informations entre les différents services une responsabilité partagée entre services la prise de décisions communes concernant les modalités d’exécution de l’injonction de soins moyennant des procès-verbaux. Le cas individuel d’un auteur d’infractions à caractère sexuel n’est discuté à la permanence qu’après la condamnation définitive de cet auteur. Le Délégué du Procureur Général d’Etat est informé d’office des modalités arrêtées concernant l’injonction de soins. Les rapports lui sont communiqués et servent exclusivement aux acteurs impliqués dans les soins. Aucune copie des rapports n’est à remettre au détenu. Les préposés du SPSE et du SCAS sont chargés de l’archivage des rapports de la permanence dans leurs services respectifs. Les professionnels du SPSE et du SCAS sont libres de consulter les rapports sur place. 6 R. Coutanceau , op. cit. 5, p. 308. 8 3. Bloc spécial De manière générale, parmi les experts de la prise en charge des auteurs d’infractions à caractère sexuel, deux tendances sont identifiées concernant le regroupement des auteurs d’infractions à caractère sexuel dans une section spéciale à l’intérieur de la prison. Les uns préconisent ce regroupement afin de « protéger » les auteurs d’infractions à caractère sexuel, extrêmement stigmatisés en milieu carcéral, des autres délinquants. Les opposants, quant à eux, constatent que le regroupement ne fait qu’exacerber d’avantage leur stigmatisation. En effet, la stigmatisation est déjà causée par la loi spéciale en elle-même. En plus, le groupe des auteurs d’infractions à caractère sexuel constitue un groupe hétérogène renfermant des personnes présentant des degrés de dangerosité et des niveaux de violence différents. Nous souscrivons dans le cadre de ce concept à cette dernière orientation. En effet, il est préférable de préconiser la répartition de ces détenus, même difficilement gérables, aux différents blocs de la prison dans un souci de simplification de la gestion journalière pour le personnel intervenant, notamment le personnel de garde. De manière particulière, il existe cependant un groupe réduit de personnes au Centre Pénitentiaire de Luxembourg (au nombre de 5 à 10) qui présente les caractéristiques suivantes : multirécidivistes graves troubles de la personnalité danger (psychique) pour les codétenus et danger physique pour eux-mêmes éventuellement éligibles pour une mesure de sûreté à la fin de leur peine. Il est alors décidé, au cas par cas et selon leur état clinique, de leur hébergement provisoire à la section psychiatrique du SMPP. Depuis peu, au Centre Pénitentiaire de Luxembourg, une unité particulière de protection héberge une majorité de cette catégorie de détenus ensemble avec d’autres détenus dont le point commun consiste en une nécessité absolue de protection du reste de la population pénale et non en une stigmatisation par rapport à une quelconque infraction pénale. 4. Prise en charge Nous allons aborder, dès à présent, le volet de la prise en charge de l’auteur d’infractions à caractère sexuel en milieu carcéral. L’injonction de soins, obligatoire en cas de 9 condamnation à une peine privative de liberté, constitue donc l’obligation de l’auteur d’infractions à caractère sexuel de se faire soigner pendant l’incarcération moyennant un programme spécial conçu individuellement et adapté à sa situation personnelle lors de la permanence. Mais, avant cela, analysons brièvement, d’abord, les statistiques des auteurs d’infractions à caractère sexuel détenus aux deux centres pénitentiaires et, ensuite, l’aspect criminologique de la nature des infractions sexuelles. Après, nous allons développer les concepts psychiatriques du trouble mental et du trouble de la personnalité. Finalement, nous allons en venir aux différentes approches thérapeutiques proprement dites. 4.1. Données statistiques Depuis cinq ans, le recensement systématique7 des auteurs d’infractions à caractère sexuel nous indique leur relative stabilité par rapport à la population totale (autour de 10%). Au 12.11.2007, la population pénale s’élevait à 767 détenus (dont 682 au CPL et 85 au CPG) dont 57 personnes incarcérées pour des infractions sexuelles, quelle qu’en soit la nature. Les infractions sexuelles constituent le cinquième groupe le plus important de la population pénale au Luxembourg.8 En France, par contre, « les personnes sanctionnées pour des infractions sexuelles, qu’elles soient criminelles ou délictuelles, commises sur des majeurs ou des mineurs, représentent actuellement le groupe de détenus le plus important parmi les condamnés incarcérés dans les prisons françaises (22% en moyenne) ».9 4.2. Aspects criminologiques Afin de mieux cerner la population des auteurs d’infractions à caractère sexuel au Luxembourg, nous allons nous intéresser plus particulièrement au statut de la victime. Parmi les 57 délinquants sexuels relevés au 12.11.2007, 32 sont détenus pour des infractions sexuelles commises sur mineurs et 21 pour des infractions sur majeurs. Pour 4 d’entre eux, les agressions sont de nature mixte. Le tableau ci-après offre une description détaillée de la population des délinquants sexuels selon différents facteurs : victime mineure et/ou majeure, victime intrafamiliale et/ou extrafamiliale, victime dans l’entourage ou inconnue. Statut de la victime Intrafamilial Entourage Extrafamilial Inconnue Mineur 16 9 4 Majeur 3 12 6 Mixte 0 2 0 Total 19 23 10 7 G. Rodenbourg, Classification des délinquants sexuels (aspects cliniques), SMPP, décembre 2007. Rapport annuel 2007, Ministère de la Justice, Grand-duché de Luxembourg, mars 2008. 9 V. Lamanda, Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux, Rapport à Monsieur le Président de la République, mai 2008, p. 13. 8 10 3 0 2 5 Intrafamilial et Entourage extrafamilial Inconnue 0 0 0 0 32 21 4 57 Total Tableau 1 : Population des auteurs d’infractions à caractère sexuel au Luxembourg selon le statut de la victime. Il importe de souligner que la proportion d’agresseurs sur mineurs est plus élevée que celle d’agresseurs sur majeurs. Le taux s’élève à 56,1%. Au Luxembourg, le taux de récidive légale, sinon le nombre de réitérations, c’est-à-dire le renouvellement d’une infraction qui ne relève pas du strict régime juridique de la récidive10, des auteurs d’infractions sexuelles est relativement élevé (26%). La prévention de la récidive et l’obligation du délinquant sexuel de se soumettre aux soins en prison prennent ici toute leur signification sachant que différentes études constatent que, dans l’ensemble, 10 à 15% des délinquants sexuels commettent une nouvelle infraction sexuelle dans les 5 ans qui suivent leur sortie de prison.11 4.3. Troubles mentaux et troubles de la personnalité La détermination du soin à dispenser en milieu carcéral à l’auteur d’infractions à caractère sexuel et sa dangerosité dépendent de la présence d’un trouble mental ou d’un trouble de la personnalité. En psychiatrie moderne, une nette distinction est opérée entre le trouble mental qui a une incidence sur la situation pénale de la personne selon que le trouble a aboli son discernement ou le contrôle de ses actes12 (cause d’irresponsabilité pénale) ou a simplement altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes13 (responsabilité pénale établie avec adaptation de la peine selon la circonstance) et le trouble de la personnalité (responsabilité pénale établie). Le trouble mental est défini « comme une manifestation psycho-pathologique ou comportementale qui s’exprime dans la sphère intellectuelle et/ou affective et/ou comportementale. On distingue les troubles psychotiques, qui qualifient un état dans lequel le sujet a perdu contact avec la réalité (schizophrénie, psychose maniaco-dépressive, etc.), et les troubles névrotiques (phobies ou troubles obsessionnels compulsifs) ».14 10 V. Lamanda, op. cit. 9, p.13. R.K. Hanson, Facteurs de risque de récidive sexuelle : caractéristiques des délinquants et réponse au traitement, in Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agression sexuelle, Conférence de consensus de la fédération française de Psychiatrie, Ed John Libbey, 2001, p. 215. 12 Art. 71 (Loi du 8 août 2000) du Code Pénal luxembourgeois. 13 Art. 71-1 (Loi du 8 août 2000) du Code Pénal luxembourgeois. 14 V. Lamanda, op. cit. 9, p. 23. 11 11 Les troubles de la personnalité, quant à eux, sont « aussi appelés psychopathie, sociopathie, personnalité limite, personnalité addictive, ils correspondent à des traits de personnalité rigide, inadaptée et responsable d’une altération plus ou moins sévère des relations sociales et professionnelles. Ces troubles peuvent être aigus, transitoires et réactionnels à une situation de conflits ou de contrainte ; ils peuvent aussi être permanents s’ils traduisent une organisation psychique particulière, caractéristiques des personnalités pathologiques ».15 « Ils se distinguent par une défaillance narcissique, déni de l’individualité d’autrui, qui provoque une incapacité à ressentir l’émotion associée à l’empathie ou à la souffrance, et un comportement généralement impulsif et antisocial ».16 De manière générale, « la personnalité ne devient pathologique que lorsqu’elle se rigidifie, entraînant des réponses inadaptées, source d’une souffrance ressentie par le sujet ou d’une altération significative du fonctionnement social ».17 Il s’agit d’une affectation chronique qui apparaît souvent à l’adolescence et dont la gravité peut être située sur un continuum.. D’après la classification américaine du DSM-IV18, axe II relatif aux troubles de la personnalité et au retard mental, dix troubles spécifiques de la personnalité sont identifiés.19 Parmi les auteurs d’infractions à caractère sexuel incarcérés au Luxembourg soumis aux évaluations diagnostiques du SMPP20, 43 présentent des troubles de la personnalité dont 6 récidivistes et 9 présentent des troubles graves de la personnalité, dont 8 récidivistes. Le taux de personnes souffrant de troubles de la personnalité parmi la population de délinquants sexuels atteint ansi les trois-quarts (75,4%) et 20% souffrent de troubles graves de la personnalité. La dangerosité criminologique des auteurs d’infractions à caractère sexuel présentant des troubles graves de la personnalité est particulièrement élevée, compte tenu notamment du nombre de récidivistes (8 pour 9 individus). Dans ce contexte, de nombreuses études s’accordent à reconnaître que l’un des principaux facteurs prédictifs de la récidive sexuelle est le trouble de la personnalité antisociale21 et la prévalence très élevée 15 Rapport de la commission Santé-Justice, sous la présidence du Procureur Général Burgelin, Juillet 2005, p.5. V. Lamanda, op. cit. 9, p. 25. 17 O. Gales, J.D. Guelfi, F. Baylé, P. Hardy, Troubles de la personnalité, 2ème partie - Maladies et grands syndromes, Question d’internat N°286. 18 American Psychiatric association, DSM-IV, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Traduction française, Paris, Masson, 1996, 1056p. 19 Trouble de la personnalité paranoïaque, trouble de la personnalité schizoïde, trouble de la personnalité schizotypique, trouble de la personnalité borderline, trouble de la personnalité histrionique, trouble de la personnalité narcissique, trouble de la personnalité évitante, trouble de la personnalité dépendante, trouble de la personnalité obsessionnelle compulsive, trouble de la personnalité anti-sociale. 20 G. Rodenbourg, op. cit.7. 21 R.K. Hanson, op. cit. 11, p. 211. 16 12 de troubles de la personnalité dans la population des auteurs d’infractions à caractère sexuel. Finalement, la littérature scientifique internationale, excepté le courant psychanalytique, s’accorde à admettre que chez les auteurs d’infractions à caractère sexuel la grande comorbidité des troubles de la personnalité, surtout chez les multirécidivistes, et le fait qu’ils sont particulièrement réfractaires aux soins et aux prises en charge psychothérapeutiques. 4.4. Dispositif de prise en charge et de soins22 Dans le cadre de ce concept, nous privilégions une prise en charge pluridisciplinaire de l’auteur d’infractions à caractère sexuel. En outre, l’approche thérapeutique se doit d’être personnalisée et adaptée à la problématique de chaque auteur d’infractions à caractère sexuel. Chaque cas est discuté individuellement pendant la permanence et une définition de la prise en charge est donnée. Chaque détenu est soumis à un programme distinct spécialement conçu et adapté à sa situation personnelle. Les soins sont donc très personnalisés et déterminés au cas par cas. Dans le cadre de la prise en charge pluridisciplinaire de l’auteur d’infractions à caractère sexuel ainsi que dans le cadre du traitement pénologique, les soins prodigués au détenu sont d’ordre social, psychologique, psychiatrique et médical. La conception du soin s’inscrit, d’une part, dans la spécificité des différentes disciplines et, d’autre part, dans leur complémentarité. Soucieux d’éviter une médicalisation à outrance d’une partie des auteurs d’infractions à caractère sexuel, notamment à travers l’injonction de soins en elle-même, nous soulignons ici que la prise en charge peut également se définir en un accompagnement socio-éducatif ou un accompagnement psycho-social. Actuellement, le service de probation du SCAS assure un encadrement des détenus (toutes catégories d’infractions confondues) dès leur condamnation définitive. Cet encadrement s’opère tant au CPL qu’au CPG. Il aide le SCAS à préparer avant tout le détenu à son élargissement sous conditions (libération conditionnelle) et à sa réinsertion sociale. Cette guidance s’effectue en collaboration avec le SPSE. 22 I. Atger, Quelles sont les différentes méthodes thérapeutiques, leurs modalités, indications, objectifs et obstacles particuliers, leurs limites et leurs complémentarités ? Comment évaluer leurs résultats ?, in Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agression sexuelle, Conférence de consensus de la fédération française de Psychiatrie, Ed John Libbey, 2001, p. 475-502. 13 Pendant son séjour en détention, le SCAS assure une guidance psycho-sociale du condamné, analyse sa situation sociale et professionnelle et thématise le passage à l’acte. Dans le cadre de ce travail, le SCAS dispose d’une obligation de moyens. Le SCAS entre également en contact avec les membres de la famille du condamné. En outre, le SCAS collabore avec tout autre service (social, étatique, communal, privé) et employeur susceptible d’aider le détenu à préparer sa réinsertion. Par ailleurs, le SPSE du Centre Pénitentiaire de Givenich dispose déjà à l’heure actuelle d’un dispositif d’accompagnement des détenus qui consiste en deux éléments : un accompagnement personnalisé et la participation à des programmes spécifiques. Pendant tout son séjour au Centre Pénitentiaire de Givenich, le détenu est accompagné par un agent SPSE travaillant selon la méthode de l’empowerment case management.23 Dans l’exécution de leurs missions, les agents SPSE coopèrent étroitement avec les agents de probation du SCAS. Le dispositif d’accompagnement comprend cinq programmes dans les domaines identifiés par Andrews et Bonta (2006)24 comme déterminant dans le processus d’insertion sociale des détenus. Il s’agit des programmes suivants : Emploi et employabilité, Développement des compétences de vie, Accompagnement psycho-criminologique, Enseignement et formation25 et Tox26. Nous allons aborder, dès à présent, successivement les différentes approches thérapeutiques, susceptibles d’être associées entre-elles (psychothérapie psychodynamique, les psychothérapies individuelles cognitives et comportementales, la psychothérapie de groupe, les entretiens de couple et familiaux, la chimiothérapie hormonale et psychotrope et 23 C. Haas, J. F. Schmitz, The conceptual framework of EQUAL-RESET, Poster presented at the international Equal-conference « Passport to Freedom », Lisbon: 23 -24 octobre 2006. C. Haas, J.F. Schmitz, Empowerment Case Management : un accompagnement individualisé et participatif des détenus du programme EQUAL-RESET, Communication présentée au Premier congrès international de la Société suisse de travail social SSTS « Changements de société – quelles conséquences pour le travail social ? », Lucerne : 6 - 8 mars 2008. 24 D.A. Andrews, J. Bonta, The psychology of criminal conduct, Cincinnati, Ohio, 2006. 25 Le programme Enseignement et Formation est offert par le Service Enseignement et Formation du Ministère de l’Education Nationale et de la Formation professionnelle. 26 Le programme TOX ou Toxicomanie n’a pas été développé dans le cadre du projet EQUAL-RESET. Il fait l’objet d’une convention entre le Centre Hospitalier Neuro-Psychiatrique (CHNP) et le Ministère de la Justice. Une équipe multidisciplinaire de 7 agents (3.5 ETP) est chargée de la mise en œuvre de ce programme. 14 la sociothérapie) en décrivant pour chacune d’entre-elles la catégorie et les objectifs, les modalités, les indications et les limites. 4.4.1. Psychothérapie psychodynamique La psychothérapie psychodynamique est inspirée des théories psychanalytiques qui reposent sur l’apport fondamental de l’œuvre de Sigmund FREUD (1856-1939). Selon FREUD, la personnalité est organisée en trois instances en constante relation entre-elles : le Moi (qui régit la vie relationnelle), le Ça (pulsions instinctuelles) et le Surmoi (exigences socioculturelles).27 Le traitement s’appuie sur les étapes psychosexuelles, les conflits inconscients, les mécanismes de défense ainsi que les processus subconscients. Actuellement, la thérapie d’inspiration psychanalytique cherche à faire prendre conscience au sujet de sa souffrance, de ses origines infantiles et des modalités par lesquelles il cherche à gérer cette souffrance, y compris dans ses passages à l’acte. Les techniques utilisées sont les associations libres, la révélation et l’interprétation. En revanche, en milieu carcéral, le recours à la psychothérapie psychodynamique proprement dite est difficilement réalisable. « Il est pratiquement impossible d’effectuer une psychanalyse répondant aux critères habituels – usage du divan, nombre et régularité des séances, durée de la cure – en milieu carcéral, pour des raisons pratiques. De plus, la nature de la pathologie, aussi bien en milieu extra carcéral lorsque les conditions la rendraient possible, ne s’y prête pas. La demande spontanée est rare ; l’influence intéressée d’un désir de sortir d’un cadre juridique toujours contraignant doit être décodée ; le fonctionnement psychique, souvent proche de l’état limite, handicapé par des systèmes de défense stérilisants et rigides ne permet pas de satisfaire à la règle de l’association libre. […] Une analyse sans aménagement risque, en réactivant l’angoisse, de précipiter le passage ou le recours à l’acte ».28 De même, « les indications généralement posées sont : une demande volontaire, une reconnaissance minimale des faits ainsi que la capacité d’identification de certaines zones 27 M. Godfryd, Les maladies mentales de l’adulte, Que sais-je ?, PUF, 5e édition, juin 2006, p. 8. C. Balier, Psychothérapie psychodynamique des auteurs d’agression sexuelle, in Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agression sexuelle, Conférence de consensus de la fédération française de Psychiatrie, Ed John Libbey, 2001, p. 237. 28 15 de souffrance ».29 L’utilisation de cette approche thérapeutique doit être soumise à « une analyse fine, au cas par cas ». Catégorie et objectifs Psychothérapie psychodynamique d’inspiration psychanalytique Objectifs : - donner du sens aux conduites déviantes - accompagner le sujet dans une recherche volontaire et consciente pour l’aider à comprendre et à apaiser ses conflits inconscients Effet de par-excitation Modalités Cure type (psychanalyse) Associations libres Indications Sujets motivés Limites N’est pas un soin à proprement parler Psychothérapie psychodynamique (en face à face) semidirective Psychothérapie de soutien (avec intervention dans la vie réelle) directive Personnalités névrotiques Ne peut pas s’imposer Sujets traumatisés (ayant été maltraités et/ou abusés sexuellement pendant l’enfance) Se réfère à l’ensemble de la vie psychique Mesures de semiliberté En association avec pharmacothérapie, thérapies de groupe, thérapie familiale, thérapie sociale Beaucoup de femmes ayant commis des agressions sexuelles (case reports) Demande un niveau intellectuel élevé Durée incertaine Permanence d’un référent externe Une aide au Moi Commencer un travail d’expression, de pensée comme substitut de passage à l’acte Coût et formation des thérapeutes Contre-transfert négatif, voyeurisme du thérapeute, burnout Nécessité d’une supervision constante Le clivage avec les autorités judiciaires (à l’image du clivage dans le fonctionnement psychique du patient) Le problème de la confidentialité dans la relation avec le thérapeute Tableau 2 : Psychothérapie psychodynamique des délinquants sexuels : catégorie et objectifs, modalités, indications et limites. 29 J. Alvarez, N. Gourmelon, op. cit. 2, p. 21. 16 4.4.2. Psychothérapies individuelles cognitives et comportementales Alors que dans la psychothérapie psychodynamique la cause du trouble est à rechercher dans la psyché30, dans la psychothérapie individuelle cognitive et comportementale, le comportement, et par extension le trouble, est le fruit d’un comportement appris (lois de l'apprentissage) qui peut être traité par des techniques de déconditionnement.31 Les délinquants sexuels souffrant de déficits et de distorsions cognitifs, la thérapie cognitive et comportementale agit, d’un côté, au moyen de mises en situation et d'expositions graduées aux situations provoquant un passage à l’acte (thérapie comportementaliste) et, d’un autre côté, sur ses pensées (thérapie cognitive). « Le but de ces méthodes est, d’une part, de diminuer la sensibilité sexuelle aux stimuli déviants et, d’autre part, d’élargir le champ d’attraction sexuelle à d’autres objets que ceux qui l’obligent à des agressions ». Catégorie et objectifs Psychothérapie cognitive et comportementale Modalités Thérapies expérimentales d’aversion : Indications Patients motivés et volontaires Objectifs : Que les patients se vivent comme agresseurs et non comme victimes Comprendre la « chaîne délictogène » Renforcer les mécanismes du contrôle du moi en rebâtissant les barrières franchies Associer fantasmes déviants et écœurement pour vider le scénario type de son pouvoir excitant Associer des stimulations déviantes à des réponses aversives Exhibitionnistes Associer fantasmes déviants et inhibitions surmoïques (punitions) Effacer et remplacer le 30 31 Limites Ethiques : p.ex. « complicité dans le visionnement illégal de cassettes pédophiliques, de viols On leur fait mal délibérément Violeurs Pédophiles Sujets limités intellectuellement Technique de satiation verbale et en laboratoire (masturbation) : on sature l’appétit sexuel déviant jusqu’à l’écœurement Technique de sensibilisation voilée : on impose la masturbation mais on empêche l’agresseur de conclure son fantasme dans le sens habituel désiré Technique de Les sujets peuvent tricher et arriver à un renforcement de l’excitation déviante Ethiques : peut être agressif pour le thérapeute et le délinquant L'intégralité des manifestations conscientes et inconscientes de la personnalité et de l'intellect humain. M. Godfryd, op. cit. 27, p. 6. 17 stimulus électif déviant par un autre non-déviant Associer orgasme et image non-déviante et l’introduisant de plus en plus tôt pendant la montée de l’excitation Réduire le stress à l’origine d’un passage à l’acte Diminuer l’anxiété liée à la pénétration de la femme l’effacement progressif : surexposition progressive d’une image non-déviante sur une image déviante en maintenant l’érection Le reconditionnement orgasmique : Projection d’une image déviante pour exciter et substitution par une image non-déviante au moment de l’orgasme jusqu’à ce qu’une image non-déviante arrive à susciter un orgasme Techniques de relaxation Méditation : environnement contenant Adolescents Troubles de la personnalité La perception de la relaxation comme proche de la dépression Effet rebond : nécessité d’un passage à l’acte après la relaxation Yoga : contrôle de l’anxiété Association avec consommation de toxiques Impulsivité S’adresse aux délinquants et aux parents Tableau 3 : Psychothérapies individuelles cognitives et comportementales des délinquants sexuels : catégorie et objectifs, modalités, indications et limites. 4.4.3. Psychothérapie de groupe La psychothérapie de groupe permet d’intégrer le délinquant sexuel (souvent confronté à une inhibition et une isolation sociales) à un groupe de pairs. Elle s’inscrit dans une certaine durée et une continuité : chaque session est définie par une durée déterminée (2 heures en moyenne) et la fréquence des groupes est préalablement fixée (allant d’une fois par semaine à une fois par mois). Ce cadre rigoureux est généralement géré par deux thérapeutes au moins. Les critères d’admissibilité32 à une psychothérapie de groupe sont : 32 l’ambivalence face au suivi une lucidité insuffisante quel que soit le niveau intellectuel R. Coutanceau , op. cit. 5, p. 311. 18 un égocentrisme prévalent une inhibition sociale habituelle. La technique groupale est basée sur un programme spécifique et elle est structurée en plusieurs étapes, chaque étape répondant à des objectifs successifs différents : reconnaissance et description des faits (prise de responsabilité) compréhension du cycle d’agression sexuelle personnel développement de l’autocontrôle développement de l’empathie pour les victimes développement des capacités sociales et de communication prévention des rechutes par le suivi du groupe. Catégorie et objectifs Psychothérapie de groupe Objectifs : Utiliser le groupe comme contenant et les autres membres comme supports identificatoires Confrontation aux limites et aux frustrations imposées par le groupe Modalités Le modèle de classe : Information suivie de discussion à partir d’un modèle (la part de la victime, de l’agresseur et du thérapeute) On demande à chaque délinquant de dessiner son diagramme personnel de fonctionnement : Développer la part « thérapeutique » en soi Vaincre plus vite les résistances d’une psychothérapie individuelle Apprendre aux délinquants à mieux communiquer avec les autres et à pouvoir compter sur eux Sujets manipulateurs qui pourraient manipuler un seul thérapeute en tête-àtête Sujets psychopathes avec manque d’empathie Sujets limités intellectuellement qui peuvent bénéficier d’un abord directif des conduites Confrontation au déni Développement de l’empathie par rapport aux victimes Apprentissage de l’autoévaluation Indications Délinquants qui se maintiennent dans le déni Groupe de parole et jeux de rôle : L’assiduité est exigée et la confidentialité garantie et exigée (sauf pour nouvelles agressions) Les agresseurs prennent tour à tour des rôles de victimes et d’agresseurs et discutent avec le groupe Jeux de rôle pour retrouver leur fonctionnement dans d’autres situations d’interaction sociale Limites Les membres du groupe peuvent représenter des agresseurs potentiels les uns pour les autres Recherche d’une place à part dans le groupe (négativement) : p.ex. peu efficace avec les exhibitionnistes ou pour comportements compulsifs Enfermement du thérapeute qui devient une « victime » pour les autres Nécessite un travail en équipe et une supervision de celle-ci Burn-out des thérapeutes 19 Réassurance narcissique par connotation positive des progrès repris dans le groupe Modifier une lecture essentiellement sexuelle des interactions interpersonnelles Connotation positive et maturante du fait d’assumer une responsabilité Utiliser des diapositives ou des vidéos comme supports de discussion p.ex. un petit garçon avec un monsieur sur un banc (Que fontils ?, Pourquoi ?, Comment ?) Soutien, expression Analyse en différé d’une présentation de soi enregistrée en vidéo Ecrire une lettre d’excuse à la victime et sa famille à discuter avec le groupe Groupe de parents Dans les maisons d’arrêt, dans les maisons de correction ou en ambulatoire Sujets très jeunes mineurs, adolescents Parents délinquants mineurs Le déni peut se maintenir longtemps, il faut continuer ou associer les traitements La confidentialité de ce qui est raconté en présence des autres (doit être rapporté aux autorités judiciaires) Simulation, refus, arrêt de la thérapie Groupe des frères et sœurs Améliorer l’insight et En association avec Le psychodrame : En présence des l’empathie avec les d’autres prises en thérapeutes et du victimes charge directeur de jeu, les complémentaires délinquants proposent Sujets inhibés, sujets Développer une capacité des scènes très déprimés, sujets à jouer et diminuer le significatives de leur sensitifs ou recours au passage à enfance ou de leur personnalités l’acte comme unique passé pour améliorer paranoïaques solution aux conflits l’insight et la capacité internes à faire des liens (cause à effet) Le psychodrame individuel Le psychodrame de groupe Tableau 4 : Psychothérapie de groupe des délinquants sexuels : catégorie et objectifs, modalités, indications et limites. 4.4.4. Entretiens de couple et familiaux L’approche familiale dans le domaine thérapeutique permet de prendre en charge l’ensemble des protagonistes concernés par l’agression sexuelle dans le but de comprendre, de traiter et de réinsérer le délinquant sexuel. Elle est non seulement indiquée pour les agressions sur le conjoint (entretien de couple), mais également pour les pères incestueux (entretiens familiaux). L’approche familiale ne constitue pas une référence exclusive, mais elle doit toujours s’accompagner d’autres mesures de prise en charge dans un souci de complémentarité et 20 d’intégration. Des rencontres familiales peuvent constituer un complément indispensable des rencontres individuelles et personnelles.33 Catégorie et objectifs Thérapies familiales et de couple Modalités Thérapies familiales systémiques : Indications Inceste et autres agressions intrafamiliales Objectifs : Prendre en compte l’ensemble des protagonistes concernés par l’agression sexuelle Déceler les différents types de communication interpersonnelle qui structurent les relations intrafamiliales Aider la famille à évoluer en même temps que le délinquant traité Difficulté de séparation agresseur-victime très attachés, « codépendance » Entretiens familiaux : Abus sexuels par et sur mineurs Inceste Quand le retour dans la famille est envisagé Si le délinquant n’est pas très motivé, la participation de la famille, du conjoint l’aide à continuer Déni Limites Le même thérapeute peut être amené à traiter l’agresseur et la victime Travail d’équipe, demande des thérapeutes formés Demande le consentement et une remise en cause de toute la famille Difficile à mettre en place en prison Peut traumatiser la victime Prise en compte d’éléments culturels Tableau 5 : Entretiens de couple et familiaux : catégorie et objectifs, modalités, indications et limites. 4.4.5. Chimiothérapie hormonale et psychotrope Les pharmacothérapies en milieu carcéral doivent être assorties des mêmes principes qui gouvernent la prescription de tout autre médicament : indépendance du prescripteur, respect du secret médical, consentement libre et éclairé du patient, bénéfices thérapeutiques compensant largement les risques encourus.34 De même, une observance et une participation constantes du délinquant sont obligées. Le délinquant doit être informé en détail de tous les effets secondaires du traitement. 33 J.Y. Hayez, E. de Becker, Perspective systémique et travail familial ou de couple dans la prise en charge des auteurs d’agression sexuelle, in Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agression sexuelle, Conférence de consensus de la fédération française de Psychiatrie, Ed John Libbey, 2001, p. 265-266. 34 F. Thibaut, B. Cordier, Psychotropes et chimiothérapie hormonale des auteurs d’agression sexuelle : Modalités, indications, objectifs, difficultés et limites, in Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agression sexuelle, Conférence de consensus de la fédération française de Psychiatrie, Ed John Libbey, 2001, p. 283. 21 A terme, toute pharmacothérapie, dans le but d’une politique préventive, est obligatoirement accompagnée d’autres méthodes thérapeutiques. Catégorie et objectifs Traitements chimiques Thérapie hormonale : Diminuer les taux de testostérone circulante, diminution secondaire de la production de gonadotrophines Modifie le métabolisme de la testostérone : compétition avec sa liaison sur le site récepteur et a un effet antigonadotrope Modalités Les œstrogènes : Ethynil - œstradiol Les progestatifs ou dérivés : MPA (l’acétate de médroxyprogestérone) : 60 à 800 mg/semaine en intramusculaire Indications Sujets agressifs et récidivistes Pathologies aliénantes, incontrôlables Pédophiles S’oppose à l’action périphérique des androgènes CPA : l’acétate de cyprotérone 50 à 200 mg/jour à prendre per os (ANDROCUR en France) Coût peu élevé Addictions sexuelles Récidivistes et pédophiles Exhibitionnistes Autistes En association avec une psychothérapie ou d’autres méthodes psychothérapiques Inhibition réversible de la sécrétion gonadique de testostérone par désensibilisation gonadotrope de l’action de GU RH endogène Les analogues de la GU RH : Triptoreline : 3,75 mg injection IM par mois en association avec du CPA per os pendant le premier mois Gosereline Impulsivité Sujets récidivistes Limites Effets secondaires : gynécomastie, atrophie testiculaire, augmentation du risque de cancer du sein = abandonné Délai d’action d’un mois, inefficace si sujet psychotique et aggrave la symptomatologie psychotique Effets secondaires : prise de poids, asthénie, effet dépressogène, risque thrombo-embolique Nécessite une bonne observance ; les effets sont totalement réversibles Réussite de 80% environ pour les comportements spontanés, mais maintien d’un pouvoir excitant intact mesuré par phlétismographie de scènes de viol ou de pédophilie (vidéos) Effets secondaires : gynécomastie, asthénie, prise de poids, cytolyse hépatique Inefficace chez les psychotiques, aggrave la symptomatologie psychotique Délai d’action de 10 jours Ne modifie le désir 22 Pourrait jouer un rôle de neuromodulateur au niveau du système limbique D’abord stimule la libération de LH et FSH, donc augmente les concentrations d’œstrogènes et androgènes puis supprime la réponse à la LHRH endogène, donc diminue la sécrétion de LH et FSH Traitements psychotropes Diminuer l’impulsivité et les conduites compulsives par l’augmentation de la sérotonine au niveau central (+ augmentation de la neurotransmission dopaminergique) Diminuer la neurotransmission dopaminergique associée à une désinhibition sexuelle Leuprolide Pédophilie Nafareline Réduisent le désir et le comportement sexuel déviant et surtout la fréquence et l’intensité des fantasmes déviants Administrer en même temps des petites doses de testostérone Exhibitionnistes Antidépresseurs sérotoninergiques (per os) : Fluoxetine : 10-80 mg/jour Sertraline : 50-200 mg/jour Paroxetine : 10-60 mg/jour Fluvoxamine : 50-300 mg/jour Citalopram : 10-50 mg/jour Antagonistes dopaminergiques (per os) : Bupropion S R : 100400 mg/jour Méthylphenidate S R : 20-100 mg/jour Adderall : 10-50 mg/jour Dextroamphétamine : 10-50 mg/jour Cylert : 18,75-112,50 mg/jour Carbonate de lithium Addictions sexuelles Délinquants obsessionnels compulsifs Effet antidépresseur et anxiolytique En association avec les agonistes dopaminergiques Patients diagnostiques ADHD rétrospectivement Améliorer la tolérance aux antidépresseurs sérotoninergiques sexuel chez les normaux que dans 40% des cas Hypogonadisme par troubles de l’érection Bouffées de chaleur Anorgasmie induite par les antidépresseurs Délai d’action d’un mois L’effet peut diminuer dans le temps Psychostimulants Peuvent faire apparaître des phénomènes de dépendance En association avec ISRS 23 Antidépresseurs tricicliques : Clomipramine Desipramine Neuroleptiques : Benperidol Thioridazine Haloperidol Pathologie psychiatrique associée (selon indications classiques) Peu d’études se cas (incontrôlés) Difficile à dire si c’est un effet primaire ou secondaire au traitement de la maladie sous jacente Antiépileptiques : Carbamazepine Tableau 6 : Chimiothérapie hormonale et psychotrope des délinquants sexuels : catégorie et objectifs, modalités, indications et limites. 4.4.6. Sociothérapie « Dans la pratique on constate qu'il n'existe pas une sociothérapie mais des sociothérapies pratiquées dans des lieux aussi divers que les prisons, les maisons de retraite, les instituts pour handicapés, et les hôpitaux psychiatriques. Ces sociothérapies sont d'applications variées : animations artistiques, jeux de société, partage d'appartement, ergothérapie, etc. Cette diversité de lieux et de pratiques met en lumière le flou qui entoure la sociothérapie. Quant à la définition du mot, elle est également imprécise. Selon les ouvrages, on l'assimile à une thérapie occupationnelle, à une psychothérapie de groupe, ou à un système relationnel et communicationnel ».35 Dans le cadre du concept, nous entendons par sociothérapie une forme de thérapie de groupe cognitive et comportementale visant à améliorer les compétences sociales et à restaurer les communications interpersonnelles des délinquants sexuels. L’on part du double constat que la plupart des délinquants sexuels sont isolés socialement (pédophiles et exhibitionnistes) et qu’ils ont recours à l’agression sexuelle afin de satisfaire leurs besoins de contact et de communication et que la plupart d’entre eux souffrent de troubles affectifs et comportementaux. Catégorie et objectifs Education sexuelle Objectifs : Information Familiarisation et démystification de choses angoissantes Corriger des croyances erronées Modalités Information sur l’anatomie et la physiologie des organes génitaux Informations sur les liens entre développement affectif et sexuel Restituer la pulsion sexuelle à l’intérieur de la conscience Indications Limites 35 M.H. Léon, Sociothérapie, Thérapie Sociale et Socio-Développement, Forum Social Européen 2003/Initiative santé mentale, 12-15 novembre 2003, Paris. 24 Mauvaise image de soi Apprentissage des « habiletés sociales » Améliorer les Délinquants isolés Les habiletés de « compétences sociales » base : savoir se socialement présenter, initier un contact, faire un compliment Satisfaire certains Délinquants limités Les habiletés besoins de contact social avancées : se intellectuellement, par d’autres moyens que ayant des troubles préparer à une sexuels cognitifs conversation stressante, éviter les conflits, composer avec les besoins Étant donné que les mots L’expression des évoquent des images sentiments : savoir sensorielles, elles les identifier chez pourraient être modifiées d’autres, gérer la par des mots colère, les échecs Maintenir et développer le L’affirmation de soi : contact avec une résister à la communauté persuasion, contrôler son agressivité Visualisation guidée : techniques de suggestion pour développer l’imagination et les capacités de satisfaction hallucinatoire Programmation neuro-linguistique La dissociation des incidents abusifs Tableau 7 : Sociothérapie des délinquants sexuels : catégorie et indications et limites. Sociothérapie Nécessite un étayage permanent Accepter d’apprendre c’est une contrainte qu’il faut pouvoir tolérer narcissiquement Apprentissage basé sur des récompenses pour le changement (de la part du thérapeute et/ou du groupe des pairs) Techniques faciles à « tromper » Maintien du déni objectifs, modalités, 25 Section 3 - Expertise de la dangerosité A l’issue de l’injonction de soins, c’est-à-dire un an avant la fin de leur peine, certains délinquants sexuels considérés comme étant dangereux et n’ayant pas bénéficié d’une mesure menant à une libération avant terme, font l’objet d’une nouvelle procédure spécifique. Désormais, les auteurs d’infractions à caractère sexuel sont soumis à une évaluation de leur dangerosité criminologique et de leur risque de récidive. Le système luxembourgeois introduit ainsi deux nouvelles mesures permettant de contrôler ces personnes au-delà de la fin de la peine moyennant une rétention de sûreté ou une surveillance de sureté. Cette orientation vers une mesure de sûreté ne peut se faire que si, préalablement, pendant le temps de la détention tout a été mis en œuvre pour proposer aux intéressés une prise en charge visant à diminuer leur dangerosité supposée.36 La juridiction spéciale des mesures de sûreté peut ordonner soit une rétention de sûreté, soit une surveillance de sûreté, soit encore aucune de ces mesures. La rétention de sûreté constitue la mesure la plus grave puisqu’elle suppose la rétention de l’auteur d’infractions à caractère sexuel dans une institution fermée pour une durée de deux ans renouvelable. La surveillance de sûreté est prononcée pour une durée de deux à quatre ans lorsque la personne continue à présenter un certain risque de récidive, mais non au point de justifier une rétention de sûreté. La procédure envisagée afin d’évaluer le risque de récidive d’un condamné permet au Procureur Général d’Etat de saisir un comité pluridisciplinaire composé des spécialistes de l’exécution des peines et des représentants de la Justice, de la Santé et de l’Administration Pénitentiaire. Parallèlement, le Procureur Général d’Etat fait réaliser une expertise auprès d’un expert agréé et spécialisé en matière d’évaluation de la dangerosité et du risque de récidive. Dans le cadre de la nouvelle législation concernant le traitement des auteurs d’infractions à caractère sexuel, l’expertise, de nature obligatoire, constitue donc l’instrument-clé permettant de conclure à un certain risque de récidive37, voire à une dangerosité caractérisée par le 36 R. Coutanceau, Le véritable défi, c’est de développer pendant le temps carcéral toutes les possibilités de prise en charge, Le Monde, janvier 2008. 37 Art. 634-3. (4) Avant-projet de loi relatif à la prévention de la récidive chez les auteurs d’infractions à caractère sexuel. 26 risque particulièrement élevé de récidive.38 « Cette conception de la dangerosité tournée vers le futur, vers la prévention, est liée au souci actuel de protection de la société ».39 1. Dangerosité Longtemps, la dangerosité fut associée à un état psychiatrique (maladie mentale) du contrevenant alors que « le danger n’est pas une catégorie psychiatrique » d’après Michel FOUCAULT dans un débat avec Robert BADINTER et Jean LAPLANCHE en 1973. La volonté de conceptualisation de la dangerosité, souvent poussée à l’extrême, contraste avec la définition probabiliste selon laquelle « la dangerosité, ce n’est rien d’autre que la probabilité estimée avec plus ou moins de rigueur, jamais égale à l’unité – c’est-à-dire certaine – mais jamais nulle – c’est-à-dire impossible – pour un sujet plus ou moins malade mental, d’accomplir dans une unité de temps plus ou moins longue, dans des contextes plus ou moins propices, impossibles à prévoir, une agression plus ou moins grave ».40 La dangerosité revêt donc une connotation vague et son analyse devrait toujours être associée au contexte situationnel et aux circonstances externes du passage à l’acte. Il s’avère donc particulièrement indispensable d’intégrer dans la définition de la dangerosité des facteurs situationnels et contextuels. Par conséquent, « la dangerosité (dangerousness) peut se décomposer en plusieurs éléments : les facteurs de risques (variables utilisées pour prédire la violence), le dommage (importance de la violence et type de violence prédit), le risque (probabilité d’un dommage). Cela se rapproche de ce qu’on appelle en France l’état dangereux ».41 2. Expertise de dangerosité Le comité pluridisciplinaire est chargé de l’examen de la dangerosité criminologique d’une personne au moins un an avant le terme de la peine et cela, notamment, au moyen d’une 38 Art. 634-3. (3) Avant-projet de loi relatif à la prévention de la récidive chez les auteurs d’infractions à caractère sexuel. 39 T. Slingeneyer, La nouvelle pénologie, une grille d’analyse des transformations des discours, des techniques et des objectifs dans la pénalité, Nouvelle revue française de criminologie, Vol IV (2007), Champ Pénal. 40 E. Archer, Difficultés et limites de l’expertise psychiatrique de pré-libération, L’expertise psychiatrique pénale, Audition publique organisée par la Fédération Française de Psychiatrie, janvier 2007, p. 2. 41 F. Millaud, J.-L. Dubreucq, Prédiction des comportements violents des malades mentaux, Synthèse de littérature internationale, L’expertise psychiatrique pénale, Audition publique organisée par la Fédération Française de Psychiatrie, janvier 2007, p. 1. 27 expertise. Cette dernière devra donc s’exprimer sur la dangerosité criminologique, c’est-àdire la probabilité que présente un individu de commettre une infraction (expertise de dangerosité), en opposition à l’expertise exécutée en cours de l’instruction judiciaire qui s’exprime sur l’analyse rétrospective de l’acte incriminé, l’état mental au moment des faits et la responsabilité pénale de l’inculpé (expertise de responsabilité). L’expertise de dangerosité se définit dès lors comme étant l’évaluation d’un individu en vue de caractériser (quantifier et décrire) le risque qu’il présente de commettre des actes de violence, dans un contexte donné. En d’autres termes, il s’agit d’un pronostic de la récidive. La réalisation de ce type d’expertise à visée prospective doit impérativement répondre à certaines conditions préalables : « sa réalisation nécessite la mise à disposition du dossier pénal et des expertises antérieures. Il faudra refuser de faire cette expertise lorsque ces documents ne sont pas transmis à l’expert, car ce défaut ampute sa mission de l’essentiel. Il ne pourrait pas évaluer le cheminement du condamné depuis le début de l’instruction. L’analyse de l’état dangereux post-délictuel repose sur la comparaison de ce qu’il est au temps de l’examen et de ce qu’il était au moment de l’infraction, en reconstruisant les étapes de son parcours. C’est dire que la qualité des premières expertises conditionne dans une large mesure la qualité de l’appréciation clinique ultérieure ».42 Dans le contexte du nouveau système applicable aux délinquants sexuels, l’expertise constitue l’avis « technique » sur lequel la juridiction spéciale des mesures de sûreté pourra s’appuyer pour fonder son jugement, c’est-à-dire pour fonder une mesure de sûreté. 3. Situation actuelle et propositions d’évolution En matière d’expertise, nous constatons qu’au Luxembourg un courant historique à visée médico-légale fait défaut. Cette absence d’école de pensée, c’est-à-dire de courant conceptuel, implique qu’il n’existe ni d’exigence minimale ni de standard professionnel concernant le contenu d’une expertise. Pour l’heure, la réalisation de l’expertise ne répond donc pas à des techniques standardisées ou à des critères formalisés. 42 D. Zagury, Place et évolution de la fonction de l’expertise psychiatrique, in Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agression sexuelle, Conférence de consensus de la fédération française de Psychiatrie, Ed John Libbey, 2001, p. 27. 28 Pour ce qui est de l’expert (psychiatre, psychologue ou criminologue clinicien), il exerce obligatoirement sa mission, qui implique des connaissances et des compétences particulières, en toute indépendance et en toute neutralité. L’expert dispose d’un champ d’action et d’une liberté relativement infinis ce qui peut avoir des répercussions importantes sur la qualité des expertises ainsi fournies. Parmi les différentes techniques expertales, deux courants majeurs ont pu être dégagés de l’analyse. La première école, toujours d’application en France, suit le courant analytique et suppose que l’expert intègre des éléments de connaissance, mais qu’il prend en compte une expérience et des savoirs transmis non formalisés. L’ancienneté et l’intuition personnelle et professionnelle prédominent en s’inscrivant ici dans le registre de la clinique pure, d’où le recours quasi systématique à des psychiatres pour la réalisation de ce type d’expertise (examen clinique). Les moyens habituellement utilisés sont les entretiens cliniques, l’observation, l’étude de l’anamnèse et des dossiers judiciaires. De graves manquements et des erreurs d’appréciation, résultant de ces expertises, ont conduit beaucoup de pays à proscrire une démarche basée exclusivement sur une approche subjective de l’auteur d’infractions à caractère sexuel. Cette approche qualifiée de clinicointuitive s’enracine dans un contexte théorique psychanalytique qui, de par sa nature, oriente le diagnostic vers un setting thérapeutique où l’évaluation rigoureuse et objective n’a pas sa place. De même, comme nous l’avons expliqué ci-dessus, la notion de trouble de la personnalité est contestée (cf. point 4.3. de la section 2 – Injonction de soins) par ce courant théorique : « la loi sur la rétention de sûreté fait référence non pas à la maladie, mais au « trouble grave de la personnalité », notion floue laissant place à une marge importante d’interprétation … »43. Ce dernier constat s’inscrit cependant en opposition à l’Organisation Mondiale de la Santé et à l’Association de Psychiatrie Américaine qui ont élaboré des critères extrêmement rigoureux et codifiés permettant d’établir un diagnostic. La seconde école de pensée s’appuie principalement, sinon exclusivement, sur des critères scientifiques et objectivables à l’aide d’outils d’analyse et d’évaluation multifactoriels (échelles de prédiction) pour fonder un pronostic. Cette approche d’évaluation objective rencontrerait cependant des limites puisque ses détracteurs, tous partisans de la première école, lui reprochent une fiabilité variable. Selon eux, les conditions de réalisation (lieu, moment, personne) du test auraient une incidence sur son résultat. Des facteurs subjectifs et circonstanciels seraient donc susceptibles d’avoir un impact sur un instrument objectif 43 B. Cordier, R. Badinter interpelle les psychologues, Sciences Humaines, octobre 2008. 29 d’évaluation. Cette critique est d’autant plus surprenante que ces instruments disposent de critères et de grilles d’évaluation extrêmement standardisés pour justement neutraliser toutes les influences subjectives et de la situation de l’examen. De même, toujours selon un partisan de la première école, « il y a dissolution du sujet, de l’individu, et son remplacement par une combinatoire de facteurs. En se centrant sur l’identification de profils à risque, la nouvelle pénologie néglige la production de représentations de la subjectivité des criminels. Il y a remplacement d’une identité criminelle par un sujet fractionné en une série de facteurs de risque ».44 La réalisation d’une expertise exhaustive et fiable suppose donc de soumettre les données cliniques et subjectives à l’épreuve d’une méthodologie objectivable et objectivante. Les deux courants ne sont ainsi pas à considérer, à nos yeux, dans un ordre d’exclusion, mais plutôt comme étant complémentaires. Par ailleurs, l’expertise est à considérer comme un outil multidisciplinaire plutôt qu’un outil purement psychiatrique. II en découle que l’examen clinique (entretiens et testings divers) constitue l’étape préliminaire indispensable par laquelle le clinicien va, d’une part, accéder à une compréhension du fonctionnement psychique de l’auteur d’infractions à caractère sexuel et, d’autre part, appréhender toute la complexité de ses conduites déviantes. Ensuite, les échelles actuarielles spécifiquement élaborées pour l’évaluation du risque de récidive sont des outils visant à assister le jugement clinique et sont tributaires des « inputs » issus de la clinique psychopathologique qui est censée cerner la personnalité et la psychopathologie de l’individu. Nous dégageons de ce qui précède qu’une formalisation en vue d’une standardisation des expertises est indispensable afin de pouvoir garantir un fonctionnement efficace de la nouvelle procédure d’application aux auteurs d’infractions à caractère sexuel, d’une part, et afin de pouvoir apprécier la dangerosité criminologique des ces auteurs, d’autre part. C’est dans cette complémentarité des deux courants que nous tentons d’asseoir un cadre conceptuel de la procédure expertale. 44 T. Slingeneyer, op. cit. 39. 30 4. Formalisation de l’expertise : méthode Nous entendons par la formalisation de l’expertise, en tant qu’outil phare d’une procédure judiciaire qui fonde une décision de nature judiciaire, le souci d’associer les approches théoriques existantes et de développer des critères communs à l’expertise. D’abord, l’expertise en tant qu’outil multidisciplinaire doit être le fruit, personnel ou conjoint, d’un expert en matière de dangerosité criminologique que ce soit un psychiatre, un psychologue ou un criminologue clinicien. L’expertise doit obligatoirement avoir comme objet l’analyse de la dangerosité criminologique de l’auteur d’infractions à caractère sexuel. Pour cela, l’expert évalue le risque de récidive à la sortie de la prison moyennant des outils d’analyse et d’évaluation multifactoriels validés ou des grilles d’analyse actuarielles qui définissent une probabilité statistique (méthode statistique). Cette logique d’évaluation standardisée s’appuie autre les éléments objectifs, sur l’analyse de la personnalité et de l’ensemble des facteurs psychologiques et relationnels dégagés grâce à l’expérience clinique, méthode intuitive de préférence étayée sur un testing standardisé (IPDE, SCID-II, IKP etc.). Pour ce faire, l’expert doit pouvoir disposer des dossiers pénaux et pénitentiaires, des expertises antérieures et de l’information sur les soins entrepris afin de retracer le cheminent accompli par le délinquant sexuel depuis son incarcération jusqu’au moment de l’expertise et afin de pourvoir affiner son pronostic. Il va pouvoir évaluer le comportement du délinquant à différents moments de l’exécution de la peine et les problèmes constatés en cours de détention. A travers ces différentes étapes, l’expert va finalement pouvoir établir un pronostic sur le risque de commission d’une nouvelle infraction à la sortie de la prison. 5. Contenu de l’expertise La mission de l’expert doit être clairement définie dans la réquisition du Procureur Général d’Etat, c’est-à-dire l’évaluation de la dangerosité criminologique de l’auteur d’infractions à caractère sexuel en vue d’un éventuel terme de la peine ou d’une éventuelle mesure de 31 sûreté. A cet effet, le Procureur Général d’Etat dresse un inventaire de questions précises en relation avec la dangerosité et la sexualité du délinquant. Cet inventaire de questions types permettra à l’expert de répondre de façon précise aux questions posées dans la mission. Les critères minimaux d’une « bonne » expertise ainsi dégagés permettent, d’une part, d’atteindre un certain « standard professionnel » au niveau des expertises réalisées et, d’autre part, d’assurer un contrôle de la qualité des expertises successivement réalisées dans le cadre de la nouvelle procédure. Le Procureur Général d’Etat communique les résultats de l’expertise au comité pluridisciplinaire en vue de l’avis motivé. Afin d’avoir accès aux informations pertinentes, l’expert doit avoir accès à certains dossiers ou documents tels que le dossier pénal, les expertises antérieures, le dossier médical (psychiatrique) après décharge signée du patient, le dossier pénitentiaire etc. Il relève de sa responsabilité de réunir tous les documents utiles à la réalisation de son avis. Nous proposons que l’expert développe, dans le cadre de son mandat, les questions types communes à toutes les expertises, à savoir : - description de la personnalité selon les classifications internationales - description de l’évolution depuis l’ouverture du dossier pénal en tenant compte des expertises antérieures - description de troubles éventuels - type de sexualité du sujet (maturité, existence d’une déviance, fixation, …) - existence de circonstances ou de situations facilitatrices du passage à l’acte - émission d’un avis sur l’attitude du sujet par rapport aux faits pour lesquels il a été condamné, c’est-à-dire la prise de conscience de l’intéressé - précision sur les suivis médicaux ou les traitements éventuels - finalement, évaluation de la dangerosité en milieu libre, discuter les éléments favorables et défavorables du pronostic tant du point de vue de la réinsertion que du risque de récidive. Ces questions types forment la base permettant de répondre à la question de la dangerosité du point de vue du risque de récidive du délinquant sexuel au moment de l’évaluation. Nous allons succinctement présenter les deux courants de méthodes de pronostics actuelles, à savoir la méthode clinique « pure » appelée méthode clinico-intuitive et la 32 méthode clinico-objectivante, soit par catalogues de critères multidimensionnels, soit encore par instruments statistiques. 5.1. Méthode clinico-intuitive45 L’évaluation clinique renferme des entretiens recueillant les faits et les témoignages du délinquant afin de reconstruire son anamnèse et sa criminogenèse, c’est-à-dire l’analyse de la formation et de l’évolution des comportements criminels ou délictuels. L’entretien clinique aborde notamment le sujets suivants : certains facteurs réputés prédicteurs de la récidive chez tous les délinquants : mauvaises fréquentations, jeune âge, tendances, cognitions et personnalités antisociales, déséquilibre psychopathique, … les antécédents judiciaires, depuis d’éventuels passages devant le juge de la jeunesse jusqu’à la dernière infraction, sexuelle ou non, commise avant l’écrou, notamment les atteintes graves à la personne, … la situation sociale et familiale avant et après l’incarcération les préférences sexuelles déviantes, notamment l’intérêt sexuel pour les enfants la consommation de substances psychoactives licites ou illicites, sa place dans la genèse de l’acte, le risque de sa reprise la compliance thérapeutique habituelle, le déroulement des prises en charge précédentes le passage à l’acte, ses déterminants et précipitants la détention, son vécu, son histoire, ses effets la peine, sa signification pour le sujet, son impact, l’usage qu’il en a fait les suivis, prises en charge et soins depuis l’écrou ou les vraies raisons de leur absence éventuelle l’environnement du sujet, la présence dans son entourage de personnes ayant ou ayant eu des activités illégales ou transgressives les liens familiaux et leur évolution le soutien dont il va bénéficier dans la famille et la collectivité, son aptitude à accéder aux ressources communautaires les projets de vie et de thérapie. Seront plus précisément analysés par l’expert : 45 E. Archer, op. cit. 40, p. 8. 33 l’état mental – désespoir, inquiétudes, doutes, amertume, joie, satisfaction, soulagement, projets, … – à l’évocation de l’approche de la libération les réponses à la demande de l’expert de résumer sa situation et ses pensées depuis la première infraction à caractère sexuel le mode de cognition du sujet, l’orientation délictueuse ou criminelle des distorsions cognitives repérées les mécanismes de réponses personnelles aux traumatismes psychiques et aux événements de vie, leur efficacité et leur coût psychiques le niveau de compétences et d’habilités sociales la capacité du sujet à prendre en compte la victime et sa souffrance : item à appréhender ici comme une fonction psychique (empathie) et un indice de personnalité faisant partie du tableau clinique, et non comme un positionnement face aux règles morales et religieuses qui imposent le souci et le respect du prochain ; tout en prenant garde aux propos superficiels de circonstances et de convenances le déni et la banalisation éventuels des faits ; en tout état de cause, il importe de ne pas confondre – surtout en phase pré-sentencielle, mais ici aussi - le déni « stratégie de défense judiciaire » et le déni « mécanisme de défense du moi » le sentiment de culpabilité qu’il faut bien distinguer de la honte les discours, voire les convictions, destinés à expliquer l’infraction de manière à mettre à distance toute relation thérapeutique : dette déjà payée par la peine, ce qui fait de toute autre exigence sociale, médicale ou pénale, un excès de pouvoir ou un acharnement, aucun risque de renouvellement des circonstances exceptionnelles ayant conduit à l’infraction, donc non récidive assurée même sans traitement etc. la sincérité des regrets exprimés et de la compassion pour la victime l’existence de conduites addictives, d’hallucinations, de délires de persécution, de syndrome d’influence, d’agitation, d’anxiété, de méfiance pathologique ou de tout autre trouble psychique ou maladie mentale l’évolution probable – à l’épreuve des situations et des événements de vie prévisibles – des éléments favorables et défavorables repérés. Finalement une analyse poussée de la vie sexuelle du délinquant sexuel doit être favorisée à travers les questions non exhaustives suivantes :46 développement de la sexualité depuis la petite enfance 46 C. Jonas, Quelles doivent être les évolutions de la pratique expertale psychiatrique pénale ?, L’expertise psychiatrique pénale, Audition publique organisée par la Fédération Française de Psychiatrie, janvier 2007, p. 8. 34 existence ou non d’abus allégués orientation de la sexualité en fonction des divers âges de la vie âges des premières relations complètes rapport sexualité et affectivité type de relation avec les partenaires intensité de la vie sexuelle (hyper- ou hyposexualité) déviances éventuelles évolution de la sexualité au fil du temps. 5.2. Méthode clinico-objectivante47 L’évaluation standardisée recueille également un certain nombre d’informations pendant l’entretien et l’examen clinique. Un grand nombre de questions abordées au point 5.1. sont cependant posées ici dans le but de pouvoir « nourrir » les instruments d’évaluation. Pour parvenir à la plus grande transparence et éliminer le plus possible le facteur subjectif, deux méthodes peuvent être distinguées : la méthode par catalogues de critères multidimensionnels et la méthode statistique. 5.2.1. La méthode par catalogues de critères multidimensionnels Dans le cadre de la méthode clinique « guidée » par des critères, le professionnel utilise en tant que soutien et en tant que fil conducteur des listes de critères diagnostiques, par opposition à la méthode clinico-intuitive où les critères de décision sont individuels et en partie, pour ce qui est du contenu, difficiles à comprendre. Cette approche trouve d’ailleurs son pendant en psychiatrie où, depuis le DSM-III, l’emploi de critères a été systématiquement généralisé. Entretemps, il existe différentes listes de critères, notamment le catalogue des critères de Nedopil, le HCR-20 ou le catalogue de Dittmann. Ce dernier catalogue constitue une amélioration de la liste des critères de Nedopil qui énumère des facteurs de pronostic favorables et défavorables. Dans la conception de la liste de critères de Nedopil et lors de l’analyse de diverses expertises de pronostic, huit critères essentiels ont pu être identifiés pour l’accomplissement d’un pronostic. Ces critères sont explicités selon une échelle ouverte aux deux extrémités et sur laquelle le candidat sera à situer. Ce catalogue de critères revêt donc un caractère dimensionnel qui fait défaut aux autres catalogues de critères diagnostiques plutôt conçus comme des « check lists ». Les huit domaines explorés par Nedopil sont : la reconnaissance des troubles/maladie et la motivation à faire une thérapie, l’espace social accueillant favorable, le déclin de la symptomatologie clinique, l’élaboration auto-critique des faits délictueux, la sincérité lors de 47 Annexe, G. Rodenbourg, Les méthodes de pronostic actuelles, SMPP, octobre 2008. 35 l’auto-présentation, faire ses preuves lors de libérations précédentes, la post-maturation de la personnalité (« Nachreifung ») et les perspectives d’avenir concrètes et réalisables.48 5.2.2. La méthode statistique La méthode statistique consiste à évaluer la dangerosité criminologique du délinquant moyennant des outils standardisés construits sur le constat de relations statistiques entre des variables repérées et les variations des risques.49 Dans les pays anglo-saxons, l’instrument de la méthode statistique le plus utilisé est le « Actuarial Risk-Assessment ». Dans ce genre de test, le professionnel attribue à différentes variables ayant une incidence sur le risque de récidive, une certaine importance statistique spécifique. Dans le cadre des instruments actuariels, la précision de la prédiction constitue l’objectif principal. Il est alors préférable d’observer comment les membres comparables d’un groupe se comportent pendant un temps donné. Cela est réalisé notamment par des études de follow-up de groupes conséquents de candidats. Les données ainsi recueillies concernant la violence peuvent alors être statistiquement mises en relation avec des données relevées à une date antérieure. Ainsi, Burgess a examiné plus de 3000 détenus en libération conditionnelle et a pu déterminer 21 facteurs ayant différencié le groupe des récidivistes de celui des non-récidivistes. Puis, chacun des 3000 candidats s’est vu attribuer un point par facteur présent. Chez ceux dont la valeur point était la plus élevée, le taux de récidive était de 76% et, par contre, seulement de 1,5% chez ceux ayant atteint la valeur point la plus faible. A l’heure actuelle, cette façon de procéder constitue la façon qui est adoptée dans la méthodologie des « Actuarial Risk-Assessments ». De par son principe, elle ressemble beaucoup à celle que les actuariats des sociétés d’assurances appliquent dans l’évaluation du risque de certaines situations de dégâts pour fixer les primes d’assurance en conséquence. L’appellation « actuarial » en a d’ailleurs été dégagée. La caractéristique principale des « Actuarial Risk-Assessments » consiste dans le fait que les résultats qu’un individu isolé obtient dans le test sont en corrélation avec des données de référence statistiquement relevées. Les travaux de recherche sur les prédicteurs de risque s’appuyant sur la théorie ainsi que l’ensemble des données empiriques ont permis une 48 Ces réflexions sont notamment développées dans N. Nedopil, Prognosen in der Forensischen Psychiatrie, Pabst Science Publishers, 2006. 49 E. Archer, op. cit. 40,p. 10. 36 rationalisation de différents items. Les items ont été d’abord évalués et par la suite combinés selon un algorithme décisionnel. Plus précisément, il importe de distinguer entre les instruments actuariels de deuxième génération et ceux de troisième génération. Les instruments de la deuxième génération se caractérisent par la relative absence d’un fondement théorique. Ils sont habituellement brefs et composés d’items historiques liés à la vie de l’individu, donc statiques. Il s’avère que les facteurs dynamiques y sont négligés. Les « big four », c’est-à-dire l’hypothèse selon laquelle les meilleurs prédicteurs d’une récidive violente puissent tous être répartis sous un des facteurs théoriques suivants : entourage anti-social, attitude, personnalité et anamnèse criminelle, sont dans les tests de la deuxième génération uniquement focalisés sur le passé criminel (statique, irréversible). A titre d’exemple, citons le Burgess Risk-Scale, le Violence Risk Appraisal Guide et le Salient Factor Score en tant qu’instruments de la deuxième génération. Un outil, entre autres, de la troisième génération d’« assessment tools » constitue le « Level of Service Inventary-Revised ». La PCL-R (Psychopathy ChecklistRevised), quant à elle, est en partie considérée comme étant un outil de la deuxième génération et en partie comme étant un outil de la troisième génération. En effet, certains auteurs sont en désaccord concernant la question de savoir jusqu’à quel point les caractéristiques de personnalités y décrites sont modifiables, donc dynamiques.50 6. Contre-expertise La procédure telle qu’envisagée dans l’avant-projet de loi permet au délinquant, en phase d’évaluation de sa dangerosité dans le cadre de la procédure d’évaluation déclenchée par le Procureur Général d’Etat un an avant le terme de sa peine et sur base d’une expertise faisant partie intégrante d’un avis motivé du comité pluridisciplinaire, de saisir un expert d’après les dispositions législatives en vigueur.51 L’on désigne l’expertise mandatée par le détenu concerné souvent de contre-expertise étant entendu que ce genre d’expertise tend à confirmer ou à infirmer l’expertise requise par le Procureur Général d’Etat. 50 H.L. Kröber, D. Dölling, H. Leygraf, H. Sass, Handbuch der Forensischen Psychiatrie, Band 3 : Psychiatrische Kriminalprognose und Kriminaltherapie, Steinkopff Verlag, 2006 51 Art. 634-3. (2) Avant-projet de loi relatif à la prévention de la récidive chez les auteurs d’infractions à caractère sexuel. 37 Dans le cadre de l’exécution de son mandat, l’expert chargé par le condamné doit avoir accès à tous les dossiers, pièces et documents dont dispose l’expert chargé par le Procureur Général d’Etat. Lorsqu’à l’issu de la procédure telle que décrite ci-dessus, la juridiction spéciale des mesures de sûreté conclut à une dangerosité du condamné caractérisée par le risque particulièrement élevé de récidive, le délinquant est soumis à une rétention de sûreté pour une durée allant de deux à quatre ans renouvelable. La section suivante est consacrée à la rétention de sûreté exécutée dans une institution fermée. 38 Section 4 – Rétention de sûreté 1. Considérations générales La rétention de sûreté constitue donc la mesure la plus grave et la plus contraignante dont dispose la juridiction spéciale des mesures de sûreté afin de protéger la société et la victime potentielle du condamné dont la dangerosité n’a pu être atténuée lors de l’exécution de sa peine, que ce soit en raison de son état proprement dit ou en raison de son refus de se soigner. La rétention de sûreté s'applique donc aux personnes dont la dangerosité est telle qu'un contrôle même renforcé n'est pas suffisant. Alors que l’objectif principal pendant l’exécution de la peine est la réhabilitation du condamné en vue de sa réinsertion dans la société, celui de la rétention de sûreté est, quant à lui, la prévention de la récidive en vue d’une protection renforcée de la société. Nous partons du principe que l’injonction de soins dispensée pendant l’exécution de la peine constitue la mesure nécessaire et suffisante à la réhabilitation du condamné. De manière tout à fait exceptionnelle uniquement, et en cas d’échec de cette mesure de prise en charge, la rétention de sûreté vient s’ajouter à une peine de prison classique. La rétention de sûreté devra, par ailleurs, prendre fin dès que la dangerosité du criminel permettra un autre mode de suivi. Bien que la mesure de sûreté s’oppose donc de part sa finalité à la peine de prison, nous n’estimons pas que la prise en charge médicale et sociale52 réalisée pendant la rétention de sûreté soit de nature tout à fait différente de la prise en charge pendant l’injonction de soins. Au contraire, il paraît fondamental, dans un souci de continuité de la prise en charge du délinquant, d’aligner le type de prise en charge pendant la mesure de rétention sur base de l’injonction de soins préalablement dispensée. Le comité pluridisciplinaire, composé entre autres de représentants des différents services impliqués dans l’injonction de soins du condamné, est chargé de spécifier les mesures à appliquer dans le cadre de la prise en charge médicale et sociale.53 Il importe de noter, toujours dans un souci de continuité des soins et de la prise en charge du délinquant, que les personnes impliquées dans l’injonction de soins, notamment à travers la permanence, 52 Art. 634-2. (2) Avant-projet de loi relatif à la prévention de la récidive chez les auteurs d’infractions à caractère sexuel. 53 Art. 634-3. (3) Avant-projet de loi relatif à la prévention de la récidive chez les auteurs d’infractions à caractère sexuel. 39 sont donc chargées de spécifier ultérieurement les mesures médicales et sociales dispensées lors de la rétention de sûreté. La prise en charge dont le condamné a bénéficié pendant la phase de l’exécution de sa peine et basée sur le dispositif de prise en charge et de soins tel que défini au point 4.4. de la section 2 (injonction de soins) du présent concept, est donc tout à fait susceptible d’être prolongée pendant la phase de la rétention avec les aménagements nécessaires afin de permettre, d’une part, de réduire la dangerosité de la personne faisant désormais l’objet d’une rétention de sûreté et, d’autre part, de favoriser sa réinsertion dans la société. A terme, cette prise en charge doit permettre une remise en liberté fortement encadrée. Par les aménagements mentionnés ci-avant, nous nous référons notamment au programme spécifique de réinsertion obligatoire pour chaque personne retenue dans une institution fermée. 2. Programme spécifique de réinsertion54 La personne placée dans une institution fermée sur base d’une mesure de rétention de sûreté prise par la juridiction spéciale des mesures de sûreté, bénéficie d’un encadrement spécifique et renforcé afin de permettre, à terme, sa réinsertion dans la société. La rétention de sûreté consiste donc à dispenser à la personne ainsi retenue les soins ainsi qu’un encadrement socio-médical renforcé nécessaires à la réduction de sa dangerosité. Les moyens mis en œuvre afin d’atteindre les objectifs tels que définis ci-dessus, doivent être à la hauteur de l’importance et de la responsabilité de la tâche. En effet, nous soulignons que l’encadrement de la personne placée en rétention de sûreté constitue un encadrement renforcé sur base journalière et est donc tout aussi important et poussé que celui lors de l’injonction de soins. Aux fins d’évaluer l’efficacité du dispositif ainsi mis en place, nous soulignons également l’importance de la mise en œuvre d’un strict encadrement de ce dispositif. Le comité pluridisciplinaire chargé de la supervision de la prise en charge médicale et sociale de la personne faisant l’objet d’une rétention de sûreté, est également chargé d’évaluer 54 Nous nous inspirons ici fortement du dispositif français mis en place au centre socio médico-judiciaire de sûreté de Fresnes accueillant les personnes susceptibles d'être placées en rétention de sûreté (source : site internet du Ministère de la Justice, France). 40 régulièrement l’efficacité du dispositif dans son application concrète aux patients et son acceptation par les patients. Dans un cadre toujours pluridisciplinaire55, l’institution fermée propose un programme spécifique de réinsertion comprenant un encadrement socio-médical renforcé. Ce programme de réinsertion comprend, entre autres, une structuration sociale par le travail et la formation, un programme individualisé de psychothérapie institutionnelle, un traitement antihormonal (avec le consentement de l’intéressé), le cas échéant, et un accompagnement socio-éducatif et psycho-social en vue de l’élaboration du projet de sortie. Par structuration sociale par le travail et la formation, nous entendons des mesures de pédagogie professionnelle accompagnant la personne pendant le travail dans un atelier de l’institution fermée ou encore pendant sa formation professionnelle. Le séjour en institution fermée est structuré de manière à encadrer la personne par des professionnels pendant ses activités dans un des ateliers ou pendant sa formation professionnelle. A terme, un projet d’insertion professionnelle est élaboré propre à établir une transition professionnelle entre l’institution fermée et la société. Ensuite, la personne bénéficie d’un programme individualisé de psychothérapie institutionnelle selon les indications cliniques et ciblé de manière spécifique sur la problématique sexuelle sous-jacente. Le traitement antihormonal, quant à lui, est suggéré aux personnes placées en institution fermée. Il nécessite bien évidemment le consentement préalable de la personne intéressée. Etant donné que l’injonction de soins à elle seule n’était pas suffisante à réduire la dangerosité et à favoriser la réinsertion du délinquant, le recours à ce moyen de traitement constitue donc une étape ultime afin d’enrayer les pulsions malsaines et/ou compulsives d’ordre sexuel. Finalement, lorsque l’intéressé entre en phase de libération de la rétention de sûreté, il est soumis à un accompagnement socio-éducatif et psycho-social spécifique unifiant à la fois un 55 Nous renvoyons à l’injonction de soins. 41 entrainement au niveau des compétences sociales et un accompagnement à visée psychologique, éducative et sociale en vue de l’élaboration du projet de sortie. 42 Section 5 – Remarques finales En guise de conclusion, nous aimerions attirer l’attention du lecteur à quelques remarques finales concernant les difficultés rencontrées, actuellement et certainement au-delà de la mise en vigueur éventuelle de l’avant-projet de loi relatif à la prévention de la récidive chez les auteurs d’infractions à caractère sexuel, par les professionnels du terrain concernant la prise en charge psychothérapeutique spécialisée des auteurs d’infractions à caractère sexuel en dehors du milieu carcéral. D’abord, il existe, à l’heure actuelle, peu de thérapeutes enclins à prendre en charge des exdétenus souvent considérés comme étant une population difficilement traitable. De même, bon nombre de psychiatres appréhendent les complications liées au travail avec des exdétenus, à savoir, le risque de récidive, les contacts avec les autorités judiciaires, les contraintes judiciaires etc. De manière générale, il existe un malaise, une hésitation parmi les psychiatres concernant la prise en charge d’ex-détenus. Ensuite, il est un fait que le nombre de thérapeutes spécialisés au Luxembourg dans le domaine de la délinquance sexuelle est très peu nombreux. La prise en charge par des professionnels non spécialisés constitue donc souvent la solution de rechange face à ce manque de thérapeutes spécialisés. Il s’avère que quelques auteurs d’infractions à caractère sexuel sont pris en charge, au terme de leur peine ou dans le cadre d’une condition de traitement d’une mesure d’aménagement des peines, par les professionnels du SMPP œuvrant sur base libérale à l’extérieur de l’établissement pénitentiaire. Il en découle que le présent concept devra obligatoirement s’accompagner d’une réforme de la prise en charge des auteurs d’infractions à caractère sexuel extra muros. Finalement, nous insistons à accentuer l’humanisme susceptible de prévaloir toutes les étapes de cette nouvelle procédure et de son application concrète aux personnes soumises aux différentes mesures envisagées. Nous ne pouvions conclure ce concept sans nous référer à la dignité et la valeur de tous les êtres humains indépendamment de leur statut d’auteurs d’infractions à caractère sexuel. L’Homme et les qualités humaines constituent des valeurs de taille dans une procédure pouvant aboutir à une mesure la plus contraignante qui soit, à savoir la privation de liberté au-delà du terme de la peine. 43