Inégalités sociales et environnement : l'exemple des catastrophes et du bruit environnemental P. Verger, S. Cortaredona, A. Bocquier Observatoire régional de la santé Paca UMR SE4S INSERM Journée IRSN, La recherche au service de l’évaluation des risques Le 21 septembre 2010 Plan de la présentation Inégalités sociales de santé Inégalités / injustice environnementale – Concepts, historique Inégalités environnementales et risques industriels – Une étude sur les installations à risque en France et études post-AZF Inégalités sociales et vagues de chaleur – Canicule 2003 en France Inégalités sociales et bruit environnemental – Illustration par une étude en cours à Marseille Inégalités sociales de santé en France Espérance de vie (EV) totale et sans incapacité à 35 ans chez les cadres supérieurs et les ouvriers, selon le sexe. France, 2003 (en années) Hommes Source : Cambois E. et al. 2008 Femmes Des inégalités qui traversent la société et les générations Un gradient social continu entre santé et position sociale Un risque accru pour les chômeurs et les inactifs Des inégalités qui s’observent dès l’enfance et qui se transmettent entre générations Rôle de l’environnement dans les inégalités sociales de santé ? Deux principaux mécanismes (Leclerc, 2008 ; Deguen, 2010) : Les populations défavorisées seraient plus souvent exposées aux facteurs de risque environnementaux… Et, à exposition égale, présenteraient une fréquence plus élevée d’effets sur la santé (plus grande vulnérabilité) Le concept d’« injustice environnementale » « Injustices sociales dans la répartition spatiale de l’environnement de qualité, inéquités dans les conséquences sanitaires, sociales, économiques des pollutions et processus qui conduisent à ces inéquités (Laurian 2008) Concept né aux Etats unis dans les années 70 suite à des mouvements de contestation populaires 1992 : création par EPA de l’Office of environmental justice President Clinton’s 1994 order n° 12898 : demande à toutes les agences fédérales « de prendre en compte les injustices environnementales dans les minorités et les populations à faible revenus » Ce concept recouvre deux notions « Distributional justice » : inéquités/inégalités d’exposition aux facteurs de risque ou aménités environnementales selon les caractéristiques sociales et ethniques, races (Etats Unis) « Procedural justice » : mécanismes qui conduisent à ces inéquités : – Pratiques de localisation des sites polluants – Accès à l’information et participation aux prises de décisions – Cadre légaux de régulation – Coût des terrains, historique des implantations industrielles et de l’extension des zones urbaines – Dynamiques de mobilité résidentielle (Crowder 2010 AJS) Extension du concept en dehors des Etats Unis Mécanismes qui conduisent à ces inégalités ne sont pas spécifiques d’une nation ou d’une culture en particulier Nombreuses observations suggérant des inégalités environnementales : – Au canada, au RU, en Australie, en Nouvelle Zélande, Allemagne, aux Pays Bas et en Europe de l’Est – Dans de multiples domaines • • • • Gestion des déchets (Martuzzi 2010, EJPH) Sites industriels polluants (Mohai 2009, AJPH) Pollution de l’air (Deguen & Zmirou 2010) Conditions de logements, environnement de résidence (Braubach 2010) – Adultes et enfants (Bolte 2010) Inégalités sociales et catastrophes Inégalités sociales d’exposition aux risques industriels et aux catastrophes Impacts sociaux des catastrophes – Pertes matérielles, pertes d’emploi ou d’outil de travail – Effets « récursifs » sur la santé Impact sur la santé serait plus important chez les personnes de faible SSE – Indépendamment des niveaux d’exposition – Du fait de leur moins bon état de santé – De moindre ressources pour faire face aux conséquences (Conservation of Resources theory, Hobfoll, 2002) Inégalités sociales et exposition aux risques industriels : travaux en France Etude de Laurian, Université de l’Iowa (2008) & Ined Centrée uniquement sur la dimension « distributional justice » Étude à l’échelle des communes – Comptage des sites à risques par commune et par région – Cartographie des sites – Analyses des phénomènes d’agglomération des sites (Index de Moran) – Comparaison des caractéristiques des villes avec/sans sites (régressions par moindres carrés ordinaires puis autocorrélations spatiales) Source de données Sites Nombre de sites Date Source UIOM 130 2005 MEDD Installations de stockage des déchets ménagers et assimilés 350 2004 MEDD Décharges non autorisées toujours en exploitation 880 2005 MEDD Site Seveso 1100 2003 MEDD Sites pollués (Basol) 3700 2005 MEDD Déchetteries 3555 2005 ADEME Sites de compostage 450 2005 ADEME Sites nucléaires 24 2006 EdF Distribution des sites à risque en France Distribution sociale des sites (modèle de régression spatiale) Coeff Z (sig) Population totale en dizaine de milliers 0,696 100,4*** Revenus (en milliers d’Euros) -0,0017 -1,32 Pourcentage d’emplois industriels 0,00055 1,59* Pourcentage de population d’origine étrangère 0,033 22,19*** Constante 0,367 18,8*** Lambda (coefficient d’autorégression spatiale) 0,275 35,36*** R2 (pourcentage de variance expliquée du modèle) -- 0,29 Exposition aux risques d’accidents (Schweitzer 2008) Etude dans la région de Los Angeles (Etats Unis) Utilisant les enregistrements d’accidents industriels sur 1987-1995 (US-EPA) pour estimer un risque d’accidents futurs sur la période 1995-1999 Croisement de ces estimations avec la répartition des minorités ethniques (hispaniques) Fréquence mensuelle d’accidents industriels prédite et pourcentage de population hispanique Impact des accidents industriels : exemple d’AZF, Toulouse 21 sept 2001, explosion d’un hangar de stockage d’ammonium Secousse équivalente à un séisme de 3,4 degrés sur l’échelle de Richter et nuage toxique 27 000 maisons et bâtiments endommagés ou détruits 30 décès, 3000 blessés Mise en place d’un suivi épidémiologique 18 mois après l’accident pour : – caractériser les risques liés aux rejets toxiques – évaluer les besoins de dépistage & de prise en charge – mesurer l’ampleur des séquelles, à plus long terme : physiques, mentales, sociales Facteurs associés à la dépressivité en population générale après AZF Hommes Femmes Variable β β Traitement psychiatrique 6 mois au moins 4,1** 5,6** Résidence à moins de 2,5 km du site 1,7* 3,1** Perte de biens irremplaçables 5,1** -- Séquelles physiques 6,5** 5,1** Difficultés financières 3,0* 3,3* * p< 0,05 ; ** p < 0,01 (Source : Rivière 2010, Eur. J. Public Health) Facteurs associés à l’état de stress posttraumatique en population générale après AZF Hommes Femmes Variable OR Traitement psychiatrique 6 mois au moins 11,5 (2,4-53,6) -- Né à l’étranger 13,9 (3,7-52,8) 2,1 (1,0-4,2) Résidence < de 2 km du site et niveau d’éducation < bac* A été blessé 9,3 (1,9-44,7) -- -- 3,7 (1,7-8,4) Logement temporairement inhabitable 5,8 (1,9-18,1) Gêne liée à l’interruption de services publics -Difficultés financières OR -4,1 (1,6-9,9) 17,4 (4,2-72,1) 3,4 (1,7-7,1) * Versus résidence > 2 km et éducation > bac (source : Rivières, 2008, JECH) Exemple du terrorisme : attentats du WTC Cohorte prospective d’adultes résidant à NY le jour de l’attentat (Adams & Boscarino, 2005) – Mise en place un an après : 2400 personnes incluses – Suivi à un an (1700 répondants) Pour répondre aux questions suivantes : – Déterminants du recours aux soins de santé mentale et barrières vis-à-vis des soins ? – Quels problèmes de santé mentale ? Quels facteurs de risques ou protecteurs ? – Quels types d’intervention efficaces ? Quelques résultats Ceux qui ont recouru aux soins après : ceux qui recourraient aux soins avant Individus symptomatiques qui ne recourraient pas aux soins : – Membres de minorités, pas de couverture assurantielle ou bien soutien informel des proches ESPT différé et/ou persistant : – hispaniques, personnes nées à l’étranger, faible estime de soi Facteurs de résilience/problèmes de santé mentale : – Hommes, âge plus élevé, estime de soi plus importante, bon support social Exemple des canicules : Chicago en 1995 (700 morts) Comparaison des taux de mortalité standardisés sur l’âge : taux plus élevés chez les noirs/blancs Travaux d’anthropologie (Klinenberg, NEJM, 2003) : – facteurs de vulnérabilité : âge, pauvreté, isolement social en zone urbaine, vivre dans des zones de relégation sociale • • • • Zones marquées par un retrait des activités (commerce…), par une diminution de la population, une concentration de la pauvreté et une forte insécurité Canicules : revue de la littérature Série temporelle de mortalité dans 7 villes aux USA : – augmentation de la mortalité plus importante chez les sujets de faible SSE (O’Neills 2003). Décès liés à une vague de chaleur à St-Louis (USA, 1980) : – Taux 6 fois plus important chez les plus précaires/moins précaires (quintiles, Jones, 1982) Pas d’effet modificateur du SSE sur la mortalité liée à des vagues de chaleur dans des études : – en Espagne (Borell 2006), en Italie, à Sao Paulo, à Mexico (Stafoggia 2006, Gouveia 2003, Bell 2008) Aucune de ces études ne prenait en compte les variations spatiales de l’exposition à la chaleur Vague de chaleur en France en 2003 Excès de mortalité de 14 000 décès entre le 3 et le 15 août 2003 Etude écologique de Rey et al. (2003) à l’échelle des cantons Comparaison de la mortalité observée dans chaque canton pendant la vague de chaleur à celle attendue la même année si elle avait été la même qu’en juillet-aôut en 2000-2002 (référence) Standardisation sur âge et sexe Indicateur de précarité calculé à partir des données INSEE, échelle cantonale Vague de chaleur en France en 2003 (suite) Calcul d’un indicateur d’exposition à la chaleur – Écarts de température max et min entre 2003/2000-2002, par canton – Nombre cumulé de degrés de température max au dessus d’un seuil variable selon le canton (adaptation des populations à leur climat locauxà – Concentration d’Ozone (modélisation Météo-France) Méthodes bayésiennes pour prendre en compte les phénomènes de sur-dispersion et d’auto-corrélation spatiale Ratio standardisé de mortalité liée à la vague de chaleur en France en 2003 Ratio standardisé de mortalité selon les quintiles de l’index de précarité et l’index d’exposition à la chaleur : Paris et Banlieue Index d’exposition à la chaleur Excès de mortalité pour le 5e et le 1er quintile de précarité 1er quintile 11,7/10,1 2d quintile 9,7/10,8 3e quintile 19,0/9,4* 4e quintile 23,0/12,4* 5e quintile 22,3/12,0* * Différence statistiquement significative à p=0,05 Synthèse des résultats : modèle général Facteurs sociaux Prises en charge Protection Prévention secondaire Catastrophe Atteintes à la santé Exposition à la catastrophe Séquelles physiques, psychiques Retour à la normale Conséquences sociales : perte logement perte travail … Facteurs de vulnérabilité sociale Séquelles sociales Réparation Indemnisation Interventions Effets modificateurs Bruit environnemental et santé : effets extraauditifs Perturbations du sommeil et ses effets secondaires sur les performances (Afsset 2003, Stansfeld 2003) Effets sur le système cardio-vasculaire Santé mentale : risque accru de détresse psychologique mais pas de troubles psychiatriques Effets subjectifs : 1 habitant sur 2 gêné par le bruit à son domicile en France (Baromètre Inpès santé environnement 2007) Inégalités environnementales liées au bruit Etats-Unis, Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni : une exposition au bruit plus fréquente parmi les populations défavorisées – Mesures objectives ou subjectives du bruit En France : – Gêne liée au bruit plus fréquente dans les zones urbaines sensibles – Ile-de-France : communes les plus défavorisées plus exposées au bruit ferroviaire et aérien (Faburel 2008) – Paris : pas d’exposition plus fréquente parmi les populations défavorisées (Groupe de recherche RECORD 2009) Projet de recherche sur les facteurs contextuels associés aux remboursements de psychotropes à Marseille Décrire des variations géographiques des remboursements de médicaments psychotropes à Marseille au niveau des Ilôts regroupés pour l’information statistique (Iris) Etudier les caractéristiques des Iris associées aux remboursements, en particulier : – les caractéristiques socio-économiques – le niveau d’exposition au bruit Construction d’un indicateur de précarité Données à l’Iris Recensement Insee à l’Iris : – Recensement de la population 2006 Analyse de 337/392 Iris – Iris d’habitat uniquement – Données d’exposition au bruit disponibles Réalisation d’une ACP à partir d’une sélection de 17 variables Insee – Méthode publiée dans la littérature* * Havard, S., et al., Epidemiology, 2009. Havard, S., et al., Soc Sci Med, 2008. Construction d’un indicateur de précarité * Coordonnée sur axe 1 de l’ACP : équivaut à peu près au coefficient de corrélation avec le score de précarité ; variance expliquée sur le 1er axe : 60% Représentation cartographique du score de précarité (Insee 2006) *Un score élevé indique un niveau de précarité élevé. Construction de dimensions de précarité (Insee 2006) Dimension « Précarité de l’emploi » % Emplois stables % Emplois précaires Dimension « niveau de formation » % BAC+2 % Sans diplôme Construction de dimensions de précarité (suite, Insee 2006) Dimension « âge de la population » % 75 ans et + % de 18-24 ans Dimension « Mobilité » % de ménages qui ont emménagés depuis plus de 10 ans % de ménages qui ont emménagés depuis moins de 2ans Construction de dimensions de précarité (suite, Insee 2006) Dimension « Ancienneté logement » % RP construites après 1949 % RP construites avant 1949 Dimension « Logements collectifs » % Maisons RP>100m² propriétaires % appartements RP<40m² locataires Données d’exposition au bruit environnemental Exposition moyenne des populations en Lden dB(A) Source : Soldata Acoustic Lden dB(A) moyen par IRIS Moyenne( ET) : 66.8(5.6) Min-Max : 52.5-78.0 Indice de précarité Autocorrélations spatiales Score de précarité Indice de Moran* (0.59) significativement positif (p<0.001) *: l’indice de Moran s’interprète de la même manière qu’un coefficient de corrélation Lden moyen Autocorrélations spatiales Lden_moyen Indice de Moran (0.65) significativement positif (p<0.001) Corrélation score de précarité-Lden moyen par Iris : Loess plots* Score de précarité Coefficient de Spearman: ρ=0.35; p<0.0001 * Régression polynomiale locale Corrélations dimensions-Lden moyen par Iris : Loess plots* Coef. de Spearman: ρ= 0.35, p<0.0001 « Précarité de l’emploi » Coef. de Spearman: ρ=-0.25 ; p=<0.0001 « Logements collectifs » Coef. de Spearman: ρ= -0.06; p=0.30 « Déficit de formation » Coef. de Spearman: ρ=0.59, p<0.0001 « Ancienneté logement » Coef. de Spearman: ρ=- 0.13; p=0.02 « Population jeune » Coef. de Spearman: ρ=0.55, p<0.0001 « Mobilité » Modèles SAR Modèle principal Relations non linéaires (cf. loess plots) Æ Découpage du score de précarité sur 5 niveaux (quintiles) Comparaison d’une modélisation classique (OLS) vs modélisation spatiale SARlag OLS: F(Y)= Xβ + ε ; avec ε ~ iid (0;σ2) Matrice d’ajustement sur l’autocorrélation SARlag: F(Y)= ρWy+ Xβ + ε ; avec ε ~ iid (0;σ2) Modèles de régression du Lden en fonction du score de précarité Comparaison d’un modèle sans et avec prise en compte des auto-corrélations spatiales OLS β p-value 67.9 <0.0001 SAR p-value β 34.4 <0.0001 Constante Score de précarité Niveau 0 Ref. Ref. Niveau 1 3.4 0.0002 2.8 0.0002 Niveau 2 6.1 <0.0001 4.5 <0.0001 Niveau 3 5.0 <0.0001 3.9 <0.0001 Niveau 4 4.4 <0.001 2.5 0.0012 0.5 <0.0001 ρ AIC 2073 1953 AIC: Critère Akaïke Le niveau de référence est le niveau 0 (classe la plus favorisée) Β: coefficient de régression Modèles de régression du Lden en fonction de dimensions de précarité Comparaisons de modèles sans et avec prise en compte des auto-corrélations spatiales OLS Constante Score mobilité ρ AIC β 66.8 1.7 SAR p-value <0.0001 <0.0001 2011 β 39.5 1.3 0.4 p-value <0.0001 <0.0001 <0.0001 1907 OLS Constante Score Ancienneté logement ρ AIC SAR β 66.8 p-value <0.0001 β 45.0 p-value <0.0001 2.4 <0.0001 1.8 0.3 <0.0001 <0.0001 1952 1899