Cahier du GEMDEV n°29 – Développement durable : quelles dynamiques ?
Etat (celui-ci n’étant qu’un gérant des externalités13) ou que les relations économiques
(l’économie) seraient des relations dont le pouvoir serait exclu.
Passons à l’émergence d’une société civile mondiale. Certains auteurs définissent la société
civile comme l’ensemble des organisations politiques, économiques, sociales et culturelles qui
ne sont pas créées ou mandatées par l’Etat (Lipschutz, 2002). Pour d’autres auteurs, la société
civile exclut en revanche les forces économiques, puisque nous dit-on, les acteurs de la
gouvernance sont « la société politique, la société économique, et la société civile (qui)
négocient les modalités et les formes d’arrangements sociaux planétaires sur la base du
principe de la coopération conflictuelle » (Lamy et Zaidi, 2002, p. 204).
On trouve parfois une réponse contradictoire chez un même auteur. Ainsi, après avoir défini
la société civile comme « l’espace politique dans lequel des associations bénévoles cherchent
à modeler les règles qui régissent tel ou tel aspect de la vie sociale », Scholte (2002, p. 213) y
inclut les « forums professionnels », catégorie qui comprend « les groupes de pression
industriels (où la distinction sphère marchande/société civile est souvent malaisée) et les
associations professionnelles telles que le Forum économique mondial, qui se consacre à des
questions sociales et politiques ». Parler de bénévolat pour désigner le MEDEF ou Le Forum
de Davos des dirigeants d’entreprise, même si ce dernier est par ailleurs jugé « exemplaire de
cette démarche de construction des priorités collectives par la voie du dialogue informel » par
les rapporteurs de l’étude du Conseil d’Analyse Economique (Jacquet et al., 2002, p. 62),
paraît pour le moins étonnant.
Hardt et Négri (2000), bien qu’ils parlent également des organisations non gouvernementales
(ONG) en tant que « forces les plus nouvelles et peut-être les plus importantes dans la société
civile mondiale », les définissent de façon plus restrictive que l’auteur précédent. Loin
d’englober l’ensemble des forces socio-économiques, ce sont « toute(s les) organisation(s) se
proposant de représenter le peuple et de travailler dans son intérêt » qu’ils distinguent des
« intérêts du capital » (ibid., pp. 380-381). On est ici dans une approche où la société civile
regroupe « tous ceux d’en bas », le « bottom-up process » décrit par Cox (1999)14.
III. GOUVERNANCE MONDIALE OU GOUVERNANCE DE LA MONDIALISATION ?
Il existe une autre ambiguïté dans les débats actuels qu’il faut maintenant mentionner. Parle-t-
on de gouvernance mondiale (ou globale) ou de gouvernance de la mondialisation (Serfati,
2003) ? La première impliquerait la mise en place d’institutions de dimension mondiale, et
plus seulement inter-nationales. Ces institutions mondiales transcenderaient les intérêts
nationaux y compris, ceux des pays les plus puissants, elles seraient en fait capables de mettre
13 A moins, comme cela est de plus en plus pratiqué, d’étendre la notion d’externalités ad infinitum. Par exemple,
l’attitude des groupes pharmaceutiques qui produisent des thérapeutiques contre le SIDA a été contestée au nom
des externalités négatives que représentent les dizaines de millions de malades du continent africain qui ne
peuvent avoir accès aux soins. Souci louable de souligner le réductionnisme des approches qui font du marché
l’éponyme de l’économie, voire de l’ensemble des relations sociales, mais qui peut aboutir à l’idée que seule la
théorie « standard » en économie fournit les outils d’analyse…
14 Sans développer ce point dans cet article, on notera que pour Négri et Hardt (2000), le déclin de la société
civile héritée de l’Etat-Nation est irrésistible et l’émergence d’une société civile mondiale est évidente.
Cependant, celle-ci ne constitue nullement le centre de la « pyramide mondiale ». Cette expression désigne
l’organisation du pouvoir mondial au sommet duquel se trouvent les Etats-Unis, en-dessous les sociétés
capitalistes transnationales, et en bas, la société civile mondiale et les Etats-Nations. Ils adoptent ainsi une
approche « gramscienne » de la société civile (ici mondiale) en tant que contre-pouvoir hégémonique.
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