21 mai 2008. Il est 5h45. La pleine lune a disparu il y a un moment, le jour scintille com-
me un feu dartice. Une jeune Française relate dans son journal, écrit quelques heures plus tard :
« ça y est ! Je vois les drapeaux à prière. Je suis sur la crête, javance comme dans un rêve. Je souris.
Je suis sur le toit du monde ! » uelques mots pour dire larrivée au sommet de lEverest. Avec
trois compagnons, Daniel Petraud et deux sherpas, Ang Tsining et …, le rêve dAnne-Garance a
pris corps. Il fait – 15°, il ny a pas de vent. « Leuphorie est telle quon na pas la sensation du
froid », dira-t-elle plus tard. « Embrassades, photos obligeant à enlever les masques. On na rien
pour trinquer, même pas deau, juste un peu de parmesan et de viande des Grisons. On va sasseoir
plus dune demi-heure pour récupérer. » Un éclair et une éternité. Un coup de téléphone à son
patron qui sponsorise lévénement.
Anne-Garance Marziou est la cinquième Française sur lEverest, après la pionnière,
Christine Janin, il y a vingt ans. Il a fallu trois semaines de trek dacclimatation, puis cinq semai-
nes et trois jours, et la veille encore, onze heures de grimpe pour venir à bout du rêve. Un rêve de
Strabsourgeoise, qui sest entraînée avec des parents marcheurs, une école descalade au collège,
des anciennes carrières de grès vosgien. De nombreux sommets alpins, africain (le Kilimandjaro),
latino-américain (lAusangathe, au Pérou) avant le Lakhpari, 7000 mètres, juste en face de lEve-
rest. « LEverest nest pas forcément plus dur que certains sommets des Alpes suisses ou les trois
Mont-Blancs en quatre jours », ajoute-t-elle, comme pour sexcuser. Cet été 2010, lElbourz par
la face Nord lui est autrement plus costaud : le vent à 70 km/h a imposé de faire les photos genoux
à terre…
LEverest donc. La montagne magique dEdmund Hillary en 1953. Le rêve est intact
puisque chaque année, plus dune centaine de fous de la montagne le réalisent. Pourquoi grimper,
demande-t-on à Anne. « Prendre de la hauteur, se dépasser » répond-elle, en avouant navoir pour
linstant pas de sourance physique, ni de courbature, peu dampoule, ni le mal des montagnes.
Mais il faut des mois dentraînement physique au vélo et la natation, une solide diététique sans
alcool, un bon sommeil. A lire son journal très détaillé sur ce quelle fait, comment elle pense, avec
quel moral elle attaque la montagne, on mesure le découragement, les contrariétés de la météo, du
froid, de la brume, du vent. Elle peste souvent contre la soif, le côté malcommode des masques à
oxygène. La montagne est un combat.
Les rencontres ? Oui, bien sûr, chez les sherpas de la plaine. Au pied de lElbrouz, ce sont
les Russes qui laccueillent. Mais lessentiel se passe ailleurs. La montagne, cest une confrontation
avec la Terre et son relief, un névé, une cascade de glace, la météo avec une tempête qui peut surgir
à tous moments, donnant un grand sentiment de vulnérabilité. Les victimes de lEverest se comp-
tent par centaines. Anne-Garance le sait. Mais elle est persuadée que sa vie est à ce prix. Sur son
carnet, elle écrivit de ses cinquante minutes au sommet : « Dailleurs, le temps sest arrêté. Tout
peut arriver, cela na plus dimportance ».
portrait
L’Everest, la montagne magique d’Anne-Garance
Entretien avec Lionel Cime
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la GéoGphie