VOULOIR ATTENUER LES CONSEQUENCES DU
CHANGEMENT CLIMATIQUE : EST-CE TROUVER DES
SOLUTIONS OU CREER DE NOUVELLES MENACES ?
Par Minnie Degawan
« Les peuples autochtones ont souffert des pires conséquences du changement climatique sans
avoir beaucoup contribué à sa création ; maintenant nous ne devons pas être placés dans la
situation de devoir souffrir encore davantage des stratégies qui visent à atténuer ce
changement afin que les nations du nord puissent continuer à sur consommeri. »
Le Forum international des peuples autochtones sur le changement climatique,
Bali 2007 (1)
Les peuples autochtones ont toujours fait l’expérience d’une série de changements, depuis
ceux de leur environnement naturel jusqu’aux changements de politique qui ont influé sur
leurs vies et leurs cultures. Par conséquent ils savent y faire face, y répondre et s’y adapter,
leurs cultures s’étant développées dans l’interaction avec le changement de leur milieu
naturel et le contexte plus large des changements sociaux et politiques. Cette interaction
même a renforcé leurs mécanismes de réponse. Cependant, de récents développements
s’avèrent être plus décourageants que ce qu’ils ont affronté par le passé.
Pour les peuples autochtones, le changement climatique est une réalité. Bien qu’ils ne
disposent pas de données sur l’élévation du niveau de la mer et de la température, leur vie
quotidienne est directement touchée : ils vivent avec l’assèchement de terres naguère fertiles,
les trombes d’eau qui inondent leurs jardins juste avant la cueillette, la pénurie d’eau durant
l’été et la diminution des récoltes en général. Ces changements dus au climat sont plus rapides
que tous ceux qui avaient été observés précédemment. Cette vitesse met les capacités
d’adaptation des autochtones à l’épreuve.
Conséquences du changement climatique sur les connaissances et les cultures
traditionnelles
Les peuples autochtones sont affectés plus durement que quiconque en raison de leur
dépendance des ressources naturelles, de leur pauvreté, de leur marginalisation.,de leur besoin
d’accéder aux services publics, de leurs capacités à faire face et de leur situation
géographique, sociale, culturelle et politique. Comme les autres communautés ils connaissent
les pénuries alimentaires, les sécheresses étendues, les inondations et d’autres perturbations
physiques dont les conséquences sont aisément mesurables. Toutefois, leurs pertes en termes
de connaissances traditionnelles et de pratiques culturelles n’ont pas été suffisamment prises
en compte.
Celles-ci sont étroitement liées à leur dépendance vis-à-vis des ressources naturelles et de la
diversité biologique et à l’usage qu’ils en font. Le savoir traditionnel fait partie,
indissociablement, de la culture, de la structure sociale, de l’économie, des modes d’existence,
des croyances, des traditions, des coutumes, du droit coutumier, de la santé et de la relation au
milieu. Les institutions, les autorités, les stratégies habituelles sont perturbées quand les
connaissances, basées sur des modèles et des indices connus, se révèlent d’un effet limité face
à des processus d’une ampleur globale et beaucoup plus grande.
Changements dans le cycle agraire
L’intensification des changements du climat a des effets sur le cycle agraire et donc sur les
connaissances et les cultures autochtones. Beaucoup d’entre elles, en Asie, se fient à
l’observation d’indices particuliers pour savoir quand planter, cultiver et récolter. Ce cycle
influence et détermine non seulement les systèmes économiques autochtones mais aussi leurs
traditions culturelles, sociales et politiques. L’imprévisibilité du temps et les conditions
climatiques extrêmes perturbent rapidement et drastiquement les pratiques agricoles qui
donnent leur identité aux communautés autochtones.
À Sagada, dans la province des Montagnes du nord des Philippines, d’où je viens, le
calendrier ne s’établit pas en jours ou en semaines mais selon l’activité agricole périodique.
Chaque mois est divisé selon les activités dans les champs ou selon la période de maturité des
plantes. Par exemple, notre année commence par Kiling, qui coïncide avec octobre dans le
calendrier romain et qui est le moment de semer le riz dans les rizières. Kiling est le nom d’un
petit oiseau dont le pépiement indique que la saison des typhons est terminée.
Se fier à des indices donnés par la nature pour savoir ce qui est approprié et ce qui ne l’est pas
relève de vieilles coutumes aujourd’hui en plein désarroi. Durant les cinq dernières années, le
mois d’octobre a été le pic de la saison des pluies et l’on n’a pas pu semer le riz. Les anciens
ont voulu reporter les semailles mais ils n’étaient pas capables de prédire valablement la fin
des pluies ni même s’il pleuvrait. Signe de leur panique, les communautés ont tenté de
s’adapter en plantant dès l’arrivée des pluies sans attendre d’être sures qu’elles seront assez
abondantes pour arroser correctement les rizières. Il y a eu beaucoup de cas de semences et
d’efforts gâchés en raison de cette mauvaise gestion du temps.
Leur cycle agraire ainsi perturbé, les autochtones se tournent vers d’autres activités,
abandonnant l’agriculture et la culture qui les a modelés pendant des générations. Il est donc
important de se rappeler que le changement climatique n’a pas, sur nos peuples, que des
conséquences économiques mais a, plus importantes encore et incommensurables, des
conséquences culturelles.
Atténuation des effets du changement et schémas d’adaptation
Aiguillonnés par le besoin de répondre aux effets négatifs du changement, les agences des
Nations Unies, les gouvernements, les organismes financiers et d’autres ont élaboré des
schémas qui ont pour but de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de s’ajuster à
leurs conséquences.(2) À première vue, ces schémas paraissent logiques. Mais apportent-ils
réellement la solution la plus appropriée et la plus efficace ? .S’adressent-ils véritablement
aux causes du changement ou ne sont-ils que des écrans de fumée qui diminuent la culpabilité
des responsables ?
Pour être véritablement efficaces les mesures doivent s’appliquer aux causes du changement
climatique. La cause principale de la crise planétaire n’est pas l’usage, par les communautés
autochtones, des forêts ou de l’eau des rivières ; mais plutôt la surconsommation des
ressources mondiales par quelques-uns. Malheureusement il y a, chez les gouvernants, peu de
volonté politique de s’attaquer aux racines du mal. Au contraire, le point de vue du marché est
favorisé, attribuant une valeur commerciale à l’environnement et développant des mesures qui
font rentrer de l’argent, le traitement du changement climatique est devenu une grosse affaire.
C’est pourquoi les peuples autochtones s’opposent à beaucoup des mesures proposées.
Réduire les émissions de gaz dues à la déforestation et à la dégradation des forêts
En 2007, lors de la Conférence de Bali sur le changement climatique, les gouvernements ont
décidé que le plan Réduire les Émissions de gaz à effet de serre due à la Déforestation et à la
Dégradation des forêts (Reducing Emissions from Deforestation and Degradation / REDD)
(), (3) ferait partie du plan d’action à mettre en œuvre à partir de 2012. Cette décision est
inspirée par l’idéologie des pays du nord selon laquelle ils doivent payer les pays du sud pour
qu’ils protégent leurs forêts. Le REDD est un exemple classique de l’approche mercantile des
questions de l’émission de gaz et de la conservation de la biodiversité. Puisque la
déforestation et la dégradation des forêts représentent environ 20 à 25 % du total des
émissions de gaz, il est sensé de mettre un terme à l’exploitation effrénée des forêts en la
soumettant à des intérêts financiers. Mais plusieurs problèmes se posent alors.
Ces propositions ayant été conçues sans consultation des autochtones, elles ne tiennent aucun
compte de leurs droits fonciers. Ces peuples craignent donc d’être expulsés de leurs forêts
quand les gouvernements auront reçu l’argent destiné à les protéger. Les autochtones, dont les
droits sur leurs terres et leurs ressources, en particulier sur les forêts, ne sont pas reconnus
risquent d’être alors marginalisés et appauvris.
En outre, quand les gouvernements auront été dédommagés pour protéger les forêts, on peut
craindre que l’usage durable que savent en faire les autochtones soit remplacé par des modes
d’exploitation qui tiennent peu compte, ou pas du tout, de l’imbrication des relations entre ces
peuples et la forêt. Dans la Cordillère des Philippines, la reforestation a été pilotée, au début
des années 1980, par des bailleurs de fonds comme la Banque mondiale, la Banque de
développement asiatique et la Commission européenne. Ces projets ne remplissaient pas les
objectifs, assignés à l’origine, de replanter les forêts dénudées et ont, de plus, ouvert la voie à
la corruption.(4)
L’idéologie sous-tendant cette initiative a suscité des inquiétudes. Les pays ou les
communautés reçoivent des subventions pour accomplir des tâches soi-disant
environnementales, c’est-à-dire protéger leurs forêts, Il y a risque que ces opérations suscitent
des chantages à l’environnement parce que les gouvernements peuvent dire : « nous abattrons
les arbres si nous ne recevons pas les fonds ». La République Démocratique du Congo a déjà
réclamé un complet dédommagement pour ses forêts qu’elle menace d’abattre si elle n’est pas
payée. Il n’est pas surprenant que beaucoup de pays en développement soient en faveur de ce
processus.
L’accent mis sur l’importance de la conservation des forêts pour contrer le réchauffement
climatique a donné à la Banque mondiale la volonté de jouer un rôle dirigeant dans les
opérations de REDD. Elle a lancé le Forest Carbon Partnership Facility pour renforcer les
capacités des pays en voie de développement et leur faciliter les activités de reboisement. La
Norvège a aussi annoncé son soutien financier aux pays en développement pour combattre la
déforestation.
Mais la question fondamentale est : à qui appartiennent les forêts ? Qui a le droit de négocier
leur utilisation ?. Les gouvernements réclament la souveraineté sur les ressources naturelles
mais il est clair que ce sont ces mêmes gouvernements qui ont exploité les forêts jusqu’à leur
disparition. L’ironie est que ceux qui ont détruit de vastes espaces forestiers soient maintenant
récompensés pour les protéger.
Le Mécanisme d’un Développement Propre ( Clean Development Mechanism / CDM)
Ce soi-disant mécanisme flexible du Protocole de Kyoto,(5) permet aux gouvernements des
pays industriels de réaliser une partie de leurs engagements prévus au Protocole sous la forme
de projets menés à l’étranger plutôt que de changer de politique et d’activités chez eux.(6) Il
se rapporte aussi au commerce des émissions de carbone.
Dans ce mécanisme, les puits de carbone ont été inclus dans ce qui permet de recevoir des
subventions. Ils sont riches d’une grande diversité biologique et absorbent le carbone émis
dans l’atmosphère. La notion de puits est inappropriée, aucune référence n’est faite aux
peuples autochtones et le concept suppose un monopole de la terre sous prétexte d’atténuer les
effets du changement climatique. Ce projet entraîne la création de grandes plantations
monoculturales qui ont de très fâcheuses conséquences pour les autochtones en créant de
nombreux puits sur leurs terres. Les projets de protection des forêts incluant le commerce des
émissions de carbone ne répond pas non plus à leurs inquiétudes quant à leurs moyens
d’existence et la gouvernance. En Amérique du sud, les terres ont été acquises par de riches
hommes d’affaires ou, dans certains cas, par des ONG écologistes afin de les protéger de la
dégradation et de conserver leur valeur comme puits de carbone. Une fois de plus les
autochtones, qui n’ont aucune garantie quant à la tenure de leurs terres, sont victimes de ces
dispositions. Il faut néanmoins noter que des gouvernements prennent maintenant conscience
du problème et, nous l’espérons, prendront prochainement des dispositions
La promotion des énergies renouvelables est aussi incluse dans le CDM. Comme alternative
aux énergies fossiles, il est prévu le développement de sources d’énergies hydroélectrique,
géothermique, nucléaire et solaire. Point n’est besoin de dire que les autochtones se sentent
menacés par beaucoup de ces mégaprojets ; des luttes innombrables ont été menées contre
eux dans le passé et la situation n’est pas près de changer dans l’actuel contexte de la
croissance de la demande énergétique. Un exemple classique de ces luttes est celle remportée
par les Igorot de la Cordillère des Philippines dans les années 1970, contre le projet de barrage
Chico, financé par la Banque mondiale ; la victoire a aussi abouti à la formation d’une
organisation autochtone, l’Alliance des Peuples de la Cordillère.( Cordillera Peoples Alliance
/ CPA) Les luttes contre les projets de barrages, le barrage de Bakun au Sarawak en Malaisie
et le barrage de Megalaya dans le Nord est de l’Inde, montrent à quels moyens extrêmes
peuvent en arriver les peuples qui défendent leurs territoires.
Bien que les projets du CDM inquiètent les peuples autochtones, certains ont toutefois passé
des accords avec des compagnies privées pour compenser les émissions de gaz à effet de
serre. Par exemple dans le nord de l’Australie, les propriétaires de terres aborigènes sont
payés pour maintenir leurs pratiques traditionnelles de gestion du feu, réduisant de ce fait les
gaz à effet de serre. (7)
Financement de l’adaptation
À la Conférence des Nations Unies sur le Changement Climatique (UNCCC) de Bali en
2007, fut approuvée la création d’un fonds de soutien aux pays pauvres qui manquent de
l’argent, des techniques et des ressources humaines pour y faire face. Ce fonds doit financer
des projets et des programmes d’adaptation concrets dans des pays en développement qui font
partie du protocole de Kyoto. Il est financé par une partie des produits des activités du CDM
et d’autres sources.(8) Quoique ce mode de financement puisse inquiéter très sérieusement
les peuples autochtones (parce que de nombreux projets du CDM ont de graves conséquences
sur leurs terres et leurs moyens d’existence) ils ont néanmoins demandé à y avoir facilement
et directement accès.
La création d’un Fonds d’Investissement sur le Climat (Climate Investment Fund), proposé
récemment, qui doit être administré par la Banque mondiale comprend aussi un financement
pour l’adaptation au changement climatique ( le Fonds Pilote pour la Résistance au Climat /
Climate Resilience Pilot Fund ) qui a été accusé de saper le Fonds agréé dans le cadre de la
Convention sur le changement climatique. Une fois encore, les autochtones craignent que
leurs inquiétudes et leurs demandes ne soient ignorées et d’être de nouveau les perdants plutôt
que les bénéficiaires.
Agro carburants
La production d’agro - carburants est liée aux programmes de production d’énergies
renouvelables du CDM. De grands espaces de terres cultivables, traditionnellement destinés à
la production alimentaire, sont maintenant convertis en plantations d’agro - carburants. Le blé,
le manioc, la canne à sucre ne sont pas produits pour la table mais pour les véhicules. Des
rapports de diverses agences de l’ONU montrent que ces agro - carburants menacent la
production alimentaire mondiale. Pour les autochtones, il est inconcevable que des plantes
alimentaires puissent être cultivées non pas pour être mangées mais pour devenir des
carburants.
En Asie, les plantations de palmiers à huile menacent les autochtones. De grandes surfaces de
forêt et de terres arables ont été et continuent d’être défrichées pour les implanter,
particulièrement en Indonésie et en Malaysia. Ces plantations commencent à se développer en
Papouasie -Nouvelle Guinée et en Thaïlande, on en projette au Vièt- Nam, au Cambodge, en
Inde et aux Philippines, quoique le Sénat philippin ait commencé à discuter de la viabilité
économique de cette production. Les promoteurs de plantations industrielles arguent qu’elles
sont un bon moyen de résoudre de multiples problèmes par la réduction des émissions de gaz
à effet de serre, la création d’emplois pour les autochtones et qu’elles améliorent la gestion
des ressources. Rien n’est plus éloigné de la vérité.
Au Sarawak, en Malaisie par exemple, les autochtones ont été déplacés par l’extension des
plantations, dévastatrices aussi bien pour eux que pour l’environnement. L’arrosage régulier
des plantations par des produits chimiques a diminué le nombre d’insectes, utiles ou nuisibles.
La santé des villageois s’est détériorée, la végétation a changé, l’approvisionnement habituel
en eau a été détourné au profit des plantations et les animaux et végétaux, autrefois abondants,
sont devenues rares. Même les espèces cultivées sont modifiées : les bananes ne sont plus
aussi douces, les tomates sont tachées et se dessèchent. La perte de ces compléments
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