E R B O OCT 010 2 le journal BAROMÈTRE 2010 SALE TEMPS PERSISTANT Une espèce sur cinq menacée, des oiseaux en chute libre… Les indicateurs de l’état de notre biodiversité sont loin d’être au beau fixe ! Quelques actions vont, certes, dans le bon sens, mais le tournant historique que le Grenelle de l’environnement devait nous faire prendre est raté. Or, si la biodiversité ne devient pas une priorité, c’est notre avenir que nous hypothéquons. PAR CATHERINE PERRIN, CLOTILDE WARIN, ÉTIENNE HURAULT, SAMUEL GUITTON INFOGRAPHIES PHILIPPE MOUCHE Terre Sauvage 89 Octobre 2010 TE R R E FAUNE DE LA RÉUNION DANS LE ROUGE Liste rouge de la faune de la Réunion En pourcentage d’espèces (mammifères, reptiles, oiseaux, poissons d'eau douce et quelques groupes d’invertébrés) Listes rouges des espèces menacées en France métropolitaine En pourcentage d’espèces 22 Éteinte à la Réunion 10 12 En danger critique d’extinction 4 Reptiles Oiseaux nicheurs 4 61% Éteinte au niveau mondial EN DANGER CRITIQUE D’EXTINCTION Risque extrêmement élevé d’extinction Source : UICN-MNHN Espèces 7 menacées 15% 9% EN DANGER Risque très élevé d’extinction 6 60% R SU 5 Espèces 8 menacées 5 R SU 16 Mammifères continentaux Orchidées 9 42 10 Préoccupation mineure Quasi menacée 9 En danger 4 Vulnérable En nombre d’espèces Oiseaux 13 38 4 39% Rß 2 Espèces 21% 14% SU Espèces menacées 23% menacées SUR ßSU Devenir des espèces présentes avant l’arrivée de l’homme Espèces restantes 66% 10% 1 Espèces 2 menacées 3 5 13% R Éteintes au niveau mondial Éteintes à la Réunion 2008 Source : Office national de la chasse et de la faune sauvage 2006 2004 14 20 2008 5 2007 15 16 QUASI MENACÉE Proche du seuil des espèces menacées ou qui pourrait être menacée si des mesures de conservation spécifiques n’étaient pas prises PRÉOCCUPATION MINEURE Risque de disparition de France faible DONNÉES INSUFFISANTES Pas assez de données disponibles pour évaluer le risque DISPARUE EN FRANCE MÉTROPOLITAINE TRE N E ET 19992001 2005 4 oursons repérés en 2010 2004 120 2006 100 110 19961998 3 3 1 20022004 1995 2000 Effectifs de quatre rapaces Ours Lâchers Risque d’extinction Faucon crécerellette Nombre de couples nicheurs 151 min. 100 2005 171 182 194 E n France, comme partout dans le monde, des espèces animales et végétales vont disparaître à jamais à cause de l’homme : une espèce sur cinq est menacée en métropole. Ainsi, la vipère d’Orsini et le vautour moine sont en danger critique d’extinction, tout comme l’ours brun. Au début du xxe siècle, 200 ours vivaient encore dans les Pyrénées françaises, ils ne sont plus qu’une vingtaine. Il en faudrait 50 pour que la population soit viable. D’où les lâchers, dont les derniers remontent à 2006. On attendait que d’autres soient programmés, comme l’avait déclaré, en janvier dernier, Chantal Jouanno, secrétaire d’État à l’Éco- logie, déclenchant l’ire des anti-ours. Surprise : six mois après, lorsqu’elle présente le nouveau plan Ours, il n’est plus question de réintroduction : on mise désormais sur un accroissement naturel. « Théoriquement, cela peut fonctionner, comme ce fut le cas en Suède, mais cela prendra beaucoup de temps », estime François Moutou, de la Société française pour l’étude et la protection des mammifères. Une reculade pour calmer les éleveurs ? « Cette décision est politique, analyse François Moutou. Pour l’Année internationale de la biodiversité, on s’attendait tout de même à mieux ! Les ours ne sont pas responsables des problè- Terre Sauvage 90 Octobre 2010 Espèces agricoles 2009 60 65 72 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 27 6/20 mes de l’élevage ovin : ils ont tué moins de 150 brebis en 2009, c’est dérisoire comparé aux 400 000 à 600 000 qui partent chaque année à l’équarrissage et finissent en farines animales. » Quant au loup, classé « vulnérable » sur la liste rouge nationale, le bilan est mitigé. Si l’espèce continue à étendre son territoire, la population pourrait avoir diminué : 185 loups en 2008, 165 en 2009. « Sur 27 zones de présence permanente de l’espèce, il y en a cinq où on n’a relevé aucun indice de présence l’hiver dernier, déclare Éric Marboutin, de l’ONCFS. Cela reste difficile à expliquer, il faut attendre le prochain suivi hivernal pour voir si cette tendance se Buse variable Nombre de couples en milliers 143 143 133 114 37 37 2000-2002 2004-2007 2008 2009 Milan royal 43 44 47 47 49 54 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 biodiversité terrestre situation toujours critique Espèces liées au bâti 75 Balbuzard Lynx Loup Source : LPO-CNRS Nombre de couples reproducteurs ! Toutes espèces -30% max. Éteintes au niveau mondial Éteintes à la Réunion -20% -40% 1989 1990 Espèces forestières -10% 146 119 89 82 61 Reptiles terrestres Espèces restantes Espèces généralistes +10% CERTAINS RAPACES SONT EN HAUSSE, D’AUTRES DÉCLINENT 150 185 2007 Variations moyennes Indice d'abondance des populations d'oiseaux communs en fonction du type d'habitat Base 100 en 1989 Source : MNHN-CRBPO 100 VULNÉRABLE Risque élevé d’extinction TROP PEU D’OURS ET MOINS DE LOUPS Effectifs estimés des grands carnivores TE R R E OISEAUX NICHEURS COMMUNS : MOINS 12% EN 20 ANS UNE ESPÈCE SUR 5 MENACÉE EN MÉTROPOLE Source : UICN-MNHN Données insuffisantes 2010 le Baromètree dde la nature confirme. » Pour d’aucuns, il est fort probable que cette baisse soit due au braconnage. Vincent Vignon, spécialiste du loup, estime que, depuis l’an 2000, au moins une centaine d’animaux ont été éliminés illégalement. Le déclin des oiseaux nicheurs Si la France se situe au huitième rang des pays ayant le plus grand nombre d’espèces menacées au niveau mondial, c’est en grande partie à cause de ses collectivités d’outre-mer. La biodiversité y est exceptionnelle et les atteintes, nombreuses : urbanisation, pollutions, exploitations minières… À la Réunion, une espèce animale sur cinq est menacée. Certaines endémiques pourraient même rapidement s’éteindre, comme le tuit-tuit et le pétrel noir, deux oiseaux parmi les plus menacés Nombre de couples 3400 2000-2002 au monde, qui sont victimes des rats. « Les espèces introduites envahissantes, végétales ou animales, sont un véritable cancer qui ronge la biodiversité de l’île, explique Florian Kirchner, de l’UICN (Union internaionale pour la conservation de la nature). Des programmes de lutte existent, mais il faut redoubler d’efforts, en mettant notamment en place des systèmes de détection précoce pour éviter que de nouvelles espèces envahissantes ne s’installent. » Les oiseaux nicheurs communs de métropole restent le meilleur indicateur de l’état de la biodiversité car on les suit depuis longtemps : la France en a perdu 12 % en vingt ans. Seuls les oiseaux généralistes, tel le pigeon ramier, se portent plutôt bien, bénéficiant sans doute du déclin d’espèces spécialistes, comme celles inféodées aux zones agricoles, où un quart des oiseaux Terre Sauvage 91 Octobre 2010 estimation impossible 2008 2009 nicheurs s’est volatilisé. La buse amorce une diminution inexpliquée, et le milan royal est sur une pente fatale, bien qu’il fasse l’objet d’un plan de conservation. « Les prairies où il chasse sont remplacées par des cultures céréalières et ses proies (rongeurs, insectes) se raréfient à cause des pesticides », explique Fabienne David, de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). « Le milan est aussi victime d’empoisonnements délibérés ; il faudrait une police de l’environnement pour contrôler ces pratiques d’un autre âge, mais on manque de moyens humains et financiers pour protéger la biodiversité », s’exclame Fabienne David. Heureusement, d’autres exemples redonnent espoir, comme ceux du faucon crécerellette et du balbuzard pêcheur qui, même si leurs effectifs sont encore faibles, sont dans une dynamique positive. TE R R E LES SOLS ARTIFICIALISÉS ACCÉLÈRENT LEUR AVANCÉE Surface en herbe Sols cultivés Occupation du territoire en 2009 Landes, friches maquis, garrigue Sols boisés Sols nus naturels, zones humides, zones sous les eaux Sols artificialisés Part de l’agriculture bio dans la surface agricole utile totale 18,5 En pourcentage pour 2008 (*: 2009) Augmentation par rapport à l’année précédente 11,0 Source : SSPAgresteTeruti-Lucas 35% 17% 31% - 279 000 hectares Variations 2006/2009 Accélération de l’artificialisation 5% 1 département tous les 7 ans (86 000 ha par an) Protections réglementaires Proportions du territoire en 2009 20062009 80 553 +3,1% sous protection forte Autriche* Suisse* Suède Métropole ß Outre-mer ß Métropole Outre-mer Surfaces du territoire national protégées Part de l’outre-mer Variation globale 2007- 2009 Italie Portugal Rép. tchèque Évolution de la flore adventice Nombre moyen d’espèces par parcelle 19681976 3% +1 287 stable Réserve Arrêté préfectoral Réserve Réserve naturelle naturelle de protection biologique de chasse et nationale* de biotope de faune sauvage PROTECTIONS RÉGLEMENTAIRES 112 Parc naturel régional Parc national (aire d’adhésion) Conservatoire du littoral Un tiers des espèces disparues des champs depuis les années 70 ne se trouve plus que sur les bords des champs AUTRES TYPES DE PROTECTION 4,6 3,8 2,7 2,6 4,3 2,0 Pays- Belgique France* Pologne Union européenne Bas* État d'avancement des stratégies régionales pour la biodiversité (SRB) Les observatoires régionaux de la biodiversité (ORB) ß 9,3 Source : INRA 5,3 COLLECTIVITÉS TERRITORIALES : DES INITIATIVES POUR LA BIODIVERSITÉ 16,6 24 995 +3,4% 1 661 +4,2% 5,6 Dan. Allemagne* Esp.* Royaume Grèce -Uni ß Source : MNHN * inclut réserve naturelle de Corse 12 045 +1 % 1 756 +7,8% 5,6 DES FLEURS DES CHAMPS QUI DISPARAISSENT Zone terrestre, en km2, en 2009 Protections réglementaires ß en 2009 ß 25 015 stable Objectif 2012 : 6% 7,9 + 259 000 hectares PAS ENCORE ASSEZ D’ESPACES PROTÉGÉS DE FAÇON FORTE Proportions du territoire sous protection forte 8,0 6,6 + 20 000 hectares 1 département tous les 10 ans 1992(61 000 ha par an) 2003 Source : Agence Bio, FIBL. 10,8 9% 3% TE R R E AGRICULTURE BIO : LA FRANCE EN PROGRÈS MAIS TOUJOURS SOUS LA MOYENNE EUROPÉENNE en pourcentages du territoire Parc National (zone cœur) 2010 le Baromètree dde la nature 20052006 ORB opérationnel ou en phase de démarrage ORB en cours de préfiguration ou en cours de montage Pas de mutualisation de l'ensemble des données sur la biodiversité SRB en cours de mise en œuvre ou de démarrage SRB en phase de réflexion NordPDC Haute- Pic. Norm. BasseLorr. Norm. IDF Champ.Bretagne Ard. Alsace P. de Loire Centre Bourg. Fran.Com. Poit.Char. RhôneLim. Alpes Auv. Aqu. MidiPyr. Lang.Rouss. Politique du conseil régional pour la biodiversité Autres dispositifs (ex. trame verte et bleue) NordPDC Haute- Pic. Norm. BasseLorr. Norm. IDF Champ.Bretagne Ard. Alsace P. de Loire Centre Bourg. Fran.Com. Poit.Char. RhôneLim. Alpes Auv. Aqu. PACA Corse MidiPyr. Lang.Rouss. PACA Corse […] M auvaise nouvelle : l’artificialisation du territoire s’accroît. Chaque jour, de nouveaux bâtiments, routes, autoroutes, parkings grignotent 236 hectares d’espaces agricoles et naturels. Grâce à l’enquête annuelle Teruti-Lucas, réalisée par le ministère chargé de l’Agriculture, on sait que les surfaces artificialisées ont augmenté de 86 000 hectares par an entre 2006 et 2009, soit la superficie d’un département français moyen tous les sept ans. Sur la période 1992-2003, la vitesse d’artificialisation était d’un département tous les dix ans. Le processus s’accélère donc, et ce sont autant d’habitats détruits et de milieux fragmentés, un drame pour la biodiversité. Bien sûr, des espaces sont protégés en France, mais le 1,23 % du territoire métro- politain sous protection forte (réglementaire) n’équilibre pas vraiment les 9 % du territoire artificialisés ! Certes, le Grenelle a impulsé une dynamique : deux parcs nationaux ont été créés en outre-mer, justifiés par une biodiversité très riche. Mais en métropole, cela semble plus compliqué, les contraintes n’étant pas les mêmes ; on le voit bien avec le parc des Calanques qui suscite encore de fortes oppositions. Les outils de protection non réglementaire, tels les parcs naturels régionaux, sont plus faciles à utiliser, mais pour préserver la nature, les protections fortes (parcs nationaux, réserves naturelles, arrêtés préfectoraux de protection de biotope) restent les plus efficaces. D’aucuns souhaiteraient même que des sites Natura 2000 deviennent des réserves. Une façon de régler certaines Terre Sauvage 92 Octobre 2009 absurdités administratives. Ainsi, en 2009, des sites désignés Natura 2000 pour protéger des chauves-souris ont été détruits en Auvergne. « Il s’agissait de mines abandonnées depuis plus d’une centaine d’années. L’administration a appliqué le code minier stipulant que des sites qui ne sont plus exploités doivent être sécurisés, mais elle les a démolis alors qu’il y a d’autres solutions, comme simplement poser des grilles à l’entrée », explique Sébastien Roué, spécialiste des chauves-souris. Des associations ont porté plainte auprès de différentes instances dont des européennes. « Toujours pour des raisons de sécurité, on interdit même parfois aux naturalistes d’entrer sur les sites. Comment peuvent-ils alors faire leurs inventaires et leurs études ? ! », s’exclame Sébastien Roué. Une aberration, d’autant que les inventaires de populations animales et végétales sont la base de la connaissance de l’état de la biodiversité. Depuis des années, les associations naturalistes réalisent ce travail, mais les résultats sont souvent dispersés et peu accessibles. D’où l’intérêt des Observatoires locaux de la biodiversité, dont le rôle est de compiler ces données et de diffuser l’information. Cependant, toutes les régions et tous les départements sont loin d’être dotés d’un observatoire, leur mise en place nécessitant des années car elle implique des acteurs dont les visions et les objectifs peuvent diverger. Certaines collectivités font néanmoins des efforts. Ainsi, neuf régions sont engagées dans une Stratégie régionale pour la biodiversité. « Mais une région qui n’en a pas encore une peut mener tout de même des actions intéressantes, comme l’Alsace et le Nord-Pas-de-Calais qui ont opté pour des dispositifs dédiés aux corridors écologiques », explique Florence Clap, de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Manque de budget pour le bio Reste qu’une stratégie, en intégrant la biodiversité dans toutes les politiques publiques, est la meilleure façon d’agir. On mesure aujourd’hui les effets désastreux de l’agriculture intensive sur la flore : une étude de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) montre que, en trente ans, le nombre d’espèces de prétendues « mauvaises herbes » a diminué de moitié dans les champs. Or beaucoup Terre Sauvage 93 Octobre 2009 ont un rôle bénéfique dans les écosystèmes agricoles : leurs fleurs nourrissent les insectes pollinisateurs et leurs graines, nombre d’oiseaux, dont les populations ont subi une perte de 25 % en vingt ans. Tout cela plaide pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement. Mais avec seulement 2,5 % de sa surface agricole en bio, la France est bien en dessous des 4,3 % de la moyenne européenne et encore loin de son objectif de 6 % pour 2012. Pourtant, les demandes de conversion vers le bio sont de plus en plus nombreuses, mais les aides de l’État sont insuffisantes. D’après Marie-Catherine Schluz, chargée de mission agriculture à France Nature Environnement (FNE), « 15 à 25 % des demandes de conversion risqueraient de ne pas être honorées, faute de budget disponible ». EA U X le Baromètree dde la nature La recolonisation du castor en bassin de Loire Le déclin du vison d’Europe AMPHIBIENS : 1 ESPÈCE SUR 5 MENACÉE PEU DE SAUMONS, PLUS DE SILURES Liste rouge des amphibiens Source : LOGRAMI (Loire Grands Migrateurs) Source : UICN-MNHN Le saumon atlantique En pourcentage d’espèces (en métropole) Source : ONCFS Source : SFEPM Orléans Préoccupation mineure Nantes aire perdue depuis 1900 aire perdue depuis 1950 aire perdue depuis 1980 répartition 1991-2003 3 59% Moulins Période de colonisation 1979-1985 1986-1992 1993-1998 1999-2002 Site de lâcher 17% St-Etienne 0 Quasi menacée 50 100 km En danger critique d’extinction 6 6 9% En danger Vulnérable Les eaux de surface continentales naturelles Effectifs en plusieurs stations du bassin de la Loire SUR En km2, entre 2000 et 2006 (*: Zones humides d’importance majeure) 900 Vichy 600 300 Langeac Poutès 2001 2003 2005 2007 2009 (espèce exotique) 400 300 + 10,6 + 0,8 Surfaces en eau Zones humides 2001 Source : LPO-Wetlands International 700 Forêts et milieux Territoires semi-naturels agricoles - 2,7 500 Ensemble oiseaux d’eau Limicoles Cormorans Plongeons et grèbes 200 100 0 1990 1995 biodiversité aquatique la france boit la tasse D eux bonnes nouvelles : le castor est de retour dans l’Ouest et en Alsace grâce à d’importantes réintroductions. On compte ces rongeurs par milliers sur la Loire et ses affluents, alors qu’ils n’étaient que treize relâchés de 1974 à 1976 près de Blois. La seconde : les populations d’oiseaux d’eau migrateurs hivernants ou faisant escale dans nos zones humides augmentent depuis vingt ans, surtout anatidés, foulques, limicoles et ardéidés (hérons). Rivières et zones humides seraient-elles en meilleure santé ? Non, malheureusement. « Si le castor revient sur les petits affluents, c’est qu’il n’est plus chassé et qu’il compense la dégradation 2005 2007 2009 de son habitat par ses capacités d’adaptation », explique Sylvain Richier, de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). « Ainsi, en zones de grandes cultures, le castor peut construire des barrages avec des tiges de maïs sur des cours d’eau recalibrés. » Quant aux oiseaux, la LPO, la Ligue pour la protection des oiseaux, explique leur essor par l’augmentation du nombre d’espèces et de sites protégés, où ils se concentrent à la recherche de quiétude, loin des fusils. Il faut se rendre à l’évidence : la dégradation des prairies humides, deltas, tourbières et autres zones humides est bien réelle. La progression entre 2000 et 2006 de Terre Sauvage 94 Octobre 2010 2000 2005 2009 6/20 l’artificialisation, sur les 152 sites suivis par l’Observatoire national des zones humides, l’illustre. Certains experts estiment que leur surface totale a chuté de moitié depuis 1960. Face à ce constat, l’État a lancé, en février, un nouveau plan national d’action avec 29 mesures, dont la création d’un parc national de zones humides et l’amélioration des aides à l’agriculture dans ces milieux. Sur ce point, les associations environnementales regrettent le manque d’ambition. C’est que l’enjeu est de taille ! Sans zones humides, pas de purification de l’eau assurant sa qualité, ni de zone tampon limitant les inondations, ni de stabilisation des berges pour lutter SeineNormandie Très bon Bon LoireBretagne Moyen Médiocre Mauvais Indéterminé AdourGaronne Éteinte 3% Artois-Picardie État chimique* Données insuffisantes Préoccupation mineure En danger critique d’extinction 32% 6% 3% 13% 32% En danger SeineNormandie Vulnérable LoireBretagne AdourGaronne Espèces menacées Rß ßSU Corse RhinMeuse Données 2006-2007 Bon Mauvais Indéterminé Éteinte en métropole 3% RhôneMéditerranée *Évalué à partir d’indices biologiques (invertébrés, micro-algues...), physicochimiques (nitrates, pH) et morphologiques (état des berges) POISSONS : 1 ESPÈCE SUR 5 MENACÉE Liste rouge des poissons d’eau douce 600 300 2003 0 En pourcentage d’espèces (en métropole) Source : UICN-MNHN 400 ß 100 Vichy Base 100 commune en 1990 Anatidés et foulques Données 2006-2007 200 Effectifs des oiseaux d’eau hivernants 800 0 500 Le silure Châtellerault Source : SOeS (ONZH) / CORINE Land Cover. RhinMeuse État écologique* ZONES HUMIDES : L’ARTIFICIALISATION PROGRESSE OISEAUX D’EAU HIVERNANTS : EN HAUSSE Évolution surfacique des grandes catégories d’occupation des sols dans 152 zones humides* Artois-Picardie Sources : Onema-Agences de l'eau 1 200 1999 Espèces menacées DOUCES QUALITÉ DE L’EAU : DES EFFORTS RESTENT À FAIRE ! Le saumon et le silure (espèce migratrice) Données insuffisantes Tours Territoires artificialisés EA U X DOUCES LE VISON RÉGRESSE, MAIS LE CASTOR REVIENT ß 2010 RhôneMéditerranée * 41 substances dangereuses prioritaires mesurées dont des métaux lourds, des polluants industriels et des pesticides 8% Quasi menacée contre l’érosion… et pas de grenouilles ! Les amphibiens sont, en effet, les premiers à pâtir de l’assèchement ou de la pollution des zones humides. Poissons dans le rouge Même sentence pour le vison d’Europe, victime de la dégradation des boisements inondables, des marais et des ruisseaux, qu’il apprécie, mais aussi des collisions routières et des piégeages involontaires : il ne cesse de perdre du terrain. « On ne trouve plus une femelle tous les 500 mètres, mais tous les 10 kilomètres ! », explique Pascal Fournier, de la SFEPM, Société française pour l’étude et la protection des mammifères. Autres indicateurs : les poissons. Or, selon l’UICN, l’Union internationale pour la protection de la nature, 1/5e des espèces natives Corse de métropole sont dans le rouge, dont la totalité des migrateurs, sauf la lamproie marine (quasi menacée). Aux menaces habituelles (dégradation des habitats, pollution…) s’ajoutent, pour ces derniers, les barrages, qui compromettent leur périple vers les frayères. Dans le bassin de la Loire, les populations de saumons atlantiques et d’aloses battent donc de la nageoire. Pendant ce temps, les effectifs de silure, espèce invasive venue du Danube, sont, eux, au beau fixe. L’état écologique des eaux de surface françaises montre que seuls 38 % sont considérés en bon état. On est loin de la totalité, imposée d’ici à 2015 par la directive-cadre européenne sur l’eau. Et encore, les nitrates, inclus dans ce « superindicateur », tirent la note vers le haut. Pas en raison d’une amélioration, mais parce que le « bon état » se cale désormais sur le seuil de 50 mg/l et non plus 10, qui Terre Sauvage 95 Octobre 2010 caractérise un milieu non perturbé par l’activité humaine. L’argument ? Les nitrates ont peu d’effets directs sur la biologie dans les eaux courantes. « C’est une vision étriquée », s’insurge Bernard Rousseau, de France Nature Environnement. Une fois en mer, même sous la barre des 50 mg/ l, les nitrates peuvent booster la croissance des végétaux (les fameuses marées vertes), dont la respiration et la décomposition massive épuisent le milieu en oxygène, l’asphyxiant ainsi que les espèces qui y vivent. L’état chimique des eaux douces semblerait-il plus rassurant ? Non, car l’indicateur ne considère que 41 substances dangereuses prioritaires : polluants industriels, métaux et pesticides. Or ces derniers sont bien plus nombreux, présents sur 91 % des stations de mesure et, même à faible concentration, peuvent former des cocktails des plus toxiques pour le vivant. ME R & LITTORAL ENCORE ET TOUJOURS DES MARÉES HABITATS CÔTIERS ET MARINS : ATTENTION FRAGILES ! VERTES DUES AUX NITRATES AGRICOLES Eaux marines et milieux à marées Marées vertes et asphyxie des côtes françaises Eutrophisation avérée et potentielle en Atlantique et Manche en 2007 MÉDITERRANÉEN ATLANTIQUE Baie de Quiberon et Belle-Île 100 % MÉDIT. ATLANT. 67 % Nantes Vendée La Rochelle Zone de sécurité Eglefin M. du Nord Bordeaux Pays basque Morue M. Celtique Anchois G. de Gasc. Landes Source : CIEM Ifremer, 2008 Sole Manche Est Merlu Stock Nord Plie Mer Celtique Arcachon par rapport à 2006 Lieu noir M. du Nord Ouest Ecosse Plie M. du Nord Morue Mer du Nord Régression par rapport à 2006 Merlan bleu Atlantique Nord-Est Baudroie M. Celtique et G. de Gascogne Sole Mer celtique Sole G. de Maquereau Gascogne Hareng Mer du Nord Plie Manche Ouest A vise un renforcement du ramassage et de la gestion de cette laitue de mer, sans traiter le mal à la racine en remettant en question l’agriculture intensive. Le seul objectif est la réduction de 30 % des flux d’azote d’ici à 2015 dans huit baies prioritaires. En fait, une simple reprise du SDAGE* du bassin Loire-Bretagne, qui ne repose que sur le volontarisme des acteurs locaux ! Quant au principe du pollueur-payeur, il passe aux oubliettes puisque la facture d’élimination des algues revient aux collectivités. On est loin du « tournant important » évoqué par le ministre de l’Agriculture… « La politique de l’autruche continue à prévaloir, constate Terre Sauvage 96 Octobre 2009 2000 1990 2010 2050 7/20 Christian Garnier, vice-président de France Nature Environnement (FNE). Une politique qui refuse d’arbitrer entre la reconquête de la qualité de l’eau et la poursuite d’une agriculture intensive. » La loi de modernisation de l’agriculture, votée en juillet, aurait pu changer la donne. Occasion manquée. « On a limité les dégâts », explique MarieCatherine Schulz, chargée des questions agricoles à FNE. Un exemple : l’amendement déposé par le député des Côtes-d’Armor, Marc Le Fur, qui élevait le seuil d’autorisation pour les porcheries de 450 à 2 000 bêtes, n’a pas été retenu. Mais le texte permet toujours la simplification des regroupements, 4,5 5,0 5,3 Source : Agence des aires marines protégées, 15 juin 2010 Extension du réseau Natura 2000 en mer, création du parc naturel marin d’Iroise Réserve naturelle nationale des TAAF (Terres australes et antarctiques françaises) 2005 2006 1,5 % 1995 2000 à condition qu’il n’y ait pas d’augmentation « sensible » de leur capacité ou d’effet « notable » sur l’environnement. « Des termes suffisamment flous pour nous inquiéter », commente Marie-Catherine Schulz. Enrayer le bétonnage des côtes Au large de nos côtes, un autre sujet inquiète : les stocks halieutiques de l’Atlantique Nord-Est, où la France puise 73 % de ses captures. Certains se sont améliorés depuis 2006, grâce au renforcement des contrôles de l’Europe, notamment concernant la pêche illégale. Mais la surpêche menace encore trop d’espèces. En juillet dernier, le Conseil des ministres européens a, par exemple, approuvé un quota de 15 600 tonnes pour l’anchois du golfe de Gascogne, alors que les scientifiques préconisent un 2005 2007 2009 2008 5 10% Préoccupation mineure 20% 25% 40% Objectif 2020 : 20 % Rß ßSU Nombre d’aires marines protégées* en France (métropole et outre-mer) 2006: 186 AMP dont... 1,0 % 158 sites Natura 2000 27 réserves naturelles 1 parc national 2010: 241 AMP 0,5 % Création du réseau Natura 2000 1989 4,2 Quasi menacée Données insuffisantes 2004 Création du parc naturel marin de Mayotte en pourcentage des eaux sous juridiction française 4,9 Disparue en France métropolitaine 3,5 2003 Évolution de la proportion d’aires marines protégées Sole Manche Ouest Taux de mortalité dû à la pêche 4,1 DE PLUS EN PLUS D’AIRES MARINES PROTÉGÉES Zone de danger biodiversité marine dégradée, mais davantage protégée lors que les États-Unis ont connu, cette année, la pire marée noire de leur histoire, la France a vécu, comme chaque été, sa série de marées vertes. Des dizaines de milliers de tonnes d’algues échouées sur les plages bretonnes ou, à moindre échelle, normandes… Ce phénomène nuisible pour l’environnement a pour cause l’enrichissement excessif des eaux côtières en nitrates, venus, par ruissellement, des engrais azotés agricoles et des rejets d’élevages industriels de porcs. Le plan gouvernemental « algues vertes », mis sur pied en février, éradiquerat-il le problème ? Les associations environnementales n’y croient pas. En effet, le plan 1980 Source : MEEDDM-SOeS, Sit@del2 Eglefin Rockall Gironde Vulnérable MÉDIT. ATLANT. 25 % 44 % Mauvais Amélioration En pourcentage d’espèces (en métropole) Source : UICN-MNHN Construction de logements sur les communes littorales en millions de m2 Shon (Surface hors œuvre nette) Stocks communautaires exploités par la France en Atlantique Nord-Est Liste rouge des mammifères marins Dunes maritimes Source : Meeddm Biomasse du stock des reproducteurs 51 “Tiers sauvage” 200 73 Pression sur le littoral PÊCHE : TROP DE STOCKS GÉRÉS À RISQUE St-Nazaire 32 11 75 % 56 % État de conservation des habitats marins et côtiers du réseau Natura 2000 En pourcentages des types d’habitats & LITTORAL LITTORAL : DAVANTAGE DE TERRAINS SOUSTRAITS À LA CONSTRUCTION MAMMIFÈRES MARINS : UN MANQUE DE Acquisitions du Conservatoire du littoral Superficies cumulées, en milliers d’hectares, en métropole Source : CELRL CONNAISSANCES Objectif Marais et prés salés 100 % Inadéquat St-Malo Golfe du Morbihan 50 % ME R 1975: Création du Conservatoire du littoral 33 % Caen St-Brieuc Douarnenez 50 % Dunkerque Dieppe Le Havre Baie du Mont St-Michel Brest MÉDIT. ATLANT. 72 % 67 % Zone à problèmes potentiels Zone à Baie de problèmes Cherbourg Seine Mer d’Iroise Falaises maritimes et plages de galets 28 % 33 % Source : OSPAR Zone sans problème 2010 le Baromètree de d la nature 0% 2010 dont... T PAR SmE I L A Rm ß maximum de 6 000 tonnes en raison de ses capacités reproductrices trop faibles. Quant au thon rouge en Méditerranée, ajoute Philippe Gros, de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), « malgré une inspection plus accrue des navires, une baisse des quotas et une saison de pêche amputée d’un mois, il est loin d’être tiré d’affaire ! » Le Grenelle de la mer aidera-t-il les poissons ? « Bon nombre de propositions remises cet été au gouvernement par les comités opérationnels sont très en deçà des ambitions du Grenelle de la mer, regrette Christian Garnier. Malgré tout, concernant la pêche, les structures professionnelles semblent plus ouvertes au dialogue avec les associations environnementales et l’objectif de 50 % des aires marines protégées (AMP) en “réserves de pêche” a été validé ! » Les AMP ne cessent Terre Sauvage 97 Octobre 2009 206 sites Natura 2000 31 réserves naturelles 2 parcs nationaux 2 parcs naturels marins *hors arrêtés de protection de biotope et domaine public marin géré par le Conservatoire du littoral de prendre de l’importance, même si on est loin de l’objectif 2020 : 20 % des eaux françaises protégés. En tête de liste figurent les parcs naturels marins, un outil puissant dont l’enjeu est de faire participer tous les usagers (pêcheurs, militaires, industriels…). Même chose pour les sites Natura 2000, qui ont toute leur légitimité au vu du mauvais état de conservation des habitats qu’ils protègent. En parallèle, le Conservatoire du littoral poursuit ses acquisitions de terrains privés pour enrayer le bétonnage effréné des côtes. Autre enjeu : la protection en haute mer, qui manque encore cruellement. Quatre sites Natura 2000 y sont en cours d’identification pour tenter d’y remédier. Le grand dauphin et de nombreux récifs jouiront enfin de zones refuges ! * Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux D E L’ E N V I R O N N E M E N T et toujours plus Le Grenelle 2 n’aura finalement accouché que d’une souris. Les spécialistes de la biodiversité sont déçus... d.delfino/biosphoto D ans la version finale du Grenelle 2, les projets d’infrastructures n’auront plus qu’à « tenir compte » de la trame verte et bleue, ces corridors écologiques reliant des zones protégées qui doivent être mis en place sur l’ensemble du territoire. Un sérieux pas en arrière alors que la première mouture du texte imposait que les infrastructures soient « compatibles » avec ces corridors écologiques. « La trame verte et bleue est un acquis réel, mais la logique n’a pas été poussée au bout », déplore Christophe Aubel, directeur de la Ligue Roc. Christine Sourd, directrice adjointe en charge de la biodiversité au WWF, est plus véhémente : « On espérait un engagement fort et on accouche d’une souris ! Les élus n’ont pas encore pris conscience que la biodiversité n’est pas une entrave au développement économique. » Ce recul est d’autant plus inquiétant que ces derniers mois ont été marqués par l’annonce de la construction de trois nouvelles autoroutes. Jean-Louis Borloo a promis au député UMP de l’Hérault, Jean-Pierre Grand, de doubler l’A 9, à côté de Montpellier. L’autoroute entre Castres et Toulouse est programmée en partie grâce au lobbying des laboratoires pharmaceutiques Pierre Fabre qui en ont besoin pour desservir leur site. Et la route nationale 54, entre Orléans et Dreux, est aussi mise en concession. Pour l’association Agir pour l’environnement, « cet écoulement de bitume aux quatre coins du territoire est un vrai bras d’honneur à tous ceux qui ont pu croire au Grenelle de l’environnement ». Même désillusion à la lecture de l’avantprojet du Schéma national des infrastructures de transport (SNIT), un document qui fixe les orientations de l’État en matière d’entretien, de modernisation et de développement des transports dans les prochaines décennies. Les 19 projets routiers qui y sont mentionnés ont tous été justifiés pour des raisons de sécurité, Dans les projets de lignes à grande vitesse, quid de la biodiversité ? de congestion ou de désenclavement. « Dans ce document de près de 200 pages, il n’est fait référence à la trame verte et bleue qu’au détour de quelques pages », déplore Michel Dubromel, en charge des Transports à France Nature Environnement. Si, au premier abord, le SNIT semble accorder la priorité au ferroviaire, ce qui pourrait être une bonne chose, la part belle est faite aux lignes à grande vitesse (LGV). Or ces gros travaux, qui impliquent de nouveaux tracés, ont un fort impact sur la biodiversité. « Pourquoi envisager la construction d’une ligne à grande vitesse entre Poitiers et Limoges alors qu’il suffirait de remettre en état la ligne existante ? », s’interroge Michel Dubromel. Une deuxième ligne à grande vitesse est également en projet entre Paris et Clermont-Ferrand. « Cette idée vient tout droit de Paris alors que, sur le ter- Terre Sauvage 98 Octobre 2010 rain, la modernisation du réseau régional apparaît plus prioritaire », affirme Michel Dubromel. En Alsace, il est prévu de prolonger la LGV jusqu’à Strasbourg. « Dans ces projets, la biodiversité n’est jamais bien prise en compte en amont, déplore Christophe Aubel. Ce n’est qu’à la toute fin du tracé, lorsqu’on se retrouve dans un faisceau d’un kilomètre, que l’on s’y intéresse. » Si des habitats ou des espèces sont menacés, il est parfois trop tard pour revoir la trajectoire. Toutefois, malgré ces fortes inquiétudes, quelques belles surprises méritent d’être saluées. La Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) est lancée. « C’est une belle concrétisation du Grenelle, confie Christine Sourd. Elle permettra à la France d’être un acteur vivant de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité), ce futur GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) de la biodiversité qui est également en bonne voie. » Autre motif de réconfort : la demande, provenant des chasseurs, de revoir la liste des espèces animales non domestiquées protégées tous les deux ans n’a pas été retenue. Enfin, le délit de tentative de destruction d’espèces protégées, jusqu’alors non reconnu, sera enfin puni par la loi. Cependant, un point reste encore très flou : le ministère de l’Écologie demeure discret sur le financement alloué aux dispositions en faveur de la biodiversité. Afin de procéder à la cartographie de la trame verte et bleue, des schémas de cohérence écologique doivent être mis en place en région. Qui va payer ? Nul ne le sait. « Afficher des financements pourra permettre de lever les inquiétudes du monde agricole », rappelle Christophe Aubel. Cela pourrait aussi prouver qu’une volonté politique claire en faveur du Grenelle existe toujours, alors que la fiscalité verte est, depuis l’abandon de la taxe carbone, au point mort. ◗ d’infrastructures ! OÙ EN SONT LES ENGAGEMENTS SUR LA BIODIVERSITÉ ?* Ë OUTRE-MER Ë BIODIVERSITÉ MONDIALE L’annonce de la création de l’IPBES, plate-forme internationale sur la biodiversité et les services rendus par les écosystèmes – l’équivalent du GIEC pour la biodiversité –, a été formalisée en juin à la conférence de Busan (Corée). La décision finale doit être entérinéecet automne par l’Assemblée générale des Nations unies. ËBIODIVERSITÉ Lancée officiellement en février 2008, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) est enfin opérationnelle. Ses moyens ont même été augmentés. ËBIOTECHNOLOGIES Le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) a donné, dans sa première recommandation, une définition du « sans OGM», différente selon les produits. Ainsi, la mention «sans OGM» doit être réservée aux produits végétaux contenant moins de 0,1 % d’OGM et aux produits issus d’animaux nourris avec aliments contenant moins de 0,1 % d’OGM. ËPOLLUTION LUMINEUSE L’article a été adopté sans amendement. Mais le texte ne mentionne pas le volet biodiversité alors que la trame verte et bleue devrait aussi être éteinte la nuit. Ë AGRICULTURE BIO L’objectif d’atteindre 6 % de la Surface agricole utile (SAU) en agriculture bio en 2012 s’annonce difficile. Même si les conversions augmentent, le bio ne couvrait toujours que 2,5 % de la SAU en 2009. Ë AGENCE DE LA NATURE En février 2010, une mission a été confiée à deux inspecteurs généraux (Finances et Environnement). Ils ont remis leur rapport cet été. Une proposition de loi définissant le cadre de la future Agence de la nature devrait voir le jour d’ici à la fin de l’année. Beaucoup de craintes subsistent quant au respect des réflexions issues du Grenelle. Ë ESPACES PROTÉGÉS Ë AGRICULTURE La loi Grenelle II validant les trois niveaux de critères « haute valeur environnementale » (HVE) des exploitations agricoles a été adoptée. Mais seules celles de niveau 3 – au moins 10 % de la surface laissée à la nature et moins de 30 % des dépenses consacrées aux intrants (engrais, pesticides, carburant) – recevraient la mention HVE, ce qui était une demande des associations. En revanche, Bercy est défavorable à l’octroi d’un crédit d’impôt pour aider les agriculteurs à franchir le cap. Parc national des Calanques : le décret de création devrait être signé fin 2010 ; parc national forestier : le site est choisi (forêt de Châtillon en Champagne-Ardenne) ; parc national zones humides : plusieurs sites sont à l’étude. Un parc national pourrait être créé à Fontainebleau. Ë INVENTAIR INVENTAIRE R BIODIVERSITÉ Au printemps, Chantal Jouanno a annoncé le lancement du projet Atlas de la biodiversité dans les communes (ABC). En trois ans, 1 000 communes devraient en être pourvues. Ë NATURE EN VILLE Six groupes de travail ont planché sur ce dossier et un comité de pilotage a été mis en place pour décliner les propositions pour 2011. Ë OGM La loi a bien été votée, dès juin 2008, mais les textes d’application ne sont toujours pas parus. Un décret sur la définition du « sans OGM » devait être soumis au Haut Conseil des biotechnologies (HCB) en juillet 2010. Et l’arrêté sur les règles de coexistence entre cultures OGM et non OGM attendra les positions du même HCB, prévues pour juin 2011. L’information du public attend toujours des dispositions législatives spécifiques. Ë OUTRE-MER La mise en place d’un système de protection des espaces et des espèces, comparable au dispositif Natura 2000, est au point mort. Le schéma minier de la Guyane devrait être adopté d’ici à la fin 2010. Un chargé de mission a été nommé au printemps à la Fédération des Conservatoires botaniques (Martinique, Guadeloupe), afin de faciliter leur action sur le terrain. Ë PESTICIDES Le plan Ecophyto de réduction des pesticides à 50 % d’ici 2018, adopté en 2008, est globalement satisfaisant. Un réseau de 1 000 fermes de démonstration va être mis en place d’ici fin 2010. Pour mesurer la consommation de pesticides, un nouvel indicateur doit être publié en 2011 : le NODU, fondé sur le nombre de doses utilisées et non sur le tonnage des pesticides. ËTRAME VERTE ET BLEUE (TVB) La loi Grenelle a entériné sa création malgré un recul après son passage en commission paritaire : celle-ci est revenue sur la compatibilité des infrastructures de transport avec la TVB et évoque seulement une « prise en compte ». En outre, les plans locaux d’urbanisme n’ont reçu aucun outil spécifique. Une hypothèque pèse donc sur la mise en œuvre de la TVB en l’absence de financements conséquents. Cela étant, la TVB, c’est parti ! budget ridiculement bas : moins de 300 000 euros ! En outre, il n’est plus du tout question de créer une future interprofession apicole. Ë TRANSPORTS Le Schéma national des infrastructures de transport (SNIT), qui devait être publié avant la fin 2009, a été présenté cet été. Priorité est donnée au ferroviaire, mais de façon déséquilibrée : trop de lignes à grande vitesse et pas assez de fret. De plus, 19 projets routiers ont été également validés par le SNIT. Les conditions de financement des projets ne sont pas clarifiées. Ë POLLINISATEURS L’Institut technique apicole a été créé en mars 2010, mais il dispose d’un Terre Sauvage 99 Octobre 2010 Ë FISCALITÉ On en est au point mort. L’abandon de la taxe carbone a bloqué tous les autres dossiers liant fiscalité et environnement. Aucune avancée sur le projet d’audit des mesures fiscales défavorables à l’environnement. Pas plus de nouvelles sur le projet de répartition de la dotation globale de fonctionnement des communes afin de favoriser celles qui s’attachent à préserver l’environnement. Ë RECHERCHE SCIENTIFIQUE Aucune avancée sur le renforcement des disciplines naturalistes (botanique, écologie, taxonomie...). Sources : Ligue ROC, France Nature Environnement, Comité français de l’UICN (pour un suivi du Grenelle : www.biodiversite2012.org). biodiversité * Hors mer et forêt GR E N E L L E 2010 le Baromètre d GR E N E L L E 2010 le Baromètree dde la nature D E L’ E N V I R O N N E M E N T biodiversité ces projets qui bafouent les accords du grenelle 2010, année nationale de l’atteinte à la biodiversité ? C’est une question que l’on peut se poser au vu des projets « grenello-incompatibles ». s. cordier/biosphoto L ’an dernier, une vingtaine de projets incompatibles avec les engagements du Grenelle de l’environnement sur le plan de la biodiversité avaient été recensés. Depuis, seuls deux d’entre eux ont été abandonnés. Le projet de circuit de formule 1 prévu à Flins, dans les Yvelines å, qui aurait porté atteinte à une zone de captage d’eau potable, a été écarté, comme le centre d’enfouissement des déchets de La Souterraine, dans la Creuse ç. Parmi les autres projets, certains ont été bloqués grâce à l’action des associations de protection de l’environnement. Ainsi, le projet de port de plaisance de Brétignolles-sur-Mer é a été retoqué par le préfet de Vendée pour la troisième fois. Cette idée farfelue – ouvrir une brèche dans les terres en endommageant une zone humide – a déjà lourdement grevé les fonds municipaux, la commune ayant engagé pas moins de 3,5 millions d’euros pour financer les études ! En Ille-et-Vilaine, le permis de construire autorisant le syndicat mixte à exploiter un centre de stockage des déchets et une usine de prétraitement des ordures ménagères près de la forêt de Brocéliande è a été annulé en avril dernier, mais un recours reste possible. Autre bonne nouvelle : la cour de cassation a donné raison à l’association Les Amis de la Terre du val d’Ysieux, qui lutte contre le projet du cimentier italien Calcia d’installer une décharge de déchets inertes au lac de Beaumont-sur-Oise, un magnifique site naturel de 27 hectares où 800 espèces ont été répertoriées. Certes, le projet est arrêté, mais le cimentier a fait appel. Malgré ces quelques points positifs, 2010 a été marquée par un flot de mauvaises nouvelles. Ainsi, la secrétaire d’État à l’Écologie s’était engagée, l’an dernier, à ce que En Alsace, deux projets menacent le grand hamster, en voie d’extinction en France. le tracé de l’autoroute A104 à Poissy n’endommage pas le site naturel de l’étang de la Galiotte ê. Mais depuis, l’aménagement prévu pour protéger ce site, consistant à construire un tunnel, a été considéré comme trop onéreux par la direction interdépartementale des Routes et « difficilement conciliable avec la nécessaire sécurisation du trafic ». Un peu partout, de gros chantiers sont en cours, tel le barrage hydroélectrique sur le Rizzanese ë, une des plus belles rivières sauvages de Corse. On a du mal à croire, vu l’étendue des travaux, qu’il n’y aura aucune incidence sur la faune et la flore, comme le prétend EDF. Quant à l’autoroute A65 entre Pau et Langon í, Terre Sauvage 100 Octobre 2010 de multiples photos prises sur le terrain prouvent que le maître d’œuvre, Eiffage, ne respecte pas le cahier des charges. Le chantier a été inondé suite à l’atteinte de la nappe phréatique. « Eiffage a comblé les berges de plusieurs cours d’eau afin que les ponts soient moins longs, ce qui constitue une entorse à la directive Cadre Eau », rappelle Stéphanie Morelle, chargée de mission Biodiversité à France Nature Environnement, qui a alerté le ministère sur ce point. À l’autre bout de la France, le projet de terminal méthanier à Dunkerque ì est en bonne voie, alors qu’il menace une importante colonie de sternes naines. « Seules 14 pages, sur les 7 800 que compte le rapport, analysent les conséquences possibles d’une telle installation sur l’environnement », déplore Marc Sénant, en charge des risques industriels à FNE. Pour finir de noircir le tableau, les autorités donnent leur feu vert à de nouveaux projets. À Dorlisheim, près de Strasbourg î, un multiplexe va être construit sur un site abritant le grand hamster, en danger d’extinction en France. À Fos-surMer ï, des espèces protégées ont été détruites lors de la construction d’une plateforme logistique pour la société Ikea, laquelle a dû verser 700 000 euros, en vertu des mesures compensatoires. Dans 11 une filiale du groupe Bouygues ï le Jura ï, veut ouvrir une carrière en plein cœur d’une zone Natura 2000, menaçant ainsi 40 espèces protégées. « Le projet a déjà été rejeté à cinq reprises par l’administration, mais le carrier, fort de l’appui du préfet du Jura, ne renonce pas, explique Pascal Blain, de l’association Serre Vivante. Si ce projet passe, ce sera la première grosse atteinte à Natura 2000, donc à la biodiversité, en France. » ◗ Carte de France des projets “grenello-incompatibles” nuisant à la biodiversité Projet en cours Nature du projet Ce qui est menacé Projet bloqué grâce à des associations Sur une idée de l'Alliance pour la planète ZNIEFF : zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique Sources : France Nature Environnement, associations locales de protection de l’environnement Nouvel aéroport de Nantes Centre d’enfouissement de déchets ultimes, près de la forêt de Brocéliande Deux ZNIEFF et zones humides Projet abandonné Terminal méthanier de Dunkerque Décharge de cimenterie, lac de Beaumont-sur-Oise Espèces protégées (sternes naines, papillons), couloir migratoire, milieu marin fragile (déjà 13 sites Seveso dans la région) Circuit de Formule 1 à Flins Zone de captage, terres destinées à l’agriculture biologique, deux oiseaux protégés (oedicnème criard et vanneau huppé). Site naturel classé ZNIEFF en partie, une dizaine d’espèces protégées Plateforme logistique des Effaneaux (classée Seveso), en Seine-et-Marne Ruisseau alimentant une ZNIEFF, unique population de crapauds sonneurs d’Île-de-France. PNR à l’étude dans la zone NordPas-de-Calais Picardie HauteNormandie Zone humide classée en ZNIEFF BasseNormandie Bretagne Pays de Loire IDF Prolongement autoroute A104, Poissy Zone humide classée ZNIEFF L’aménagement d’un tunnel sous la Seine pour la préserver est suspendu Autoroute A831, Marais poitevin Centre Zone Natura 2000 Zone Natura 2000, 40 espèces protégées Abandonné en 2009 Écosystème marin, ressources halieutiques, morphologie du littoral PoitouCharentes Port de plaisance à Brétignolles-sur-Mer Réserve d’oiseaux migrateurs Terminal méthanier du Verdon-sur-Mer FrancheComté Espèce végétale protégée au niveau régional (silène de Suède) 1 ZNIEFF, 2 espèces végétales protégées 400 ha de zones agricoles et naturelles dans les monts du Lyonnais ProvenceAlpesCôte d’Azur MidiPyrénées Abandonné en 2009 Future aire marine protégée, couloir migratoire, derniers marais maritimes de Gironde Retenue d’eau pour canons à neige, Val d’Isère Retenue d'eau pour canons à neige, les Deux-Alpes Autoroute A45 Lyon/Saint-Étienne Aquitaine Grand hamster (en danger d’extinction) Alsace RhôneAlpes Limousin Auvergne Multiplexe, Dorlisheim Bourgogne Carrières, massif de la Serre Extraction de sable au large du Morbihan Grand hamster (en danger d’extinction) Lorraine ChampagneArdennes Contournement ouest, Strasbourg LanguedocRoussillon Autoroute A65 Pau/Langon Centre d'enfouissement des déchets, La Souterraine Contournement autoroutier au sud d’Arles 8 zones Natura 2000, espèces menacées (dont vison d’Europe, écrevisse à pattes blanches) Zone humide avec espèces protégées (dont crapaud calamite), ruisseau alimentant une zone Natura 2000 7 zones Natura 2000, PNR de Camargue, exploitations d’ovins et de bovins en AOC Corse Plate-forme logistique Ikea, Fos-sur-Mer 8 espèces végétales et 21 d’oiseaux protégées, certaines menacées, reptiles et amphibiens Terre Sauvage 101 Octobre 2010 Nouveau chemin GR, Mercantour Abandonné en 2009 Sites ZNIEFF et espèces protégées dans le périmètre du parc national Barrage électrique du Rizzanese Une des plus belles rivières sauvages de Corse et d’Europe des exemples De plus en plus d’initiatives se concrétisent sur le terrain, avec les populations locales, habitants ou agriculteurs notamment. n étang, des prairies, des forêts de feuillus : la réserve d’Errota Handia, qui abrite des milieux naturels diversifiés, compte de nombreuses espèces patrimoniales, comme le vison d’Europe ou le papillon cuivré des marais. Protégé depuis 2001, ce site d’une dizaine d’hectares, situé en zone périurbaine, a été classé en réserve naturelle volontaire avant de devenir réserve régionale. Gérée par le CREN Aquitaine, la réserve, cernée aujourd’hui par les lotissements, accueille néanmoins une grande diversité d’oiseaux nicheurs. « Mais s’il y a toujours autant d’oiseaux, nous constatons une baisse de la diversité des espèces, qui témoigne d’évolutions plus globales, et aussi d’un contexte local de mutation de l’agriculture », analyse Tangi Le Moal, en charge du site. Autour, les pratiques agricoles sont devenues plus intensives : les champs de maïs s’étendent et les prairies sont retournées tous les trois ans. « Ce sont principalement les passereaux qui en souffrent », ajoute-t-il. En revanche, de nombreuses espèces de libellules et de papillons sont apparues grâce aux mesures de protection mises en place dans la réserve. « Nous souhaitons maintenant signer des contrats agro-environnementaux avec les agriculteurs des environs », conclut Tangi. Le site, appartenant à un propriétaire privé, n’est ouvert au public que deux à trois fois par an. Nombre d’espèces recensées sur le site d’Errota Handia, au Pays basque (réserve naturelle régionale) Source : Conservatoire régional Espaces naturels d’Aquitaine Oiseaux dont hivernants sur le site dont nicheurs sur le site Papillons de jour 144 141 128 22 22 35 54 44 42 26 50 25 Libellules 53 273 247 Flore avant 2000 47 38 20012006 276 depuis 2006 a commune de Stenay dans la Meuse, classée en zone Natura 2000 depuis six ans, fait figure d’exception en France : c’est le seul site où la population de râles des genêts augmente. Depuis plus de dix ans, le CPIE Woëvre-Côtes de Meuse œuvre pour la préservation de cet oiseau qui se reproduit dans les prairies de fau- che des vallées inondables. Sur les 2 500 hectares du site majoritairement recouvert de prairies, 700 sont particulièrement favorables au râle. Depuis 2007, 40 agriculteurs, sur la centaine présente sur le site, ont signé des contrats permettant la préservation de cette espèce : 431 hectares, dont 250 dans des zones Évolution de la population de râle des genêts sur le site de Steney en Meuse (Natura 2000) 28 31 12 4 1 1999 2000 2 2002 2 3 2004 2 2006 2008 2009 Terre Sauvage 102 Octobre 2010 photo : arnaud noël/cpie 22 Source : CPIE Woëvre Côtes de Meuse Requalification écologique d’un site périurbain : les prés du Hem Oiseaux à Armentières migrateurs Nombre d’espèces Oiseaux recensées nicheurs Source : GON (Groupe Ornithologique et Naturaliste du Nord Pas de Calai)s et ENLM (Espace Naturel Lille Métropole) une partie pour permettre son maintien en eau grâce à une gestion hydraulique. « Nous avons redonné au milieu son rôle d’éponge naturelle humide, se félicite Quentin Spriet, en charge du site au syndicat mixte. Les espèces rares les plus sensibles redeviennent majoritaires. » Cette année, l’œnanthe fistuleuse, une belle plante aux petites fleurs blanches ou rosées, a réapparu alors qu’on la pensait disparue à jamais du val de Lys. La gorgebleue et le faucon hobereau sont aussi revenus sur le site. « Dès que l’on a la maîtrise foncière complète d’un lieu, on peut très vite mesurer les bénéfices d’une requalification écologique. Mais ces six hectares ne doivent pas faire oublier que, autour, on continue à drainer, à rectifier le tracé des cours d’eau, à stériliser des milieux naturels… » Avant 2005 (peupleraie) Pas d’oiseau migrateur 2005-2010 (marais) 5 16 25 9 5 Libellules 4 Pas d’espèce patrimoniale Flore (espèces patrimoniales) UN CHAMP CAPTANT CONCÉDÉ À LYONNAISE DES EAUX (CÔTE-D’OR) DES PRAIRIES AGRICOLES (MEUSE) L UNE ROSELIÈRE EN VILLE (NORD) Armentières, commune au nordouest de Lille, une peupleraie a été rasée afin de redonner vie à l’ancien milieu naturel, une zone humide. Ce site de 120 hectares, baptisé Les Prés du Hem, a été créé dans les années 1980, à deux pas du centre-ville, en bordure de la Lys. Six hectares y ont été requalifiés écologiquement. En 2004, Espace Naturel Lille Métropole a réalisé des travaux dans photo : t. le moal/cren aquitaine U à suivre À UNE RÉSERVE NATURELLE RÉGIONALE (PAYS BASQUE) IN I T I AT I V E S propices aux râles, sont désormais soumis à des mesures assez contraignantes : les fauches ne peuvent pas débuter avant le 20 juillet et doivent être effectuées du centre à la périphérie de la parcelle à vitesse réduite (6-8 km/heure au lieu de 15). Les prairies abritant des râles des genêts mais n’étant pas sous contrat peuvent bénéficier d’une mesure d’urgence. « On a mis en place un fonds Biodiversité, grâce auquel on propose un dédommagement de 250 euros par hectare à l’agriculteur volontaire pour une fauche après le 20 juillet », explique Arnaud Noël, responsable du programme. Les résultats dépassent les espérances. Alors qu’en 2005, on avait vu un seul râle sur le site, l’an dernier, on en dénombrait 31 ! « C’est une espèce opportuniste, explique Arnaud. Si on lui recrée son habitat, les années suivantes, elle revient. » D ’un côté, la Saône, de l’autre, un canal, le champ captant qui approvisionne l’agglomération dijonnaise en eau potable, couvre une immense surface, 42 hectares en tout. Dès 1995, Lyonnaise des Eaux, concessionnaire du site, avait noué un partenariat avec le Conservatoire des sites naturels de Bourgogne, mais il était tombé un peu en sommeil au fil des ans. En 2006, l’entreprise revient vers le conservatoire en lui demandant d’établir un diagnostic écologique du site. « Il y a dix ans, c’était l’un des derniers sites de nidification du râle des genêts dans la région », précise Raphaëlle Lauret, en charge de la protection de l’environnement à Lyonnaise des Eaux Dijon. En 2007, l’entreprise signe une convention tripartite avec le conservatoire et le syndicat mixte du Dijonnais, destinée à gérer écologiquement le site. Deux mares qui avaient perdu de leur profondeur sont réhabilitées. Le Conservatoire aide alors l’entreprise à nouer un dialogue avec des agriculteurs locaux, afin d’entretenir régulièrement le site par des fauches tardives, en opérant du centre à la périphérie pour ne pas risquer de tuer d’oiseaux, tout en laissant intacts les abords des mares. En moins de quatre ans, la population de libellules a augmenté et le nombre d’espèces de plantes a presque doublé ! On attend désormais que le râle des genêts revienne. Nombre d’espèces recensées sur le site de Flammerans (champ captant concédé à Lyonnaise des Eaux) Source : Conservatoire des sites naturels de Bourgogne Libellules Grenouilles et tritons Flore 5 10 4 3 5 28 32 2008 2010 16 2006 Terre Sauvage 103 Octobre 2010 7 photos : quentin spriet IN I T I AT I V E S 6 2010 le Baromètree dde la nature RÉ A C T I O N S le Baromètree dde la nature 2010 RÉ A C T I O N S isabelle autissier navigatrice, présidente du wwf-france Terre Sauvage : Qu’est-ce que le Baromètre de la nature 2010 vous inspire ? Isabelle Autissier : Pas beaucoup d’optimisme ! On ne va pas dans le bon sens. Pourtant, on voit bien que lorsque les bonnes mesures sont prises, la situation peut s’arranger. C’est d’autant plus rageant. J’ai l’impression que beaucoup de gens, en particulier les décideurs, pensent encore que la nature est un truc de « bobos », alors qu’elle est indispensable à notre survie. Ce message n’est pas passé. La prise de conscience est encore faible, même si le citoyen semble un peu en avance sur le politique. Les citoyens percevraient donc plus finement cette problématique que les politiciens. Comment est-ce possible ? Pas étonnant ! La politique a toujours été un cran en retard sur l’évolution de la société, ce n’est pas nouveau. Par exemple, dans le mouvement de libération des femmes, la conscience citoyenne était très en avance sur les politiques. Mais pour le Grenelle de l’environnement, les politiciens ont travaillé avec les autres acteurs de la société civile. Cela aurait pu faire évoluer les mentalités… On voit le résultat… Prenons l’exemple de la trame verte et bleue. Dans la loi Grenelle 2, elle n’est plus opposable aux projets d’infrastructures, cela n’a plus de sens. Mais dans un contexte de crise économique, les gens n’ont pas forcément envie de se mobiliser pour la nature… Même en ce qui concerne la mer ? On a avancé un peu, tout de même ? Ces dernières années, le nombre d’adhérents au WWF a-t-il augmenté ? Certes. Mais les actions portent surtout où cela ne dérange pas les intérêts économiques. C’est très bien de créer une réserve dans les TAAF (Terres australes et antarctiques françaises), mais il n’y a personne, ce n’est pas gênant. En revanche, faire un parc dans les Calanques est nettement plus compliqué : il aura fallu quinze ans ! Sur votre carte des projets grenello-incompatibles, un certain nombre d’entre eux sont suspendus grâce au combat d’associations. Mais on ne devrait plus avoir à mener de tels combats, les projets devraient être grenellocompatibles, point. Ce n’est pas le cas, nous devons donc continuer à nous mobiliser. « Profitons de la crise pour mettre en œuvre un autre modèle ! » Terre Sauvage 104 Octobre 2009 Justement, profitons de la crise ! Non seulement notre système nous conduit droit dans le mur sur le plan environnemental, mais aussi sur le plan économique. Sauf pour un petit pourcentage de gens qui continuent à gagner beaucoup d’argent ; pour les autres, ce modèle ne fonctionne pas. Profitons-en pour mettre en œuvre un autre modèle qui permettra aux êtres vivants de perdurer dans des conditions acceptables. Oui, même si, depuis la conférence de Copenhague de 2009 sur le climat, qui n’a pas eu les résultats espérés, il y a une certaine tendance au découragement. Mais nous n’avons pas le droit d’arrêter, les changements climatiques et la perte de biodiversité sont des sujets très graves. La nature nous met en face des réalités, on ne peut pas avoir raison contre elle, c’est absurde de dire qu’on va s’imposer contre elle. Déclarer 2010 Année internationale de la biodiversité, cela a-t-il fait avancer les choses ? Disons qu’il y a eu 70 % de communication et 30 % de véritables actions. On a davantage parlé du sujet, ce qui a permis d’interpeller les politiques. Cela n’a pas empêché, pendant ce temps, que la biodiversité continue à s’éroder ! Cependant, je suis d’un pessimisme actif. C’est peut-être dans les cinq ans à venir que tout va se jouer. C’est pourquoi j’ai accepté de devenir présidente du WWF-France. C’est un engagement lourd, mais nous devons jeter toutes nos forces dans la bataille, sinon ne nous étonnons pas de la perdre. Continuons le combat, comme on disait en 1968 ! C’est passionnant, réjouissant aussi, on invente des convivialités, on retrouve un sens et des valeurs, ce qui manque beaucoup à nos sociétés. ◗ l. weyl/argos/pictureta Sa réalisation restera liée au bon vouloir de quelques politiciens éclairés. Les autres autoriseront la construction d’autoroutes à travers des zones humides. Le Grenelle n’est pas complètement vide, il a acté certaines choses, comme les parcs marins, mais il n’est pas cet événement majeur qui devait permettre d’amorcer un tournant, et n’est pas à la hauteur de l’espoir suscité. Souvenez-vous du discours du président de la République en clôture des travaux : on a eu l’impression qu’une ère nouvelle s’ouvrait ! Le tableau n’est pas complètement noir, mais il est tout de même d’un gris relativement foncé. robert barbault professeur à l’université pierre et marie curie, dirige le département d’écologie et gestion de la biodiversité au mnhn Terre Sauvage : Quelle est votre impression générale ? Robert Barbault : Il est évident que l’état de la biodiversité ne s’améliore pas, mais on en a une connaissance plus objective grâce à la mobilisation du monde scientifique et associatif. Aujourd’hui, une espèce d’amphibiens sur cinq est menacée en France métropolitaine ; dans deux ans, ce sera une sur trois, peut-être ! En effet, dans les Pyrénées, des chercheurs ont vu disparaître, en quelques années, des populations de batraciens contaminés par un champignon, un phénomène mondial. On constate aussi des effondrements chez des lézards c. sturbois olivier lefort/apercu de la biodiversité nous dépendons touss d ladislav miko directeur pour la nature à la direction générale de l’environnement (commission européenne) Terre Sauvage : Observe-t-on les mêmes tendances en Europe qu’en France ? Ladislav Miko : Oui. Les principaux indicateurs montrent un déclin, particulièrement dans les zones d’agriculture intensive, et une artificialisation croissante des territoires. Mais il y a aussi des signes d’amélioration pour quelques espèces et habitats, prouvant que des actions de protection et de restauration donnent des résultats positifs. Pour cela, il faut des moyens, financiers et humains, suffisants ! dans les Pyrénées et les Cévennes, probablement à cause du réchauffement climatique. Les pouvoirs publics donnent-ils les moyens d’accroître ces connaissances ? Pas assez. La perte de biodiversité est un concept écologique ; or, on ne parle presque plus de science écologique. Les politiciens n’aiment pas ce terme car, derrière lui, il y a une vision politique de la société. On pose la question du développement durable sur le fond, ce qui n’a pas vraiment été abordé. Néanmoins, on sent une effervescence. Des chercheurs se mobilisent au sein de la Société française d’écologie pour qu’elle devienne un groupe de pression indépendant. Certes, il y a des ONG actives, écoutées par le ministère de l’Écologie mais, en même temps, elles sont subventionnées par ce dernier ! Quel est votre regard sur les indicateurs politiques du Baromètre ? Avec le Grenelle, il y a eu de gros effets d’affichage, mais qui ont été suivis de projets en contradiction : on est forcément déçus. Dès qu’il y a des enjeux économiques La Commission européenne a publié, en août, son rapport 2009 sur l’évolution de la politique environnementale. Comment la France est-elle classée ? Même si un réel classement n’a pas été établi, la France est proche de la moyenne, voire légèrement au-dessus sur de nombreux points. Ainsi, votre pays a attendu longtemps pour mettre en œuvre le réseau Natura 2000, mais l’approche choisie semble porter ses fruits. En revanche, concernant les espaces protégés, la part du territoire est plus faible que dans la majorité des pays européens. Mais, globalement, on note une amélioration, grâce notamment au Grenelle de l’environnement. Comment l’Europe peut-elle être plus efficace pour protéger la biodiversité ? Nous avons déjà fait beaucoup de règlements et de lois. L’essentiel, désormais, est de veiller à leur application. Il est crucial de Terre Sauvage 105 Octobre 2009 ou financiers, la biodiversité est reléguée au second plan. En somme, c’est une priorité verbale mais pas une vraie priorité. Le ministère de l’Écologie est, finalement, sous tutelle des Transports, avec des superingénieurs des Ponts et Chaussées, peu sensibles à la nature, qui tirent les ficelles. Comment faire pour que la biodiversité soit réellement prise en compte ? En faisant prendre conscience qu’elle est notre affaire à tous et pas seulement une histoire de petits oiseaux ! C’est le tissu vivant de la planète qui nous rend des services écologiques tels que polliniser les plantes ou purifier l’eau. La biodiversité s’est mise en place sur des milliards d’années avec des millions d’espèces qui interagissent : on est donc incapables de s’y substituer. En la détruisant, nous détériorons notre qualité de vie, avec des répercussions économiques et sociales. Les services qu’elle nous rend ont une valeur sociale économique qui doit être considérée. Il faut aussi continuer à impliquer les citoyens dans des opérations de science participative. La prise de conscience est lente, mais elle augmente. ◗ prendre en compte les services que la biodiversité nous rend et dont nous dépendons tous. Il en va de notre sécurité et de notre avenir. Ainsi, pour cultiver et nous nourrir, nous avons besoin de sols en bon état. J’espère que la France soutiendra la directive-cadre sur les sols proposée par l’Europe. Les 193 pays signataires de la Convention sur la diversité biologique tiennent leur 10e réunion ce mois-ci. Qu’en attendez-vous ? Qu’ils se mettent d’accord sur un agenda ambitieux mais réaliste pour la prochaine décennie, afin d’enrayer la perte de biodiversité, tout en trouvant un compromis sur le financement dans un contexte de crise économique. Cette conférence sera aussi l’occasion de lancer l’IPBES, la plateforme internationale sur la biodiversité et les services rendus par les écosystèmes, l’équivalent du GIEC pour la biodiversité, pour lequel la France a joué un rôle important. ◗ PAR MARIE-SOPHIE BAZIN mnhn P ORTRAIT ROMAIN JULLIARD LA VIGIE DE LA NATURE Paire de jumelles dans une main, base informatique à portée de l’autre, il coordonne un réseau d’observateurs volontaires pour ausculter l’état de la biodiversité à l’échelle nationale. À nous de rendre son diagnostic moins pessimiste. p. zagatti-opie mnhn Spipoll, c'est de la scienc e participative in ra er -t ut to r eu ch Un cher …sur le terrain. P debout, il regarde, durant des heures, les bestioles qui lui passent sous le nez dans la banlieue lyonnaise de son enfance. En grandissant, comme d’autres comptent les billes au fond de leurs poches, il préfère répertorier et classer les oiseaux ou les insectes rencontrés sur son chemin. C’est donc en toute logique qu’après l’École normale supérieure de Paris et un doctorat en écologie, il rejoint, en 1999, le Muséum où le poste rêvé l’attend. « La biologie de la conservation m’intéresse car c’est une science vraiment impliquée dans des questions de société : “ Pourquoi et comment préserver une espèce rare ?”,“ Que faire face à une espèce envahissante ?”, “ Quelle place pour la biodiversité dans les milieux agricoles ?”… Vigie-Nature nous renseigne sur l’impact des changements globaux sur les populations que nous suivons. Cela permet de développer des connaissances utilisables dans le champ public par le biais des différents acteurs pour trouver des solutions. » Recenser les sp toujours été saécimens a passion. renez, d’une part, un genre professeur Tournesol, mais avec de nombreuses années en moins, de l’autre, un chercheur tout-terrain. Mêlez ces deux figures du scientifique – images quelque peu éculées pour journaliste en mal d’imagination –, secouez bien fort et vous obtenez Romain Julliard. À 39 ans, ce maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle conjugue avec succès passion naturaliste, enseignement, alimentation de bases de données, analyse et expertise des indications recueillies dans le cadre de l’initiative Vigie-Nature. Ce programme, rendu possible par l’implication de bénévoles (amateurs éclairés ou grand public, selon les cas), vise à comprendre la réorganisation de certaines communautés animales et végétales face aux modifications de leur milieu de vie. Depuis le lancement de l’observatoire Stoc* il y a vingt ans, d’autres volets ont vu le jour et, aujourd’hui, Romain coordonne la centralisation des données concernant à la fois les chauves-souris, les escargots ou encore les insectes pollinisateurs que lui adressent en continu quelque 6 000 participants répartis dans l’Hexagone. Recenser les spécimens, établir des statistiques, étudier la dynamique des populations a toujours été son truc. À quatre pattes déjà, avant même de tenir Toucher la corde sensible Mais il faut faire vite. « Le programme Stoc sur lequel nous avons le plus de recul indique un déclin généralisé des oiseaux spécialistes (environ 1 % par an) et une augmentation concomitante des espèces généralistes, phénomènes liés principalement à l’intensification de l’agriculture. On constate également un déplacement des populations vers le nord en raison du réchauffement climatique.» Pour lutter contre l’engrenage, Romain espère que les vœux pieux des politiques laisseront bientôt place à l’action. Mais pas seulement. « La biodiversité a une dimension personnelle incontournable. Quoi que fassent les décideurs, si cela ne touche pas la corde sensible de chaque individu, sa propre relation à la nature, cela ne servira pas à grand-chose. Il faut s’appuyer sur les processus participatifs et le but de Vigie-Nature est aussi de susciter une implication citoyenne. Ce programme pourrait faire beaucoup plus d’émules. » À bon entendeur… ◗ (*) Suivi temporel des oiseaux communs Le mois prochain FRÉDÉRIC LARREY, de Regard du vivant Terre Sauvage 106 Octobre 2010 ZOOM SUR LES POLLINISATEURS À l’initiative du Muséum national d’histoire naturelle et de l’Opie (Office pour les insectes et leur environnement), Vigie-Nature s’est enrichi d’un nouveau projet de science participative, Spipoll (Suivi photographique des insectes pollinisateurs). Il a pour but d’obtenir des données quantitatives sur les insectes pollinisateurs et/ou floricoles, en mesurant les variations de leur diversité et celles de la structure des réseaux de pollinisation, sur la France métropolitaine. Sans s’engager dans le temps, tous les amoureux de la biodiversité et de la « chasse photographique » peuvent profiter d’une promenade, d’un pique-nique pour contribuer au succès de cette opération. Plus d’infos sur : • www.insectes. org/opie/monde-des-insectes.html • www.spipoll.org/ INTÉGRATION En 2010, la Fondation Nature et Découvertes a signé un accord-cadre avec le MNHN en s’engageant à examiner de façon bienveillante toute proposition de projet de science participative et citoyenne qui entrerait dans le cadre de VigieNature. C'est ainsi que Romain Julliard a intégré le comité scientifique de la Fondation, comme personne référente du Muséum. Il complète le travail initié par Guy Jarry et sera un soutien précieux pour l’examen des nombreux projets concernant l’avifaune. La Fondation soutient également l’Opie, acteur et moteur de l’opération Spippol avec le MNHN.