Agrométéorologie des cultures multiples en régions

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INTRODUCTION
P a r m i les nombreux ouvrages qui t r a i t e n t d'agroforesterie e t de cultures multiples, aucun n'est actuellement dédié spécifiquement à Yagrométéorologie des cultures multiples en climats chauds ; aucun manuel s u r ce
sujet n'est à l a disposition de l'enseignement supérieur tropical e n langue
française.
Il s'agit de faire ici le point provisoire des relations existant entre le
climat, le sol e t des systèmes de cultures complexes. Nous considérerons ici
le sol d'un point de vue agronomique (support e t fournisseur d'aliments e t
d'eau a u x plantes) e t n o n pédologique (c'est-à-dire fonction de son origine
génétique). Il s'agit de m e t t r e à l a disposition d u lecteur les éléments qui lui
permettent de comprendre quelles modifications d u microclimat sont dues
a u x cultures multiples, quels effets ont ces systèmes végétaux s u r les clim a t s local e t régional (REIFSNYDER & DARNHOFER, 1989).
1. Essai de terminologie
O n parle de cultures multiples quand deux ou plusieurs plantes occupent la même unité de surface de sol a u cours d'une même année, de façon
conjointe o u séquentielle : il p e u t s'agir d'espèces annuelles o u pérennes.
Nous considérerons avec STEINER (1985) que les cultures associées correspondent à des systèmes plus restreints, d a n s lesquels deux ou plusieurs
plantes sont cultivées simultanément (ou de façon a u moins partiellement
simultanée) s u r l a même unité de sol.
Leur organisation spatiale est dite intercalaire q u a n d les différentes
cultures sont disposées e n lignes alternées ou e n bandes étroites (strip cropping), e t en mélange q u a n d les plantations sont faites sans ordre fixe
(NORMAN et al., 1984 ; ALTIERI, 1987). Les cultures associées (BALDY, 1963,
BALDY et al., 1987) représentent u n c a s p a r t i c u l i e r de cultures multiples.
Nous verrons a u chapitre I que celles-ci peuvent occuper le sol de façons
très différentes.
On parle de cultures séquentielles q u a n d plusieurs espèces se succèdent s u r le même espace de t e r r a i n a u cours d'une même saison et/ou
année. L a seconde culture e s t parfois mise e n place dans l a première, p e u
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AGROMÉTÉOROLOGIE DES CULTURES MULTIPLES EN RÉGIONS CHAUDES
a v a n t l a fin de celle-ci. U n e culture dérobée remplace u n e période habituelle
de jachère.
P o u r des associations comportant u n e ou plusieurs espèces pérennes
forestières ou fruitières e t u n ou plusieurs fourrages ou cultures annuels,
HUXLEY (1983 b) propose l a définition suivante : « le terme d 'agroforesterie
englobe l'association p l u s ou moins intime de différentes espèces végétales
s u r une même surface de sol, qui incluent toujours des p l a n t e s ligneuses.
Que les plantes qui composent ce système soient organisées p a r zones ou
plantées en mélanges, elles doivent être assez étroitement associées p o u r
interagir entre elles d'une façon ou d'une autre. Ainsi, grâce a u x effets d u
milieu naturel ou à une action humaine organisée on aura, p a r exemple,
transfert de matière ou de litière d'une zone à l'autre. »
BAUMER (1987) ajoute à cette définition que cet ensemble de plantes
e s t cultivé d é l i b é r é m e n t [nous rajouterons que certaines plantes peuvent
être volontairement laissées en place lors des défrichements] s u r des terr a i n s utilisés p a r ailleurs pour l a culture et/ou l'élevage. Cette organisation
p e u t être spatiale et/ou temporelle. P o u r qu'on a i t affaire à u n système agroforestier, des interactions écologiques e t économiques doivent exister entre
les ligneux e t les a u t r e s composantes d u système.
2. Présentation d u sujet
Le présent ouvrage traite des m o d i f i c a t i o n s d u b i o c l i m a t dues à l a
présence d'une v é g é t a t i o n c o m p l e x e , e t des relations existant entre
chaque élément d u système végétal e t chaque élément d u bioclimat, sans
exclure les interactions avec les a u t r e s organismes vivants qui y cohabitent
e t exploitent ce système. Nous analyserons e n particulier l a g e s t i o n d u
m i c r o c l i m a t e t les m a n i p u l a t i o n s de celui-ci grâce à des techniques culturales adaptées : cultures associées e t pratiques agroforestières.
P e n d a n t longtemps, pratiques agroforestières e t cultures associées
o n t été considérées p a r les agronomes des p a y s a v a n c é s comme des systèmes agraires pour sous-développés, même si l a chose n'était p a s toujours
dite avec cette brutalité. Il s'agissait de méthodes à éliminer a u profit de
rotations e t d'assolements organisés d a n s l'espace avec des cultures pures,
monovariétales, se succédant n e t t e m e n t d a n s le temps, e t laissant le sol n u
(travaillé de préférence pour former u n mulch sensé économiser l'eau) pend a n t des périodes de temps plus ou moins longues. Cette conception aboutissait aussi à u n e s é p a r a t i o n s p a t i a l e plus ou moins complète de l'agriculture, de l'élevage (et donc des pâturages), des pratiques forestières e t de
l'arboriculture fruitière, chaque élément d u paysage se localisant d a n s des
zones n e t t e m e n t séparées (ALTIERI, 1987).
Cette conception simplificatrice de l'agronomie a v u le j o u r e n Europe
occidentale a u XVIIIe siècle. Elle a été progressivement adoptée e t (plus ou
moins) adaptée à d'autres situations écologiques a u XXe siècle : il s'agissait
à l'origine de systèmes agricoles à forts intrants externes, utilisant de fortes
doses d'engrais e t de pesticides, avec u n e mécanisation poussée. Son dernier
INTRODUCTION
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avatar est constitué p a r l a r é v o l u t i o n v e r t e introduite dans les zones tropicales a u cours des années soixante (PALANIAPPAN, 1988).
Cette agriculture intensive e t coûteuse e n i n t r a n t s se maintient grâce
à la situation climatique européenne, caractérisée généralement p a r des
p r é c i p i t a t i o n s fréquentes, de longue durée mais de faible intensité, e t p a r
de fortes a m p l i t u d e s t h e r m i q u e s entre l'hiver e t l'été. Elles comportent
des alternances de gel d u sol, qui a u n effet important s u r l a structure des
mottes e t l a vie biologique de celui-ci, des températures estivales assez
modérées, e t des évapotranspirations potentielles quotidiennes p e u importantes. Ces caractères climatiques favorables s'appliquent à des sols généralement de bonne structure, riches e n matières organiques stables, qui ralentissent les pertes p a r lessivage des nutriments e n cas de forte pluie. Ils sont
protégés de l'érosion éolienne entre deux cultures p a r l a végétation adventice et/ou u n sol qui reste humide e n surface le plus souvent.
Ces caractéristiques exceptionnelles se rencontrent r a r e m e n t ailleurs
dans le monde, e t particulièrement peu e n climats chauds. Dans ces
régions, la situation pédoclimatique se situe à l'opposé de l a précédente,
particulièrement dans les régions à longues saisons sèches : l'introduction
des systèmes de culture européens a e u souvent des conséquences néfastes
pour l'environnement, t o u t à fait opposées a u x b u t s de leurs promoteurs. A
long terme, on e s t loin de conserver ainsi l a fertilité (déjà faible) des sols
tropicaux e t méditerranéens.
Depuis quelques années, on observe u n renouveau d'intérêt pour les
méthodes A'agroforesterie, parfois nommées aussi d 'agrosylviculture
(STEPPLER & NAIR, 1987). De nombreux systèmes agroforestiers intègrent
aussi u n e activité d'élevage (LÉGER-CRESSON, 1989). Les systèmes formés de
cultures associées annuelles sont également mieux pris e n compte. De nombreux auteurs proposent des méthodes adaptées à ces techniques de culture
dans tous les domaines, y compris celui des méthodes statistiques particulières p e r m e t t a n t de les analyser (LANGTON, 1989 ; RlLEY, 1989).
3. Plan général de l'étude
L a p r e m i è r e p a r t i e e s t destinée à faciliter l'approche agrométéorologique à des étudiants (ou des enseignants) qui s'intéressent à cette science
sans être forcément de formation météorologique, ou inversement agronomique. Ceci revient à dire que les bioclimatologistes trouveront les développements d'ordre micro-météorologique bien insuffisants, e t que les écologistes e t agroforestiers considéreront que les chapitres consacrés à ce t h è m e
sont exagérément restreints... Notre b u t e s t d'amener chacun à s'ouvrir a u
domaine de l'autre, car nos expériences d'enseignants nous ont appris à
quel point les différentes disciplines sont cloisonnées dans l'esprit des étudiants, e t quelle difficulté ils ont à réaliser ces « ponts interdisciplinaires »
indispensables.
Après u n e présentation t y p o l o g i q u e d u sujet, le deuxième chapitre
cherche à résumer quelques éléments indispensables d'agrométéorologie. A
la fin d u manuel, l'annexe 1 définit les principaux concepts touchant a u x
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AGROMÉTÉOROLOGIE DES CULTURES MULTIPLES EN RÉGIONS CHAUDES
cultures multiples e t les sigles utilisés d a n s le texte. Nous prions le lecteur
de se reporter a u Dictionnaire encyclopédique d 'agrométéorologie récemm e n t publié conjointement p a r l'iNRA e t MétéoFrance, car nous avons cherché à n e p a s trop alourdir le présent volume. Les appareils nécessaires sont
présentés d a n s l'annexe 2.
Les d e u x d e r n i e r s c h a p i t r e s présentent les principaux concepts
développés depuis u n e trentaine d'années e n ce qui concerne les cultures
multiples, les cultures associées e t l'agroforesterie : d a n s le glossaire de
l'annexe 1 on trouvera d a n s quel sens particulier certains termes sont utilisés.
L a d e u x i è m e p a r t i e passe e n revue les e f f e t s de chaque paramètre
d u climat s u r ces ensembles complexes, puis les interactions existant entre
les éléments d u climat, les cultures associées e t les agroforêts. On s'intéresse aussi a u x e f f e t s r é c i p r o q u e s de ces systèmes végétaux s u r leur
propre microclimat, mais aussi s u r les climats local e t régional. O n souligne
enfin les points encore à éclaircir dans ce domaine.
L a t r o i s i è m e p a r t i e présente quelques études de cas qui comparent
les avantages e t les inconvénients de cultures associées, d'agroforêts e t de
systèmes fourragers (naturels e t artificiels) p a r rapport à leurs cultures
pures.
Nous verrons les caractères de résistance o u de sensibilité qu'ont de
tels systèmes vis-à-vis des e x t r ê m e s c l i m a t i q u e s e t d u développement de
certains p r é d a t e u r s , p a r a s i t e s e t h y p e r p a r a s i t e s des cultures.
Nous verrons aussi que certaines méthodes de cultures (mulching,
ombrage, cultures e n bandes) permettent à des agriculteurs traditionnels,
possédant de faibles moyens matériels, de gérer e t de modifier notablement
le microclimat de leurs systèmes de cultures à faibles intrants.
L a c o n c l u s i o n g é n é r a l e s'efforce d'indiquer comment e t pourquoi
privilégier des recherches e t des enquêtes concernant de tels écosystèmes,
e n climats chauds e t humides, mais aussi e n régions semi-arides e t tempérées. Elle justifie aussi l a nécessité de s'intéresser a u x relations existant
e n t r e les a n i m a u x e t les systèmes cultivés complexes, c'est-à-dire a u sylvopastoralisme. P o u r n e p a s allonger trop ce travail, nous renvoyons le lecteur
à d'autres ouvrages e n ce qui concerne d'autres utilisations d u climat d a n s
des systèmes agraires à faibles i n t r a n t s (comme le séchage solaire des produits agricoles, p a r exemple).
Nous avons cherché à faire ici l a place l a plus importante possible à l a
« littérature grise » (STIGTER, 1989) c'est-à-dire à des informations tirées de
t r a v a u x présentés sous forme de thèses, de mémoires, ou de revues à diffusion restreinte, publiés dans les pays auxquels nous avons accès.
A l a fin de chaque chapitre, l a bibliographie citée comporte des indications plus nombreuses que celles données d a n s le texte. Cette solution e s t
choisie afin de réduire le « hoquet » provoqué p a r de trop nombreux renvois.
Même s'ils sont pertinents, ils n'apportent p a s a u lecteur d'information supplémentaire essentielle. Tous les ouvrages ou articles cités o n t été utilisés
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p a r nous dans la rédaction de cet ouvrage. Certains t r a v a u x importants
sont cités d a n s plusieurs chapitres.
4. Références bibliographiques.
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