Défi diagnostic - STA HealthCare Communications

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Défi diagnostic
Une lumière aveuglante
François Melançon, M.D.
C
L’œil et la lumière
omme la cornée absorbe presque tout le rayonnement ultraviolet (UV),
ce dernier est la cause la plus commune de lésion aux yeux due aux radiations. Ce dommage causé par la lumière est semblable à celui des coups de
soleil sur la peau, puisqu’il est cumulatif. À cet effet, des expositions non protégées au soleil sur des surfaces hautement réfléchissantes peuvent engendrer
un dommage cornéen direct. C’est ce qu’on appelle la cécité des neiges.
De plus, une exposition prolongée aux rayons UV peut causer une condition
associée à plusieurs maladies de la surface oculaire (ex. : pinguecula, ptérygion,
métaplasie squameuse, carcinome, etc.). Le seul cancer oculaire associé aux rayons
UV est le cancer épidermoïde de la conjonctive bulbaire, une pathologie heureusement rare.
La kératite superficielle ponctiforme
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Les rayons UV irritent l’épithélium cornéen superficiel, ce qui cause l’inhibit
tion de la mitose, la fragmentation des noyaux cellulaires et le détachement
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Le cas de Jean
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l’épithélium. Conséquemment, une réponse inflammatoire
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œdème et congestion de la conjonctive. Celle-ci
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Question de joindre l’utile à l’agréable,
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aspect criblé de minuscules trous correspondant
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le à une kératite punctiforme
vous faites du « moonlighting » dans un
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petit hôpital près d’un centre de ski.
superficielle.
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Jean s’y présente vers 22 h. Il craint
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complète eetsen un blépharospasme.
La réépithélialisation se produit malgré tout en
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avoir reçu « des graines » dans les yeux;
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ses yeux sont irrités et lui font mal. La
36
o à 72 heures, et les séquelles à long terme sont rares.
aut ualiser
lumière des phares, lorsqu’il a conduit
on visLa
douleur oculaire et la perte de vision se produisent de 6 à 12 heures après la
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sa voiture pour venir à l’hôpital,
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blessure. On croit que ce délai est dû au fait qu’il s’agit d’une lésion d’ordre pholis
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tochimique plutôt que thermique.
voir moins clair. Il vous
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passé la journée
tél sur les pentes et avoir
profité de la magnifique journée
ensoleillée. Pourtant, à aucun moment
a-t-il eu l’impression de recevoir
quelque chose dans les yeux. L’inconfort
est devenu de plus en plus présent,
plusieurs heures après son retour à la
maison.
De quoi souffre Jean? Comment
allez-vous l’investiguer et le
traiter?
2
le clinicien mars 2011
Morbidité et mortalité
Aucune mortalité n’a été décrite pour ce type de lésion. La morbidité est secondaire au dommage causé par les rayons UV à l’épithélium cornéen superficiel – qui, en général, guérit spontanément en moins de 48 heures. Les
séquelles à long terme, secondaires aux surinfections, sont rares.
Histoire clinique
Les patients se plaignent d’une sensation de corps étranger, d’irritation, de
douleur, de photophobie, de larmoiement, de blépharospasme et d’une dimi-
Défi diagnostic
Encadré 1
Les diagnostics
différentiels possibles
Le diagnostic différentiel va de la
conjonctivite à l’ulcère cornéen, en
passant par la kératite ulcéreuse.
Il faut considérer l’iritis et l’uvéite,
l’abrasion cornéenne et le
syndrome des yeux secs. La
blépharite avec croûtes des
paupières sera facile à identifier, en
raison desdites croûtes.
Un trauma oculaire ne doit pas être
éliminé; certaines personnes se
frottent les yeux si vigoureusement
qu’elles peuvent en devenir
symptomatiques.
Une kératopathie secondaire à une
mauvaise fermeture des yeux la nuit
donnera une histoire plus insidieuse,
à long terme, de même que
l’irritation secondaire au port de
lentilles cornéennes.
Une histoire d’utilisation de gouttes
topiques doit faire penser à une
toxicité de ces gouttes. La présence
de corps étranger sous les
paupières donnera en général des
symptômes unilatéraux.
S
i vous soupçonnez
une kératite UV,
nettoyez l’oeil
durant plusieurs
minutes avec de
l’eau ou une solution saline.
4
le clinicien mars 2011
nution de l’acuité visuelle 6 à 12
heures après l’exposition.
Notez la nature et la durée de l’exposition aux rayons UV. Notez aussi
toujours s’il y a port de lentilles
cornéennes, histoire de trauma ou de
chirurgie oculaire, s’il y a prise de
médication ou encore si le patitent
souffre d’allergies à des médicaments
qui pourraient causer de la photosensibilité (voir Encadré 1 pour les diagnostics différentiels).
mais retarde la réépithélialisation. En
raison de la vision monoculaire, il
cause aussi une perte de la perception
de la profondeur. Les patients portant
un pansement oculaire semi-compressif ne devraient pas conduire. Si un
pansement est utilisé, il doit être enlevé
pour vérification de la condition après
24 heures. Par ailleurs, les pansements
ne doivent jamais être réappliqués par
les patients eux-mêmes, en raison du
risque d’une pression excessive.
Examen physique
L’analgésie
Vérifiez toujours l’acuité visuelle,
avec et sans verres. Examinez ensuite l’ensemble des structures oculaires (y a-t-il œdème des paupières,
par exemple?), complétez l’investigation avec un examen du fond de
l’œil et, lorsque possible, un examen
à la lampe à fente après anesthésie
de l’œil. Dans les cas graves, la cornée peut avoir un aspect brumeux.
Lorsqu’il y a une histoire d’exposition à une grande luminosité avec
surfaces très réfléchissantes, recherchez surtout – mais pas exclusivement – les lésions ponctiformes de
la kératite due aux rayons UV.
Traitement
Si vous soupçonnez une kératite UV,
nettoyez l’oeil durant plusieurs minutes avec de l’eau ou une solution
saline. Instillez ensuite une goutte
d’un cycloplégique à courte action
(ex. : cyclopentolate 1 %) pour
diminuer la douleur secondaire au
spasme du muscle ciliaire.
Il y a controverse quant à l’utilisation d’un pansement oculaire semicompressif, car il soulage la douleur,
Cette pathologie est très douloureuse. Les gens affectés
devraient recevoir des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS),
par exemple de l’ibuprofène 600 mg
4 f.p.j. et, au besoin, des analgésiques narcotiques.
Il faut éviter les anesthésiques topiques, car ils retardent la réépithélialisation et augmentent le risque d’ulcère oculaire. Quoiqu’il ne s’agisse
pas d’une indication officielle, les
AINS topiques, tels que le diclofénac
to-pique, sont efficaces pour traiter
l’inflammation et soulager la douleur.
Ils sont fréquemment utilisés seuls ou
conjointement avec les analgésiques
narcotiques.
La médication topique
Les cycloplegiques, tels que le
cyclopentolate 0,5 à 1 %, relaxent le
spasme du muscle ciliaire qui
provoque de la douleur et de la photophobie. Ces agents provoquent
une mydriase et facilitent l’examen
de l’œil. Attention, cependant, de
bien vous assurer que votre patient
ne souffre pas d’un glaucome. En
Défi diagnostic
Retour sur le cas
de Jean
Vous apprenez que Jean avait oublié
ses lunettes de soleil et, comme il
ne faisait pas très froid, il n’a pas
senti le besoin d’en porter pendant
ses descentes.Votre examen
clinique a confirmé la présence
d’une kératite punctiforme. Le
patient a reçu, en plus de son
cycloplégique, du diclofénac per os,
puis une combinaison de codéine
et d’acétaminophène.
L’évolution clinique a été favorable
en moins de 48 heures, puisqu’il y
eut résolution complète des
symptômes. Jean porte maintenant
toujours ses verres fumés lorsqu’il
skie par journée ensoleillée.
raison de l’ouverture maximale du
muscle ciliaire qui écrase les voies
d’échappement de l’humeur aqueuse, vous pourriez provoquer une
attaque de glaucome chez un patient
affecté.
L’usage prophylactique des antibiotiques topiques (érythromycine et gentamicine) est controversé. Cette utilisation pourrait retarder la réépithélialisation et plusieurs recommandent maintenant d’attendre une infection avant
de les utiliser. Si vous décidez malgré
tout de les utiliser, servez-vous de
gouttes (s’il n’y a pas de pansement
oculaire) ou de crème (s’il y a pansement oculaire).
Suivi
Il faudra envisager une consultation
en ophthalmologie si une amélioration significative ne s’est pas produite en moins de 48 heures.
À moins que le patient ne souffre
d’une kératite grave avec dommage
cornéen important ou d’une condition
oculaire grave préexistante, le suivi n’a
pas besoin d’être fait en spécialité.
Inuits, qui utilisaient des « lunettes »
opaques traversées d’une fente horizontale pour laisser entrer un minimum de lumière et éviter cette
pathologie.
Attention!
Un patient ayant subi une anesthésie
de l’œil ne devrait pas quitter la salle
d’urgence avant que la sensation ne
soit revenue, en raison du risque
de blessure involontaire secondaire
(ex. : un frottage vigoureux des yeux)
et du risque subséquent d’ulcère.
Notez toujours si le patient portait
des lentilles cornéennes ou des verres
de protection lors de son incident.
Recherchez aussi la présence de corps
étrangers et notez votre trouvaille par
écrit. Une kératite UV n’empêche
absolument pas une autre lésion ou
une autre pathologie oculaire.
On recommande un suivi chez les
patients souffrant de douleur persistante ou de déficit visuel 48 heures
après la blessure. N’utilisez finalement
jamais de stéroïdes topiques; s’il y
avait présence d’herpès, la conséquence pourrait être catastrophique. C
Complications et pronostic
Les cas de surinfection sont rares
et ceux de cécité secondaire
presqu’inexistants. Le prono-stic est
excellent et on voit une récupération
complète en 24 à 76 heures.
L’éducation des patients
La prévention est essentielle; les
patients doivent savoir qu’il est primordial de porter des verres fumés
lorsque la lumière est reflétée sur la
neige. À cet effet, cette condition est
connue depuis des siècles par les
Dr Melançon est
omnipraticien et compte
29 années d’expérience
dont 18 en salle
d’urgence. Il a pratiqué
en cabinet privé et en
CLSC. Il est récemment
revenu à ses premières amours, soit la
médecine d’urgence, la traumatologie et la
psychiatrie.
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