II corps mémoire - Sciences Po Toulouse

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SOMMAIRE
INTRODUCTION ................................................................................................ 1
I. Le flou scientifique et médiatique autour de ces écoles ................................................ 2
II. le protocole d’enquête..................................................................................................... 7
CHAPITRE1 : Revendications d’une avant-garde scolaire ............................ 18
Section1: Le sous champ des écoles nouvelles ................................................................. 18
I. En marge de l’institution scolaire « traditionnelle ». .................................................. 18
II. Un espace de distinction : des usages différenciés des méthodes pédagogiques
nouvelles.............................................................................................................................. 34
Section 2 : une relation pédagogique « innovante»......................................................... 42
I. Les fondements théoriques de la relation pédagogique .............................................. 42
II. Un rapport pédagogique « invisible » aux effets sociaux visibles............................. 45
III. La figure de l’enseignant dans le rapport pédagogique........................................... 55
Chapitre 2 : Les usages sociaux d’un modèle pédagogique « expressif et
spontané »........................................................................................................... 66
Section1: Cristallisation d’une définition de l’enfant « spontanée et expressive » dans
l’offre pédagogique de ces écoles ...................................................................................... 66
I. Le « métier d’enfant » dans les pratiques pédagogiques d’avant-garde. .................. 67
II. les conditions sociales et culturelles du bon usage de ces écoles. .............................. 88
Section2: Les parents d’élèves, des stratégies différenciées ........................................... 96
I. Des familles dotées d’un fort capital culturel .............................................................. 97
II. Les motivations parentales: des justifications plurielles ......................................... 105
CONCLUSION................................................................................................. 117
ANNEXES ........................................................................................................ 119
BIBLIOGRAPHIE :......................................................................................... 120
TABLE DES MATIERES ............................................................................... 125
INTRODUCTION
« Il était une fois, dans une ville perchée sur la montagne, un groupe de parents qui
rêvaient d’une école d’avant-garde pour leurs enfants, une école où leurs idéaux éducatifs
feraient partie intégrante de la vie quotidienne… »1
« C’est génial ma nouvelle école, on apprend à lire quand on veux, on n’a pas de
devoir, on apprend à jardiner, on n’a pas de notes… » 2
Ces paroles participent de la construction que les acteurs se font du monde social et de
la représentation de ces écoles diffusée dans le sens commun au travers de l’image d’une
école « libérale », « libertaire », « alternative », « pour artistes », « un endroit extraordinaire »
mais mal connu qui suscite à la fois la fascination et méfiance.
Les écoles dites nouvelles se caractérisent avant tout par leurs revendications de
proposer une autre idée de l’école, une éducation différente, une école qui ne soit pas « le
conditionnement et le psittacisme de l’éducation traditionnelle »3, un espace où « une autre
pédagogie puisse s’implémenter ».
Si l’analyse sociologique doit se défaire du sens commun, celui-ci donne un élément
initial à savoir le flou qui existe autour de ces écoles, de la pédagogie mise en place et du
public accueilli. Elles restent très marginales dans le système éducatif et sont réservées à de
petits groupes d’initiés qui ont connaissance de leur existence et pour qui elles semblent une
option pédagogique adéquate pour l’éducation de leurs enfants.
Ces pédagogies dites « nouvelles », actives et coopératives ont été impulsées par des
hommes et des femmes par des hommes et des femmes Célestin Freinet, Maria Montessori,
Ovide Decroly, Fernand Oury et bien d’autres depuis plus d’un siècle; qui se sont
continuellement revendiqués comme des précurseurs tant en ce qui concerne les méthodes
d’apprentissage que les relations enseignants-élèves ou le matériel scolaire.
1
Citation extraite du site de l’école nouvelle de la grande Ourse www.grande-ourse.ch situé en Suisse.
Paroles rapportées lors d’entretien avec parents d’élèves de l’école de la Prairie, annexe II p
3
Extrait questionnaire enseignant à la question « qu’est ce que pour vous l’éducation nouvelle ? ».
2
1
Ainsi, au début du siècle, les écoles de l’enseignement mutuel sont fondées sur le fait
que les élèves s’enseignent les uns aux autres et expérimentent un matériel innovant: des
tableaux noirs et les ardoises; Célestin Freinet invente le « texte » libre, le travail
individualisé sur fichiers, la pédagogie du projet, le journal scolaire; Fernand Oury et les
praticiens de la pédagogie institutionnelle, eux font du conseil l’une de leurs institutions
phares; la pédagogie active est fondée sur l’interdisciplinarité. Ces innovations étaient
perçues comme subversives à leurs époques car porteuses d’un discours de contestation
sociale et en opposition avec l’éducation républicaine et laïque.
Aujourd’hui ces établissements sont toujours en marge du système éducatif et restent
attachés à la filiation des pionniers de l’éducation nouvelle.
Ce travail cherche à comprendre les usages sociaux actuels de ces théories
pédagogiques. Il s’agit alors pour cerner cet objet d’analyser les conditions sociales
d’utilisation et les effets sociaux du discours et des pratiques pédagogiques revendiqués par
ces écoles, afin de voir avec quels milieux sociaux ils rentrent en affinité.
Si la sociologie n’a rien à dire des objectifs de cette pédagogie, elle doit cependant les
objectiver et les mettre en relation avec toute une conception du monde et de l’éducation
qu’ils présupposent.4
Ce qui invite à préciser certains termes et aspects du sujet, qui seront développés dans les
pages suivantes.
I. Le flou scientifique et médiatique autour de ces écoles
Le regard sociologique sur le statut de la pédagogie
Pierre Gréco5 souligne que ni l’appel à l’étymologie, ni l’inventaire même méthodique,
des multiples emplois du terme « pédagogie » ne sont d’un grand secours pour qui tente
d’établir le statut d’un concept, d’une discipline au sujet desquels la seule certitude autorisée,
est que ce statut évident cent ans plus tôt ne va plus de soi.
Néanmoins, malgré cette difficulté de saisir ce qu’est la pédagogie, le regard sociologique
choisit de la définir comme « la rationalisation du travail d’éducation entendue comme
4
Roussel (Roger), « remarques sociologiques sur quelques invariants de la pédagogie Freinet » in Clanché
(Pierre), dir. la pédagogie Freinet : mise à jour et perspectives, Bordeaux, Presses universitaires, 1999, p155.
5
Gréco (Pierre), « Les problèmes de l’éducation scolaire », in Pédagogie, Encyclopedia Universalis, p729.
2
technique sociale autonomisée et spécialisée » 6 ; l’éducation quant à elle est un produit, c'està-dire le résultat d’une conjonction d’influences et de déterminations relatives à une société
donnée.
Il semble alors plus pertinent de s’attacher à définir la pédagogie par les fonctions
sociales qu’elle remplit. La fonction externe la plus la plus importante du travail pédagogique
qui a été mise en avant par les travaux sur la reproduction de Pierre Bourdieu et Jean-Claude
Passeron7: est sa fonction de sélection culturelle et sociale, qui est rendue possible par tout un
ensemble de relations pédagogiques cachées entre méthodes pédagogiques et structures des
inégalités de capital culturel au sein de la société.
En effet, tout système pédagogique que cela se voit ou non est articulé à la circulation sociale
des idées, ce qui invite à reconnaître que même les discours pédagogiques les plus
contestataires exercent « une entreprise de normalisation pratique ». 8
Cette définition invite à s’interroger sur certaines caractéristiques et spécificités de ces
pédagogies dites « nouvelles », qui se réclament différentes des pédagogies traditionnelles9.
Elles supposent d’être mises en relation avec les conditions sociales de la circulation des
valeurs d’une société à un moment donné, afin de dégager quels vont en être les usages faits
par les familles. Par ailleurs, bien que contestant le formatage et l’entreprise de normalisation
des éducations traditionnelles, elles participent aussi par la vision de l’enfant
qu’elles
entendent former à la mobilisation d’un système de normes au travers du système
pédagogique.
.
Un travail qui s’inscrit dans les travaux de Pierre Bourdieu sur la reproduction
Pour s’interroger sur le caractère socialement situé de la production et réception de ces
pédagogies, le point d’appui théorique de ce travail sera les travaux de Pierre Bourdieu sur La
reproduction, où il montre que tout rapport pédagogique est un rapport de force, car l’action
pédagogique exerce une violence symbolique au travers de l’imposition d’un arbitraire
culturel.
6
Passeron (Jean-Claude), «Pédagogie et pouvoir », in Pédagogie, Encyclopedia Universalis, p731.
Idem.
8
Hameline (Daniel), « le statut de la pédagogie », in Pédagogie, encyclopedia universalis, p725.
9
On utiliser tout au long de cette recherche le terme école traditionnelle, qui est le terme utilisé par les écoles
elles mêmes en référence aux écoles publiques ou privées confessionnelles qui n’utilisent pas les méthodes de
l’éducation nouvelle. Il sera surtout utiliser dans un souci de clarté.
7
3
La problématique de ce travail s’inscrit aussi dans le prolongement des travaux de
Jean-Claude Chamboredon sur les mutations de l’école maternelle, où s’est développée une
pédagogie nouvelle et active qui s’appuie sur l’activité de l’enfant, sur sa curiosité et son
envie de grandir. Ces changements ont été impulsés par les milieux supérieurs. Par ailleurs,
comme le souligne Philippe Perrenoud10 les principes pédagogiques de l’éducation nouvelle
présentent de fortes ressemblances avec les changements survenus au niveau de l’école
maternelle, qui ont cependant la particularité d’essaimer à tous les niveaux.
Il apparaît alors d’autant plus pertinent de s’appuyer sur la démarche de recherche de
Jean-Claude Chamboredon. Celui-ci précise qu’elle ne doit pas procéder d’une simple
comparaison des attentes que livrent les opinions des utilisateurs et de l’offre qu’énonce la
définition officielle ou les programmes de l’institution. Il est nécessaire de mettre en
perspective les attentes qui découlent des déterminations objectives régissant dans chaque
milieu social les formes de traitement et perception de l’enfant avec l’offre de ces écoles ; en
restituant les conditions sociales de l’utilisation de celles-ci. Cela suppose de dégager la
définition dominante de l’enfance que tend à façonner l’institution, et d’étudier comment
cette définition s’inscrit dans le programme et les pratiques pédagogiques.
Or, le préalable d’une analyse sociologique des fonctions différentielles de l’école maternelle
qu’il pose, est d’une part l’analyse de la constitution de la définition dominante de l’enfance,
les conditions sociales qui rendent possible la reprise de cette définition dans certains groupes
sociaux, et d’autre part l’analyse de l’histoire maternelle comme histoire de cette définition
dans le programme de l’institution.
La problématique centrale de ce travail s’appuie sur cette démarche mais la spécificité
de l’objet étudié suppose des interrogations préalables différentes.
Les travaux de recherche portant sur les écoles nouvelles s’avèrent très réduits. C’est
sur l’école des Roches, considérée comme l’école pionnière et archétype du courant de
l’éducation nouvelle en France, que se concentre l’essentiel des productions écrites. Elle est
surtout saisie par le regard de l’historien 11 qui retrace et s’intéresse aux précurseurs de
l’éducation nouvelle à la fin du XIX siècle. Elle est aussi évoquée comme l’école
internationale de la haute bourgeoisie dans les travaux de Michel Pinçon et Monique PinçonCharlot12.
10
Perrenoud (Philippe), La pédagogie à l’école des différences, Paris, ESF éditeurs, 1995, 205p
On peut citer la thèse en cours de Nathalie Duval sur l’école des Roches sous la direction de et les écrits de
Antoine Savoye dans la revue études sociales.
12
Pinçon (Michel), Pinçon Charlot (Monique), Sociologie de la Bourgeoisie, Paris, collection repères la
découverte, 2000.
11
4
Les autres écoles nouvelles apparues après la libération ou après le mouvement de Mai 68
(école du Chapoly, école de la Source ou école de la Prairie) ont fait quant à elles, dans les
années soixante-dix l’objet de nombreux écrits, notamment autour de deux ouvrages qui ont
marqués le débat sur l’éducation à ce moment là: Libres enfants de Summerhill 13 de
Alexander S.Neil et Une société sans école 14de Ivan Illich.
Il peut alors apparaître paradoxal que ces écoles (Ecole des Roches et Ecole de la
Prairie) soient regroupées sous la même appellation « nouvelle » et se revendiquent de
références pédagogiques communes.
De ce paradoxe émerge l’une des hypothèses préalable à la confrontation de l’offre
pédagogique et ses usages: celle d’une trajectoire historique différenciée du courant
pédagogique de l’éducation nouvelle qui engendre des appropriations différenciés des ces
méthodes selon les écoles.
Ces trajectoires différenciées supposent que le monde des écoles nouvelles ne peut
être appréhendé comme un bloc homogène, ce qui invite à restituer l’offre pédagogique de
ces écoles au sein de l’espace scolaire. Et cela afin de voir quels en sont les usages et
comment cette revendication de différence s’inscrit dans les pratiques et la relation
pédagogiques.
La pédagogie est liée à la circulation sociale des idées à un moment donné, cela
suppose de dégager les présupposés de l’offre pédagogique c'est-à-dire quels sont les
compétences et attitudes attendues de la part des enfants, et comment celles-ci s’objectivent
dans un système de valeurs (autonomie, épanouissement) et de pratiques d’apprentissage
(enfant au centre, place accordée aux activités manuelles, organisation invisible).
Ces écoles façonnent ainsi une certaine définition de l’enfant « expressive » et
« spontanée 15 » qui semble être en affinité avec le système de valeurs, les attentes et les
pratiques éducatives des familles détentrices d’un fort capital culturel car comme le soutient
Pierre Bourdieu « les structures fondamentales des systèmes de préférence socialement
constituées qui sont le principe générateur et unificateur en matière de choix d’institution
scolaire, de discipline mais aussi de sport, de culture peuvent être rattachées par une relation
intelligible à des divisions objectives de l’espace social. »16
13
Neill (A.S), Libres enfants de Summerhill, Paris, La découverte, 1999 (nouv.éd).
Illich (Ivan), Une société sans école, Paris, Seuil, 1971.
15
On reprend ici le terme utilisé par Jean Claude Chamboredon pour qualifier le métier d’enfant à l’école
maternelle.
16
Bourdieu (Pierre), La noblesse d’état, grandes écoles et esprit de corps, Paris, les éditions de minuit, 1989.
14
5
Dès lors, il semble bien que l’entreprise de normalisation pratique des écoles
nouvelles relève de la formation d’une avant-garde scolaire, dont les usages sociaux soient le
fait de familles d’initiés dotées d’un fort capital culturel.
un objet inexploré par l’approche sociologique
La construction de l’objet « école nouvelle » suppose au préalable d’échapper à la
tutelle d’approches concurrentes qui réfléchissent sur le même objet. Il existe une littérature
abondante provenant des sciences de l’éducation ou des pédagogues même de ces écoles17.
Ces écrits ne sont toutefois pas à écarter comme matériel empirique.
Il est ici question de porter un regard de sociologue de la reproduction c'est-à-dire qui
s’interroge sur les conditions sociales de la production de l’idéologie dominante et les
vecteurs de sa transmission. L’intérêt scientifique de cette recherche réside dans la spécificité
du regard porté sur un objet étudié habituellement sous l’angle des sciences de l’éducation.
Elle présente dans ce sens un caractère novateur puisque le champ des écoles nouvelles
demeure un espace inexploré de la sociologie de l’éducation et de la sociologie en générale.
Cette absence de recherche universitaire sur ce thème peut être mis en relation avec l’analyse
de Franck Poupeau sur la sociologie de l’éducation qui est selon lui une sociologie d’Etat18. Il
montre que le plupart des recherches entreprises ne font que répondre aux commandes des
politiques et conforter les programmes mis en place au niveau ministériel. Ce qui explique
d’ailleurs pourquoi les seules recherches qui aient portées sur les écoles nouvelles, l’aient été
sous l’impulsion de ministres de l’éducation Alain Savary et Jack Lang qui souhaitent
favoriser l’innovation et promouvoir l’expérimentation en matière éducative.
Etapes de la recherche
Il s’agit dans un premier temps d’analyser la revendication de ces écoles comme
avant-garde scolaire: en retraçant la genèse du courant d’éducation nouvelle au sein de
17
On peut citer les monographies d’Yves Brunel sur l’école de la Source dont il a aussi été directeur, aux
archives de l’INRP à Lyon.
18
Poupeau (Franck), Une sociologie d’Etat, l’école et ses experts en France, Dijon, Raisons d’agir, 2003.
6
l’espace scolaire puis en dégageant les spécificités et les implications de ce rapport
pédagogique « innovant ».
Puis, dans un second temps, il convient de confronter cette offre éducative aux stratégies
familiales, en dégageant la définition de l’enfant telle qu’elle s’objective dans les pratiques
pédagogiques, et ce afin de restituer les conditions sociales qui rendent possible le bon usage
de ces écoles.
II. le protocole d’enquête
A .les préalables.
La pertinence d’une perspective européenne
La principale délimitation réside dans la circonscription des écoles sur laquelle va
porter cette recherche. Il s’agit au préalable de s’interroger sur les écoles nouvelles
susceptibles d’une comparaison, c'est-à-dire qui disposent de propriétés structurellement
comparables. Pour se faire, la lecture des différents pédagogues, de revues spécialisées et une
navigation sur les sites Internet de ces écoles complétées par des discussions informelles
auprès de personnes ressources, d’interconnexions19 avec l’univers de ces écoles, ont été les
prémisses à cette sélection.
De ce travail préparatoire a émergé deux difficultés. Tout d’abord trois influences
groupes majeurs ont été distingués: les écoles nouvelles appartenant à l’association nationale
française d’éducation nouvelle qui à ses équivalents en Belgique et en Suisse ; les écoles
Steiner et Montessori et enfin les classes Freinet dans les écoles publiques.
Le choix s’est porté sur la mise à l’écart des écoles Steiner, Montessori et des classes Freinet.
Plusieurs raisons viennent justifier la pertinence de cette sélection.
Tout d’abord un argument matériel à savoir le temps et les moyens à disposition pour
l’enquête qui se double d’un argument d’honnêteté intellectuelle, comme le montre Philippe
Perrenoud20 chacune de ces écoles mériteraient une étude à elle seule. Sont retenues les écoles
19
Ce terme désigne le fait que des personnes se connaissent mutuellement de nom, de vue, ou d’expérience.
Chaque personne est au centre d’une étoile d’interconnaissance. La superposition dense de ces étoiles constitue
un milieu d’interconnaissance.
20
Perrenoud (Philippe), La pédagogie à l’école des différences, op.cit.
7
nouvelles de l’ANEN élargies aux écoles nouvelles pionnières et archétypes: l’école des
Roches et l’école de Summerhill.
Une autre difficulté est celle de la délimitation spatiale de cette recherche, car le
mouvement de l’éducation nouvelle s’est construit par les échanges entre les différents pères
fondateurs du mouvement. Dès lors il apparaît légitime d’inscrire cette recherche dans une
perspective européenne, sans pour autant ne faire que reprendre le discours des acteurs qui
revendiquent aussi cet ancrage à l’international : public accueilli, jumelage, langues
pratiquées.
En raison du temps et des moyens impartis, l’espace retenu privilégie les écoles françaises et
suisses. Le Canada, l’Espagne et l’Allemagne bien que disposant d’écoles nouvelles
présentent des spécificités qui mériteraient une recherche plus longue et plus approfondie.
L’école de Summerhill au même titre que l’école des Roches en Angleterre sera intégrée à
l’espace de recherche de part sa figure pionnière des méthodes d’éducation nouvelle et
considérée comme une référence par les écoles de cette étude.
.
Bien que retracer la genèse de ce courant soit nécessaire à la contextualisation des
usages différenciés de ces pédagogies, la délimitation temporelle porte sur la période actuelle.
L’école des Roches et l’école de Summerhill en Angleterre sont considérées comme les
archétypes, car elles présentent une image représentative des pédagogies nouvelles de part les
caractéristiques générales et leurs traits typiques identifiables tant au niveau de l’organisation
des écoles que des principes. Elles permettent d’établir une comparaison historique des
usages et trajectoires différenciés des écoles nouvelles.
Enfin, l’étude doit porter sur un niveau précis, car tant les méthodes que les formes de
traitement et perception de l’enfant sont spécifiques et varient en fonction des sections. les
travaux de Jean-Claude Chamboredon ont montré les mutations profondes au sein de l’école
maternelle empruntent beaucoup au répertoire des principes de l’éducation nouvelle, ce qui
rend la distinction entre pédagogies nouvelles et traditionnelles plus délicate et justifie la mise
à l’écart du niveau maternelle, qui aurait représenté des difficultés méthodologiques
supplémentaires. En ce qui concerne les niveaux collège et lycée, ils ne sont d’abord pas tous
présents au sein des écoles nouvelles sur lesquelles portent ce travail et par ailleurs, les
méthodes pédagogiques mises en œuvre sont plus contraintes par les directives et programme
de l’éducation nationale en vue du Baccalauréat ou du Brevet.
8
Dès lors, le niveau qui s’est révélé le plus pertinent se trouve être le primaire, car il laisse plus
de marge d’action à ces écoles dans la mise en œuvre de leurs pédagogies, elles disposent
alors d’un plus grand espace pour déployer et exercer leurs effets sociaux.
Conquérir un « objet » dominé par le sens commun
Emile Durkheim énonce dans Les règles de la méthode sociologique la nécessité de
dépasser le sens commun et les prénotions qui entourent le fait social, car celui-ci doit « être
conquis, construit, constaté »21.
La construction sociologique de l’école présente d’emblée une difficulté car elle est saisie par
les discours de tout ordre, elle est ainsi l’enjeu passionnel de choix politiques et sociaux. Par
ailleurs, elle a été pour chacun l’objet d’une expérience essentielle à travers soi même22: une
expérience heureuse ou malheureuse mais qui n’est jamais neutre. Le qualificatif « nouvelle,
alternative, différente » bien que séduisant pour les étudiants comme le souligne Stéphane
Beaud, porte en lui la « tentation du pittoresque », représentation le plus souvent construite
par le discours médiatique.
Cela invite à s’interroger sur ce qui est déjà préconstruit dans son propre regard: dans
le cadre de cette étude sur l’école nouvelle il faut prendre en compte la psychologisation
croissante des faits sociaux et la place qui est accordée à l’émotionnel. Le regard du
sociologue doit ainsi se défaire de l’éloge fait par certains magazines de vulgates
psychologiques sur ces nouveaux modes d’éducation « sans contraintes », où les
établissement sont présentés comme des « espaces merveilleux avec des éducateurs
géniaux »23 ou de la critique implacable sur le « caractère utopique et déconnecté de la réalité
de ces établissements ».
La fascination pour son objet de recherche est alors le principal danger qui menace le
chercheur car il peut conduire à une survalorisation de celui-ci et introduire un biais, et ce dès
les débuts de la construction sociologique de l’objet.
Dès lors pour conquérir l’objet « école » doublé du qualificatif « nouvelle », il m’ a
fallu me défaire d’une subjectivité construite par mes opinions personnelles, mon statut social,
21
Durkheim (Emile), les règles de la méthode sociologique, Paris, Flammarion, 1998, 254p.
De Queiroz (Jean-michel), l’école et ses sociologies, Paris, collection 128 Armand Collin, 2005(1ère
ed. 1995)
23
Psychologies magazines, numéro de décembre 2005.
22
9
et ma trajectoire scolaire en objectivant24 la relation entretenue avec l’objet afin d’identifier
les filtres qui pouvaient biaiser la perception de celui-ci. Le cadre universitaire dans lequel je
me situe et d’où je regarde mon objet n’est pas exempt de rapports pédagogiques,
d’évaluations et de sanctions. Cette proximité avec l’univers scolaire peut constituer un filtre
qui empêche de « traiter les faits comme des choses » 25 . L’objectivation de la relation à
l’objet prend alors toute son importance et doit constituer un préalable à la construction de
cette recherche mais aussi faire l’objet d’une vigilance constante à chacune de ces étapes.
Néanmoins comme le soulève Louis Pinto26, l’objectivation sociologique possède une
double dimension: celle d’une défiance envers l’expérience et celle d’une prise en
considération de cette même expérience.27Celle-ci même si elle est obstacle à la connaissance
peut aussi être traitée à la façon d’une information.
Dès lors, il a été nécessaire fallu à la fois d’objectiver la relation entretenue avec l’univers des
écoles nouvelles puisque dans mon entourage une personne était intervenue à l’école du
Chapoly au travers d’ateliers d’arts plastiques, d’autres étaient d’anciens enseignants ou
parents d’élèves de ces écoles. Cependant, cette familiarité avec l’univers pouvait aussi être
source d’informations à la fois sur le fonctionnement de ces écoles par le recueil de
discussions informelles et permettre l’obtention de contacts pour pénétrer cet univers.
Cette socio-analyse préalable a permis de mettre en lumière les filtres déjà présents
dans le choix même de ce thème, mais aussi contenus dans la perception initiale que j’en
avais. Ces prénotions ont été dépassées, ce qui a permis l’élaboration d’un point de vue
scientifique sur ces écoles.
Choix des techniques d’enquête
Le choix des outils de l’enquête est fortement lié à la définition de l’objet. Les écoles
nouvelles sont des institutions qui publient des documents officiels pour un usage interne:
règlements, comptes rendus de réunions, méthodes pédagogiques mais aussi pour un usage
externe: plaquettes de promotion de l’école, bulletins d’activités.
24
Bourdieu (Pierre), Wacquant (Loïc), Réponses …pour une anthropologie réflexive, Paris, le Seuil, 1992, p4550.
25
Durkheim (Emile), les règles de la méthode sociologique, op.cit.
26
Pinto (Louis) « Expérience vécue et exigence scientifique» in Champagne (Patrick), Initiation à la pratique
sociologique, Paris, Dunod, 1990, p.9.
27
Ibidem.p.9.
10
Il convient de procéder à une analyse de contenu de ces documents. Ils ont été collectés sur
les sites Internet, auprès des écoles en me présentant comme un parent d’élève intéressé pour
en connaître plus les pédagogies nouvelles, ou par l’intermédiaire de la directrice de l’école
du Chapoly, qui lors d’un entretien à visée exploratoire m’a fournit plaquettes pédagogiques
et comptes rendus de conférences sur les pratiques pédagogiques de l’éducation nouvelle.
L’analyse de contenu a deux fonctions distinctes et complémentaires 28 . Ces deux
fonctions ont été utilisées au cours de ce travail: ces documents ont dans un premier temps
constitués un matériel exploratoire pour construire l’objet de cette recherche et une fois le
cadre établi, ils ont rendu possible un travail de recoupement et de comparaison des
plaquettes autour de notions clés afin de confirmer qu’il existait des propriétés
structurellement comparables.
Afin d’écarter le biais méthodologique d’une reprise des discours tenus par les écoles
nouvelles sur elles mêmes, cette analyse de contenu se doit d’être approfondie et croisée par
une enquête qualitative au travers de la réalisation d’entretien et la passation de
questionnaires pour les écoles les plus éloignées géographiquement. Le temps et les moyens
impartis pour l’enquête ne permettent pas de se déplacer dans les écoles situées à l’étranger
(Suisse).
Le croisement des réponses recueillis avec des données quantitatives, notamment en ce qui
concerne le nombre de ces écoles, les catégories socioprofessionnelles des parents ou
l’orientation des élèves auraient été des éléments de validation empirique très précieux .
Cependant, les tentatives de recueil de statistiques se sont avérées veines: la DEP a répondu
qu’il n’existait aucune statistique officielle, les écoles nouvelles soient ne disposaient pas de
tels renseignements ou ne souhaitaient pas les communiquer, ou encore étaient en train d’en
fabriquer29.
L’élaboration des questionnaires et de la grille d’entretien présente plusieurs
difficultés liées à la rigueur méthodologique que demande l’enquête qualitative.
Le choix s’est porté sur des questions ouvertes, qui doivent être posées de façon précise afin
d’être comprises de la même façon par les personnes interrogées. Elles demandent aussi être
formulées de manière à ne pas imposer la réponse attendue, et supposent de veiller à ne pas
28
Grawitz (Madelaine), Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 9ème ed. 1993.
C’est la cas pour l’association d’anciens élèves Re-source de l’école nouvelle de la Source, qui m’a réponde
qu’elle ne pouvait pas me communiquer les chiffres mais que si je pouvais me déplacer à Paris je pouvais venir
voir les informations dont il disposait. Or je n’ai pas eu la possibilité d’effectuer ce déplacement.
29
11
introduire de jugements de valeur en posant des questions qui au cours des entretiens
permettent de comprendre les pratiques et discours des acteurs.
Par ailleurs, la faiblesse des écrits sociologique se rapportant aux écoles nouvelles
renforce la nécessité de multiplier les points de vue car une spécificité irréductible des science
sociales par rapport aux sciences naturelles tient au fait que les objets pensent et leurs points
de vue, leurs interprétations ont des effets sur l’événement étudié.30
Les questionnaires et la grille d’entretien destinés aux enseignants visaient à tenter de
les faire parler sur leurs pratiques quotidiennes afin d’en apprendre plus que la simple
description présentée dans les documents officiels, ce qui justifie le choix d’un entretien de
type directif. Cette opération s’est révélée délicate tant dans l’élaboration que dans la
réalisation, car les questions retenues devaient traduire la maîtrise et la connaissance des
méthodes pédagogiques.
Concernant les questionnaires et la grille d’entretien destinés aux parents, une
vigilance toute particulière a été apportée à la possibilité d’introduire des jugements de
valeurs sur leurs choix. Cette difficulté a été surmontée par des interrogations préalables sur
leurs visions de l’éducation nouvelle, sur leurs pratiques afin de favoriser une mise en
confiance de la personne interrogée.
Les entretiens avec les enfants n’ont pas été retenus en raison des contraintes
méthodologiques et de faisabilité de l’enquête, par contre les observations ethnographiques
ont permis des discussions libres avec les enfants et le recueil de certaines de leurs paroles sur
leurs vécus et visons de leurs écoles.
Enfin, l’observation ethnographique est aussi une technique d’enquête qui a toute sa
pertinence dans cette recherche pour observer ces pédagogies en actes, dans la pratique
quotidienne. Au départ deux types d’observations avaient été envisagées : l’observation
directe qui aurait permis de se placer comme témoin des comportements sociaux des enfants,
enseignants et parents dans les lieux mêmes de leurs activités; complétée par une observation
participante en s’immergeant dans la vie de ces écoles par exemple en tant que stagiaire.
Néanmoins, la mise en place de ces observations a été l’une des principales difficultés
méthodologiques rencontrée au cours de l’enquête, que plusieurs facteurs qui seront évoqués
par la suite peuvent expliqués.
30
Beaud (Stéphane), Weber (Florence), Guide de l’enquête de terrain, Paris, La découverte, 2003(1ère ed1997) p
297.
12
B. Le terrain
« Afin de ne pas être esclave de l’outil »31 , le terrain a été abordé avec plusieurs
techniques d’enquête décrites ci-dessus car il est absurde selon Stéphane Beaud d’opposer les
différentes méthodes les unes aux autres, si toutefois cette combinaison s’accompagne du
souci de se rappeler comment ont été fabriquées telles ou telles données32. Néanmoins, les
spécificités de notre terrain ont en rendu certaines problématique à mettre en place.
L’accès au terrain s’est révélé difficile. Cette difficulté a cependant eu une valeur heuristique
car elle a permis de faire émerger plusieurs caractéristiques de ces écoles dans leur rapport à
l’extérieur.
Par ailleurs, les modalités d’entrée se sont révélées très différentes pour les parents et les
enseignants.
les écoles : entre méfiance et fermeture
L’accès au terrain des écoles nouvelles a d’abord été ouvert par un entretien avec la
directrice de l’école du Chapoly obtenu par l’intermédiaire d’un proche qui avait fait une
intervention appréciée en arts plastiques dans cette école l’année précédente.
Ce premier entretien à but exploratoire a permis de recueillir des informations précieuses pour
la suite de mon travail, alors même que l’objet n’était pas encore construit. Par ailleurs, il a
surtout donné une carte de visite pour s’introduire auprès des écoles nouvelles qui
appartenaient au même réseau 33que l’école du Chapoly.
Cependant cette carte de visite s’est vite révélée insuffisante pour pénétrer les écoles
nouvelles. Le terrain qui s’était ouvert si facilement, s’est refermé avec la même rapidité. La
déstabilisation initiale liée à ce blocage a été dépassée en envisageant comment ces difficultés
méthodologiques pouvaient être aussi sources d’apprentissage dans la réalisation d’une
enquête de terrain.
La démarche adoptée pour prendre contact avec l’école de la Prairie, qui par sa proximité
géographique constituait un terrain privilégié a été la suivante: tout d’abord l’envoi d’un mail
31
Ibidem.
Ibid p299.
33
C'est-à-dire les écoles appartenant à l’association nationale d’éducation nouvelle ANEN, annexe I, pIII.
32
13
pour solliciter un rendez vous avec une personne susceptible de me parler de la pédagogie, en
spécifiant que j’écrivais sur les recommandations de la directrice de l’école du Chapoly. Le
parti pris était celui d’une stratégie de présentation assez vague tant sur mon objet de
recherche « sur les méthodes pédagogiques et notamment les pédagogies nouvelles », que sur
le domaine disciplinaire de mes études « sciences sociales ». Ce mail a par ailleurs été envoyé
de façon similaire aux autres écoles.
Après un délai de deux semaines, une prise de contact téléphonique a été effectuée. Elle s’est
conclue par une réponse positive pour effectuer un entretien et ce pour l’ensemble des écoles
contactées: les plus éloignées géographiquement m’ont invité à envoyer mes questions par
mail, il a été convenu avec l’école de la Prairie que la directrice me contacterait afin de fixer
un rendez vous, par ailleurs a été évoquée la possibilité de faire un stage dans une des classes
si je rédigeais une lettre en spécifiant mes attentes à l’attention de l’enseignant. Trois
semaines plus tard ne recevant pas de réponse, un mail de relance a été rédigé aux écoles, et
un entretien téléphonique avec l’école de la Prairie m’a assuré que la demande était en cours
de traitement. Au cours du mois suivant, les questionnaires étaient retournés mais aucune
nouvelle de la demande de stage auprès de l’école de la Prairie dont la secrétaire s’excusait de
ne pouvoir apporter plus de précisions. En raison du temps imparti pour rendre ce travail de
recherche, la décision fût prise d’envoyer le questionnaire par mail. Il a été retourné par
courrier quelques semaines plus tard, rempli par un professeur et accompagné d’une note
« votre questionnaire a fait fuir l’équipe à toutes jambes, la prochaine fois faites plus simple,
cordialement. »
Cette réponse m’a invitée à réfléchir sur la pertinence du questionnaire. Cependant, les autres
questionnaires retournés par les enseignants même s’ils n’étaient qu’au nombre de deux ne
semblaient pas avoir provoqué de réactions de rejet ou braqué mes interlocuteurs car ces
derniers m’invitaient à les contacter pour plus d’informations. Le peu de réponses obtenues
ne me semblait pas permettre de tirer une loi générale de ce cas singulier, néanmoins cette
réaction un peu brutale m’a conduit à m’interroger sur les difficultés liées à la relation
enquêté/enquêteur.34
Par ailleurs, ces réticences rencontrées pour pénétrer le terrain des écoles sont les
mêmes que celles décrites par Marie-laure Viaud qui a effectué une thèse sur les collèges et
lycées différents35. Elle explique dans son protocole d’enquête qu’elle a obtenu un entretien
34
35
Réflexions qui seront exposées dans les sections suivantes.
Viaud (Marie-laure), Des collèges et des lycées différents,Paris, le monde PUF partage du savoir, 2005 ,p6.
14
seulement au bout de deux ans, ce qu’elle justifie par la tentation de fermeture sur soi de ces
écoles due aux tracasseries administratives et attaques dont elles font l’objet.
Les parents d’élèves: la mise en confiance du cadre universitaire
Si le terrain de l’école des enseignants de l’école de la Prairie se ferme celui de des
parents s’ouvre grâce à l’une des professeurs de l’Institut d’études politiques qui est aussi
parent d’élève de l’école de la Prairie et qui m’a fournit les coordonnées de parents d’élèves
aux profils variés.
La prise de contact avec les parents d’élèves s’effectue en m’introduisant comme l’élève de
ce professeur ce qui permet la mise en confiance de mes interlocuteurs. La plupart des
entretiens36 se sont déroulés par téléphone car l’emploi du temps chargé des interlocuteurs
rendaient difficile de fixer une date et un lieu d’entretien37.
En ce qui concerne les autres écoles, la passation des questionnaires auprès des
parents s’est faite par mails au travers des associations des parents d’élèves ou par l’école
elle-même (Ecole nouvelle de la grande Ourse en Suisse).
Cependant les réponses recueillies ont été très peu nombreuses, seuls cinq parents de l’école
de la Grande Ourse et six de l’école du Chapoly ont répondu. Les associations de parents
d’élèves de l’école de la Source et l’école nouvelle de la Suisse romande m’ont demandé de
spécifier sur l’objet de cette recherche et de préciser mon parcours scolaire. Il m’a semblé
délicat dans un souci de rigueur scientifique et peut être aussi dû à l’absence d’expérience de
terrain de masquer la nature de cette recherche et du cursus de sciences politiques dans
laquelle elle s’inscrivait, sans pour autant entrer dans les détails. Ils ont alors précisé que ma
requête serait examinée en commissions, cependant même après quelques relances ils n’ont
jamais donné suite.
36
37
Au total neuf ont été effectués avec seuleument un refus.
Seulement deux entretiens ont été effectués au domicile des parents.
15
Observations ethnographiques.
L’observation qui relève de la démarche ethnographique repose sur trois savoirs
imbriqués38: percevoir, mémoriser, noter. Elle suppose un va et vient permanent entre les
perceptions, les explications mentales, leur mémorisation et le cahier final de terrain; ce qui
implique au niveau méthodologique une vigilance constante et aiguisée.
L’observation au sein d’une classe aurait été un plus pour être témoin dans la pratique des
méthodes pédagogiques; celle-ci a été rendue impossible en raison des difficultés rencontrées
pour pénétrer le terrain des écoles.
Néanmoins, une observation directe a été effectuée lors de sorties de classes, où j’ai
pu être le témoin de discussions entre parents et enseignants, lors de ce moment clé de la vie
scolaire. Les journées portes ouvertes de l’école de la Prairie ont aussi été l’occasion de
nombreuses observations ethnographiques 39 . Cependant, l’« œil de témoin » devait aussi
prendre en compte les conditions spéciales intrinsèques à l’événement journées portes
ouvertes car il s’agit aussi pour ces écoles d’une mise en scène de leur offre pédagogique, en
présentant toutes les activités et animations proposées dans le but de faire voir à l’extérieur ce
qui se passe à l’intérieur. Cette mise en scène suppose au préalable une sélection de ce qui est
donné à voir et une réflexion sur les modalités de présentation. Cela a des implications sur le
regard de l’observateur qui doit prendre en compte le moment particulier dont il est le témoin.
Enfin, cet événement a été l’occasion d’une circulation libre dans l’espace: seule afin
d’observer le bâti, la disposition des classes, les panneaux aux murs, sentir l’atmosphère,
écouter et participer aux conversations entre parents, avec les enseignants; mais aussi
accompagnée par des élèves qui au travers de leurs indications et descriptions me donnaient
des indications sur leurs perceptions de l’école.
Les difficultés rencontrées: « la sociologie dérange »
L’une des principales difficultés reste le très faible échantillon sur lequel porte cette
recherche du fait du peu de retour des questionnaires, qui est toutefois contrebalancé par la
très faible population concernée puisque les écoles nouvelles restent très marginales dans la
carte scolaire tant en France que en Suisse.
38
39
Beaud (Stéphane), Weber (Florence), Guide de l’enquête de terrain, op.cit, p139-174.
Carnet ethnographique, annexe III.
16
Par ailleurs, le questionnaire destiné aux enseignants a dévoilé certains écueils de part
la mauvaise réception qui en a été faite par une équipe pédagogique. Ce qui invite à réfléchir
sur les difficultés liées à la relation d’enquête/enquêteur, celle-ci peut être vécue comme une
intrusion, une imposition pour l’interroger qui peut alors résister à l’objectivation.
Plusieurs facteurs peuvent être avancés, ils ont bien sûr une valeur hypothétique en
raison du très faible échantillon sur lequel porte cette enquête.
Le plus probable semble être que l’explication sociologique dérange car elle s’oppose aux
discours communs qui fondent les actions sur les envies, les motivations psychologiques, les
désirs des acteurs40. Cela permet de comprendre les réactions hostiles face à la sociologie qui
en dévoilant les déterminismes qui pèsent sur les individus s’oppose à la philosophie
humaniste et rationaliste qui voit en l’homme un être doué de raison capable de maîtriser son
destin en toute liberté.
Par ailleurs, il semble que derrière mes questions transparaissaient l’objectif de mon travail et
son point de vue très sociologique. Peut-être mon interlocuteur craignait-il que ce travail
vienne s’ajouter aux critiques déjà nombreuses sur les écoles nouvelles, comme le montre
Marie Laure Viaud dans sa thèse41. Cela tient aussi de la méconnaissance des finalités de la
sociologie qui n’a aucune visée normative concernant les objectifs de la pédagogie, car
comme le souligne Roger Roussel il est quasiment impossible de mesurer les effets
pédagogiques d’une théorie pédagogique42.
40
Bourdieu (Pierre), Questions de sociologie, Paris, Les éditions de minuit, 1984, p.19-36.
Viaud (Marie-laure), Des collèges et des lycées différents, op.cit. p.10-13.
42
Roussel (Roger), « remarques sociologiques sur quelques invariants de la pédagogie Freinet », op.cit.
41
17
CHAPITRE1 : Revendications d’une avant-garde scolaire
Il convient de monter ici les logiques de cette revendication d’école « différente »ou
« alternative ». Ces écoles se positionnent comme des établissements d’avant-garde et ce
depuis leur émergence. Cela se perpétue dans leur recherche constante d’innovation d’une
pratique pédagogique différenciée tant dans la relation pédagogique, que dans l’organisation
de l’école.
Section1: Le sous champ des écoles nouvelles
L’espace formé par ces écoles peut s’appréhender comme un sous champ de
l’espace de l’offre éducative: ces écoles bien que suivant les programmes officiels définis par
l’éducation nationale, revendiquent offrir « une autre idée de l’école » par la mise en place
d’un dispositif pédagogique innovant par rapport à celui des écoles publiques ou
confessionnelles privées.
Pierre Bourdieu montre dans sa théorie des champs43 que chaque microcosme social
possède des règles du jeu et des enjeux spécifiques, irréductibles aux règles du jeu et enjeux
des autres champs: l’éducation doit ainsi être déléguée à des professionnels de l’éducation.
Chaque champ a sa loi fondamentale et enferme ainsi les agents dans ses enjeux propres: les
acteurs de l’éducation nouvelle ont pour enjeu de perpétuer et défendre une relation
pédagogique, un statut accordé à l’élève et des méthodes d’évaluation qu’ils affirment en
rupture avec l’éducation traditionnelle.
I. En marge de l’institution scolaire « traditionnelle ».
Il convient de dégager les règles du jeu et l’enjeu spécifique du sous champ des écoles
nouvelles afin de pouvoir par la suite examiné la position des acteurs présents dans ce champ
car « les propriétés peuvent être analysées indépendamment des caractéristiques de leurs
occupants. »44
43
44
Bourdieu (Pierre), Questions de sociologie, op.cit., p113-120.
Bourdieu (Pierre), Questions de sociologie, op.cit. p.115.
18
Quelles sont alors les propriétés propres à ce champ qui en fait un sous champ en marge de
l’éducation traditionnelle ?
A. Genèse de l’éducation nouvelle
L’ensemble de ces écoles se différencie tout d’abord par leur trajectoire historique
spécifique et distincte de l’école traditionnelle. Elles ont été fondées par les pédagogues,
psychologues, médecins qui ont été à l’origine du courant d’éducation nouvelle, elles
conservent aujourd’hui cette lignée avec leurs pères fondateurs tout en se référant aussi à
d’autres pédagogues du même courant.
Retracer brièvement cette trajectoire historique permet de dégager le contexte de l’émergence
de ce sous champ qui se revendique en rupture avec l’éducation traditionnelle, et de constater
que cette évolution n’est cependant pas linéaire.
La formation d’une élite scolaire de la fin du XIX siècle
L’éducation nouvelle se définit dès son apparition en opposition à « l’école assise » où
les enfants sont l’objet d’un enseignement abstrait, uniforme, régi et évalué par un maître
représentant objectif du savoir45. Elle défend une « école active », centrée sur l’enfant, ses
besoins, ses intérêts. Son ambition est de construire un homme complet au niveau intellectuel,
physique et mental qui se superpose avec la volonté de former un être sociable en phase avec
les évolutions de son époque.46
Ses sources théoriques résultent de la convergence de plusieurs approches: celle de médecins
et éducateurs du XIX siècle comme Maria Montessori et Ovide Decroly qui mettent en avant
l’importance de l’observation de l’individu comme préalable à toute démarche
d’apprentissage; de psychologues tels que Alfred Binet et Edouard Claparède qui montrent
que la psychologie de l’enfant n’est pas réductible à celle de l’adulte, ils introduisent un
changement dans l’éducation de l’enfant en centrant le programme sur l’élève au lieu de
centrer l’élève sur le programme. « Le besoin, l’intérêt résultant du besoin, voilà le facteur
qui fera d’une réaction un acte véritable (…) l’école traditionnelle réclame cette
45
George (Jacques), « D’une histoire et de quelques paradoxes », Cahiers pédagogiques, n°395, juin 2001 p.1416.
46
Duval (Nathalie), « L’éducation nouvelle dans les sociétés européennes à la fin du XIX siècle », revue
Histoire, économie et société N°1, 1er trimestre 2002.
19
monstruosité psychologique : des actes ne répondant à aucun besoin, donc des actes sans
causes. L’école active, au contraire est fondée sur le principe du besoin. Pour faire agir votre
élève, mettez- le dans des circonstances telles qu’ils éprouvent le besoin d’accomplir l’action
que vous attendez de lui »47.
L’apparition de ce courant pédagogique est favorisée par la présence d’une demande sociale
et économique de former des esprits entreprenants, capables de créativité et d’initiative dans
le contexte de compétition coloniale entre grandes puissances.
Par ailleurs, sa naissance s’inscrit aussi dans le contexte culturel de la fin de siècle marqué par
l’exploration de nouvelles voies dans des domaines aussi divers que les sciences, la
philosophie, la psychanalyse, la littérature, le théâtre et l’art.
Les premières écoles sont crées en Suisse, en Angleterre et en Allemagne. En France,
Edmond Demolins fonde l’école des Roches en 1898 qui fait suite à son ouvrage A quoi tient
la supériorité des anglo-saxons ? Il propose un projet pédagogique visant à implanter une
école d’avant-garde pour faire face à un enseignement français en état de faillite par rapport à
celui-ci; il est appuyé par de riches familles d’industriels qui partagent la volonté de former
des nouveaux capitaines d’industrie. Il publie un manifeste L’éducation nouvelle où il
explique que cette école se veut nouvelle en tant que laboratoire pédagogique pour
l’université et en tant qu’entreprise indépendante à la fois de l’Etat et de l’Eglise ; ce qui lui
voudra le surnom « écoles des roches, écoles des riches ».
Dès cette époque, se distinguent différents courants au sein de ces écoles rassemblées sous
l’appellation « nouvelles » parce qu'elles revendiquent l’abandon d’une vision traditionnelle
de l'enfant et de ses relations avec le monde de la connaissance; les écoles d’inspiration
philosophique sont celles dans lesquelles émergent l’idée d’une société nouvelle, celles où
s’appliquent l’étude des besoins propres de l’enfant dans le but d'établir une "pédagogique
scientifique". Par la suite, ces tendances vont souvent se mêler, dans des proportions
différentes d'une école à l'autre.
Pour le pédagogue genevois Adolphe Ferrière48 l’école nouvelle, méthode active ou
école active correspond à « l’école où l’activité spontanée de l’enfant est à la base de tout
travail : appétit de savoir, besoin d’agir et de créer sont manifestes chez tout enfant sain ».
Il formule trente points dont la moitié doivent être présents pour qu’une école puisse être dite
nouvelle mais il définit que l’« école active ne saurait adapter de définition a priori, de
47
Claparède (Edouard), L’éducation fonctionnelle, 1911.
Groupe éditions ANEN, L’éducation Nouvelle, Claparède, R.Cousinet, J.Dewey, A.Ferrière, Toulouse,
Delachaux et Niestlé, Textes de base en pédagogie, p.107-125.
48
20
programme a priori, de méthodes a priori. Elle se transforme, elle est fonction des
individualités enfantines qui la créent.49 »
Pour résumer ces trente points, les écoles nouvelles sont des internats situés à la campagne où
éducateurs et élèves vivent en communauté selon des règles précises qui doivent être
acceptées par tous. L’accent est mis, grâce à la pratique d’activités variées comme les travaux
manuels, les activités physiques ou artistiques, sur la formation de l’individualité, sur la vie
sociale et sur le « self-government ».
Après le choc de la Première guerre mondiale, le mouvement prend une nouvelle
vigueur : en Europe particulièrement la nécessité de repenser l’éducation se fait sentir pour
former « des individus capables de mettre fin aux guerres et d’organiser par la
compréhension mutuelle, un monde meilleur. » 50 Toutes sortes de tentatives pédagogiques
fleurissent : les écoles anthroposophiques fondées par Rudolf Steiner (Ecole de l'usine
Waldorf-Astoria, Stuttgart, 1919), les communautés scolaires de Hambourg (Allemagne) où
les enfants organisent seuls leur vie scolaire, décident des règlements et choisissent leurs
responsables; Roger Cousinet avec l’école nouvelle de la Source ( France); le plan Dalton aux
Etats-Unis met en place des méthodes de travail individualisé et une pédagogie du contrat
entre l’élève et l’enseignant. Tandis qu’en Angleterre, A.S Neil fonde l’école de Summerhill
qui deviendra célèbre dans les années soixante dix. Ces initiatives donnent naissance en 1921
à la Ligue internationale pour l'Education Nouvelle.
Après la seconde guerre, plusieurs écoles nouvelles apparaissent favorisées par le plan
Longevin-Wallon qui reprend certains thèmes de l’éducation nouvelle sans pour autant les
doter d’un statut d’école publique: ce sont pour la plupart des petites écoles comme celle de
la Prairie à Toulouse.
Le débat introduit par les idées « libertaires » de mai 68
Dès le départ il existe un flou sur le plan idéologique qui se cristallise par un débat sur
la nature d’une éducation nouvelle « socialiste » ou bien « libérale »51. Elle peut se lire de
deux façons selon D. Hameline52, comme « une des modalités de la mainmise du pouvoir
49
Ibidem. p115.
Fournier (Martine), « Un siècle d’éducation nouvelle », Sciences humaines, n° 105, mai 2000, p44-46.
51
George (Jacques), « D’une histoire et de quelques paradoxes », op.cit.
52
Hameline.D, Jean Piaget, agir et construire, 1996.
50
21
capitaliste sur les individus et les masses, dans le sens d’une exploitation tayloriste » ou
comme « la promotion sociale, plus juste pour les individus et d’une élévation globale du
niveau d’instruction des classes défavorisées. »
Face aux critiques « d’écoles pour riches » une réforme est tentée au sein de la ligue
internationale pour l’éducation nouvelle afin d’étendre les idées de l’éducation aux classes
populaires. L’éducation nouvelle se voit alors assigner comme objectif de « favoriser le
développement aussi complet que possible des aptitudes, de chaque personne, à la fois
comme individu et comme membre d’une société régie par la solidarité. L’éducation est
inséparable de l’évolution sociale ; elle constitue une des formes qui la déterminent. »
Célestin Freinet illustre cette tendance « socialiste » du courant d’éducation nouvelle. Il
milite en faveur d’une école publique, toutefois ses innovations pédagogiques le conduisent à
être exclu de l’éducation nationale, il crée alors une école privée à Saint Paul de Vence en
1935. Son objectif était de fonder une véritable éducation prolétarienne destinée aux enfants
du peuple. Il élabore une théorie pédagogique de l’enfant fondée sur deux postulats : l’élan
vital c'est-à-dire qu’il ne faut pas contrarier dynamise de l’enfant et le tâtonnement
expérimental.
Cette inclination « socialiste », « libertaire» du courant d’éducation nouvelle sera
reprise lors du mouvement de mai 68, avec notamment le mythe qui se crée autour de l’école
de Summerhill de Neil et son ouvrage Libres enfants de Summerhill :
« Summerhill »
« A radical approach to child rearing (1960), best-seller des années soixante, avait
fait connaître Summerhill comme un haut lieu de la pédagogie libertaire la plus avancée et
installé Neill au coeur d’un vif débat pédagogique.
Dans le temps même où s’élevaient les protestations les plus indignées et les accusations de
corruption d’enfants, élèves et visiteurs convergeaient en foule vers ce lieu sacré.(…)
C’est qu’en ces années-là Neill passait déjà, selon le mot d’Adolphe Ferrière, pour
« l’enfant terrible de la pédagogie extrémiste en Angleterre » (Ferrière, 1922, p. 384).
Lecteur des ouvrages de Freud, habile à en utiliser les concepts pour railler ses collègues,
adversaire farouche de Maria Montessori, déjà éminente théoricienne de l’éducation à qui
il reprochait scientificité et moralisme ; il sema la controverse.
On sait tout aussi peu qu’il participa au Congrès de Calais, croisant là Decroly,
Ferrière et tous les grands pionniers, s’y faisant remarquer comme un auteur d’ouvrage de
combat.
L’école souffre beaucoup des destructions faites par les enfants, concède Neill:
l’usure des objets [...] suit un processus naturel. [...] Si un garçon a besoin d’un morceau
de métal, il prendra un de mes outils coûteux si l’un d’eux a la taille requise.
22
Nombreux sont les visiteurs qui auront effectivement découvert là « un univers
kafkaïen, avec des maisons lépreuses parfois vandalisées ». Pourtant, l’école, avec ses
bâtiments de bois, son grand parc et ses arbres, apparaît, surtout l’été, comme un lieu des
plus agréables, véritable école à la campagne comme Ferrière pouvait en rêver au début du
siècle. Mais, dans cette école, les cours sont facultatifs, les enfants, s’ils le souhaitent,
peuvent jouer toute la journée ou se livrer à des activités manuelles dans l’atelier. Les
soirées sont réservées à la danse, au théâtre, aux fêtes.
Le vendredi soir est réservé à l’assemblée générale. Durant cette réunion présidée par un
élève élu, les enfants exposent leurs problèmes, en débattent, élaborent leurs lois — et,
dans cette assemblée, la voix de Neill, ni celle des autres adultes, n’a pas plus de poids que
celle d’un enfant.53
Un tournant est pris au début des années soixante dix: le courant d'idées qui anime le
mouvement de Mai 68 provoque l'éclosion de nombreuses écoles " alternatives ". La culture
elle-même change de statut et l'épanouissement individuel devient prioritaire. Il s'agit alors de
mettre en place de nouvelles relations entre tous les partenaires de l'école, élèves, enseignants
et parents. Les écoles qui s'ouvrent à ce moment-là pratiquent une cogestion qui amène les
uns et les autres à prendre la parole à tous les niveaux et à mettre sur pied un projet commun.
Ces écoles, créées généralement par des groupes de parents et d'enseignants ne dépassent
souvent pas le cap des dix ans d'existence, faute de parvenir à régler les problèmes de
relations communautaires et faute surtout d'une véritable culture pédagogique.
Par exemple, l’école du Chapoly à Lyon s’est dotée pour perdurer et remédier à ces
différends d’un projet pédagogique et d’un projet institutionnel qui prescrivent et
circonscrivent le rôle de chacun des acteurs de l’institution.
53
Revue trimestrielle d’éducation comparée, Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation, vol. XXIV, n°
1-2, 1994, p. 225-236.
23
Une cogestion parents- enseignants encadrée
« Pour ce qui est de l’école, elle a été montée avec le statut d’association loi 1901 , elle
est cogérée par les parents et les équipes qui forment un directoire avec plusieurs
commissions où les parents peuvent s’inscrire.
L’école est à la fois dotée d’un projet pédagogique et institutionnel, que je vais vous
photocopier. Cela a été mis en place pour éviter des conflits comme ceux qui ont menés à
l’échec de nombreuses écoles nouvelles dans les années soixante dix on a effectué un
véritable travail d’analyse institutionnel pour définir le rôle et la place de chacun. »
Extrait entretien : directrice de l’école du Chapoly.
« Depuis l’origine, il existe une collaboration éducative entre les parents et les
enseignants. Comment cette participation se vit-elle actuellement ?
Au niveau de la gestion, l’histoire de l’école a montré que la confusion entre les deux
groupes parents-équipes pédagogique pouvait conduire à des situations inextricables.
Aujourd’hui nous fonctionnons avec une répartition des rôles aussi nette que possible. »
Extrait du projet pédagogique de l’école du Chapoly.
Aujourd’hui, des méthodes d’avant-garde qui essaiment dans l’éducation nationale
Depuis une vingtaine d’années, les écoles nouvelles qui subsistent en France
bénéficient d’une reconnaissance de la part de l’éducation nationale, en fonction des ministres
et des partis au gouvernement.
Alain Savary en 1983 et Jack Lang en 1992 ont contribué à favoriser la création
d’établissements expérimentaux à Saint Nazaire, Hérouville, Oléron et Paris. Les écoles
nouvelles qui sont regroupées pour la plupart au sein de l’association nationale pour
l’éducation nouvelle (ANEN) 54sont alors reconnues comme des laboratoires de l’innovation
pédagogique et obtiennent un statut de contrat d’association avec l’Etat. L’intérêt progressif
suscité par ces établissements a conduit à l’intégration de certains concepts de l’éducation
nouvelle au sein des directives de l’éducation nationale.
Quelle est l’intensité réelle de cette pénétration ? Assiste t-on à une « conversion » de
l’éducation nationale aux méthodes de l’éducation nouvelle ou à l’émergence d’un consensus
social sur le concept de l’« enfant au centre »?
Actuellement, la frontière entre pédagogie nouvelle et traditionnelle est plus diffuse
qu’à la naissance du mouvement d’éducation nouvelle. Il est ainsi très difficile d’un point de
54
L’école des roches et l’école de la Source ne font pas parties de cette association pour des raisons qui seront
développées dans la partie B suivante.
24
vue méthodologique de distinguer au sein d’une classe les pratiques d’inspiration moderne et
celles d’inspiration traditionnelle. Plusieurs facteurs entrent en jeu : l’un des éléments clé est
la reprise de certains concepts issus du courant d’éducation nouvelle par les directives
ministérielles. Ainsi, la loi d’orientation sur l’éducation de Lionel Jospin en 1989 fait sien le
mot d’ordre de l’éducation nouvelle « l’enfant au centre », et appelle à le considérer comme
un stratège, un partenaire et citoyen. Elle stipule que «le cycle d’apprentissage est une réalité
à la fois psychologique et physiologique distinctes des notions d’âge (…) L’école doit
permettre à l’élève d’acquérir un savoir et de construire sa personnalité par sa propre
activité. »55
La trajectoire de ce concept est retracée par Rayou dans son article « L’enfant au centre. Un
lieu commun pédagogiquement correct. »56.
Il explique que cette valeur aujourd’hui incontestable du système éducatif prend racine dans
la philosophie de l’enfance défendue par les pédagogues de l’éducation nouvelle. Roger
Cousinet57 défend ainsi l’idée que l’enfant est reconnu comme une personne apte à fixer ellemême ses fins, qui a essentiellement droit au bonheur. Cette conception conduit à la
redéfinition des objectifs éducatifs et de l’inculcation de normes et de valeurs.
Pour Jean-Pierre Le Goff58 « ce modèle de l'école alternative » a contribué à l’essaimage de
l’idéologie des « droits de l'enfant » avec la signature de la convention de l’ONU sur les
droits de l’enfant. Cette conception provoque alors une circulation internationale des idées
éducatives. Dans cette optique certaines de ces écoles sont reconnues comme des écoles pour
la paix par des organismes internationaux tels que l’OCDE ou l’UNESCO. A ce titre certaines
de leurs pratiques « innovantes » sont exportées en direction d’autres pays comme réponses
potentielles aux carences du système éducatif 59 . Aux Etats-Unis, cette mise au centre de
l’enfant s’est faite avec l’application du modèle libéral, ce que John Dewey nomme les
« écoles progressives », « child-centered school ».
Selon Alain Prost60, la diffusion dans l’école de ce modèle puerocentré a pu s’effectuer au
travers du « changement de style éducatif des familles » avec un modèle de moins en moins
autoritaire. L’enfant n’est plus obligé d’exécuter sous la contrainte la volonté de l’adulte mais
55
Extrait de la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 site légifrance.
Rayou, « l’enfant au centre. Un lieu commun pédagogiquement correct » in Derouet (Jean-Louis), dir. L’école
dans plusieurs mondes, Bruxelles, INRP 2000.
57
Pédagogue français pionnier de l’éducation nouvelle, il fonde l’école nouvelle de la Source.
58
Le Goff (jean Pierre), Mai 68, l'héritage impossible, Paris, La découverte, 1998.
59
En Colombie, l’UNESCO soutient un projet d’écoles nouvelles où il existe de fortes similarités dans les
concepts utilisés mais une réadaptation en fonction du contexte de la réception et des problématiques locales.
60
Prost (Antoine), Éducation, société et politiques. Une histoire de l'enseignement en France de 1945 à nos
jours, Paris, Seuil, 1992, 226 p.
56
25
il existe une recherche de son propre consentement, en faisant appel à son autonomie, sa
responsabilité et son intelligence.
L’enfant émerge comme un individu autonome entre l’école et la famille, ce qui
s’accompagne du passage d’un modèle productif à un modèle expressif: d’un modèle basé sur
la production de travaux avec comme critères la perfection et l’adéquation aux normes, à un
modèle où s’exprime l’originalité de la personne et son individualité.
Plusieurs facteurs ont conduit à cette prise en compte de la « cause des enfants ». Dès
la fin des années soixante avec la diffusion de l’idée de la psychanalyse par la vulgarisation
psychanalytique de Françoise Dolto qui donne la définition d’une cité où enfants et adultes
couvrent différemment un bien qui leur est commun: leur humanité. Cette cause est relayée au
niveau politique avec dans les années quatre-vingt la mobilisation et le développement de la
recherche sur l’enfant: la mission Roland Carraz conclue que pour libérer les potentiels
éducatifs il faut appréhender toutes les dimensions de l’individu, les rapports Vermeil « la
fatigue à l’école »61 et H.Montagner 62 prolongent cette idée autour du corps de l’enfant et
dénoncent l’absence de prise en compte des rythmes de développement de l’enfant.
Cet accord sociétal et familial sur la centralité de l’enfant peut ainsi expliquer la « conversion
progressive » de l’éducation nationale à certaines pratiques de l’éducation nouvelle.
Toutefois, les paradigmes contemporains (cognitivisme, puérocentrisme, valorisation
de l'expression de soi) semblent revivifier les grands principes de l'éducation nouvelle qui
demeurent la base de toute innovation pédagogique des théories éducatives actuelles.
Les écoles nouvelles restent encore des pionnières dans les pratiques pédagogiques qu’elles
mettent en œuvre ce qui les conduit à se revendiquer d’une « avant-garde scolaire »
61
62
Vermeil G, La fatigue à l'école, ESF, 1976.
Montagner H, Les rythmes de l'enfant et de l'adolescent, Stock, 1983.
26
Tableau récapitulatif de l’offre éducative d’avant-garde de ces écoles par niveaux
Caractéristiques
Rapport à l’enfant
Rapport à
l’apprentissage
Rapport au corps
Rapport à la
citoyenneté,
communauté,
Milieu privilégié
maternelle
Primaire
Collège
Individuation de son
parcours.
Respect de son rythme
(réveil échelonné lors de
la sieste).
Ecoute de son rythme:
(étapes d’apprentissage
de la lecture différenciées
selon les élèves, pas
d’âge préétabli.)
Apprentissage dans la
joie.
Jeu, de manière ludique,
autonome.
Apprentissage ludique.
Apprentissage citoyen.
Construction autonomie
et responsabilisation
sociale.
Individuation de son
parcours scolaire.
Différenciation des
élèves: rapport aux
savoirs, motivation.
Appropriation de sa
scolarité et non
imposition
Reconnaissance qu’il
existe différents chemins
de réussite personnelle et
scolaire.
Rapport au corps : éveil
corporel
Travail sur les sens et le
ressenti.
Participation élaboration
des règles de vie.
Conseil de classe
collégiale hebdomadaire
pour discuter de la vie,
gérer les conflits.
Travail sur les émotions
, les stress (par rapport
au brevet).
« Microsociété » :
élaboration des règles de
vie, assemblée d’enfants
avec conseil des élèves,
hebdomadaire, réunions
des délégués tous les 15
jours et assemblée
d’élèves
Mise en place de moyens
pour que chaque élève
soit en confiance, qu’il
puisse s’exprimer et avoir
des pouvoirs pour
améliorer sa vie.
Libre circulation entre les
classes.
Assemblée citoyenne.
Création personnelle,
jeux éducatifs et
coopératifs, démarche
expérimentale.
Objectif: la construction
de la personnalité est la
base de la réussite du
projet
L’analyse de la genèse de ces écoles a permis de mettre en évidence leurs adaptations
successives aux différents contextes, ce qui invite à s’interroger sur ce que recouvre dans la
période actuelle le courant pédagogique de l’« éducation nouvelle » et les usages dont il est
l’objet suivant les différentes écoles.
27
B. Un réseau d’interconnaissance international
La genèse historique a fait ressortir la circulation des idées entre les différents
pédagogues à l’origine du courant d’éducation nouvelle dans l’espace européen. Encore
actuellement de part leur nombre réduit les acteurs de ces écoles se connaissent et échangent,
formant ainsi un réseau de interconnaissance. Ce qui n’exclut pas la présence de conflits
symboliques autour de certaines revendications pédagogiques.
Des équipes pédagogiques qui échangent
Dès l’origine de ce mouvement, les frontières de son implantation ne se limitent pas à
un territoire national mais s’étendent à un espace international (Suisse, Belgique, Allemagne,
Angleterre et Canada). Les pédagogues fondateurs sont de nationalités diverses, ils se
connaissent entre eux et s’inspirent les uns des autres.
Au niveau des acteurs de ces institutions (enseignants et éducateurs), la très grande majorité
de ces écoles forment un « entre soi » c'est-à-dire un monde d’interconnaissance ou
« d’interrelation » puisqu’elles sont constituées d’un ensemble de réseaux, de personnes qui
se connaissent et luttent depuis longtemps ensemble pour l’existence de ce type
d’établissements différents.63
Elles proposent des formations aux différentes méthodes pédagogiques de l’éducation
nouvelle et se définssent comme des laboratoires de l’expérimentation pédagogique.
Les enseignants ont des objectifs et des démarches similaires, partagent la même histoire et se
reconnaissent une même filiation avec les pionniers des pédagogies différentes. Ils se rendent
visite, échangent leurs idées lors de grandes réunions nationales64 qui sont apparues en même
temps que les premiers mouvements regroupant ces écoles.
63
64
Viaud (Marie-laure), Des collèges et des lycées différents, op.cit, p 8-10.
La dernière de ces grandes réunions a eu lieu en juillet 2005.
28
Charte de l’ANEN : Une volonté de recherche
« Les établissements de l’ANEN se situent dans le courant de l’Education nouvelle.
Celle-ci a réuni à partir de 1992 des enseignants, des chercheurs, des éducateurs et des
pédagogues de différents pays qui ont considéré comme élément central de tout projet de
société. La démarche de l’éducation nouvelle se caractérise depuis par une réflexion
critique et pertinente qui puise très largement dans les acquis scientifiques de la
psychologie, la médecine, de l’anthropologie, des sciences sociales et politiques.
L’ANEN privilégie la recherche scientifique et la formation continue par es stages de son
centre de Formation, orientés sur ce que l’éducation nouvelle propose de spécifique.
L’ANEN favorise aussi les échanges et visites interclasses entre enseignants de ses
différents établissements. »
Il semble difficile dans un souci d’objectivité et de rigueur scientifique d’englober
l’ensemble des écoles dites alternatives ou différentes (écoles Steiner, nouvelles, Montessori,
lycées autogéres) sous la même appellation.
Ce n’est pas sacrifier au discours de justification des acteurs que de convenir de cette
hétérogénéité des écoles. Au contraire cela permet de mettre en évidence l’existence de luttes
symboliques entre ces écoles autour des usages légitimes des méthodes de l’éducation
nouvelle.
Reste qu’il existe des propriétés structurelles communes à ces écoles: certains présupposés
pédagogiques font consensus et permettent de justifier une comparaison :
Liste des variables caractéristiques des méthodes de l’éducation nouvelles établie par
65
Philippe Perrenoud .
-Valorisation de la personne, dans sa singularité par opposition au rôle statutaire ou à
l’affiliation d’un groupe
-Affirmation de l’égalité dignité des droits des personnes, par delà les différences de sexe, de
classe sociale, d’origine ou de nationalité ethnique
-Valorisation de l’autonomie, le self control, la responsabilité personnelle, l’intériorisation de
principes régulateurs plutôt que l’observance de règles strictes
-Valorisation de la sociabilité informelle et la coopération, par opposition aux rapports de
domination et de compétition
-Primauté accordée au dialogue, le règlement pacifique des conflits, la concertation
démocratique
65
Perrenoud (Philippe), la pédagogie à l’école des différences, Paris, ESF éditeurs, 1995, p114.
29
-Défense des valeurs de tolérance, de respect des différences
-Insistance sur l’épanouissement personnel, l’équilibre, la réalisation de soi, le temps de
vivre, le plaisir, la créativité.
-Définition de la vie comme une œuvre à accomplir par la mise en pratique d’un projet
personnel et d’un art de vivre. »
Avec des revendications pédagogiques parfois divergentes
La trajectoire historique de ce courant a permis d’appréhender les tensions et les
clivages internes aux mouvements.
Il est intéressant pour l’analyse de retracer brièvement la trajectoire des pères fondateurs, de
contextualiser leurs pensées avant de visualiser les usages qui en sont fait :
Ovide Decroly (1871-1932).
Médecin neurologiste belge, Decroly pense que le milieu naturel et la santé
physique conditionnent complètement l’évolution intellectuelle. Son enseignement est
fondé autour de "centres d'intérêts" ou besoins naturels de l'individu. La classe est
démocratique, la sanction naturelle (ex: un objet cassé doit être réparé). Decroly fut aussi
un grand théoricien de la méthode globale de lecture très influencé par la gestalt
(psychologie de la forme) "l'enfant perçoit mieux des ensembles organisés et signifiants mots ou phrases- que des éléments sans signification- lettres ou syllabes."
Maria Montessori (1870-1952) :
Médecin italienne, Maria Montessori s'intéressa d'abord aux enfants anormaux
avant de généraliser sa méthode: un ensemble original de matériel (cubes, emboîtements
d'objets variés, lettres découpées dans divers matériaux...) dont les enfants peuvent user
librement. Influencée par la biologie, elle pensait qu'il convient de ne pas contrarier
l'évolution de l'enfant qui se fait progressivement par étapes. Elle inspirera en France les
écoles maternelles.
John Dewey (1859-1952) :
De formation philosophique, il créa à l'Université de Chicago une « école
laboratoire ».
Il prône les activités manuelles comme support de l'activité intellectuelle.
Il insiste sur la nécessité de considérer les intérêts de l'enfant en faisant la distinction les
30
faux intérêts et les véritables besoins. Toute leçon doit ainsi être une réponse au
questionnement de l'enfant qui construit son savoir dans un processus dynamique et
individuel. Cette pédagogie est pragmatique, elle se fonde sur le "learning by doing",
utilise le projet et les actuelles situations problèmes.
Célestin Freinet (1896-1966)
Rendu fragile par une blessure au poumon, subie pendant la première guerre
mondiale cet instituteur se retrouve dans la nécessité de trouver une autre manière de faire
la classe. Il crée en 1944 le mouvement de l’école moderne française, « la voie normale de
l’acquisition n’est nullement l’observation, l’explication et la démonstration, mais le
tâtonnement expérimental, démarche naturelle et universelle ». Il était très critique vis-àvis d’une utilisation « scolastique » (mécanique) des méthodes actives : pour lui il fallait
redonner un sens aux activités scolaires, en rétablissant les finalités concrètes des
apprentissages. Contrairement à d’autres pédagogues de l’école nouvelle, il pensait aussi
que ce n’était pas par le jeu que l’on apprend mais par le travail. (…) Il a mis en place tout
un ensemble de techniques pédagogiques originales au service de ces méthodes :
l’imprimerie, les plans de travail (sorte de contrats individuels pour chaque élève), les
fichiers autocorrectifs, le jardinage scolaire qui comprenait l’élevage de petits animaux, les
ateliers de peinture, poterie, théâtre ou poésie mais ces outils étaient au service d’un
modèle de travail dont la dimension sociale coopérative importait autant que les conditions
matérielles.
Source : Fournier (Martine), un siècle d’éducation nouvelle, revue Sciences humaines N°105 mai 2000.p44-46.
La liste de pédagogues dont se revendiquent les écoles nouvelles est encore longue,
bien que les quatre pédagogues présentées ci-dessus soient considérées comme les principaux
puisque toutes les écoles de cette étude s’y réfèrent.
Il existe bien sûr des spécificités dans les revendications pédagogiques de chacun des
pédagogues. Par exemple la pédagogie dite « institutionnelle » dont la figure dominante a été
Fernand Oury, conjoint le triple courant de la pédagogie active et coopérative de Célestin
Freinet, de la psychothérapie institutionnelle et de la psychanalyse, elle revendique une
exploration des voies de l’inconscient tel qu’il s’institue dans les rapports humains66. Alors
que les pédagogues comme Ovide Decroly et John Dewey se détachent de ces considérations
psychologiques pour insister sur les rapports entre l’école et la vie, autour des credos
« l’école par la vie et pour la vie » revendiqué par Ovide Decroly ou « je crois que
l’éducation est un processus de vie et non une préparation à la vie67 » (John Dewey).
66
67
Léon (Antoine), « Les courants pédagogiques » in pédagogie, Encyclopedia Universalis, Paris
Idem.
31
Rares sont les écoles nouvelles qui se revendiquent d’un pédagogue précisément, elles
font toujours référence à une pensée fondatrice et même au sein d’une école les enseignants
ne s’inscrivent pas tous dans le même courant.
Ces revendications pédagogiques différenciées sont ainsi source de conflits entre les
écoles dites « différentes ou parallèles. Le cas des méthodes Montessori et Steiner est très
instructif, il existe en effet un conflit symbolique entre les écoles Steiner et Montessori et les
écoles nouvelles. Les écoles Steiner et Montessori s’inscrivent dans une référence
pédagogique exclusive: la pensée de Montessori ou l’éducation anthroposophique de Steiner,
ceux sont pour la plupart des écoles privées aux tarifs plus élevés que les écoles nouvelles.
« Les écoles comme Montessori ou Steiner … sont des écoles plus
dogmatiques, ce sont de vues politiques différentes »
« Le mouvement de l’école nouvelle s’inscrit dans un courant de pensée qui remonte au
début du siècle avec des pédagogues et penseurs comme Cousinet, Freinet…
L’idée centrale était de rompre avec l’école classique de Jules ferry qui ne fait que
transmettre un amas de connaissance, en traitant l’enfant avant tout comme un élève, en
prenant en compte l’enfant en tant que personne dans sa globalité avec sa sensibilité, son
expression, son intellectualité ; et justement partir du fait que l’enfant a toutes les capacités
en lui pour se développer.
Ensuite, il y a eu plusieurs courant. On peut schématiser en distinguant deux
ramifications: les écoles comme Montessori ou Steiner qui partent d’une conception plus
matérielles, ce sont des écoles plus dogmatiques avec tels outils pour telles solutions.
Alors que si le mot nouvelle s’adjoint à l’appellation école c’est pour signifier qu’elle
repose sur un questionnement et une évolution permanente, l’esprit demeure toujours mais
l’école comme institution est appelée à évoluer .
Cela me rappelle une phrase de Freinet qui dit « contrairement à ce qu’on pourrait croire
peut-être, l’esprit ne s’enseigne pas, il ne peut résulter d’une explication aussi éloquente
soit-elle…
Il naît des situations nouvelles que nous créons ; et des réponses que nous donnons aux
problèmes qui nous sont posés. »
Il y a dans les écoles Steiner une pensée philosophique très forte, les écoles nouvelles
comme la nôtre s’inspire de ces différents courants tout en étant très ouverte , c’est plus
une démarche d’apprentissage , ce sont de vues politiques différentes. »
Extrait de l’entretien réalisé avec la directrice de l’école du Chapoly.
Ces conflits symboliques doivent être mis en relation avec les usages différenciés des
méthodes de l’éducation nouvelle par les différentes écoles.
La genèse historique du courant d’éducation nouvelle a permis de montrer que la production
des idées de l’école nouvelle par les différents pédagogues s’inscrivait dans un contexte
32
spécifique. Aujourd’hui, ces principes de l’éducation nouvelle sont utilisés hors du champ de
production initial. Ils sont exportés et réceptionnés dans un nouveau contexte avec de
nouveaux enjeux. Dès lors cela explique la présence d’un listing de référence qui contribue à
créer un flou « idéologique » dans l’offre éducative de ces écoles. Cette multiplicité de
références pédagogiques est justifiée par le fait que l’éducation nouvelle se définisse avant
tout comme « un esprit » ce qui supposent des innovations constantes en matière pédagogique
et une adaptation en fonction des valeurs dominantes. C’est d’ailleurs le reproche qui est
formulé à l’encontre des écoles Steiner et Montessori de rester figées dans le carcan de la
méthode énoncée par les fondateurs, sans s’adapter.
Cette évolution en fonction du contexte dominant explique qu’au cours du siècle le courant de
l’éducation nouvelle ait été l’objet de redéfinition successive par les différents acteurs de
l’institution, ce qui a fait émerger des conflits symboliques.
Ainsi, le sous champ des écoles nouvelles est aussi un lieu de lutte autour de l’usage et
de la définition légitimes de l’éducation nouvelle. En effet, tout champ est un espace de lutte
où « le nouvel entrant essaie de faire sauter les verrous du droit d’entrée et le dominant
essaie de défendre le monopole et d’exclure la concurrence »68.
Quels sont alors les usages différenciés des méthodes pédagogiques de ces écoles ?
Quelles variables peuvent les différencier ?
68
Bourdieu (Pierre), Questions de sociologie, op.cit.p.113-120.
33
II. Un espace de distinction : des usages différenciés des méthodes
pédagogiques nouvelles.
L’espace des écoles nouvelles apparaît comme un champ de lutte pour la définition
légitime de l’éducation nouvelle et les usages qui en sont faits. Les critères de différenciation
découlent de la section précédente où se sont dégagées certaines spécificités du sous champ
des écoles nouvelles.
La trajectoire historique de ces écoles permet d’avancer l’hypothèse que le clivage historique
interne aux mouvements entre les « écoles d’élite » et les « écoles qui cherchent à s’ouvrir au
plus grand nombre », a des répercussions aujourd’hui tant au niveau du statut institutionnel de
ces établissements que dans les objectifs assignés à ces pédagogies: l’accent est mis à des
degrés divers sur l’excellence scolaire ou l’épanouissement personnel.
Ecole Summerhill
Autonomie+
écoles Steiner
école des Roches
écoles Montessori
école de la Suisse Romande
épanouissement
Réussite+
école du Chapoly
école de la prairie
Ecoles publiques avec classes
spéciales Montessori.
école de la Source
Autonomie -
Le sous champ des écoles nouvelles.
34
A. Des écoles aux statuts variés: une reconnaissance institutionnelle
différenciée
Toutes ces écoles se définissent par opposition aux écoles traditionnelles, elles
disposent cependant d’une autonomie différenciée selon leur rapport à l’éducation nationale.69
Les écoles sous contrat d’association font parties de l’enseignement public, elles se financent
sur leurs fonds propres au travers des cotisations parentales établies en fonction du quotient
familial et du nombre d’enfants.70
Alors qu’elles revendiquent leur autonomie vis-à-vis de l’éducation nationale comme une
valeur ajoutée, qui leur confère une marge de liberté et d’action dans les moyens
pédagogiques mis en œuvre. Nombre d’entre elles affirment pourtant souffrir d’une
marginalisation et d’une absence de reconnaissance de la part de l’éducation nationale.
« Il y a une idée politique à appartenir à l’enseignement publique, une idée militante »
« Il faut savoir qu’il existe des écoles publiques et privées mais qu’au sein des écoles
publiques on trouve de l’enseignement public sous contrat simple ou en association comme
c’est la cas pour cette école et les écoles nouvelles, contrairement aux écoles Steiner ou
Montessori qui font parties des écoles privées, privées.
Il y a une idée politique à appartenir à l’enseignement publique, une idée militante de dire
que si on veut une autre société, que l’on est contre la compétition et pour l’émulation , il
est donc cohérent de militer pour une école qui développe cela.
Ce courant a été influencé par la lecture de Bourdieu mais aussi pour la psychologie de
l’enfant de Piaget.
L’hypothèse que je fais est que le choix d’être sous contrat et non pas privé privé c’est un
choix politique de ne pas se mettre en marge.
En 1983 lorsque la gauche est passée au pouvoir il y a eu une demande de se rattacher au
publique. »
Extrait entretien : directrice de l’école du Chapoly
L’ambiguïté liée à leur statut et les contradictions qui en découlent, ont des
conséquences sur le rapport au monde entretenu par les acteurs de l’institution. Marie Laure
Viaud montre dans sa thèse 71 que ces écoles ont une grande méfiance vis-à-vis de
l’administration: « L’administration scolaire est accusée d’être responsable de tous les maux
et échecs et des difficultés d’existence des écoles différentes publiques qui sont toujours hors
cadre,exceptionnelles. » L’éducation nationale est perçue comme créant des obstacles
69
Cela renvoie à l’axe vertical du graphique le sous champ des écoles nouvelles.
Annexe I pX.
71
Viaud (Marie-laure), Des collèges et des lycées différents, op.cit.
70
35
volontaires ou involontaires. Ces écoles dénoncent ainsi les tracasseries administratives dont
elles font l’objet: par exemple le refus du recteur d’académie de la mise en place d’un collège
d’éducation nouvelle à l’école du Chapoly attribué à des « querelles de cours de récréation ».
Cela conduit à une tentation de fermeture sur soi accompagnée d’un sentiment chez les
acteurs de former un monde à part qui n’a pas besoin de l’extérieur et que l’extérieur ne peut
pas comprendre.
Elle a elle-même expérimenté au cours de sa recherche empirique des difficultés à pénétrer
cet « entre soi ». Son statut de chercheuse au CNRS susceptible de porter un regard critique
sur leur travail lui a fait rencontrer de très grandes résistances, puisqu’il lui a nécessité deux
ans pour obtenir un entretien avec les responsables de ces écoles.
Par ailleurs, ce rapport de force avec l’extérieur a des répercussions au sein même du sous
champ des écoles nouvelles car « les luttes ont une logique interne mais le résultat des luttes
(économiques, politiques, sociales) externes au champ pèse fortement sur l’issu des rapports
de forces internes. »72
L’exemple de l’école nouvelle de la Source fournit une illustration de cette lutte interne:
« Des querelles de cours de récréation »
«Nous avions le projet d’un collège nouveau, il est toujours effectif nous avions obtenu
tous les fonds dans le cadre de la loi Lang qui avait mis en place le conseil de l’innovation
pour collecter les projets innovateurs….mais le recteur de Lyon ne voulait pas de ce type
d’établissement, des querelles de cours de récréation réellement ».
« Nous sommes adhérent à l’association d’éducation nouvelle, nous avons signé une
charte pour le développement de l’éducation nouvelle, à Lyon vous avez aussi l’école
nouvelle de la Rize dans le troisième, l’école et collège de la prairie à Toulouse puis à Paris
vous aviez l’école de la Source qui est partie d’une expérience autogérée.
En 83, elle a fait bande à part et négocier son statut expérimental dans le cadre du projet
Lang, ce qui ne me paraît pas très cohérent si nous oeuvrons pour l’éducation nouvelle on
a plus de poids ensemble.
Enfin cette année elle a redemandé à faire partie de l’ANEN, comme quoi… (Sourire et
soupire) »
Extrait entretien : directrice de l’école du Chapoly
L’école nouvelle de la Source s’est ainsi séparée de l’association nationale
d’éducation nouvelle (ANEN) car elle a obtenu le statut d’établissement expérimental auprès
72
Bourdieu (Pierre), Wacquant (Loïc), Réponses …pour une anthropologie réflexive, Paris, le Seuil, 1992, p72.
36
du ministère de l’éducation nationale proposée par Alain Savary73. Ce rapprochement a été
mal vécu par les autres écoles, comme un véritable « abandon ».74
Les acteurs des écoles privés qui disposent d’une plus grande autonomie n’expriment
pas ce besoin de reconnaissance et donc cette méfiance vis-à-vis de l’éducation nationale.
Ainsi, ce statut institutionnel différencié constitue un objet de lutte symbolique entre
écoles nouvelles privées et les écoles nouvelles sous contrat d’association: l’hypothèse
avancée est qu’elle prend racine dans le clivage déjà présent aux origines du mouvement
entre les partisans d’une ouverture au plus grand nombre et les partisans de la formation
d’une nouvelle élite.
Aujourd’hui cette tension se cristallise dans les choix institutionnels mais aussi dans les tarifs
pratiqués75 qui en découlent. Elle montre que le courant de l’éducation nouvelle peut faire
l’objet d’une appropriation différenciée.
La situation d’entretien ci-dessous est exemplaire de cette lutte symbolique et des usages
différenciés de l’éducation nouvelle.
Situation d’entretien76: j’ai pris soin d’apporter la plaquette de l’école nouvelle suisse de la Suisse
Romande qui se revendique du pédagogue Adolphe Ferrière, cette école dispose d’un internat et d’une
section maternelle Montessori. La plaquette insiste sur la réussite et excellence scolaire.
Après une discussion sur la dimension internationale du courant d’éducation nouvelle, je présente la
plaquette a mon interlocutrice.
« Ahhhh c’est étonnant car dès les premières lignes ils se revendiquent de
l’éducation nouvelle », elle lit « le pédagogue suisse Adolphe Ferrière développait une
vision nouvelle de l’éducation scolaire. Soucieux du développement de chaque individu
dans le respect de sa personnalité » il parle d’une « école différente basée sur des principes
humanistes » et au paragraphe suivant il insiste sur la devise « vouloir de haute lutte
devenir la meilleur »77 c’est totalement contradictoire, je vais commander cette plaquette je
vous prend la référence. Non vous devez lire la revue française d’éducation nouvelle
fondée par A. Ferrière et Cousinet, ils ne veulent pas dire çà.
Et regarder les tarifs annuels de 5000 à 13000 euros, qui peut accéder à ça. » (Les cotisations
pratiquées à l’école du Chapoly s’élèvent de 42 à 150 euros par mois, selon le quotient familial)
73
On peut noter la confusion lors de l’entretien puisque jack Lang n’était pas ministre de l’éducation en 1983.
Le ton de m’interlocutrice au cours de l’entretien a changé et a montré que cet acte de l’école de la Source
n’était pas anodin et avait fait l’objet de nombreux débats et reproches.
75
Pour plus de détails s’en référer à l’annexe I, p X .
76
Entretien réalisé à l’école du Chapoly en septembre 2005; cette situation s’est produite en fin de l’entretien a
proprement parlé, l’appareil enregistreur ayant été coupé.
77
« Vouloir de haute lutte devenir la meilleure » après vérification auprès de Suisses, la traduction en français
signifie bien en luttant devenir la meilleure.
74
37
B. L’épanouissement au service de la réussite, ou la réussite comme source
d’épanouissement
Il existe une autre variable distinctive entre ces écoles qui réside dans l’objectif
éducatif mis en avant; l’axe vertical de l’espace des écoles nouvelles permet de positionner
les écoles selon le degré plus ou moins fort accordé à l’épanouissement personnel ou à
l’excellence scolaire.
Selon les écoles, l’objectif revendiqué n’est pas le même. Ces deux éléments font
partis de l’offre éducative mais leur structure et leur volume varient en fonction de l’usage qui
est fait des méthodes pédagogiques de l’éducation nouvelle.
L’école des Roches : école pionnière et archétype de l’éducation nouvelle
L’école des Roches représente l’archétype de l’école nouvelle dans le sens où elle a
été la première école fondée en France, ce qui l’a dotée d’un fort prestige.
Tout comme l’école nouvelle de la Suisse Romande, ces établissements sont des
internats situés à la campagne, aux frais de scolarité très élevés78, qui accueillent les enfants
de la haute bourgeoisie nationale et internationale. Les méthodes de l’éducation nouvelle sont
ainsi au service de la formation d’une élite internationale avec une large place faite aux
méthodes Montessori. Néanmoins seuls quelques aspects de cette pédagogie sont retenus, à
savoir ceux qui permettent de favoriser l’autonomie et l’auto responsabilisation plus que le
rapport ludique au savoir. Monique et Michel Pinçon Charlot79expliquent que ces écoles sont
fréquentées par la Haute Bourgeoisie, dont les familles attendent que l’éducation soit le
prolongement de la transmission des capitaux familiaux. Ces écoles ont alors pour but de
conforter les expériences et les éléments de socialisation liés au milieu familial en éduquant
les esprits et les corps. Par exemple, les enfants ont déjà intériorisé un certain rapport à
l’espace dans leur lieu de vie quotidien (grands appartements), leurs voyages; ce qui a des
effets sur leur habitus et leurs représentations. Ils développent alors des rapports spécifiques à
l’espace, à autrui, à leur propre corps, au corps des autres, et à l’environnement physique et
humain dans la société.
Ainsi, les méthodes pédagogiques ne reposent pas sur l’autoritarisme des principes mais sont
au service de la responsabilisation des jeunes et de l’autogestion. Selon Michel et Monique
78
Les frais de scolarité s’élèvent pour les étudiants étrangers à 2400 euros annuels contre 700 euros par trimestre
pour les élèves de l’hexagone.
79
Pinçon (Michel), Pinçon Charlot (Monique), Sociologie de la Bourgeoisie, op.cit.
38
Pinçon Charlot, cet apprentissage a être eux-mêmes leur autorité provient du fait qu’il n’y
aura guère de personne qui leur sera supérieur.
À l’école des Roches : des maisons familiales autogérées.
« Les Rocheux sont réparties dans par âge et par sexe dans de grandes maisons familiales
spacieuses et confortables. La convivialité se fait au quotidien dans des chambres de 2 à 6
lits.
Les chefs de maison, responsables des élèves en internat sont les pivots de l’action
éducative tel le couple parental. Ils -dirigent, coordonnent, et animent une « unité de vie ».
Ils supervisent le travail scolaire en étude et stimulent les élèves en collaboration avec
professeurs et parents. Ils instaurent une ambiance chaleureuse et inculquent le vrai sens
des valeurs.
« Plus tôt l’enfant sera traité en adulte, plus tôt il le deviendra » : cette citation du
fondateur Edmond Demolins illustre une autre originalité de l’école : ici pas de pions. »
Extrait de la plaquette promotionnelle de l’école des Roches, 2005.
Néanmoins, il est intéressant de signaler que l’élite formée à l’école des Roches a
évolué et s’est transformé afin de s’adapter au contexte actuel. La devise de l’école « bien
armés pour la vie » a fait l’objet d’une réappropriation et d’une redéfinition: alors qu’au XIX
siècle pour son fondateur Edmond Demolins elle signifiait « offrir aux grands capitaines
d’industries une école adaptée à leurs besoins et à l’avenir de leurs enfants » 80, la direction
actuelle lui prête un autre sens plus en phase avec les valeurs dominantes, celui de former
des « citoyens du monde ».
En effet, l’école des Roches tout en respectant ses principes éducatifs originels est
« désormais considérée comme un lieu de rendez vous de la « jet-set » internationale, elle
accueille aux côtés de nombreux enfants de parents divorcés quelques figures princières tels
que les deux fils de la Reine Magrethe et du prince consort Henrick du Danemark ».81 Cette
internationalisation croissante a été la solution trouvée par l’école pour se sortir d’un risque
de dépôt de bilan en 1987. Redressée par un comité d’anciens élèves grâce à l’intégration
d’un cursus international dans le cadre d’une section français langues étrangères (F.L.E)82.
80
Extraits d’articles de la thèse en cours de Duval Nathalie, doctorante en Histoire à l’université de Paris IV sur
L’école des Roches dirigée par J.-P Chaline. (Ils m’on été envoyés par Nathalie Duval).
81
Ibidem.
82
Elle accueillait en 1998 plus de trois cents élèves dont cent vingt neuf étrangers venant de quarante pays
différents.
39
« Une pédagogie de la réussite » au service de l’épanouissement personnel
Les écoles nouvelles sous contrat avec l’éducation nationale, sont pour la plupart
sans internat et situées dans les zones résidentielles urbaines des grandes villes (Paris, Lyon,
Toulouse), elles axent leurs objectifs pédagogiques sur « l’épanouissement personnel ».
Les méthodes de l’éducation nouvelle sont utilisées pour favoriser la construction de la
personne. Ainsi, les différents pédagogues font l’objet d’une appropriation différente selon les
écoles qui élabore chacune un projet pédagogique qui peut se définir comme la synthèse des
méthodes et concepts pédagogiques retenus. L’élément clé qui est commun à l’ensemble des
projets est la centralité de l’enfant. Les outils pédagogiques ont alors pour fonction de
contribuer à créer les conditions favorables au développement de l’apprentissage et à la
promotion de l’intelligence de l’enfant. Le postulat de départ s’enracine dans l’idée que le
mode de vie de l’enfant est heureux, dès lors l’école nouvelle doit contribuer à
l’épanouissement personnel des enfants.
« Le mode de vie des enfants est un mode de vie heureuse »
« L’école est un lieu d’apprentissage et de savoir dans lequel on est heureux de
vivre. C’est ça une école nouvelle. Ce n’est pas seulement un lieu de vie comme certaines
écoles parallèles le défendent. L’école nouvelle est un lieu d’apprentissage et de savoir où
les enfants gardent ou retrouvent la satisfaction du besoin de savoir et de communiquer qui
sont les besoins essentiels de l’être humain (outre bien sûr de manger, boire et dormir…) et
comme la satisfaction de tous les besoins, cela se fait dans le bonheur ! »
Extrait du projet pédagogique de l’école de la Prairie.
La réussite scolaire est bien sûr présente, mais elle n’est pas affichée comme l’objectif
éducatif prioritaire, elle est considérée comme découlant du bien être de l’enfant: être un
enfant épanoui serait le préalable à la réussite scolaire. D’ailleurs, pratiquer « la pédagogie de
la réussite » consiste non pas à favoriser l’excellence scolaire au sens premier du terme mais
est défini par les enseignants comme le regard porté sur l’enfant qui se doit d’être toujours
positif, les erreurs sont à ce titre source d’apprentissage « Lorsque je suis rentrée à la Prairie
Marie de Vals (fondatrice de la Prairie) m’a dit « n’oublie jamais que le regard positif que tu
peux poser sur l’élève, c’est ça la pédagogie de la réussite ».83
83
Intervention d’une enseignante lors d’une conférence avec Marie de Vals et Suzanne Saisse à l’école de la
Prairie publiée sur le site Internet de L’ANEN (www.anen.fr). 2003.
40
Cette mise en valeur des potentiels et des richesses au travers de l’épanouissement personnel
de chaque enfant est en adéquation avec les aspirations de l’idéologie libérale qui sont selon
Monique et Michel Pinçon-Charlot84prédominantes dans les milieux supérieurs. L’originalité
d’un individu libre y est revendiquée, ils sont ainsi habités par l’objectif de la réalisation
individuelle et de l’affirmation de soi. « L’individu est sommé d’être lui-même de s’inventer,
de construire son identité à travers tous les possibles, à travers un nouveau système de
normes qui incitent chacun à l’initiative individuelle en l’enjoignant à devenir lui-même. »
La deuxième partie de cette recherche tentera de monter comment les présupposés de ces
pédagogies correspondent à ce nouveau système de valeurs.
Ecole des Roches
Ecole de la prairie
Situation
géographique
Parc de 60ha, en Normandie.
Quartier résidentiel de
Toulouse.
Pédagogues référents
Edmond Demolins.
Cousinet, Oury, Freinet
Public accueilli
Vision de la réussite
Quarante nationalités « village -Enfants de Toulouse et
mondiale »
environ, élèves de nationalité
anglaise, taiwanaise,
Réussir : une pédagogie de
Dans une classe « éducation
l’excellence
nouvelle » si l’objectif majeur
Tous les moyens sont mis en demeure la construction de la
œuvre pour valoriser le personne, le but à court terme
potentiel de chaque enfant de est sa meilleure réussite
l’accompagner
efficacement scolaire possible en tant
dans son parcours scolaire.
qu’élève
Sources : extraits des plaquettes pédagogiques 2005/2006 de deux écoles.
L’éducation nouvelle a ainsi fait l’objet d’une adaptation en fonction de l’idéologie
dominante, elle s’est cependant renouvelée et transformée toujours en gardant en substrat la
revendication de former des individus différents, en se situant en avant-garde de l’éducation
nationale.
Or, l’école se caractérise avant tout par la relation pédagogique85: en quoi la relation
pédagogique revendiquée par ces écoles est-elle avant-gardiste ?
84
85
Pinçon (Michel), Pinçon Charlot (Monique), Sociologie de la Bourgeoisie, op.cit.
De Queiroz (Jean-michel), L’école et ses sociologies, op.cit, p.6.
41
Section 2 : une relation pédagogique « innovante»
L’objet de cette section est de s’interroger sur les spécificités d’une relation
pédagogique qui est revendiquée par ces écoles comme innovante dans l’interaction
maître/élève: ces écoles défendent une absence de hiérarchie, un rapport d’autorité qui se veut
atténué, une égalité entre enseignant et élève lors des décisions prises en assemblée. Il
convient de s’interroger sur les caractéristiques d’une relation pédagogique qui entend faire
de l’enfant l’acteur de son éducation.
Le caractère innovant de cette relation pédagogique peut se mesurer après un détour
préalable par les fondements théoriques de la relation pédagogique et cela afin de rappeler
que tout discours pédagogique même le plus contestataire engendre une entreprise 86 de
normalisation pratique. Une comparaison avec la relation pédagogique dite « traditionnelle »
en s’appuyant sur la classification établie par Basil Bernstein permet de dévoiler les
mécanismes sociaux à l’œuvre dans cette interaction tout en gardant la distance scientifique
nécessaire pour ne pas reprendre le discours des acteurs sur leurs pratiques.
I. Les fondements théoriques de la relation pédagogique
Les fonctions de la pédagogie rappelées en introduction ont permis de mettre l’accent
sur l’articulation de cette dernière avec la société qu’elle soit visible ou non et sur le lien
qu’elle entretient avec la notion de pouvoir. Dès lors, les rappels de la dimension socialement
construite de la perception de l’enfance et des caractéristiques par lesquelles s’exprime le
pouvoir pédagogique, sont des préalables à l’analyse de cette interaction spécifique.
A. La construction sociale de l’enfance
L’école signifie « rapport pédagogique », il n’y a de pédagogie au sens strict que là où
existe « l’enfance ».87
La définition de l’enfance est historiquement et socialement située, Philippe Ariès88 repère
l’invention de l’âge de l’enfance à partir du XVIème siècle dans les couches supérieures de la
86
Hameline (Daniel), « le statut de la pédagogie », op.cit. p.727.
De Queiroz (Jean-michel), L’école et ses sociologies, op.cit, p.6.
88
Ariès (Philippe), L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Plon, 1960.
87
42
société où l’enfant se spécifie et s’individualise, et c’est autour de la figure de l’enfant
qu’émerge la famille moderne. En effet, au cours des siècles qui vont suivre la scolarisation
croissante va contribuer à renforcer et institutionnaliser le sentiment de l’enfance. A la fin du
XIX siècle, le mode de production scolaire devient prédominant dans l’économie de la
famille, ce qui suscite l’émergence d’un capital scolaire servant à légitimer les positions
respectives des enfants dans l’espace social.
L’école a profondément modifié le rapport à l’autorité, car elle a contribué à la
constitution d’un individu autonome entre l’école et sa famille. C’est cette extériorisation du
destin de l’enfant hors du carcan familial qui a conduit à une modification du rapport à la
famille au sort de l’enfant. Loin de se désintéresser de l’avenir de l’enfant, François de Singly
montre que la famille moderne tente de contrôler le destin scolaire en recherchant par
exemple la meilleure école possible « une partie des parents rêvent d’une école qui offrirait à
la fois réussite de l’enfant et l’épanouissement personnel. »89
L’école est aussi le lieu où s’exprime de manière la plus institutionnalisée le rapport
pédagogique. La relation pédagogique est une forme inédite de relation sociale entre le maître
et l’enfant qui s’individualise. Elle s’autonomise des autres relations sociales au travers de la
soumission à des règles impersonnelles qui unit entre eux différents éléments (un maître, un
élève, un lieu distinct des autres activités sociales, un temps, un calendrier spécifiques) pour
lui donner « forme » dans une structure inédite : l’institution scolaire.90
L’école se caractérise ainsi par le mode de domination moderne qui s’exerce au
travers des « systèmes objectifs »: c'est-à-dire d’institutions extérieures aux personnes et
indépendantes d’elles. L’invention de la forme scolaire participe a l’émergence d’un nouveau
mode de subjectivation : une personne individuelle dont l’économie psychique est tout à fait
originale. La scolarisation scolaire s’intègre à ce grand mouvement de subjectivation scolaire
qui forme un individu moderne double: à la fois rationnel puisqu’il appartient à la
communauté abstraite d’une société démocratique d’égaux et à la fois unique
puisque
incommensurable et à nul autre pareil.
Par ailleurs, la pédagogie renvoie aussi à une certaine idée de l’homme qu’elle entend
former et qui est modelée par les perceptions et formes de traitement de l’enfance dans la
société à un moment donné. Pour atteindre cet objectif, la relation pédagogique peut
s’appréhender comme une relation de pouvoir qui entend transmettre un certain arbitraire
culturel, qui contient justement cette idée de l’homme à former.
89
90
Singly (François), Enfants adultes: vers une égalité de statut ? Paris, Universalis, 2004, 194p.
De Queiroz (Jean-michel), L’école et ses sociologies, op.cit, p.7.
43
B. Le pouvoir pédagogique.
Néanmoins cette forme inédite de relation sociale qu’est la relation pédagogique est
aussi une relation de pouvoir91.
En effet, l’action pédagogique est celle qui va exercer l’influence la plus profonde et la plus
durable sur la personnalité culturelle des individus, parce qu’elle transmet au travers d’un
capital d’information, les principes agissants d’une formation. Elle va différer des actions
d’influence ponctuelles ou sporadiques en ce qu’elle réussit à inculquer aux individus un
ensemble organisé de schèmes de perception, de pensée et d’action qui même lorsque les
connaissances transmises se sont effacées, continue à faire sentir ses effets dans les
comportements sous forme d’une disposition générale, durable et transposable, c'est-à-dire
l’habitus. Ce travail d’inculcation selon Pierre Bourdieu doit durer assez longtemps pour
produire une formation durable: « c'est-à-dire un habitus, résultant de l’intériorisation des
principes de l’arbitraire culturel capable de se perpétuer après la cessation de l’autorité
pédagogique et par là de perpétuer dans les pratiques les principes de l’arbitraire
intériorisé. » 92
L’éducation scolaire constitue une des formes les plus institutionnalisées, de l’action
pédagogique, qui s’exerce d’abord dans la prime éducation familiale et plus généralement
dans tous les systèmes sociaux disposant de moyens organisés pour inculquer à leurs
membres les principes de leur culture.
Le pouvoir pédagogique ne peut s’appréhender sans l’exercice d’une autorité pédagogique et
la transmission d’un arbitraire pédagogique. En effet, la plupart de ce qui est objet de
pédagogie dans les sociétés humaines peut être considéré comme arbitraire en ce sens que la
plupart des messages pédagogiques ne recèlent pas en eux-mêmes une force biologique ou
logique susceptible d’expliquer qu’ils parviennent à s’imposer à l’esprit des récepteurs
comme naturels. Ainsi toute relation pédagogique suppose un rapport de force et présente la
particularité de ne pouvoir produire ses pleins effets sociaux qu’à condition de ne pas
apparaître comme tel. Cela suppose que ceux qui reçoivent l’influence pédagogique croient à
la légitimité tant des émetteurs que du contenu du message pédagogique. Comme le souligne
91
Passeron (Jean-Claude), « Le pouvoir pédagogique » in Pédagogie, Encyclopedia Universalis p.731-733.
Bourdieu (Pierre), La reproduction, éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, les éditions
de minuits, 1970.
92
44
Jean-Claude Passeron 93 la fonction la plus importante du travail pédagogique n’est pas la
fonction d’endoctrinement mais celle de sélection culturelle et sociale que rendent possible
tout un ensemble de relations enclenchées entre les méthodes pédagogiques et la structure des
inégalités de capital culturel au sein de la société. Les liens de solidarité qui unissent un type
déterminé de pédagogie et les intérêts de certains groupes ou de certaines classes tiennent par
conséquent à des réalités plus subtiles que le contenu et les orientations explicites des
programmes.
Ces fondements théoriques permettent de mettre en lumière un paradoxe: l’une des idées
véhiculée par le sens commun au sujet de ces écoles est l’absence d’autorité et la négation de
l’imposition d’un savoir préconçu.
Or, toute relation pédagogique suppose l’exercice d’une autorité pédagogique et la présence
de certaines valeurs renfermées dans l’arbitraire culturel qui forme le contenu du message
pédagogique transmis. Pour Pierre Bourdieu, la négation de l’autorité pédagogique est le
propre de toute éducation libérale94 et ce serait céder aux discours des acteurs que de conclure
sur l’absence de relation de domination, ne serait-on pas plutôt en présence d’une autorité
pédagogique invisible parce qu’intériorisée au préalable par les récepteurs ?
II. Un rapport pédagogique « invisible » aux effets sociaux visibles
Le rapport pédagogique peut être qualifié « d’invisible » dans le sens où l’existence de
rapport d’autorité est nié ou plutôt revendiqué comme absent par les acteurs de l’institution.
Or, il n’y a pas de pédagogie libertaire c'est-à-dire de relations pédagogiques d’où l’autorité
serait complètement absente. Il existe plusieurs manières d’exercer une influence
pédagogique: leaderships autoritaire et démocratique95. Néanmoins, cette négation suppose
que pour exercer ses pleins effets sociaux la relation pédagogique doit s’établir au travers
d’une relation enchantée entre l’enseignant et l’enseigné qui suppose au préalable une
proximité sociale et culturelle.
Le dévoilement des mécanismes de la relation pédagogique tels que revendiqués et pratiqués
par les écoles nouvelles peut s’appuyer sur les travaux théoriques de Basil Bernstein 96 sur la
93
Passeron (Jean-Claude), « Le pouvoir pédagogique », op.cit, pP732.
Bourdieu (Pierre), La reproduction, éléments pour une théorie du système d’enseignement,op.cit.
95
Lippit R, Whyte R.K, « An experimental theory of leadership and group life” ,in Swanson R., Newcomb P.,
Hartley S. dir., Readings in social psychology, New York.1957.
96
Bernstein Basil, Classes et Pédagogie, Paris, OCDE, 1975.
94
45
pédagogie. Il établit une comparaison entre les pédagogies traditionnelles qu’il qualifie de
« visibles » et les pédagogies modernes ou « invisibles ».
Selon lui, la pédagogie traditionnelle suppose l’existence d’ « un code sériel » (programmes
nettement définis, disciplines bien séparées les unes des autres) alors que les pédagogies
modernistes supposent l’existence d’un « un code intégré » (décloisonnement des disciplines
afin de développer l’intérêt des élèves en ouvrant l’école sur l’extérieur). Ces deux codes ont
des implications sur l’exercice du rapport pédagogique. Il convient de rappeler la valeur
heuristique de ces variables qui permettent de former des idéaux types de l’offre éducative
afin d’en faciliter la compréhension.
A. Les spécificités d’une « pédagogie invisible »
Pour Basil Bernstein l’organisation même de l’école et le fonctionnement de la classe
sont aussi à prendre en compte afin de dégager les fondements de la relation pédagogique.
Les premières spécificités de la relation pédagogique apparaissent dans l’organisation même
de l’école et dans le fonctionnement de la classe. Le caractère d’apparence permissif et libéral
de ces classes repose en réalité sur l’existence d’un système de normes autour duquel les
pratiques pédagogiques vont s’articuler.
Le fonctionnement d’une classe travaillant selon les pédagogies nouvelles présente une
organisation souple, peu codifiée, différenciée et fluctuante. Les règles de vie sont négociées
au cas par cas, ce qui rend difficile d’en délimiter les contours. Cette souplesse de
l’organisation des relations se retrouve aussi dans la faible délimitation des domaines de
savoir. Cette invisibilité de l’organisation ne peut fonctionner que si elle repose sur une idée
intégratrice qui soude les éléments entre eux. Basil Bernstein parle dans ce sens d’un
curriculum ouvert 97 c'est-à-dire des principes qui gouvernent la sélection des matières
scolaires et les relations entre elles. L’élément constitutif est alors plus une idée de nature
supra disciplinaire qui gouverne les relations entre les matières d’enseignement.
Sa mise en opposition avec le curriculum fermé des pédagogies traditionnelles permet
d’en saisir les spécificités:
97
Bernstein (Basil), « Ecoles ouvertes, société ouverte ? » in Forquin (Jean-Claude), dir., les sociologues de
l’éducation américains et britanniques, Paris, De Boeck université, 1997.
46
« Pédagogie visible, traditionnelle » :
curriculum fermé
-processus d’apprentissage :
homogénéité des élèves.
peu
d’autonomie,
« Pédagogie invisible, moderniste » :
curriculum ouvert
- processus d’apprentissage : plus d’autonomie à
l’élève, singularité mise en avant
-codes séries
-code intégré
-Aucun contenu ne sera ouvert
-contenus subordonnés à une conception d’ensemble
qui est elle-même sujette à changement.
-Relation pédagogique tend à être hiérarchique et
ritualisée
-relation
pédagogique
autorégulatrice,
transformation de la relation d’autorité maître/élève.
Relation horizontale
-Apprenti est considéré comme un ignorant
-vision de l’ordre social : propriétés privées, des
clôtures symboliques
-monopole : distinction entre les élus et les exclus.
-ordre fait l’objet d’une construction délibérée mais
où il existe un consensus sur l’idée intégratrice pour
qu’elle prenne corps, critères d’évaluation clairs.
-plus grande ouverture : l’amoindrissement des
frontières entre le monde familial et scolaire et l’idée
de mélange des catégories.
Il ressort après confrontation avec l’offre pédagogique de ces écoles, une très forte
correspondance entre les principes théoriques du « curriculum ouvert » et les principes
directeurs de l’offre éducative des écoles nouvelles. Il convient ainsi de rapprocher le
« curriculum ouvert » du projet pédagogique, c'est-à-dire le codé sérié autour duquel va
s’articuler les méthodes pédagogiques. Il en découle un certain nombre de conséquences sur
les spécificités de la relation pédagogique mais aussi sur la conception plus large de la société
sous tendue par ces pédagogies modernistes.
Basil Bernstein montre ainsi que l’émergence des pédagogies modernistes en
Angleterre est aussi le reflet de changements au niveau de l’ordre social: l’intégration sociale
s’effectue désormais par le biais de rôles individualisés, spécialisés et interdépendants où les
enseignés et enseignants sont considérés comme des individus. Le rapport à l’autorité s’en
trouve aussi modifie car la négociation et la conciliation des divergences sont préférées à la
punition, ce qui est présent au sein des écoles nouvelles sous la forme de cours de gestion des
conflits.
Par ailleurs, cela induit aussi des changements en qui concerne le curriculum, la
pédagogie, les modalités didactiques des élèves, la transmission des compétences et formes
de sensibilité.
47
La présence d’un code intégré suppose une faible délimitation des domaines tant en ce qui
concerne l’organisation logique du savoir que dans l’organisation des relations sociales à
l’intérieur de l’école. Ainsi, la relation d’apprentissage est qualifiée d’autorégulatrice et
horizontale car elle laisse plus de liberté à l’élève. Il en résulte un assouplissement du système
de découpage qui règle la relation entre enseignant et enseigner, un accroissement des droits
de l’enseigner et un affaiblissement des séparations entre ce qui peut et ce qui ne peut pas être
enseigné.
Tableau récapitulatif de l’offre pédagogique de ces écoles
Organisation de
Une organisation souple, peu codifiée, fluctuante et évolutive
l’école ;
Rapport au
travail :
Relation
pédagogique
Le travail est conçu comme une activité ludique, créative, exigeant aux
individus de s’exprimer de manière personnelle, de développer et illustrer une
idée.
Si échec= inadaptation au projet scolaire (La source)
Interdisciplinarité : rapport d’actualité, participation citoyenne, jeux ludiques
avec expérimentation.
Dosage entre un travail autonome et en groupe qui requièrent une
responsabilisation et se concrétisent par une autoévaluation
Donner du sens à son travail, l’interpréter et être satisfait de son travail
Peu de règles de travail, peu de formalisation et encadrement des activités, les
règles sont négociées et évolutives.
Enfant : agent de sa propre éducation
Enseignant : un guide, un accompagnateur
Pas de rapport d’autorité : tutoiement de rigueur : ce qui suppose une
intériorisation de la contrainte.
Négociation et contractualisation avec l’enseignant.
Possibilité d’interpellation et de questionner le personnel
Travail sur les émotions : maîtrise, et expression.
Gestion des conflits : cours et assemblée de discussions pour en parler en
groupe.
Rapport au corps : mise en scène par le théâtre, danse, cirque,
Alimentation : jardinage, production de sa nourriture
Rapport à son école
Collaboration, négociation des règles de vie
Contact avec la nature, de part le cadre privilégié de l’école
Rapport aux autres
Pairs : coopération, conseil au niveau lycéen d’harmonisation de la vie
collective
Fort sentiment d’appartenance (association d’anciens élèves, un entre soi)
Rapport à soi
Rapport à l’avenir
Individualisation du parcours au travers de l’élaboration d’un projet
d’orientation
Fenêtre sur le monde, ouverture : participation citoyenne, éducation du
XXIème siècle
Sens de la responsabilité
48
Rapport à
l’international
Rapport aux
Jumelage avec de nombreuses écoles : Afrique, Inde, Angleterre.
Diversité des langues pratiquées : souvent section européenne, chinois.
Dialogue, remise en question
Coresponsabilité des parents dans l’éducation
Participation au conseil d’administration dans certaines écoles, ils sont
représentés dans des commissions.
Ils sont organisés au sein d’associations de parents d’élèves, structurées.
parents
B. Un rapport d’autorité « atténué »
Cette pédagogie « invisible » engendre des conséquences sur la relation pédagogique
et sur la manière dont s’exerce l’autorité, celle-ci par le caractère horizontal et autorégulateur
qu’elle revêt peut apparaître comme « atténuée ».
Les variables établies par Philippe Perrenoud98 permettent d’en spécifier les modalités:
-Chacun est supposé savoir ce qu’il doit faire, il n’y a donc pas besoin de donner de consignes,
cela suppose une autonomie obligatoire des élèves, auxquels on demande par exemple de
gérer leur emploi du temps, d’utiliser le maître ou la documentation comme ressource afin de
construire et mener un projet personnel.
-Les limites sont mouvantes et ambiguës ; il n’existe pas de séparation claire entre le jeu et le
travail puisque le travail doit être vécu comme un jeu.
-Les relations sont vécues comme égalitaires puisque les enfants ont le droit d’interpeller le
comportement de leurs camarades tout comme celui des enseignants lors des conseils de vie
de classe99.
Un système de normes implicites
L’absence de règles de conduite absolues et préétablies implique que les enfants
doivent respecter un « code de déontologie 100 »: autodiscipline, autonomie, individuation,
valeurs de solidarité, respect mutuel, qui suppose une intériorisation préalable pour ne pas
apparaître comme contraignant. Ce qui dans le même temps conduit à perpétuer dans le sens
commun cette image d’une éducation libérale.
98
Perrenoud (Philippe), la pédagogie à l’école des différences, op.cit, p.113-114.
Selon les écoles, il prend une appellation différente: assemblée, grand conseil, conseil de vie.
100
Il sera approfondi au cours de cette section.
99
49
« Au début je croyais que c’était une école avec beaucoup plus de libertés »
« Je me rappelle d’un moment qui m’a marqué c’était lors d’un conseil d’élèves
pour régler un conflit, c’était impressionnant comme chacun a sa place bien précise et
puis surtout il y a une cloche qui doit être sonnée par les enfants si ils souhaitent prendre
la parole.
Et en fait je dois dire que au début de mes interventions j’avais cette image peut être
un peu idéalisée d’une école très libre avec peu de règles et de contraintes, avec beaucoup
plus de libertés. Mais au cours de mes interventions je me suis rendue compte qu’il y avait
tout un système de code à respecter. Par exemple, lors d’un de ces conseils, un enfant a
oublié de sonner la cloche pour prendre la parole, personne ne l’a écouté, tout a continué
normalement… ça peut paraître rien mais pour moi ça a été une prise de conscience que si
il y avait beaucoup de règles.
Observation rapportée par une intervenante en arts plastiques à l’école du Chapoly
101
Cet exemple illustre la présence d’une forte intériorisation de la norme et du respect
des règles qui régissent le fonctionnement des méthodes d’apprentissage. Cela rejoint ce que
montre Pierre Bourdieu dans La reproduction à savoir que tout rapport pédagogique suppose
l’existence d’une autorité pédagogique qu’il définit comme étant « objectivement une
violence symbolique, un rapport de force qui sont au fondement d’un pouvoir arbitraire qui
est l’imposition et l’inculcation d’un arbitraire culturel selon un mode arbitraire
d’inculcation et d’imposition (éducation). »102
Pour lui les contestations les plus radicales d’un pouvoir pédagogique s’inspirent toujours de
« l’utopie autodestructrice d’une pédagogie sans arbitraire qui accorde à l’individu le
pouvoir de trouver en lui-même le principe de son propre épanouissement ». Or, toutes ces
« utopies » constituent un instrument de lutte idéologique pour les groupes qui à travers la
dénonciation d’une légitimité pédagogique visent à s’assurer le monopole de mode
d’imposition légitime.
Il n’existe pas selon lui d’autorité pédagogique culturellement libre qui échapperait à
l’arbitraire. Seulement dans les méthodes plus douces d’autorité « la vérité objective est plus
difficile à percevoir mais toute action pédagogique dispose d’une autorité pédagogique. »
Dès lors l’absence en surface d’une forme de hiérarchie, de contraintes et de sanctions à
l’égard des élèves laissent présupposer une forte affinité et proximité sociale entre les élèves,
leurs parents et les enseignants.
101
102
Entretien effectué avec une art thérapeute qui est intervenue à l’Ecole du Chapoly en 2003 (février 2006)
Bourdieu (Pierre), La reproduction, éléments pour une théorie du système d’enseignement, op.cit, p.85.
50
« L’effet d’imposition symbolique qu’exerce l’institution scolaire atteint son accomplissement
lorsque la structure des contenus que le système scolaire est chargé de transmettre est en
accord avec les structures mentales des maîtres chargés de la transmission et des élèves
auxquels est adressé le message (…) le miracle de l’efficacité symbolique s’abolit si l’on voit
que cette véritable action magique d’influence ou le mot n’est pas trop fort de possession ne
réussit que pour autant que celui qui la subit contribue à son efficacité qu’elle ne contraint
que dans la mesure où il est prédisposé par un apprentissage à le reconnaître. » 103
Par ailleurs, Basil Bernstein104 établit une typologie qui permet de distinguer les différents
modes de contrôle social 105 : la relation pédagogique dans les écoles nouvelles peut
s’appréhender au travers du type des « incitations personnelles » qu’il définit comme « étant
des incitations centrées sur l’enfant en tant qu’individu plutôt que sur son statut formel, et
tiennent compte des dimensions interpersonnelles ou des dimensions individuelles des
relations sociales (…) la norme est en quelque sorte constituée par l’enfant qui opte pour elle
une fois données la situation et son explication. Là où les formes de contrôle sont
personnelles, l’enfant peut accéder à des ordres entiers d’apprentissage (…) chaque enfant
apprend la norme dans un contexte qui lui est personnellement adapté. »106 Ce type a des
implications sur les relations entre système de règles et pouvoir qu’il conduit à atténuer.
Ainsi, il semble qu’il existe certaines conditions sociales pour que la relation pédagogique
fonctionne car la négation du rapport d’autorité présuppose une intériorisation de la contrainte
et de l’arbitraire culturel transmis lors de la relation pédagogique.
Cette absence tout au moins apparente de hiérarchie invite alors à s’interroger sur les
modalités de sanction, de transgression ?
103
Bourdieu (Pierre), La reproduction, éléments pour une théorie du système d’enseignement, op.cit.
Bernstein (Basil), Langages et classes sociales : codes socio-linguistiques et contrôle social, Paris, Editions
de minuit, 1995, p.213.
105
Bien que sa recherche porte sur l’analyse de la socialisation familiale, il affirme qu’il est possible de
l’appliquer à toute situation d’inculcation.
106
Bourdieu (Pierre), La noblesse d’état, grandes écoles et esprit de corps, op.cit .p.126.
104
51
C. Les modalités de contrôle : évaluation et sanction
L’évaluation se traduit traditionnellement par la notation de l’enseignant sur le travail
effectué: au niveau primaire l’autoévaluation se substitue à la notation traditionnelle jugée
stigmatisante. Le contrôle des comportements est médiatisé par la sanction ou la punition
lorsqu’il y a transgression de la règle.
Or, les pédagogies nouvelles revendiquent une négociation de la règle et des normes avec les
enfants, et l’évaluation par les notes est pratiquement absente au niveau du primaire.
Quelles sont alors les implications de telles modalités de contrôle ?
la prédominance de l’autoévaluation
Dans le système traditionnel, les exigences pédagogiques de l’enseignant sont
objectivées dans les notes, qui constituent aussi à l’extérieur de sa classe une des rares
manifestations tangibles de son activité pédagogique. La note vient consacrer la valeur sociale
de l’élève : la compétition autour des notes représente un apprentissage de la compétition
sociale à laquelle sont promis les élèves.107
Or l’un des principes de ces écoles est la primauté donner à l’autoévaluation par rapport au
système de notation traditionnel qui est quasiment absent au niveau du primaire.
Les modalités du contrôle du travail sont avant tout basées sur la confiance. Elles
présupposent que l’enfant ait intégré que l’appréciation du professeur n’est pas une remarquesanction mais une invitation à progresser: l’enfant a ainsi l’obligation d’être autonome pour
s’autocorriger sans que constamment un maître le surveille. La présence de cette confiance se
manifeste aussi chez les parents par le fait qu’ils acceptent de renoncer au contrôle du travail
de leurs enfants par les notes.
Par ailleurs, cette méthode d’évaluation présuppose un certain rapport de l’élève à son
travail très individuel et autonome, puisque l’enfant doit avoir intégré et ce dès son plus jeune
âge que son travail est pour son bien être personnel et va déterminer sa vie future.108
107
Beaud (Stéphane), Weber (Florence), « Des professeurs et leurs métiers face à la démocratisation des lycées »,
Critiques sociales, n°3-4, novembre 1992, p59-119.
108
On peut se référer au tableau récapitulatif de l’offre pédagogique de ces écoles.
52
Cette absence d’évaluation est revendiquée comme une volonté de s’opposer à la sélection
scolaire sous toutes ses formes et particulièrement par les notes qui hiérarchisent les élèves et
stigmatisent ceux déclarés en échec. A ce titre, les enseignants pratiquent la « pédagogie de la
réussite » dont l’esprit consiste à gommer les écarts afin de trouver chez tous quelque chose
de positif et de mettre en évidence le progrès de chacun plutôt que son rang dans la hiérarchie.
Le livret et les notes: des outils de stigmatisation
« Il n’y pas de livret scolaire qui est dans l’école classique un outil de stigmatisation, par
exemple si cet élève est classé et annoté comme polisson cela va le suivre comme un
stigmate durant tous son parcours scolaire.
Il y a bien sûr des évaluations et beaucoup de travail autocorrectif, c est à dire que l’enfant
évalue là où il doit progresser, c’est encore l’esprit la façon dont il vit les choses, la note si
il a « 2 » ne pas voir comme une sanction mais une indication de là où il doit faire des
efforts.
Il y a bien sur une volonté d’exigence mais en faisant que ce soit l’enfant qui est envie
d’apprendre et de se dépasser pour s’épanouir. »109
Des sanctions « pédagogiques »
Les sanctions peuvent être qualifiées de pédagogiques dans le sens où elles doivent
présentées une vertu pédagogique c'est-à-dire être source d’apprentissage pour l’enfant.
Lorsqu’elles surviennent, elle ne sont pas sanctionnées selon un code préétabli mais donnent
plutôt lieu à un discours interprétatif, à une casuistique individuelle qui essaie de donner un
sens à chaque conduite en fonction de l’élève et de ce qu’il a fait. Les sanctions sont rares et
ne visent jamais un objet d’apprentissage comme recopier une dictée ou une poésie à la suite
de fautes d’orthographe commises. Elles sont d’ordre moral et évitent de punir car elles visent
à faire prendre conscience de la responsabilité par exemple en insistant sur les dommages
causés à autrui ou sur un matériel commun.
« Parfois des sanctions sont nécessaires ; dans ce cas ce qui est objet d’apprentissage
ne doit pas servir de sanction car cela risquerait de remettre en cause le goût d’apprendre
(…) Les sanctions respectent certains principes, notamment répondre au principe de
109
Entretien avec la directrice de l’école du Chapoly.
53
réparation, être prévues, contractuelles et du seul ressort des adultes, être progressive, ne
pas être vexatoires, être individuelles, sauf exception justifiée. »110
« Le règlement est reconnu et signé en début d'année par élèves et parents, c'est un
contrat. Il n'est pas élaboré par les seuls élèves car il y a aussi des contraintes externes à
respecter (et ceci a été le cas dès l'origine de La Source, c'est un point sur lequel R.
Cousinet insistait beaucoup).
En revanche, les élèves peuvent en discuter, proposer des modifications, des évolutions,
ceci se fait en conseil de niveau où deux délégués représentent chaque classe.
En cas de transgression, l’élève est d'abord alerté et rencontre son professeur principal ou
le coordinateur de cycle.
Au Collège : Une sanction peut s'ensuivre mais ce n'est pas systématique. Dans la mesure
du possible, les sanctions sont des réparations.
Au Lycée, un permis citoyen (avec des points) est remis aux élèves en début d'année. A
l'école, le système des ceintures (Oury) permet à l'élève de mesurer où il en est. »111
La rareté des sanctions est justifiée au sein des écoles par la préférence et l’importance
donnée à la responsabilisation de l’enfant. Au-delà de cette explication par le discours des
acteurs, il semble qu’elle découle plutôt de l’intériorisation préalable du cadre et des
contraintes de la part des élèves. Une expérience recueillie lors d’un entretien avec un parent
d’élève illustre qu’une punition qui sort du cadre du « code de conduite » intériorisé par
l’enfant, peut déstabiliser profondément son univers de référence.
«La maîtresse de ma fille a du partir en congés maternités et a été remplacée par
une autre enseignante, comme ils ont fait avec celle qu’ils ont trouvé. Elle n’était pas
forcément acquise aux méthodes de l’éducation nouvelle, ce qui a bouleversé les enfants
notamment ma fille.
Ils doivent préparer chaque semaine une dictée et apprendre une poésie mais là encore ils
le font si ils le souhaitent.
Lors de la dictée ma fille a fait des fautes, la maîtresse l’a punit en lui demandant de
recopier cinq fois la dictée, elle a encore fait des fautes. Et là drame, cette nouvelle
maîtresse l’a privé de récréation, c’était vraiment le drame car ils ne sont pas habitués du
tout à ce type de sanction. »
Extrait d’entretien avec parent d’élèves de l’école de la Prairie.
110
111
Extrait des principes de vie collective de l’école de la Source annexe I, p.X.
Ibidem.
54
La taxation de « déviant » du comportement d’un élève est médiatisée par le système
de normes de comportements défini par les enseignants comme étant en adéquation avec le
projet pédagogique. Car même si ces derniers revendiquent l’absence d’évaluations ou de
sanctions stigmatisantes; cela n’exclut pas qu’ils procèdent à des actes classificatoires qui
définissant des schèmes générateurs de classement et de pratiques classables 112 . Ils
s’objectivent dans la définition de l’enfant113 requise pour que cette pédagogie puisse exercer
ses pleins effets sociaux. Il existe ainsi un système d’inclusion/ exclusion puisque les exclus
de ce système sont taxés « d’inadaptés, inadéquats au projet pédagogique. »
« L’échec (…) des dossiers inappropriés au projet pédagogique était quasi
prévisible. »
« Les terminales S qui l’année dernière avait touché les 100%, on t obtenu seulement 71%
de réussite (moyenne départementale : 87%), avec 15 élèves reçus dont 13 mentions et 6
élèves refusés. Ce chiffre exceptionnel n’a rien d’étonnant ni d’alarmant car l’échec de 5
nouveaux élèves recrutés sur des dossiers inappropriés au projet pédagogique était quasi
prévisible. »
Bulletin de liaison de l’école de la Source « la source infos ».
Quel est alors le rôle de l’enseignant dans cette relation pédagogique ?
III. La figure de l’enseignant dans le rapport pédagogique
Le métier d’enseignant dans les écoles nouvelles peut aussi être appréhendé comme
avant-gardiste de part les multiples facettes qu’il revêt: coach, militant, pédagogue, chercheur.
Il se caractérise avant tout par la recherche d’une innovation constante pour adapter les
méthodes pédagogiques aux nouveaux enjeux sociaux.
112
Bourdieu (Pierre), De saint martin (Monique), « Les catégories de l’entendement professoral », Paris, Actes
de la recherche en sciences sociales, n°3, 1975, p.68-93.
113
La définition de l’enfant telle qu’elle s’objective dans les pratiques pédagogiques sera définie dans la partie
deux de cette recherche.
55
A. Un enseignant d’avant-garde : un coach
L’enseignant de l’école nouvelle se revendique en rupture avec le « maître d’école »
ou l’ « instit » puisqu’il se définit tantôt comme « un éducateur » ou un « accompagnateur »
qui considère son élève comme un apprenti.
Le point de départ de son travail réside dans l’observation des élèves, qui constitue le centre
de son action pédagogique. Il doit créer les conditions favorables pour que l’élève puisse
expérimenter, découvrir, apprendre. L’approche Montessori définit le maître comme « un
médiateur » dont la tâche est de préparer un environnement qui prenne en compte les besoins
physiques, intellectuels, émotionnels et spirituels de l’enfant. Le postulat initial sur lequel
s’appuie cette définition du travail de l’enseignant est que l’enfant possède en lui, dès
l’instant de sa conception, les potentialités nécessaires pour donner forme et contenu à sa vie
psychique et spirituelle et c’est l’environnement dans lequel l’enfant évoluera qui permettra
ou ne permettra pas le réveil et l’expression de ces potentialités.114
Néanmoins, se profile aussi dans cette conception du « tous capables » une certaine négation
de la construction sociale de la réalité. Cette conception de la relation pédagogique se fonde
sur la maïeutique socratique. Or, dans la société actuelle de la cité par projet, c’est la figure
du coach115 qui a remplacé celle du philosophe; celui-ci doit faire accoucher les consciences
de leur potentiel.
Pierre Bourdieu emploie le terme d’éducation totale 116 pour décrire la relation
pédagogique dans les pensionnats privés où il compare les enseignants à des entraîneurs. Leur
action pédagogique s’exerce par la création de conditions favorables à un entraînement
intensif plutôt que par un enseignement direct et explicite. Ils n’inculquent ainsi pas
seulement un certain type de culture mais la maîtrise pratique d’un certain nombre de
techniques. Leur action pédagogique est celle de répétiteurs qui font passer l’organisation de
l’exercice et l’encadrement du travail d’apprentissage avant la transmission du savoir. Ces
enseignants se représentent leurs tâches comme des maîtres de sagesse, des directeurs
spirituels car leur action est totale: conduite, vie de travail, lectures, préparation des devoirs,
régimes alimentaires, rythmes de sommeil. Il existe une « euphorie des évidences partagées
114
Meirieu (Philippe), Maria Montessori peut-on apprendre à être autonome ?l’éducation en questions, éditions
PEMF, 2001,p.15-19.
115
Boltanski (Luc), Chiapello (Eve), Le nouvel esprit du capitalisme, Saint Amand, Gallimard nrf essais, 1999,
p.129.
116
Bourdieu (Pierre), La noblesse d’état, grandes écoles et esprit de corps, op.cit. p.127.
56
en dehors de toute codifications, contrat, règle de contrôle bureaucratique » qui découlent de
l’homogénéité des habitus.
Néanmoins, ce concept « d’éducation totale » se doit être atténué en ce qui concerne les
écoles nouvelles: elles ne disposent par exemple pas d’internat, ce qui les privent de cette
dimension d’enfermement symbolique. Il serait plus adéquat de retenir le terme « d’éducation
intégrale » dans le sens où cette éducation vise à promouvoir toutes les dimensions de la
personne : à former son corps, son esprit, son intelligence et à travailler sur les émotions.
Enseigner c’est « accompagner »
Enseignante 1: Quand j’était en formation il y a quinze ans, le formateur m’avait dit :
« un bon enseignant de l’Education nouvelle pourrait tricoter dans sa classe, les enfants
seraient tellement actifs, apprendraient tellement, chercheraient tellement que ça serait
possible ». Moi, cela m’avait choqué. Et puis aujourd’hui... je crois que ce qui est
important c’est que les enfants prennent le savoir. Ils n’arrêtent pas de prendre si on leur
donne. L’adulte est là pour les aider, les accompagner. Ce lâcher prise, cette confiance de
la part des enseignants... et des parents : c’est très important aussi la confiance des
parents. Quand les parents ont confiance dans le projet, l’apprentissage de l’enfant se
déroule de façon très harmonieuse.
Enseignante 2 : Si on espère, si on pense, si on veut et si on croit qu’un enfant est positif et
a des richesses en lui, il faut lui donner la possibilité de les exprimer et non de les cadrer
dans une seule perspective. N’importe quel support, que ce soit des bouchons, des boutons,
des objets de la trousse, va permettre d’énoncer des concepts. On va faire des classements.
Cette notion d’analyse de situation est capitale dans la formation de l’intelligence. Tout
enfant a une expérience de vie, il est important de faire le lien avec leur vécu.
Enseignante 2 : Il y a une maxime de Jean de Rosnay qui m’impressionne beaucoup :
« s’élever pour mieux voir, relier pour comprendre et situer pour agir ». On apprend aux
enfants à faire du lien à partir de ce qu’ils ont autour d’eux. L’attitude active de l’enfant,
ses recherches répétées, différentes, dans différents domaines, va lui permettre de se
construire au contact des autres enfants dans l’acceptation de l’erreur pour aller plus loin.
Il est important dans la construction de la personnalité d’un enfant qu’il accepte de
changer de point de vue.
Enseignante 3 : la pédagogie, nous la vivons sur le terrain, la classe ça se vit de l’intérieur.
Il y a les portes ouvertes. Vous pouvez également si vous le souhaitez, demander à assister
à des cours où vous verrez comment on vit la relation pédagogique de l’intérieur.
Extraits d’échange avec les enseignants de l’école de la prairie, suit à une conférence de Marie de vals et
Suzanne Saisse en 2003117 .
117
La retranscription de la conférence m’a été donnée par la directrice de l’école du Chapoly.
57
Ainsi, la représentation que les enseignants se font de leurs métiers dépasse la simple
transmission de connaissances. Ils se donnent comme mission « d’élever l’enfant », de
prendre en compte « son expérience de vie », « de former des esprits », de « construire la
personnalité ». Dans leur étude sur « les professeurs face à la démocratisation des lycées »
Stéphane Beaud et Florence Weber118 mettent en évidence que l’investissement dans le métier
n’est pas le même suivant la façon dont l’enseignent se pense c’est à dire la définition de soi
qu’il engage.
Au sein des écoles nouvelles, les enseignants se pensent comme différent des enseignants
traditionnels car au travers des méthodes appliquées, ils se définissent comme « des
pédagogues », « des éducateurs ». Ils se représentent le rapport pédagogique comme une
relation « enchantée » 119 où leur travail consiste à faire accoucher les consciences et être
capable de révéler le potentiel caché de chaque enfant en « faisant le lien avec son vécu »,
« en croyant aux richesses qu’il a lui ». Leurs pratiques relèvent d’une véritable maïeutique
pédagogique car comme l’affirme une enseignante « la relation pédagogique se vit de
l’intérieur ».
Ces conditions de travail de l’enseignant apparaissent « avant-gardiste », dans le sens
où elles sont vécues et décrites comme privilégiées par les enseignants: ils affirment travailler
avec plaisir, dans une ambiance de confiance entre les membres de l’équipe pédagogique.
« Nous sommes dans des conditions (taille humaine de l'établissement, structures, type de
direction, projet) qui nous permet de mettre en œuvre ce que de très nombreux enseignants
souhaiteraient faire. » 120 La « crise de l’école »: problèmes de violence scolaire, de
dépression des membres du corps enseignant, de l’échec scolaire est absente du discours
enseignant et ces problèmes apparaissent alors comme des préoccupations lointaines et
extérieures, car elles ne font pas parties de leurs pratiques et vécus quotidiens. Ce qui fait dire
à la responsable de la documentation de l’école de la Prairie au sujet des problèmes de vols
« je pensais pas qu’il y avait ce genre de rapport de force (…) je veux dire que pour la
plupart d’entre vous vous êtes là depuis longtemps et je pensais que ce petit noyau menaçant
était neutralisé. »121
118
Beaud (Stéphane), Weber (Florence), « des professeurs et leurs métiers face à la démocratisation des
lycées », op.cit. p.102-112.
119
Idem.
120
Extrait du questionnaire en réponse à la question « Avez-vous le sentiment de former une avant-garde ? » à
une enseignante de l’école de la Source, annexe II, p. XXIV.
121
Situation d’observation participante restituée dans son intégralité, carnet ethnographique, annexe III,
p.XXVII.
58
Toutefois, la présence de conflits n’est pas niée mais présentée comme naturelle et
bénéfique pour faire avancer l’équipe pédagogique lorsque ceux-ci sont bien gérés. Dans cette
optique, des cours de gestion des conflits sont intégrés dans le cadre de l’école tant à
destination des enfants que des enseignants.
« L’instit et le coach »
« Ecole traditionnelle »
Ecole nouvelle
-rôle de l’enseignant : prescripteur et fixateur de
rôles sociaux.
-enseignant dispose de plus d’autonomie
-Apprentissage par imitation
- relation pédagogique autorégulatrice, transformation
de la relation d’autorité maître/élève.
Relation horizontale
-Création un milieu : adapter à chaque âge, riche en
outils pour favoriser toutes les expérimentations
possibles.
-Enfant = un entonnoir à remplir d’une
nourriture présélectionnée et prémachée.
- considérer l’enfant comme un apprenti, enfant va
observer et expérimenter.
Le rôle de l’éducateur est : de gérer le travail, verbaliser
les démarches, aider à l’enfant à s’évaluer, à pointer les
réussites.
A ce rôle d’enseignant pédagogue s’ajoute ceux de chercheur en pédagogie et de
militant de l’éducation nouvelle qu’il convient à présent d’examiner.
B. Des innovateurs pédagogiques
Les écoles nouvelles se définssent aussi comme « des laboratoires de pédagogies
pratiques »122. Les enseignants se convertissent en chercheurs d’innovations pédagogiques qui
sont à la pointe de la recherche pédagogique grâce à des formations régulières lors de congrès
annuels, de formations mensuelles en pédagogie « institutionnelle »ou autres, données par les
instituts de formation des différentes écoles nouvelles.
122
Charte de l’ANEN, annexe I, p.III-VII.
59
« Des échanges riches et vivants »
« A la Prairie les portes sont ouvertes, on va voir le collègue d’à côté. Nous avons
des échanges très riches et très vivants. Il y a aussi des affrontements d’idées... on n’est pas
très tendres entre nous. Nous travaillons en équipe, il y a des rencontres pédagogiques de
l’Education Nouvelle, nous faisons intervenir des personnes extérieures à l’école. Nous
sommes partis au Canada parce ce qu’ils faisaient nous paraissait intéressant. Nous
sommes toujours à l’affût de ce qu’il se passe. » Enseignante4 de l’école de la Prairie.
« Il y a aussi depuis quelques temps les heures académiques : on peut aller dans le cours
d’un autre professeur pour travailler. Il y a un professeur d’anglais en maths et un
professeur de maths en anglais. On voit les enfants dans une situation inhabituelle. C’est
très passionnant, on apprend beaucoup de choses. C’est fondamental l’observation. On
croit beaucoup trop qu’on a des choses à faire. Regarder est très instructif ». Enseignante 5
de l’école de la Praire.
Extraits d’échange avec les enseignants de l’école de la prairie, suite à une conférence de Marie de Vals et
Suzanne Saisse en 2003
L’enseignant devient l’enseigné, il a fait sien le credo de l’éducation nouvelle défini
par Célestin Freinet: « contrairement à ce qu’on pourrait croire peut-être, l’esprit ne
s’enseigne pas, il ne peut résulter d’une explication aussi éloquente soit-elle…il naît des
situations nouvelles que nous créons ; et des réponses que nous donnons aux problèmes qui
nous sont posés. »123 Il justifie ainsi la nécessité d’un renouvellement et d’une innovation
constante des pratiques pédagogiques.
Les méthodes de l’éducation nouvelle doivent s’adapter en permanence aux nouveaux enjeux
de la société (les nouvelles techniques de communication, l’éclatement de la cellule familiale
et la naissance de nouveaux espaces multiculturels124) et tentent d’apporter des réponses en
lien avec l’éducation des enfants afin de garantir la formation d’une avant-garde.
Les projets technologiques125 mis en place par l’école de la Source se revendiquent « avant
gardiste » par rapport à ceux de l’éducation nationale. Elle a intégré le programme
informatique B2I dans le programme officiel des primaires seulement en 2003 alors qu’il était
présent depuis 1985 dans le cursus de l’école de la Source car selon l’équipe pédagogique « il
n’avait pas attendu les exigences ministérielles du XXIe siècle pour initier leurs élèves à
l’informatique ». Ils ont adapté la directive ministérielle en mettant en place un programme
123
Extrait entretien, annexe II, p.XVIII.
Charte de l’ANEN, annexe I,p. III.
125
Ce projet a été trouvé sur le site Internet de l’école de la Source.
124
60
spécifique à l’école le « B2I Source » qui suit l’élève jusqu’à la fin du collège, il s’agit d’une
évaluation transdisciplinaire qui fait appel à l’autoévaluation.
Ainsi, même rattrapés par les directives ministérielles, les innovateurs se distinguent sans
cesse par des nouvelles pratiques d’avant-garde.
Ces pratiques pédagogiques d’avant-garde innovent dans la combinaison de matières et
d’activités traditionnellement cloisonnées à un cours spécifique. Elles proposent ainsi des
projets précurseurs qui s’appuient sur les problématiques actuelles, comme l’illustre
l’exemple du projet de gestion des risques mis en place par l’école de la Source.
Un projet d’avant-garde : savoir gérer les risques
Être responsable :
Initié par un parent d’élève et un
professeur, le projet a pour objectif de
confronter les adolescentes à des
situations de risques pour connaître et
gérer les émotions fortes, en se
préparant et en calculant les risques.
Ce projet interdisciplinaire prend
deux dimensions : l’une physique et
l’autre
sportive
(pratique
de
l’acrobranche), l’autre intellectuelle
sur la notion d’engagement (analyse
de films et découverte d’ONG). 126
Il est intéressant de relever que ce projet est
au cœur des problématiques actuelles de la
société :
- société du risque, apprendre à faire
face à ces nouveaux enjeux.
- interdisciplinarité avec des pratiques
innovantes comme l’acrobranche.
- la familiarisation avec les ONG, leurs
actions et leur rôle comme acteur de
la société internationale.
Projet de l’école de la Source.
C. Une équipe militante
Les revendications et pratiques militantes en faveur des idées de l’éducation
nouvelle soudent les enseignants; ce qui permet à la confiance d’exister au sein de l’équipe
pédagogique et garantie le bon fonctionnement de l’école.
En effet, l’organisation de ces écoles s’appuie sur l’existence d’un « code intégré » définit par
Basil Bernstein. Il montre que l’ordre social qui est sous tendu par ces codes ne va pas de soi
car il suppose la présence d’un consensus sur l’idée intégratrice qui doit s’assortir d’une
126
On notera que ce projet est destiné aux élèves de troisième, bien que le niveau collège ne soit pas celui retenu
pour notre travail empirique, cet exemple a été retenu car il est très significatif des méthodes d’avant-garde mise
en œuvre.
61
homogénéité dans la pédagogie et le système d’évaluation. La présence d’un code intégré
conduit à un affaiblissement des différences entre les diverses identités culturelles formées
par le système d’enseignement ce qui demande un haut niveau d’accord idéologique. Celui-ci
se manifeste le plus visiblement au niveau du recrutement des enseignants.
Ainsi, bien que les directives ministérielles obligent un passage par l’IUFM, les
enseignants des écoles nouvelles sont avant tout recrutés sur leur adhésion au projet
pédagogique qui est en quelque sorte dans le sous champ des écoles nouvelles l’idée
intégratrice sur laquelle repose les pratiques de l’école nouvelle. Les nouveaux entrants127
doivent payer un droit d’entrée qui consiste en la reconnaissance de la valeur du jeu qui
suppose de faire siens les principes et valeurs du projet pédagogique de l’école. Il s’agit d’un
véritable mécanisme de cooptation et ce afin de garantir la stabilité du sous champ des écoles
nouvelles.
« Le recrutement du personnel enseignant se fait au travers de la commission de
conseil salarial suivi d’un entretien avec le directoire qui est composé des parents.
Il faut maintenant qu’ils soient obligatoirement passés par l’IUFM et qu’il adhère à
l’esprit et à la démarche de l’école. »
Extrait entretien, directrice de l’école du Chapoly
L’hypothèse avancée ici est que la présence d’un consensus idéologique est
indispensable au maintien de l’ordre social au sein de ces écoles, de cette nécessité découle le
discours militant des acteurs de l’institution qui se cristallise dans la défense du projet
pédagogique et des valeurs de l’éducation nouvelle. Le premier facteur déterminant
l’efficacité d’une pratique ou d’un discours symbolique étant ce qu’on pourrait appeler la foi
et le militantisme »128
Ce consensus sur les choix pédagogiques apparaît fondamentale car selon Basil Bernstein
toutes divergences éventuelles menaceraient la cohérence du système dans tous ces aspects.
127
128
Bourdieu (Pierre), Questions de sociologie, op.cit, p.115.
Roussel (Roger), « Remarques sociologiques sur quelques invariants de la pédagogie Freinet », op.cit. p.155.
62
« L’école est maintenant dotée d’un projet pédagogique et institutionnelle auxquels
le personnel et les parents d’élèves devaient adhérer. Cela a été mis en place pour éviter des
conflits trop nombreux autour des choix pédagogiques. On a effectué un véritable travail
d’analyse pour définir le rôle et la place de chacun. »
Paroles rapportées lors d’une discussion informelle avec la directrice d’une école nouvelle
Le principe de non conscience
La pratique quotidienne des enseignants n’est cependant pas accompagnée du
sentiment de former une avant-garde. Ce concept suscite même des réactions qui ne sont pas
exemptes d’une certaine violence pour l’apprenti chercheur qui n’est pas habitué aux
situations d’entretien où il faut « s’imposer aux imposants »129.
« Ce concept nietschéo-léniniste « stinks »(avant-garde) comme diraient les anglosaxons me filent des boutons….je sais simplement que je prend beaucoup de plaisir à
travailler ici, à la Prairie, en équipe en essayant de promouvoir l’intelligence des élèves et
non leur obéissance et leur soumission. »
Extrait de questionnaire enseignant à l’école de la Prairie
Cette pratique peut être analysée en s’appuyant sur le principe de non conscience, qui
implique que même si les acteurs construisent la réalité individuellement et collectivement ils
ne construisent pas les catégories qu’ils mettent en œuvre et c’est justement parce qu’« ils ne
font bien ce qu’ils ont à faire (objectivement) que parce qu’ils croient faire autre chose que
ce qu’ils croient faire. » 130
Dans leurs études sur « les catégories de l’entendement professoral », Pierre Bourdieu et
Monique de Saint Martin 131 montrent que derrière les jugements scolaires ou taxinomies
pratiques des enseignants se masquent un jugement social sous les apparences « les attendus
euphémistiques du langage scolaire ».
129
Chamboredon (Hélène), Pavis (Fabienne), Surdez (Muriel), Willemez (Laurent), « S’imposer aux imposants »,
Genèses, 16 juin 1994, p.114-132.
130
Bourdieu (Pierre), De saint martin (Monique), « les catégories de l’entendement professoral », Paris, Actes de
la recherche en sciences sociales, n°3, 1975, p.68-93.
131
Idem.
63
« C’est parce qu’ils croient opérer un classement proprement scolaire (…) que le système
peut opérer un détournement du sens de leurs pratiques, obtenant d’eux qu’ils fassent ce que
« pour tout l’or du monde » il ne feraient pas ».132
Dans le rapport pédagogique des écoles nouvelles, la pratique d’un classement scolaire est
niée puisque les enseignants soutiennent pratiquer la « pédagogie de la réussite » et ne pas
stigmatiser les élèves avec un système de notation, de classement, de livret scolaire.
Néanmoins, même si dans ce cas le jugement scolaire qui est porté n’est pas le même que le
jugement traditionnel, il est aussi présent dans les attitudes et compétences attendues des
enfants.
Un classement « scolaire implicite »
Pédagogies « traditionnelles »
Pédagogies nouvelles
Passif
Actif/ initiative
Introverti
Spontanéité
Fermé
Ouvert
Travail sérieux
Travail Plaisir/jeu/ludique
Compétition, domination
Coopération, sociabilité informelle.
Singulier
valeurs
Commun
Intériorisation de la contrainte : liberté
Contraintes
Autonomie, self control, responsabilité
personnelle
Observance de règles strictes
Dialogue, règlement pacifique des
conflits, dialogue
Sanction
Confiance
Sérénité
Epanouissement
Objectifs
Transmettre des connaissances.
enfant,
équilibre,
réalisation de soi
Réussite scolaire en
Source : synthèse des valeurs mises en avant dans les plaquettes des écoles et de leurs projets pédagogiques.
132
Id.
64
Ainsi, le jugement scolaire dans les écoles nouvelles est aussi le fruit d’une
classification, il contribue à l’insu des enseignants à forger au travers des schèmes de
classements une définition de l’enfant autonome, créatif,ouvert qui soit adéquate pour que
leur rapport pédagogique puisse exercer ses pleins effets sociaux car « la transmutation de la
vérité sociale en vérité scolaire est (…) une opération d’alchimie sociale qui confère aux
mots leur efficacité symbolique, leur pouvoir d’agir durablement sur les pratiques. »133
Dès lors, il convient dans une seconde partie de s’interroger sur la confrontation de
l’offre pédagogique de ces écoles aux stratégies familiales, en dégageant comment
s’objective une définition de l’enfant spontanée et expressive dans les pratiques
pédagogiques. Les présupposés de ces pédagogies semblent perpétuer l’intériorisation d’un
certain habitus, qui vient plutôt conforter un ensemble de dispositions déjà acquises et
imprimées dans le cadre familial.
Cette offre pédagogique ne peut exercer ses pleins effets sociaux, que dans sa
rencontre avec une demande familiale, proche socialement, culturellement
et
intellectuellement. Il s’agit d’envisager les conditions sociales nécessaires aux bons usages
par les familles de cette pédagogie d’avant-garde. .
133
Id.
65
Chapitre 2 : Les usages sociaux d’un modèle pédagogique
« expressif et spontané ».
L’objet de cette deuxième section est de mettre en confrontation l’offre pédagogique
de ces écoles et les usages familiaux qui découlent.
Quelle est la définition de l’enfant qui s’inscrit dans les pratiques et discours pédagogiques ?
Quelles sont les conditions sociales de l’appropriation de cette offre scolaire avant-gardiste ?
Quels en sont les usages ? (En terme de stratégies, valeurs partagées, justifications apportées
quant au choix de ces écoles.)
Section1: Cristallisation d’une définition de l’enfant « spontanée et
expressive » dans l’offre pédagogique de ces écoles
Toute pratique pédagogique prise dans sa dimension philosophique134 sous-tend une
certaine idée de l’enfant qu’elle forme et de l’homme qu’elle entend former.
Le parallèle entre les pratiques pédagogiques de l’éducation nouvelle et la méthode de la
maïeutique de Socrate prend ici tout son sens. Derrière le pédagogue de l’école nouvelle se
profile un coach, qui telle une sage femme a pour mission de faire accoucher les esprits de
certaines pensées, idées. Or, l’un des présupposés de cette méthode est que l’enfant a par
nature un certain nombre de dispositions et de compétences que les enseignants doivent
réveiller en créant un milieu et une relation propices à l’apprentissage autonome.
Cependant, l’analyse sociologique permet de dévoiler la dimension socialement construite
masquée par des propriétés qui apparaissent au sens commun comme naturelles ou innées.
L’habitus 135 est d’après Pierre Bourdieu un système socialement constitué de dispositions
structurées et structurantes acquis par la pratique, constamment orienté vers des fonctions
pratiques et produit d’un milieu social déterminé, autrement dit est « un avoir qui s’est
134
Kovac E. « La finalité de l’éducation : la formation de la personne », conférence à l’institut catholique de
Toulouse février 2006.
135
Bonnewitz (Patrice), Pierre Bourdieu. Vie, œuvres, concepts, Paris, ellipses éditions, 2002, p.60-62.
66
transformé en être » 136 . Dès lors, parler en terme de don, de respect du rythme propre à
chaque enfant conduit à naturaliser les acquis des enfants déjà imprimés137 tout comme faire
appel à un potentiel commun à tous les enfants tend à objectiver les acquis sociaux de la
socialisation familiale et ainsi à contribuer à la formation d’une avant-garde scolaire.
I. Le « métier d’enfant » dans les pratiques pédagogiques
d’avant-garde.
Il convient au cours de ce travail de faire émerger la définition objective de l’enfant
telle qu’elle s’inscrit dans les pratiques pédagogiques dans le but de dégager les présupposées
de cette offre scolaire, c'est-à-dire les compétences et attitudes attendues de la part des
différents acteurs, le système de valeurs véhiculé par les pratiques pédagogiques.
A. Un enfant « épanoui, citoyen, spontané et autonome »
Il est nécessaire de rappeler que la sociologie n’a « rien à dire des objectifs de la
pédagogie, mais elle doit les objectiver, les mettre en relation avec toute une conception du
monde et de l’éducation qu’ils présupposent. »138
Un apprenti chercheur
L’un des postulats de départ de cette éducation est un enfant acteur de sa propre
éducation, qui doit devenir de plus en plus autonome comme l’écrit R. Cousinet, l’un des
pédagogues fondateur de l’école de la Source: « l’enfant : un apprenti maître de ses choix. Il
ne fait pas ce qu’il veut mais il veut ce qu’il fait. »139
L’apprentissage de cette autonomie s’articule autour d’un certain nombre de concepts clés:
l’importance accordée à la définition d’un projet personnel de l’enfant, la prise en compte de
son vécu, de son activité personnelle, ce qui suppose le respect de ses choix et des ses besoins.
136
Bourdieu (Pierre), « les trois états du capital culturel », in l’institution scolaire, Actes de la recherche en
sciences sociales, n°30, p.3-6.
137
Roussel (Roger), « Remarques sociologiques sur quelques invariants de la pédagogie Freinet »op.cit.p.154.
138
Roussel (Roger), « Remarques sociologiques sur quelques invariants de la pédagogie Freinet » op.cit. p.155.
139
Citation extraite de la plaquette de l’école nouvelle de la Source, annexe I, p.X.
67
La méthode pédagogique utilisée s’appuie sur la démarche de la recherche scientifique,
l’enfant apparaît alors comme un apprenti chercheur qui doit construire son propre savoir par
tâtonnement, au travers de l’observation, de la conception d’hypothèses et de déductions.
Dans cette conception, le savoir est le fruit d’une construction intellectuelle et d’une
découverte, et non pas d’une imposition140 ou d’une mémorisation. Dès lors, les compétences
attendues de l’enfant pour que la pédagogie puisse exercer ses pleins effets sont une attitude
active et une curiosité face au monde qui l’entoure qu’il doit appréhender par ces
questionnements.
Par ailleurs, cette définition d’un enfant découvreur, expérimentateur ou innovateur
découle du postulat initial d’un enfant autonome, qui tend à le devenir de plus en plus.
L’enseignant doit accompagner l’enfant dans ce processus en lui fournissant les outils
nécessaires à ses expérimentations. Il s’agit là d’un principe d’auto éducation de l’enfant, qui
se traduit aussi dans les pratiques pédagogiques par l’importance accordée à l’autoévaluation.
Cela rejoint le postulat initial d’un apprentissage individualisé en fonction du rythme de
l’enfant, il est ainsi comparé par Adolphe Ferrière (pédagogue de l’éducation nouvelle)
comme « une petite plante qui croit selon des lois qui lui sont propres, qu’il ne possède
vraiment que ce qu’il a assimilé par un travail personnel de digestion. »141
A l’école de la Prairie, cette autoévaluation consiste en un système de contrats: les enfants ont
des objectifs à remplir qui sont au préalable négociés avec l’enseignant: chaque semaine ils
ont des activités libres ou en groupe et ils peuvent choisir lesquelles ils souhaitent le plus
travailler. L’enfant au travers de ce contrat doit apprendre à gérer et organiser son temps et
intériorise que les choix qu’il fait lui sont propres et qu’il en est le seul responsable.
Cette responsabilisation de l’élève est présente au cours de l’évaluation de son travail: après
chaque évaluation de l’enseignant, l’enfant doit dire s’il a compris l’appréciation de
l’enseignant en discuter avec lui afin de déterminer si les objectifs fixés au départ ne sont pas
à renégocier. Ainsi, au cours du processus d’apprentissage les enfants peuvent se tromper,
faire des erreurs, Celles ci ne sont pas vues ni vécues comme des fautes, des échecs mais des
invitations à progresser, des sources nouvelles d’apprentissage.
L’ensemble de ces pratiques contribue à former un rapport particulier au travail et à
l’apprentissage autonome, responsable et scientifique. Cependant, elles présupposent la
présence d’un certain nombre de dispositions dans le rapport au langage qui seront
développées par la suite.
140
141
Terme employé par les écoles nouvelles.
Groupe éditions ANEN, L’éducation Nouvelle, Claparède, R.Cousinet, J.Dewey, A.Ferrière, op.cit, p.110.
68
L’apprentissage par expérimentation : se tromper pour apprendre
Classe de CE2
En novembre ils ont planté sans trop s’y intéresser des oignons de jacinthe offerts par
une maman. Les racines sortent, un jour une petite pousse verte apparaît. On en parle
en groupe :
« -je me demande bien comment çà se fait
-on met de l’eau et il y a une feuille
-et si on n’avait rein mis, elle serait sortie ?
-oui affirme une petite fille, les plantes poussent toujours…
-les plantes ont besoin de nourriture pour pousser
-mais laquelle ?
-on pourrait essayer »
Oui je propose qu’on apporte tout ce qu’il faut demain, on commencera les essais !
Le lendemain eux et moi, apportons de petits pots, de la terre, du sable, du tissu, de la
sciure et des graines de lentilles que j’ai choisies moi-même car elles poussent vite. Ils
installent les terrains, y mettent des graines et s’aperçoivent qu’il faut qu’on fasse des
étiquettes pour s’en souvenir. Et voila qu’il démultiplie les petits pots et les étiquettes
(lentilles sur sciure= eau sans lumière…)
Une partie de ces pots est sous une étagère, sans lumière grâce à un rideau de papier
noir. Au cours de ce trafic, une petite Hélène vient me trouver, elle porte une petite
assiette avec quelques lentilles et me dit :
« -je voudrais les mettre tout au fond du placard noir
-et pourquoi ?
-je voudrais savoir si les grains ne peuvent pousser sans RIEN, absolument rien, pas de
nourriture pas d’eau, pas de lumière, rien, rien.
-bien sûr cache ton assiette. »
Le temps passe, ils observent leurs plantations et notent ce qu’ils voient sur une feuille,
nous en parlions souvent, on faisait le point, on notait les conclusions, et pendant ce
temps Hélène continue ses observations : (3ème jour : rien, 8ème jour : rien…) et
finalement elle écrivit sa conclusion : une graine sans eau, sans terre, sans lumière ne
pousse pas.
Elle en était sure maintenant.
Extrait d’observation rapportée par Marie de Vals, fondatrice
de l’école de la Prairie, dans un manuel publié par l’ANEN « un certain regard sur les enfants,
observations d’apprentissage naturels »
69
Un enfant citoyen
Ces écoles se définissent comme des « microsociétés », des « lieu d’apprentissage de
la vie sociale »142où l’enfant doit exercer son rôle « d’apprenti citoyen ».
Si la désignation de délégués est une pratique commune du système éducatif, l’apprentissage
de la citoyenneté se traduit au sein des écoles nouvelles par sa mise en application réelle. Elle
passe par la négociation et l’élaboration des règles de vie au cours d’assemblée d’enfants143
qui s’institutionnalise dans chaque groupe d’âge. Elle se déroule une à deux heures144 par
semaine de manière collégiale au niveau de la classe où tous les élèves sont assis en rond
autour d’un/une animateur(trice) et d’un/une secrétaire désigné(e)s au préalable et le
professeur principal. Ils définissent l’ordre du jour en s’appuyant sur le cahier du conseil où
les élèves ont consigné leurs questions, leurs propositions, leurs informations, ou les conflits
pendant la semaine. Au niveau de la représentation interclasse, un « grand conseil » se
déroule (pour l’école de la Prairie) tous les 15 jours au cours d’un repas, les délégués de
chaque classe font remonter les questions survenues au cours du conseil de classe.
Enfin, au niveau de l’ensemble de l’école c’est les assemblées générales qui regroupent
l’ensemble des élèves, de l’équipe pédagogique et du personnel de l’école. La décision est
collégiale c'est-à-dire que toutes les voix de l’assemblée se valent (adulte, enfant, personnel
de cuisine, directeur). Elles se réunissent en début d’année puis pour se concerter sur des
questions importantes touchant à la vie de l’école.
L’existence de ces assemblées est l’un des traits fondamentaux qui distinguent ces écoles des
écoles ordinaires. Au delà de l’apprentissage de la citoyenneté, c’est l’appropriation de
l’espace « école » par les enfants qui est revendiqué.
En effet, ces assemblées ont pour fonction d’être un espace de gestion des différends entre
élèves, ou rencontrés au sein de l’établissement, les élèves peuvent interpeller leurs
camarades ou leurs enseignants sur des pratiques qu’ils n’estiment pas en adéquation avec les
règles négociées auparavant. Elles sont aussi le lieu où les projets des élèves mais aussi des
adultes enseignants ou parents sont débattus et adoptés.
Le fonctionnement d’une assemblée se déroule en suivant des modalités très précises et ce
malgré la liberté apparente laissée aux élèves. Les assemblées peuvent être appréhendées
142
Extrait des principes de vie collective de l’école de la Source, annexe I, p.X.
Détails des modalités de ces assemblées à l’école d’Antony, annexe I, p.XIII.
144
Les modalités varient selon les écoles (durée, appellation du conseil) mais les principes sont les mêmes.
143
70
comme un véritable rituel de l’institution de part la mise en scène qu’elles supposent,
l’intériorisation très forte dont elles font l’objet qui se retrouve dans les pratiques acquises par
les élèves. Enfin, elles semblent marquer les enfants tout au long de leur parcours scolaire
même après être revenu dans des filières plus traditionnels. .
Observation participante d’un grand conseil (niveau collège145)
Description : autour d’une table ronde les délégués à raison de deux par classes sont
installés, l’adulte présent est la responsable du CDI. Parmi les délégués, le nombre de
filles et de garçon est le même.
Les parents d’élèves ou visiteurs de la journée porte ouverte sont assis ou debout
derrière la table ronde. Chaque pair de délégué dispose d’un classeur qui semble
contenir les comptes rendus des réunions précédentes.
Atmosphère: très détendue, ni les enfants délégués, ni les parents observanteurs ne
semblent se sentir mal à l’aise, les délégués ne sont nullement impressionnés par la
présence d’un public, tout semble aller de soi.
L’assemblée s’ouvre de manière très naturelle et décontractée, sans cérémoniale
juste une petite phrase introductrice de la responsable du CDI (resp.) : « vous allez
assisté à un moment particulier et très important de la vie de l’école, je vous laisse
découvrir. »
Elle procède ensuite à l’élection d’un animateur et un secrétaire, deux filles de
4ème sont désignées.
L’ordre du jour est établit par les délégués qui lèvent le doigt pour prendre la parole,
l’animatrice distribuant le tour de parole, les délégués et adultes ont la même voix et le
tutoiement est de rigueur.
Ordre du jour établit est le suivant : proposition, bi challenge, vols, info.
Chacun respecte le tour de parole de l’autre, personne ne s’interrompt, tout
semble s’enchaîner parfaitement.
Fille de 6ème : « j’ai vu un spectacle sur les droits et ils peuvent venir dans les écoles donc
j’aimerais le faire.
Resp. : peut tu nous préciser ce que c’est comme type de spectacle ?
f6 : c’est sur les droits, ils viennent dans les classes et on peut participer c’est vraiment
bien.
145
Cet exemple a pour but de montrer l’ensemble des rituels qui orchestre ce grand conseil, on tiendra compte
que les propos d’enfants sont ceux d’élèves de collège et non de primaire, mais la majorité d’entre eux sont issus
du primaire de l’école de la Prairie, ou le grand conseil se déroule selon les mêmes modalités. Il a eu lieu durant
la journée portes ouvertes alors que normalement il se déroule au cours d’un repas.
71
f4 : ce serait pour toute l’école car on est quand même 500 ou dans certaines classes.
Resp.: bon je suggère que tu nous apporte les coordonnées, voilà note çà dans le compte
rendu.
f6 : d’accord.
f5 : je voulais savoir quand était la date du bi-challenge car comme on part après, je
voulais savoir si c’était bon.
Resp.: alors tiens il y a les dates sur le panneau, oui c’est bon.
g6 : pardon mais je n’ai pas très bien compris l’enjeu de la question ?
f5 : c’était juste une précision de dates.
g6 : voilà des élèves ont vu des grands fouillés dans les sacs, il y a eu des vols.
f6 : oui nous aussi.
Resp.: bon c’est assez grave ce que vous soulevez là, je suggère que l’on essaye de trouver
des solutions.
f5 : on pourrait fermer l’étage le temps de midi
g6 : on pourrait aussi installer des casiers
f4 : on pourrait responsabiliser en donnant les clefs à deux élèves.
Resp.: je crois qu’il y a aussi un autre problème si vous les avez vu voler pourquoi vous
n’aller pas voir un adulte, je vois bien que vous avez du mal c’est comme si pour vous
s’était de la délation.
f4 : oui et puis il y a les représailles, si un sixième est en face d’un troisième c’est pas pareil
Resp.: c’est très intéressant ce que tu soulèves, je ne pensais pas qu’ici il y avait ce genre
de rapport de force, là je peux paraître naïve en disant cela.
f4 : non mais c’est comme partout.
Resp. : Non mais je veux dire que pour la plupart d’entre vous vous êtes là depuis
longtemps je pensais que ce petit noyau menaçant était neutralisé c’est tout.
Il faut trouver une solution et je suis plus pour la responsabilisation que la répression.
g3 : on pourrait en parler en classe rappeler les règles et après décider de prendre des
mesures plus ou moins répressives.
Resp.: bon je pense qu’on peut soumettre aux classes, les trois décisions.
Est ce que un adulte du public veut parler ?
Parent (homme d’environ 35 ans): c’était juste pour vous remercier, j’ai été très touché par
cette échange, beaucoup de richesses.
L’observation ethnographique ci-contre rend compte de la facilité avec laquelle se
déroule cette assemblée, ce qui vient renforcer cette définition du conseil comme moment
rituel de la vie de l’école. Il montre ainsi la très forte intériorisation au préalable des règles de
vie en collectivité. « A l’école on peut apprendre aussi ce qu’on a pas toujours envie de
faire…quand on vote et que c’est pas nous les choisis par exemple. Avoir du respect et
respecter les gens, dans l’idée d’un jeu, c’est accepter que son idée ne soit pas retenue »146
Autre volet de cette formation citoyenne: la sensibilisation aux enjeux de société tels
que l’écologie, l’engagement humanitaire ou le respect de la diversité culturelle. Bien
146
Extraits de paroles d’enfants de classe primaire à propos du forum organisé par L’ANEN: A quoi sert l’école ?
72
qu’étant présente dans la grande majorité des écoles, elle prend dans les écoles nouvelles une
dimension spécifique en irradiant sur toutes les matières. Elle passe par une grande ouverture
sur l’international tant au niveau de la diversité des langues pratiquées: section européenne
anglais, espagnol, enseignement de langues rares telles que le chinois, le polonais que de
l’importance accordée aux échanges et jumelage avec des écoles au Canada, en Inde pour
l’école de la Source. Cette ouverture internationale est présente à l’intérieur de l’école qui
accueille beaucoup d’enfant de parents étrangers de nationalité européenne, nord américains,
ou des pays émergents asiatiques147.
Cet apprentissage citoyen est revendiqué comme une valeur ajoutée par les enseignants des
écoles: au cours des journées portes ouvertes de l’école de la Prairie, une enseignante
expliquait avec conviction l’importance du travail « hors programme » par le biais d’ateliers
expérimentaux, pour sensibiliser les élèves aux problèmes citoyens :
« On nous demande d’étudier l’électricité mais sans se demander comment on l’a produit,
alors il y a forcément un moment où les enfants demandent, et là voilà le but de leur faire
étudier le nucléaire même si c’est des notions trop compliquées pour leur niveau, ils ont saisi
le fait que le choix de l’énergie n’est pas forcément en rapport avec les avancées scientifiques
mais plutôt avec un choix politique et pour moi c’est çà la science citoyenne, ce que je tante
de leur faire prendre conscience. »148
Ce vécu citoyen par l’apprentissage de la gestion de la vie collective semble « marquer » les
enfants issus de ces écoles dans leurs trajectoires scolaires et professionnelles ou du moins est
revendiqué comme marquant par les acteurs de l’institution.
Tant les anciens élèves que leurs parents s’accordent sur cette différence constatée avec les
élèves issus d’une scolarité classique :
147
Les statistiques sont absentes sur ce thème, néanmoins c’est un thème qui est revenu souvent lors des
discussions informelles avec les parents d’élèves, carnet ethnographique, annexe III, p.XXVII.
148
Carnet ethnographique, annexe III, p.XXVII.
73
Les anciens élèves: « des engagés » à l’esprit critique
« les écho des anciens élèves c’est ça quand ils arrivent au lycée, ouhhhhhh c’est
vide quoi; il n’y a plus, les grands conseils tout ça ça n’existent plus donc, ils n’ont plus de
lieu de discussion, souvent ils se mettent dans les syndicats d’élèves ou des choses comme
ça, ils sont en tête des manifs, mais ils voient bien que les autres enfants qui ont eu une
scolariser plus classique n’ont pas ces élans, et puis même ils disent que déjà au lycée ils
sont lobotomisés, ils n’ont pas la pêche, pas d’envie, ils n’ont pas…….bon je généralise, ils
ne les trouvent pas dynamique, les retours traitent de ça, alors que bon ils fonctionnent
beaucoup par le projet, l’élaboration, dans l’organisation, les discussion je pense qu’à la
Prairie c’est un plus »
Extrait entretien parents d’élève de l’école de la Prairie 149 ,
« Ils ne peuvent plus s’adresser aux profs, quand ils proposent quelque chose
souvent les enseignants ne donnent pas suite, si il y en a une différence……..
Ils sont beaucoup moins scolaires… »
Paroles rapportés lors d’une discussion informelle au café pédagogique
des parents lors des journées portes ouvertes lors de l’école de la Prairie.150
« Selon les retours des enfants qui une fois au collège viennent nous revoir, ils sont
souvent choqués par toutes les petites histoires…ici ils ont appris à se dire les choses quand
le comportement d’un camarade ne leur a pas plus, nous avons un temps pour çà et un fort
travail de groupe, de collaboration.
Ce sont des enfants qui n’ont pas peur des adultes, des maîtres, de prendre la parole et
poser des questions. »
Extrait entretien enseignante école du Chapoly.
« Ah oui il y a quelque chose que je ne vous ai pas dit, j’ai pas mal de copains qui
ont fait la prairie après mai 68, ils ont un esprit très critique c’est fatiguant pour eux mais
c’est aussi un gros atout.
Je pense que c’est un atout quand je vois dans ma pratique quotidienne un amphi bouche
bé et qui avale. »
Extrait d’entretien parents d’élève de la prairie (enseignant/
chercheur à l’université du Mirail).
149
150
Annexe II, p.XXI.
Carnet ethnographique, annexe III, p.XXVII.
74
un enfant épanoui
Photo extrait du site Internet de l’école de la Source.
Le « mode de vie des enfants est heureux », tel est le principe fondamental autour
duquel s’articule les différentes pratiques pédagogiques. Il est indissociable de plusieurs
concepts clés: épanouissement personnel, équilibre et réalisation de soi, pouvoir créateur de
l’enfant. La vie est définit comme une « œuvre à accomplir par la mise en pratique d’un
projet personnel et d’un art de vivre. »151
Cette façade qui peut apparaître idyllique contribue à l’existence d’un sens commun
concernant la scolarité « hors norme de ces enfants »152: ils sont dans une bulle, coupés de la
réalité des problèmes actuels que connaissent les établissements traditionnels (échec scolaire,
dépression du corps enseignant).
L’ensemble
des
méthodes
pédagogiques
converge
vers
cet
objectif
revendiqué
d’épanouissement personnel de l’enfant qui doit passer par sa prise en compte en tant que
personne, dans son intégralité c'est-à-dire une attention toute particulière apportée aux
techniques corporelles, au développement des sens, à la gestion des émotions à côté de la
formation plus traditionnelle de ses facultés intellectuelles.
Le mot d’ordre « respect du rythme de l’enfant » est considéré comme étant au fondement du
développement personnel de l’enfant: l’enfant doit apprendre à son rythme même si il ne suit
pas les ages institués : pour la lecture, pour les fractions, les divisions.
Par exemple à l’école du Chapoly, les apprentissages de base du primaire sont établis dans
une continuité ce qui supprime le redoublement, les enfants peuvent avoir un groupe de
niveau différent du groupe classe : un enfant peut rentrer en CE1 et travailler sur un fichier
lecture de CE2. A l’école de la Prairie, permettre à l’enfant de s’épanouir c’est aussi accorder
un temps à soi où il puisse mettre en œuvre ses projets, entreprendre des activités de
recherche individuelle ou par petits groupes. En primaire ce temps libre est appelé « le temps
des possibles »: les enfants peuvent élaborer des initiatives personnels: écrire un conte,
151
Perrenoud (Philippe), la pédagogie à l’école des différence, op.cit. p.115.
Ce sont les premières réflexions faites à l’évocation de mon objet de recherche par des parents dont les
enfants sont scolarisés dans des écoles publiques traditionnelles.
152
75
apprendre la cartographie, dessiner une bande dessinée. Ce temps est aussi un moment donné
à l’enseignant pour observer l’enfant afin de s’assurer qu’il n’est pas seul, qu’il se sociabilise,
qu’il se sente bien au sein de la classe. Cela amène à un point central du projet pédagogique
de ces écoles: la très grande attention apportée au bien être psychologique de l’enfant qui
s’accompagne de la présence à temps plein au sein de l’équipe pédagogique d’éducateurs et
psychologues qui sont chargés de veiller à ce bien être de l’enfant.
« Ça c’est la salle de Claire, tu vois tu peux venir lui parler, lui raconter tout les trucs que tu
veux si ça ne va pas, si t’as besoin de parler, c’est là » 153
Le cadre physique de l’école constitue un autre élément qui doit permettre de garantir
le bien être de l’enfant en offrant une large place aux activités de plein air. Le bâti et les
espaces de l’école participent de cette idée d’un lieu où l’enfant se sente bien et peut être
heureux. Les locaux de ces établissements (bâtiments, architectures, clôtures) et leurs
emplacements qui en font des lieux institutionnels (à fonction de représentation) du tissu
urbain et d’un environnement social donnés (au centre ou à la périphérie), sont aussi des lieux
de condensation, de cristallisation de rapports sociaux qui gardent toujours la trace de leur
origine154. Dans ces écoles qui sont pour la majorité située en périphérie des grandes villes,
dans les quartiers résidentiels se distinguent de la majorité des écoles par l’immense parc ou
jardin dont elles disposent. C’est un lieu où les enfants se sentent bien entre soi et presque
comme chez soi.155 « Et puis il y avait c’est immense parc, le parc des Sceaux, on y faisait
des pauses d’une heure là comme en pleine nature, c’était énorme… »156
Le jardin comme lieu d’apprentissage et d’expérimentation
« Les enfants absorbés par leur jeu ne remarquent même pas la présence de leurs parents,
venus les chercher directement dans la cour puisqu’il n’existait pas de séparation
matérielle (portail, grille) entre l’extérieur et l’intérieur de l’école, seul un petit chemin en
terre sépare l’école de la petite rue tranquille où elle est située. »
Ecole du Chapoly: Observation d’une sortie de classe
153
Paroles de l’élève de CM2 qui m’a guidé lors de la journée portes ouvertes de l’école de la Prairie mars 06,
Carnet ethnographique, annexe III, p.XXVII.
154
Beaud (Stéphane), Weber (Florence), « des professeurs et leurs métiers face à la démocratisation des lycées »,
op.cit. p.62-63.
155
Idem.
156
Extrait parole d’ancien élève, discussion informelle, carnet ethnographique, annexe III pXXXI.
76
« On trouve un « côté cour, côté jardin »: les cours extérieures sont des espaces
verts arborés, lieux propices aux découvertes, aux confrontations avec la nature, ses jeux,
ses pièges, L’enfant y poursuit son apprentissage de vie (il monte aux arbres, construit des
cabanes). »157
« Et puis lorsqu’on est allé à la Prairie, elle a un parc gigantesque et nos enfants n’ont plus
voulu en repartir, alors que l’école en face de chez nous, c’est une cours bétonnée, c’est
quand même plus sympa en plus le temps de récréation fait partie du projet. »
« On y est depuis septembre 1993, on habitait dans un quartier avec la cour de l’école en
béton et pas un grain d’herbe, on habitait à l’époque en appartement et j’avais pas du tout
envie que mes enfants grandissent sans verdure. On est allé aux journées portes ouvertes,
je ne sais pas si vous connaissez la cour, le jardin avec cette idée que l’on plante à
l’autonome, on récolte au printemps c’est çà l’éducation nouvelle. »
Extrait d’entretien parent d’élève de l’école de la Prairie.
Un enfant « créateur incréé » ?
« Je crois que je suis créatif à la base. »158
Le sens commun « tous artistes, tous littéraires » véhiculé sur ces écoles peut servir de
point de départ à la réflexion autour « du pouvoir créateur de l’enfant »159 qui est postulé au
travers de l’importance accordée aux activités manuelles et artistiques. Adolphe Ferrière,
pédagogue de référence de ces écoles décrit l’activité manuelle à l’école active (nouvelle)
comme un « élan vital spirituel de l’enfant, une activité spontanée de l’enfant, voilà la base.
Accroissement indéfini de cette énergie spirituelle, accroissement en quantité, certes, mais
plus encore en qualité… »160
P. Bourdieu pose cependant la question suivante « mais qui a crée les créateurs ?161 »,
il invite ainsi à déconstruire cette croyance que l’artiste est « un créateur incréé » qui conduit
à croire que la sociologie de l’art ne doit rien dire de l’œuvre et de l’artiste lui-même car ils
appartiennent à un espace séparé et sacralisé. Or, il faut se demander non ce que fait l’artiste
mais ce qui fait l’artiste et dégager les conditions sociales de la perception d’une œuvre d’art.
La capacité de voir un objet en dehors de sa fonction, en tant que pure forme, ce que l’on
appelle « le regard pur » ou « l’art pour l’art » est le produit d’un apprentissage. Ce regard pur
de l’art du consommateur et de l’amateur trouve son homologue chez l’artiste. En ce sens la
sociologie de l’œil et celle des producteurs de peinture sont unies par des dispositions
157
Extrait du projet pédagogique de l’école de la Prairie.
Extrait parole d’ancien élève, discussion informelle, carnet ethnographique, annexe III p.XXXI.
159
Roussel (Roger), « Remarques sociologiques sur quelques invariants de la pédagogie Freinet » op.cit. p.158.
160
Groupe éditions ANEN, L’éducation Nouvelle, Claparède, R.Cousinet, J.Dewey, A.Ferrière, op.cit, p127.
161
Bourdieu (Pierre), Questions de sociologie, op.cit. p.207.
158
77
communes qui découlent de l’étude des conditions sociales de production de ce regard
formellement pur et le détachement matériel.162
L’expérience esthétique a aussi des effets physiologiques et esthétiques qui engage les corps
et provoque l’émotion. Comme l’a montré Marcel Mauss, il existe une relation ancienne entre
le corps et la culture. L’art est même selon lui à l’origine un travail sur le corps : danse (qui
fait bouger), drame (qui émeut), littérature orale (qui est récitée et publiquement écoutée).
L’ « esthétique contribue à l’efficacité des rites par les effets sensibles »163.
Dans le cadre de l’étude des écoles nouvelles, il convient d’envisager comment
l’apprentissage de certaines dispositions et attitudes contribue à former ce regard, d’un
rapport à l’art désintéressé, qui objective dans la pratique le caractère créé de l’« enfant
créateur ».
La capital culturel existe sous trois formes164 selon Pierre Bourdieu, il est présent au sein de
ces écoles à l’état objectivé165 c'est-à-dire que l’univers artistique dans ces écoles est inscrit
dans les murs, s’insère dans le cadre matériel. En effet, dans chaque salle de classe de l’école
de la Prairie et ce quel que soit le niveau, les murs sont décorés de productions artistiques:
dessins, panneaux d’affichages où les règles de vie sont énoncées en couleur avec un
graphisme original166. L’effet Arrow167 permet d’expliquer que l’ensemble des biens culturels
exerce un effet éducatif par leur seule existence, l’accroissement de la quantité du capital
culturel accumulé à l’état objectivé accroît l’action éducative automatiquement exercée par
l’environnement.
Par ailleurs, à côté des activités traditionnelles de chorale et peinture, les arts dits mineurs et
l’artisanat ont aussi leur place: travail du bois, atelier bricolage, la technique du moulage en
plâtre sont enseignés dans le cadre d’atelier de sciences naturelles. L’aspect créatif est
omniprésent, il n’est pas cloisonné à une seule activité et renvoie aussi aux caractéristiques de
l’avant-garde qui réhabilite et rend légitime des pratiques dites vulgaires. 168
Ces activités ne contribuent pas seulement à l’apprentissage d’un savoir faire artistique
former au travers du maniement de certaines techniques. Elles conduisent à la formation d’un
véritable sens artistique qui se décline dans la formation d’un regard, l’acquisition d’un
162
Béra (Matthieu), Lamy (Yvon), Sociologie de la culture, Paris, Armand Colin cursus, 2003.
Mauss (Marcel), Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1985 (1re éd. : 1950). p365-384.
164
Bourdieu (Pierre), les trois états du capital culturel, op.cit.
165
L’état objectivé existe sous la forme de biens culturels, tableaux, livres, dictionnaires, instruments, machines
qui sont la trace ou la réalisation de théories, de problématiques.
166
Carnet ethnographique, annexe III, p.XXVII.
167
Bourdieu (Pierre), les trois états du capital culturel, op.cit.
168
Bourdieu (Pierre), La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Editions de Minuit, 1979.
163
78
jugement esthétique, une familiarité avec les expériences sensibles et les émotions que
provoquent la pratique du théâtre, la danse ou autres activités artistiques.
Par ce travail d’inculcation et d’assimilation les enfants accumulent du capital culturel sous la
forme de dispositions durables de l’organisme. Ce capital culturel à l’état incorporé est un
avoir devenu être, une propriété faite corps devenue partie intégrante de la personne, un
habitus d’enfant créateur.
Les ateliers d’expressions créatives animés par une art thérapeute à l’école du Chapoly
illustre parfaitement l’importance accordée aux expériences sensibles et esthétiques. La
pénétration de ces pratiques artistiques avant-gardiste est rendue possible par le brouillage des
frontières entre le champ artistique et le champ scolaire 169 : le public scolaire devient un
terrain privilégié d’expérimentation ce qui rentre en concomitance avec la demande des
écoles nouvelles de ces pratiques « non conventionnelles ».
«Apprendre à toucher, à regarder »
Un des projets mené au sein de l’école du Chapoly était de faire travailler les
enfants sur les sens, les émotions et l’imagination. (Cycle II)
« Il s’agit d’établir une relation constante entre ce que l’on voit et ce que l’on
touche.
Toucher c’est provoquer un rencontre immédiate et étroite avec l’objet. Avec la vue, les
distances sont représentées plus que ressenties.
Toucher demande de la concentration, de la méditation, notre époque n’étant pas à la
méditation, il est bon de pouvoir développer cette notion de temps pris à regarder et à
toucher afin d’enrichir le potentiel créatif.
Plutôt que de donner un savoir faire, il s’agira d’éveiller la créativité, la personnalité
artistique de l’enfant. Leur « faire vivre » l’objet à représenter par sa perception visuelle et
tactile avant de les dessiner. Les enfants dessinent en imaginant les touchers et l’objet
devient ainsi plus réel. »
Exercices proposés: exploration (cartes tactiles), recherche (effort pour trouver
d’autres matériaux liés à des touchers différents, pour réaliser des cartes tactiles originales
évoquant des lieux ou des émotions diverses).
Chaque enfant réalise deux cartes tactiles avec un seul matériau bois (allumettes,
copeaux, sciure poudreuse, écorces d’arbre, copeaux de taille crayon), papier (confettis,
peint lisse, rugueux, pâte à papier, boules de cotillon, carton lisse ondulé) Pâte plastique
(molle et humide, on peut la rendre rugueuse, filandreuse, râpeuse ou lisse, l’émietter,
former des boulettes ou des perles). Tissu et pot pourri.
Les enfants vont reconstituer en individuel, les couples, et classer les cartes en
établissant des progressions du chaud au froid, du lisse au rugueux, l’expérience sera faite
les yeux bandés.
Avec l’institutrice, les sensations seront reprises en classe, verbalise et ils composeront
ensuite des poèmes avec les mots trouvés pour évoquer leurs sensations
169
Chamboredon (Jean-Claude) en collaboration avec Prévot (J), « Le métier d’enfant, vers une sociologie du
spontanée », op.cit.p.11.
79
Compte rendu des ateliers d’expressions créatives au Cycle III
1ère séance: visite à la biennale d’art contemporain, c’est une bonne occasion pour moi de
prendre contact avec le groupe. De remarquer leur ouverture car ils posent beaucoup de
questions.
2ème séance:dessin libre avec pour consigne de choisir au préalable une forme insérer à un
dessin.
3ème séance : imaginer plastiquement (collage ou dessin) la fin d’une histoire (Tahar Ben
Jelloun, la rose des sables) dont j’ai raconté le début. Mettre en mot sa production en fin de
séance.
Éléments significatifs: le degré d’imagination est variable, certains sont prolixes (invente
une histoire avec des éléments qui sortent du cadre de la feuille). Je me pose des questions
sur le bon équilibre à trouver les règles à fixer et la liberté d’expression à préserver.
À partir de la 3ème séance : se dessine la notion d’ateliers multiples pour permettre à
chacun de choisir et de ne pas être bloqué.
Ateliers: inventer un animal imaginaire, papier mâché, inventer une histoire en collage,
faire son propre signe en composant un tampon en mousse.
Elément significatif : un enfant utilise les boules de papier mâché qu’il a fabriquées en
guise de seins pour se travestir en femme. Je lui propose de prendre le corps de la femme
comme thème de sculpture en papier mâché.
A la séance suivante, je ferais un rappel historique en histoire de l’art sur l’utilisation de la
femme comme objet et modèle des artistes aussi bien en art primitif que dans l’art
contemporain. Ils en viendront par ce biais à parler de la beauté et de ces critères qui
varient en fonction de l’époque.
Compte rendu réalisé par l’intervenante
Les écoles nouvelles apparaissent comme un lieu où l’enfant doit faire son métier
d’enfant pour reprendre l’expression de P.Kergomard170 c'est-à-dire se comporter selon la
norme du comportement enfantin telle qu’elle découle de la définition de l’enfance inscrite
dans l’offre pédagogique des écoles nouvelles. La seule obligation qu’ait l’enfant est
« d’être soi » : un soi autonome, citoyen, épanoui, créatif.
Néanmoins, l’habitus est selon P. Bourdieu « un avoir qui s’est transformé en être »171; ce
qui invite à s’interroger sur les présupposés de cette définition de l’enfance et sur les
dispositions sociales, intellectuelles, culturelles qu’elles viennent conforter.
170
171
Kergomard.P, L’éducation maternelle dans l’école, Paris, Nathan 1938.
Bourdieu (Pierre), « les trois états du capital culturel » op.cit. p.4.
80
B. Les présupposés de cette définition: rapport au langage, au savoir, au jeu,
aisance corporelle.
Ce « métier d’enfant » tel qu’il s’inscrit dans l’offre de ces écoles, présuppose un
certain nombre de compétences socialement acquises. Celles-ci s’objectivent dans la pratique
et le discours pédagogiques : maniement du langage, aisance corporelle, rapport ludique au
savoir, au travail, au monde.
Or, tant les analyses de Basil Bernstein que celles de Pierre Bourdieu sur le système éducatif
montrent que les cultes du libre épanouissement, de l’expressivité, de la créativité, de la
spontanéité, ne sont pas socialement neutres. Au contraire ces pédagogies nouvelles
supposent une sensibilité aux nuances morales et une habitude du gouvernement par le
discours.
La parole comme instrument d’expression
La parole joue un rôle clé dans les attitudes requises de l’enfant qui doit se faire
entendre dans le groupe, motiver ses choix, exprimer ses émotions, ses attentes et ses
découvertes. Le présupposé de la connaissance de certaines expériences est au fondement des
pratiques d’apprentissage, elle suppose un certain type de dispositions profondes à l’égard du
monde. Les méthodes de l’éducation nouvelle insistent beaucoup sur le retour sur des
expériences pour les commenter, les enrichir, les cultiver et par là développer la sensibilité,
l’esprit d’observation et le vocabulaire.
Cependant toutes les expériences ne peuvent pas servir de support d’activités, certaines sont
plus nobles que d’autres: « la définition cultivée de l’expérience peut conduire à faire d’un
thème de vie l’occasion d’un enchaînement d’évocations cultivées de souvenirs littéraires ou
d’œuvres musicales, d’un jeu subtile avec des évocations sensorielles diverses. » 172
172
Chamboredon (Jean-Claude) en collaboration avec Prévot (J), Le métier d’enfant, vers une sociologie du
spontanée, op.cit.p.26.
81
L’exemple des ateliers d’expressions créatives peut être repris ici:
« Verbaliser et mettre en mots les sensations »
Réalisation de croquis tactiles à partir d’éléments naturels trouvés dans le jardin.
Recherche des sensations éprouvées par le corps, froid ou chaud, exposition au soleil, à
la pluie, sensation dans l’herbe, roulade. Travail à quatre sur un même carton.
Réalisation d’un pays imaginaire.
Histoire réalisée :
« Le pays abandonné…
Il était une fois dans un pays tout froid qui perdaient ses couleurs, des fantômes qui
suçaient toutes les couleurs.
Il n’y avait plus rien, tout était gris, noir et moche…
En autonome, des feuilles noires tombaient des arbres noirs.
En été des fleurs noires qui poussaient.
Ces fantômes suçaient les couleurs parce qu’ils souhaitaient devenir colorés…mais ça ne
marchait pas.
Un jour, une drôle de météorite colorée tomba comme ça au milieu de l’océan atlantique
devenu lui aussi tout noir…Et tout d’un coup il devint tout coloré. Cette météorite était
vraiment bizarre.
Affolés par ce vacarme, les fantômes arrivèrent, et la météorite fit apparaître un arc en ciel
magique, puis elle proposa aux fantômes de se rouler dans l’arc en ciel. Et de devenir tout
colorés à condition de rendre les couleurs au monde.
Les fantômes rendirent les couleurs.
Alors une porte s’ouvrit et un magicien apparut.
C’était le magicien qui avait transformé les hommes en fantômes et qui décida de leur
rendre leur formes humaines car ils avaient rendu les couleurs.
Basil Bernstein montre qu’il existe un type particulier au langage que forme
l’inculcation familiale dans les différentes classes: un « système de rôles ouverts tend à
encourager l’expression de significations nouvelles et l’exploration d’un domaine conceptuel
complexe tandis qu’un système de rôles fermés décourage l’invention et limite le domaine
conceptuel exploré. » 173 Ce système de rôle doit être mis en relation avec la place réservée à
l’enfant et à la valeur accordée à sa parole au sein du système d’interaction familiale: la
participation étendue et l’encouragement à parler créent un ensemble de relations fortement
particularisées. Dans les classes supérieures, le discours est l’objet d’une attention spéciale et
développe une attitude réflexive à l’égard des possibilités structurales de la phrase: cette
attitude familiale du laisser parler renvoie à une fonction de communication attribuée au
langage.
173
Bernstein (Basil), Langages et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social, op.cit.
82
Or dans ces écoles, le modèle dominant est expressif, l’enfant est constamment amené à
verbaliser ces expériences: sa parole est sollicitée, écoutée, encouragée et prise en
considération. Pour Emile Durkheim174 il faut imprimer le petit homme pour en faire un petit
homme, la sociologie ne néglige pas pour autant la place de l’expression dans cette
impression : dire quelque chose, ou le redire ou l’expliciter, pour l’apprendre, c’est s’en
imprégner, s’en imprimer, c’est parfois même la découvrir : parler c’est aussi penser.
Même si toute pédagogie comme le rappelle Roger Roussel qui pédagogie qui n’aurait pas
pour objectif de réellement donner la parole aux enfants est suspecte, « on peut même
supposer qu’en donnant la primauté à l’expression l’école favorise ceux qui ont déjà
imprimés, ceux qui chez eux, sans le savoir sont déjà à l’école. C’est qu’alors l’expression est
bien un procédé d’impression mais ne s’impriment que ceux qui s’expriment c'est-à-dire ceux
qui sont déjà imprimés. »175
la maîtrise de soi
La pédagogie nouvelle postule la présence d’une certaine aisance des enfants, dans
leur rapport au corps et à l’espace. Cette « facilitée naturelle » comme le souligne Pierre
Bourdieu n’est que l’aisance au sens de situation de fortune qui assure la vie facile, et suppose
une transmission et intériorisation préalable de certaines dispositions lors de la socialisation
familiale. L’aisance est au sens d’Aristote l’effet d’imposition que réalisent par leur existence
même ceux qui n’ont qu’à être ce qu’ils sont pour être ce qu’il faut être. Cette correspondance
parfaite est la définition même de l’aisance qui en retour atteste de cette coïncidence de l’être
et du devoir être et le pouvoir d’auto affirmation qu’elle enferme.176
Les apprentissages d’un certain rapport au corps, d’une gestion de ces émotions et des
conflits visent à l’acquisition d’une maîtrise de soi.
174
Roussel (Roger), « Remarques sociologiques sur quelques invariants de la pédagogie Freinet », op.cit. p.159.
Idem.
176
Bonnewitz (Patrice), Pierre Bourdieu. Vie, œuvres, concepts, op.cit, p.60-65.
175
83
« C’est la maîtrise du corps ça s’appelle »
« Si je bouge partout et je suis mal assis, je ne peux pas écrire d’une belle écriture. C’est la
maîtrise du corps ça s’appelle, être calme et ne pas excité quand on est en récré (...) je ne
dois pas agresser mes camarades, même avec mon corps, je dois être sympa avec les autres,
sinon je n’aurai pas de copains, il ne faut pas que je touche leur corps sans leur permission
sinon ça fait de gros problèmes. Respecter son corps, c’est par exemple si Ana ne veut pas
que je la touche ou si Leïla ne veut pas de bisous, donc il faut leur demander (…) en
apprenant comment il fonctionne je peux mieux contrôler mon corps »
Extrait de paroles d’enfants de classe primaire à propos du forum organisé par L’ANEN : à quoi sert
l’école ?
La maîtrise de soi, de son corps se traduit par l’attention portée à l’alimentation: sa
fabrication, production et consommation de la nourriture. A l’école du Chapoly, en
complément d’ateliers cuisines des jardins collectifs ont été mis en place: ils sont animés par
un jardinier retraité qui intervient chaque semaine, les expériences des enfants « apprentis
jardiniers » vont être retracées au travers d’un travail de production de textes dans le but de
rédiger un livre du jardin. Au travers de ces ateliers c’est non seulement un rapport au sens:
goût, odorat et touché qui est développé et aiguisé mais un rapport au corps dans son
ensemble. Selon Pierre Bourdieu, la médiation par laquelle s’établit la définition des
nourritures convenables s’établit au travers du schéma corporel c'est-à-dire la manière de tenir
le corps dans l’acte de manger qui est au principe de la sélection de certaines nourritures. « La
représentation sociale du corps propre avec laquelle chaque agent doit compter, et dès
l’origine, pour élaborer sa représentation subjective de son corps et son hexis corporelle est
ainsi obtenue par un système de classement social dont le principe est le même que celui des
produits sociaux. »177
Dans cette optique, il est intéressant d’analyser la mise en scène du corps dans les
plaquettes des différentes écoles, les photos sélectionnées informent aussi sur l’image
corporelle et les valeurs véhiculées au sein de l’école.
La mise en scène du corps telle qu’elle apparaît dans les photos reproduites sur les plaquettes
des écoles est de ce point de vue là intéressante. Louis Marin178 souligne la force du visuel car
ce qui se joue dans la construction de l’image est un phénomène éminemment social. Elle se
177
178
Bourdieu (Pierre), La distinction. Critique sociale du jugement, op.cit.
Marin (Louis), Des pouvoirs de l’image: gloses, éditions du seuil.
84
donne comme la matrice d’un rapport social car elle construit en elle le regard auquel elle se
destine. La réception de l’image, son déchiffrage dépend des codes historiques culturels et du
sentiment de familiarité que ces images procurent. Ainsi, le corps est en mouvement au
travers d’activités sportives et des activités de contact et découvertes de la nature (promenade
en foret, jardinage). La proximité affective avec les autres est mise en évidence (enfants main
dans la main ou s’épaulant) diffusant ainsi les valeurs de solidarité et de communauté; la
dimension festive est très présente au travers des grands rassemblements avec les familles
sont présentes: carnaval, représentation théâtrale, concert…
L’image récurrente est celle d’enfants aptes aux déplacements libres et régulés dans
l’espace.
Les enfants de l’école nouvelle d’Antony au jardin potager.
Les rapports au corps et à l’espace sont socialement situés et renvoient à l’acquisition
d’un habitus particulier pour que la pédagogie puisse exercer pleinement ces effets sociaux ;
correspondant ici à des dispositions que l’on retrouve dans les milieux supérieurs et cultivés.
le désintéressement intéressé
Au sein de ces écoles travail et plaisir sont intiment liés, ce qui suppose
l’intériorisation de dispositions particulières à l’égard du travail, qui demande d’être vécu
85
comme source d’épanouissement, et
fait appel à une curiosité prétendue innée pour la
connaissance.
•
Le travail plaisir
Dans les formes de l’apprentissage de ces écoles, le rapport à la connaissance est
relativisé dans la mesure où elle apparaît intellectuellement et socialement construite, ni la
grammaire ni la science ne sont des vérités intangibles mais des états provisoires destinés à
être dépassés.179 Cette pédagogie de l’apprentissage par tâtonnements met plus l’accent sur
l’observation et la critique que sur le dogme et l’argument d’autorité. Des lors, le savoir est
valorisé comme une ressource positive que l’individu doit s’approprier dans son propre
intérêt, il faut ainsi avoir envie de maîtriser un savoir et surtout de l’apprendre avec plaisir.
Dans cet esprit, l’apprentissage doit être voulu pour lui-même, comme une forme privilégiée
d’accomplissement, vécue comme source de plaisir.
Néanmoins, « cette morale de la connaissance »180 repose sur le ressort pédagogique de la
curiosité ce qui requiert une attitude particulière: « le désintéressement intéressé » 181 . Cette
attitude suppose d’être présente dans le milieu familial afin que les parents comprennent les
fins de l’action scolaire, retraduite au travers de l’inculcation familiale en dispositions
enfantines comme la curiosité « gratuite ». Elle sera plus familière aux parents qui vivent
dans un milieu où la valeur dominante parce qu’elle correspond à leurs expériences scolaires
et professionnelles lorsqu’ils ont eux même un niveau de formation élevé ; est un rapport au
savoir personnel, gratifiant et non dogmatique.
Les qualités de la réussite mises en avant dans ces écoles montrent bien qu’il ne suffit pas
d’être appliqué, conformiste, perfectionniste, de faire scrupuleusement ses exercices, de
présenter impeccablement ses travaux pour passer un bon élève. Les aspects qui sont
valorisées et qui découlent de la définition d’un enfant épanoui, autonome, citoyen et créatif,
sont d’avantage l’imagination, la participation, la capacité de formuler des hypothèses, de
communiquer ses propos et de prendre des initiatives.
179
Perrenoud (Philippe), La pédagogie à l’école des différences, op.cit. p.115.
Ibidem
181
Chamboredon (Jean-Claude) en collaboration avec Prévot (J), Le métier d’enfant, vers une sociologie du
spontanée, op.cit.p.32-33.
180
86
Le plaisir de la découverte et de l’apprentissage, école nouvelle d’Antony.
•
Un rapport au travail ludique
La pédagogie du jeu occupe une place incontournable dans les apprentissages, ce qui a
de nombreuses implications sociales dont les effets ne peuvent être saisis qu’en mettant en
rapport cette pédagogie avec la définition dans chaque milieu social du travail et du jeu.
B. Bernstein montre que le rapport ludique au savoir n’est pas perçu de la même manière
suivant les différentes catégories sociales: la fonction d’apprentissage du jeu n’est pas patente,
il faut une qualification supérieure pour ne pas voir des enfantillages dans certains jeux. Ces
derniers sont le plus souvent fondés sur un retour savant sur les bases de la discipline et les
conditions générales de l’apprentissage. Ce rapport ludique au savoir suppose une
connaissance des théories, des méthodes et des mouvements intellectuels qui ont rendu
possible cette invention.
Dans les classes cultivées182 « on peut et on sait travailler, traiter un travail comme un jeu ; il
est donc plus facile de reconnaître au jeu certains caractères du travail, de le traiter comme
une activité « sérieuse » et de demander que l’on joue « sérieusement ».
182
Bernstein (Basil), Langages et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social, op.cit.p.181.
87
Les jeux utilisés dans les écoles nouvelles accordent sont des jeux dits éducatifs et coopératifs
qui doivent stimuler la coopération plutôt que la compétition. L’exemple d’un jeu proposé par
une enseignante de l’école du Chapoly est révélateur de ce rapport ludique et expérimental :
« il vous faut trouver le nombre moyen de copeaux de chocolats dans trois gâteaux secs. Je
vous donne trois gâteaux secs et il faudra que vous les trouviez en les mangeant. »
« Pour moi l’éducation nouvelle c’est un truc super qui reste gravé dans ma
mémoire (…) maintenant dans ce que je connais on est tous à fond scientifique, on a une
super logique…
Je me rappelle des jeux qu’on faisait afin c’était aussi pour apprendre, tous les ans en
classe on chopait un gros thème comme la préhistoire et puis on est allé faire une classe
verte et là on a vécu deux semaines comme des hommes de Cro-Magnon, non mais
t’imagine la façon d’apprendre… »
Extrait entretien ancien élève (primaire), école nouvelle d’Antony.
Ces présupposés dans la définition de l’enfant doivent pour exercer leurs pleins
effets sociaux être en conformité avec l’inculcation et le milieu familial.
Quelles sont alors les conditions sociales et culturelles du bon usage de ces écoles par les
familles ?
II. les conditions sociales et culturelles du bon usage de ces écoles.
Pour analyser les effets sociaux d’une pédagogie il convient de s’interroger sur les
compétences qu’elle suppose chez les parents d’élève. La maîtrise pratique de la définition
objective sur laquelle repose la pédagogie et l’institution, est une des conditions nécessaires à
l’utilisation adéquate de l’institution. Cela permet que la pédagogie familiale redouble ou au
moins ne contrecarre pas la pédagogie scolaire.
A. Les compétences objectivement requises
Les présupposées de ces pédagogies supposent d’être confrontés à la famille comme
instance de socialisation primaire.
88
Proximité sociale et intellectuelle
L’absence de distance culturelle avec l’école est la condition préalable au bon usage
de ces écoles puisque les parents sont supposés en être des partenaires privilégiés.
Au-delà de la simple proximité géographique, le choix de ces écoles relève plus d’une
démarche intellectuelle qui rentre en conformité avec le projet de l’école. Or le bon
décryptage du contenu pédagogique présuppose la présence d’une certaine qualification
culturelle: entendue au sens large depuis les compétences artistiques jusqu’à la maîtrise des
connaissances psychologiques, conditions d’un bon décryptage du contenu pédagogique.
Cette proximité culturelle permet de partager des codes communs de lecture des pratiques
pédagogiques afin de dépasser le sens commun d’une école permissive et laxiste, d’un
caractère apparemment naïf de certains apprentissages. Les lectures des écrits de Jean Piaget
même dans sa forme vulgarisée183 ou d’autres pédagogues de l’éducation sont un préalable
pour appréhender « la naïveté savante »184 de certaines méthodes d’apprentissage.
Ces références psychologiques communes conduisent au rassemblement des parents et
enseignants autour du consensus d’un enfant acteur de son éducation, qui doit être considéré
comme une personne à part entière et dont le rythme d’apprentissage doit être respecté.
Le respect absolu de l’avancement individuel
« A la prairie, on n’essaye pas de les faire rentrer dans un cadre, avec le fait de ce
respect absolu de l’avancement individuel on attend qu’il fasse d’eux même.
C’est comme en montagne, l’enfant il veut pas marcher mais si on le force un peu il est
content d’arriver en haut. Là à la Prairie si il ne veut pas y aller, il faut attendre qu’il
décide…alors bon enfin on le pousse pas à l’effort enfin on bon si on le fait à la maison.
Le plus vraiment pour moi c’est le respect de l’enfant et de son évolution, on ne met pas
d’étiquettes, si il n’a pas de bonnes notes en CE2 on va pas le regarder toute sa scolarité
comme un mauvais élève, on fait confiance à l’enfant, et çà s’est garanti par le projet bon
bien sur il y a des enseignants moins bon comme partout. »
Extrait entretien parent d’élève de l’école de la Prairie.
183
Les magazines féminins ou de vulgarisation psychologique abondent d’articles de conseils éducatifs aux
parents.
184
Chamboredon (Jean-Claude) en collaboration avec Prévot (J), Le métier d’enfant, vers une sociologie du
spontanée, op.cit, p.8.
89
Compétences et dispositions artistiques
Cette lecture adéquate des fonctions d’apprentissage demande la présence de certaines
compétences et dispositions artistiques.
La lecture de l’art contemporain (performances, installations…) présuppose de disposer de
« l’œil » adéquate à une perception de l’œuvre d’art proprement stylistique c'est-à-dire en tant
que signifiant qui ne signifie rien d’autre que lui-même. 185 L’intériorisation au préalable « de
ce regard pur » permet de ne pas condamner cet art d’avant-garde d’une spontanéité
irréfléchie d’ « un tout le monde peut le faire » car c’est « d’une naïveté enfantine ». Or, il
existe selon Jean-Claude Chamboredon une similarité entre les conditions d’appréhension
d’une pratique artistique enfantine et celle de l’art contemporain comme art. Comprendre
l’intention pédagogique de certaines pratiques artistiques 186 : gribouillage expressif et
spontané de l’enfant demande tant une maîtrise des codes de déchiffrement des œuvres
artistiques que de disposer des conditions de perception, d’un rapport à l’art pur et
désintéressé. Ce qui pour le sens commun est une question de « goût » procède en réalité
comme le montre Pierre Bourdieu dans la distinction d’un construit social, qui renvoie aux
dispositions acquises et à la place occupée dans l’espace social. Le cadre de perception d’une
œuvre d’art est différent selon les milieux sociaux: les gribouillis d’un dessin d’enfant, les
pratiques artistiques où le processus créatif (sortir ce que l’on a en soi) prime sur la
production finale, seront décrypter différemment selon la structure et le volume du capital
familial.
Les familles dotées d’un fort capital culturel187 seront plus à mêmes de décrypter l’intention
pédagogique en adoptant une grille de lecture similaire de la création artistique que celle de
l’équipe éducative.
185
Bourdieu (Pierre), l’amour de l’art, op.cit. p.72.
Chamboredon (Jean-Claude) en collaboration avec Prévot (J), Le métier d’enfant, vers une sociologie du
spontanée, op.cit.p.28-30.
187
Le capital culturel permet selon Pierre Bourdieu de rompre avec les présupposées inhérents à une vision
pédagogique en terme d’aptitudes naturelles (référence: ibid.)
186
90
« L’acte de création (…) dans lequel l’enfant se met en « je » »
Le projet décrit plus haut avait fait l’objet d’une réunion parent/prof pour
l’expliciter:
« La création n’est pas seulement dans l’œuvre ou la production finale qui est en fait
secondaire, l’accent est ici porté sur ce qui est en mouvement sur l’acte de création luimême dans lequel l’enfant se met en « je ». Par l’expérience accumulée lors de son chemin
de création l’enfant va ainsi prendre conscience de son propre potentiel, le développer en
fonction de ce qui est personnel (ce qu’il aura lui-même sélectionné au cours de son
parcours comme étant momentanément satisfaisant pour lui et ce qu’il aura rejeté comme
ne lui convenant pas).
Ce ne sont pas des cours de dessin ou même d’arts plastiques dans lequel l’enfant
doit reproduire ou imiter. En ce sens il n’y a pas d’exigences sur la production. Si nous
voulons contempler des dessins d’enfants avec plaisir, il faut taire nos désirs et exigences
aux plans de la forme et du contenu pour prendre ce qui nous est offert. »188
Ces compétences contribuent à inscrire dans la pratique un certain rôle adéquate du
« métier de parent » pour le bon usage de ces écoles.
B. Redéfinition du rôle pédagogique des parents: des partenaires privilégiés
Des partenaires pédagogiques
Les parents sont appelés à devenir de véritables partenaires ou co-partenaires
pédagogiques. Ce partenariat peut prendre des formes différenciées en fonction du degré et de
la nature de leur engagement.
Le minimum requis est l’adhésion au projet pédagogique de l’école, les parents passent en
quelque sorte un contrat avec l’équipe pédagogique, dont l’une des clauses serait le respect de
la démarche pédagogique de l’école. Celui-ci trace les frontières du rôle des parents qui ne
disposent pas de pouvoir direct sur la pédagogie. Néanmoins, ils peuvent s’impliquer dans le
fonctionnement institutionnel de l’école en participant à ses instances institutionnelles ou
associatives: commission de travail, conseil d’administration, association des parents d’élèves,
parents délégués ou conseil d’école. L’absence de pouvoir direct sur la pédagogie signifie que
188
Extrait du projet d’ateliers d’expressions créatives menés à l’école du Chapoly.
91
les parents ne peuvent pas donner leurs avis sur les méthodes employées ou les techniques
d’apprentissage prévues par le projet pédagogique auquel ils ont préalablement adhéré.
Cela n’empêche pas certains parents d’être des militants de l’éducation nouvelle, ils ont lus
les pédagogues, échangent et discutent par exemple autour du « café pédagogique »
hebdomadaire à l’école de la Prairie.
Le café pédagogique des parents
Discussion libre autour de la pédagogie, plusieurs ouvrages sont à disposition sur
les pédagogues fondateurs : Cousinet, Oury, Meirieu Philippe, ouvrage sur la pédagogie
institutionnelle.
La discussion s’engage sur les pédagogues référents et les méthodes.
Atmosphère : détendue, les parents présents semblent bien se connaître et être amis.
Parent1 : ici c’est surtout l’éducation nouvelle avec la pédagogie différenciée s’est
vraiment centré sur l’élève, avec le projet pédagogique qui définit.
Parent2 : oui les enseignants utilisent par exemple je crois que c’est Freinet pour
l’apprentissage de la lecture et puis ce qu’a dit Cousinet aussi.
Intervention : est Montessori ?
Parent1 : ah non ils ne l’utilisent pas, il y a des écoles, tu sais (en s’adressant au parent2)
Il y en a une à Labège mais c’est privé çà, ils font un peu ce qu’ils veulent car c’est les
parents qui choisissent les enseignants.
Parent 2 : ah bon je savais pas, non oui ici ils y a plusieurs pédagogues qui sont mis en
application.
Parent 1 : enfin peut être qu’en primaire et maternelle, ils utilisent Montessori mais
comme outil mais sans l’esprit.
Non ce que je trouve intéressant ici c’est que la pédagogie différenciée, elle permet
vraiment ce suivi de l’élève, de son rythme ».
Journées portes ouvertes de l’école de la Prairie 18 mars 2006.
Par ailleurs, les parents d’élèves peuvent proposer, animer des ateliers (langue
maternelle rare, artistiques, sportives) en passant un « contrat d’intervenant extérieur passé
avec l’équipe et sous son contrôle »189. Or, pour entreprendre ces interventions cela suppose
de disposer de certaines compétences personnelles ou professionnelles autrement dit
d’exercer un métier en affinité ou connivence culturelle qui puisse s’inscrire dans le cadre du
projet pédagogique de l’école. Les exemples d’ateliers animés par les parents sont multiples
189
Extrait du projet pédagogique de l’école du Chapoly.
92
même s’il concerne dans leur grande majorité le domaine des arts et de la culture:
apprentissage du Polonais à l’école de la Prairie, réalisation d’un CD audio à l’école du
Chapoly grâce à la proposition d’un parent compositeur et producteur.
Les parents deviennent de véritables co-acteurs car au travers de ces ateliers car ils
transmettent ainsi certaines valeurs et compétences du monde de leur travail au sein de l’école.
Ce partenariat repose sur un consensus autour des valeurs, du regard porté sur l’enfant, qui
sont au fondement d’une connivence lors de la confrontation entre l’univers scolaire et
l’univers familial.
L’école: une prolongation de la famille ; la famille: une prolongation de l’école
L’équipe pédagogique entend préserver une distance entre les parents et l’école car
elle doit selon les enseignants rester « le lieu des enfants ». Les parents d’élèves acceptent de
se conformer aux rôles qui leur sont prescrits par le projet pédagogique afin de laisser leurs
enfants d’acquérir autonomie et de se construire en tant qu’individu. Cette acceptation des
familles de se tenir à l’écart et de déléguer l’éducation de leurs enfants à l’équipe
pédagogique montre la très grande confiance qui unit parents d’élèves et enseignants.
« Va de ton côté, tu es indépendant et autonome c’est ton école, tu vas pas rester toute la
journée avec nous quand même… » (Parole d’une mère à son fils lors des journées portes ouvertes de
l’école de la Prairie)
Néanmoins, cette frontière physique mise en place n’empêche pas l’école nouvelle
d’être aussi une école des parents. Dans le sens où ils affirment trouver dans ses méthodes un
soutien pédagogique pour les aider à définir leur rôle éducatif parental. Le discours de
justification des parents montre un souci de donner à leurs enfants une cohérence éducative et
de ne pas contrecarrer les effets de l’éducation reçue à l’école. Ce qui conduit les familles à
prolonger la pédagogie scolaire à la maison: la frontière entre école et famille se brouille alors
avec une homogénéisation des pratiques éducatives reçues d’un côté comme de l’autre.
93
« On fait un prolongement de ce qu’ils font à la Prairie. »
« Je pense c’est plus qu’il puisse être lui-même, mais aussi je vois depuis lune c’est
un groupe classe qui se suit, ils se connaissent bien entre eux, bon il y a une dynamique de
groupe.
Et puis euh après c’est dans les apprentissages cette idée de chercheur la je vois que Léo il
est un peu comme ça, petit à petit c’est quelque chose qui passe.
Et puis nous un peu d’avoir suivi, que d’avoir vu c’était intéressant on continue… on
prolonge un peu avec lui ces choses la … euh je sais pas on va en voiture on requiert on
regarde les chiffres, les lettres enfin bon on acquiert nous aussi un peu comment ils nous
expliquent on a des contacts tout ça, on fait un prolongement de ce qu’ils font à la Prairie
donc c’est vrai ça nous aide aussi en tant que parents car on a toujours des réponses par
rapport à ce qu’il font la bas pour prolonger, pour pas aller a contre courant ,ou pour être
un peu en phase ça fait que Léo il a un peu les mêmes échos d’un côté que de l’autre ? »
Extrait d’entretien parent d’élève de l’école de la Prairie.
Cette collaboration étroite entre la famille et l’école entraîne une imprégnation des
pratiques pédagogiques familiales qui se calquent peu à peu sur la pédagogie scolaire, en
stimulant par exemple l’apprentissage par tâtonnements ou en donnant au jeu un sens éducatif:
un simple déplacement en voiture devient un temps d’apprentissage.
Aussi la pédagogie familiale peut poursuivre les mêmes fins que l’apprentissage scolaire mais
avec d’autres moyens, ce qui en redouble les effets sociaux et contribue à créer un fossé entre
les fonctions remplies par les méthodes d’éducation nouvelles et les attentes des milieux
populaires.
C. Une pédagogie éloignée du rapport et des attentes vis-à-vis de l’école des
milieux populaires.
L’approche de la sociologie de l’éducation
Les pédagogies nouvelles contribuent à creuser la distance qui sépare les milieux
populaires des écoles basées sur un modèle expressif190 dans la mesure où leurs présupposés
ne rentrent pas en « affinité ou connivence culturelle » avec les dispositions et attentes des
190
Terme défini par Eric Plaisance au sujet de l’école maternelle dans son ouvrage L’enfant, la maternelle et la
Société, op.cit. que P. Perrenoud a élargi aux écoles d’éducation nouvelle.
94
familles « populaires » à l’égard de l’école. Opposé au modèle expressif, le modèle productif
semble plus proche des conceptions « populaires » de l’enfant et de ce que l’école doit faire
de lui. Ainsi, l’institution scolaire doit exhiber des productions, c'est-à-dire des signes
tangibles du travail accompli en classe et ne pas se centrer sur ce qui est « du temps perdu »
(des exercices destinés à accoutumer l’enfant à l’espace, ou des activités d’expressions
créatives). Dans cette optique, Jean-Michel de Queiroz191 parle « de logique populaire » basée
sur les principes de réalité et d’ambivalence: le principe de réalité insiste sur le fait que la
structuration de la perception de l’école est fondamentalement celle du travail, la logique des
familles consiste alors à reporter sur le scolaire les catégories de la culture du travail.
L’univers pédagogique de l’éducation nouvelle n’a pas de lisibilité immédiate pour les
milieux populaires, puisque souvent ses pratiques et ses méthodes n’ont pas de rapport direct
ou directement visible avec une acquisition utile et un savoir immédiatement applicable.
L’inintelligibilité de ces pratiques confère à l’univers scolaire un caractère hermétique, voir
absurde. Ce principe renvoie à une « façon de voir » à partir de sa propre expérience
constituée en culture alors que le principe d’ambivalence renvoie au contraire à l’hétéronomie
des dominés: leur culture est toujours en position de faiblesse et toujours partiellement sous la
dépendance des symbolismes dominants, cela signifie qu’ils n’ont les moyens ni de se
soustraire au jeu scolaire ni de lui opposer un autre jeu ou encore de le jouer complètement.
Du vécu au travail aux représentations de l’école
Selon Ewing Goffman, les familles populaires opèrent un « recadrage » de l’activité
pédagogique en lui appliquant un cadre primaire qui est celui de « la vraie vie », de la vie
laborieuse.192 Les enquêtes menées par Stéphane Beaud dans Retour sur la condition ouvrière
vont dans ce sens et expose la correspondance qu’il existe entre la représentation du travail
des parents et les effets sur la scolarisation des enfants. La position et le vécu de cette position
au sein de l’entreprise déterminent une certaine attitude face à l’institution scolaire (exemple :
un père de famille victime de sa hiérarchie est désabusé face à l’orientation scolaire de son
fils, alors que suite à une promotion son discours et son attitude se teintent de plus
d’optimisme). L’expérience de l’industrie et le vécu au travail de rapport de domination et
hiérarchie n’inclinent pas à une vision idyllique des rapports sociaux.
191
192
De Queiroz (Jean-michel), L’école et ses sociologies, op.cit, p72.
Goffman (Ewing), Les cadres de l’expérience, Paris, Minuit, 1991 (1ed 1974).
95
Les milieux populaires ont un rapport stratégique à l’institution scolaire et montrent un
attachement à une tradition scolaire désuète notamment au travers d’emblèmes vieillots de
l’ordre ancien scolaire comme le cartable. Ils gardent ainsi un attachement à la forme
traditionnelle de la relation pédagogique et à l’équipement symbolique de l’élève.
« En cherchant à imposer les anciennes règles et habitudes, les mères de familles de milieux
populaires se voient immanquablement rejetées du côté du passé de « l’archaïque ». Elles ont
du mal à imaginer que l’école puisse être détourné de ces objectifs qu’elles estiment
essentiels , la transmission de savoirs, l’apprentissage de la discipline, la neutralisation des
différences sociales, et laisser pénétrer en son sein des considérations qui leur paraissent
futiles comme la mode. Cette transformation du rapport à l’école leur semble attentatoire à
l’espèce de culte que les mères de la laïque lui vouent ».193
Ainsi, ils semblent bien que la liberté apparente, l’absence de cadre et les limites fluctuantes
qui prédominent au sein de ces écoles ne peuvent rencontrer un écho dans les classes
populaires.
La question des conditions sociales et culturelles du bon usage de ces écoles, est le
préalable à l’analyse des fonctions différentielles remplies par ces écoles pour les familles
qui y envoient leurs enfants et aux discours de justification qui les accompagnent.
Section2: Les parents d’élèves, des stratégies différenciées
Les attentes des familles sont celles qui découlent des déterminations objectives
régissant chaque milieu social dans les formes de traitement et de perception de l’enfant.
Les stratégies familiales sont habillées d’un discours de justification qui est fonction
de la position occupée dans l’espace social. Le choix de l’école découle de critères conscients
et explicites, mais il est aussi influencé par des critères implicites liés au statut éducatif, social
et culturel de la réussite scolaire.
193
Beaud (Stéphane), Pialoux (Michel), Retour sur la condition ouvrière enquête aux usines Peugeot de Sochaux
Montbéliard, Fayard, 1999.
96
I. Des familles dotées d’un fort capital culturel
A. Les Stratégies familiales : un sens du placement aiguisé
S’appuyer sur les résultats des travaux de la sociologie de l’éducation permet de
distinguer les différentes stratégies scolaires des familles, que définit par Jean-Michel de
Queiroz comme étant « une opération sur la structure des capitaux qui se traduit par des
pratiques concrètes ». Rendre intelligible ces stratégies supposent de les appréhender au
travers de l’analyse de la structure et du volume des capitaux dont disposent les familles.
Structure et volume du capital
Les différentes structures de capital des familles n’autorisent pas toutes les pratiques
face à l’offre scolaire: plus la structure et le volume des ressources se rétrécissent et plus
l’éventail des choix se restreint. La classification établie pour exposer les stratégies suit
l’ordre des raisons capitalistiques qui s’aligne sur celui des milieux sociaux et signalent les
tactiques correspondant le plus souvent le mieux à ces stratégies.
Les stratégies de conversion ou stratégies « d’initiés » supposent connues d’avance les
étapes d’un parcours noble se préparant dès la maternelle en vue de la classe préparatoire
prestigieuse et une connaissance très fine du marché scolaire. Dans les beaux quartiers,194 les
familles pour éviter les « chutes » et les « ratages » ont l’usage exclusif d’une arme: la
fréquentation de quelques pensionnats privés à la fois prestigieux et très coûteux qui peuvent
donner la garantie d’une socialisation et scolarisation réussies.195
Cette stratégie est celle de la haute bourgeoisie, qui place par exemple ces enfants dans des
écoles telles que l’école des Roches, qui utilisent les méthodes de l’éducation nouvelle dans le
but de conforter les expériences liées au milieu familial en « éduquant les esprits et les corps,
et en prenant en charge la totalité de la personnalité des enfants, une démarche qui est en
homologie avec la fortune et la multiplicité des capitaux. » 196
194
Pinçon. M, Pincon-Charlot M, Dans les beaux quartiers, Paris, le seuil, 1989.
Idem.
196
On peut se référer au chapitre premier où sont exposés les usages différenciés des méthodes d’éducation
nouvelle.
195
97
Les stratégies de conservation et d’amélioration sont celles de familles dépourvues de
capital économique important, mais détentrices pour certaines d’un capital scolaire et culturel
non négligeable. Elles disposent d’un certain sens pratique 197 , qui leur permet d’anticiper
stratégiquement les mouvements de la bourse scolaire, ce qui est de plus en plus nécessaire à
mesure qu’ils deviennent de plus en plus difficiles à anticiper. Par conséquent, les familles
qui peuvent bénéficier d’une information sur les circuits de formation et leur rendement
différentiel actuel ou potentiel ont la possibilité de placer au mieux leurs investissements
scolaires et tirer le meilleur profit de leur capital culturel, c’est là une des médiations à travers
laquelle la réussite scolaire et sociale se rattache à l’origine sociale.
Dans les beaux quartiers, la possession de toutes les espèces de capital permet de
disposer d’un haut degré le sens du jeu scolaire et de ses placements. Or, ces choix distinctifs
bien que vécu par les acteurs comme un acte de liberté n’ont rien de naturel, Pierre
Bourdieu198 montre bien qu’ils sont le produit d’une intériorisation de schèmes de perception,
qui se rattache à une position objective occupée dans l’espace social . « Le discernement qui
est au principe à la fois des actes classificatoires et de leurs produits c'est-à-dire de pratiques,
de discours et d’œuvres différents donc discernables et classables n’est pas l’acte intellectuel
d’une conscience posant explicitement ses fins dans un choix délibéré entre des possibles
constitués comme tel par un projet mais l’opération pratique d’un habitus. C'est-à-dire des
schèmes générateurs de classement et de pratiques classables qui fonctionnent dans la
pratique sans accéder à la représentation explicite et qui sont le produit de l’incorporation
sous forme de dispositions d’une position différentielle dans l’espace social »199La première
partie de cette étude s’est donnée comme objectif de montrer que l’éducation nouvelle
pouvait faire l’objet d’usage différencié. Bien que le travail empirique ne porte pas sur l’école
des Roches, il est intéressant de voir qu’elle est utilisée dans les stratégies de conservation de
la haute Bourgeoisie. Cette dernière est définit par Monique et Michel Pinçon Charlot comme
une classe mobilisée qui refuse la théorie qui lui permettrait de construire la représentation
adéquate de sa position de classe. Elle se construit comme classe pour soi dans la pratique en
défendant collectivement ses intérêts et c’est parce qu’il s’agit de la classe dominante que la
pratique peut se passer de théorie, au mieux peut s’abriter derrière le paravent idéologique
d’une théorisation qui contredit la réalité concrète de la classe.
197
Bourdieu (Pierre), la noblesse d’état, grandes écoles et esprit de corps, op.cit
Idem.
199
Bourdieu (Pierre), La noblesse d’état, grandes écoles et esprit de corps, op.cit, p.9.
198
98
L’analyse des présupposés et des conditions sociales et culturelles du bon usage de ces
écoles semblent valider l’hypothèse de familles dotées d’un très fort capital culturel.
Dans cette optique la stratégie adoptée est celle d’une stratégie de reproduction afin de
conserver ce capital culturel, qui se double d’une stratégie de distinction car placer ses enfants
dans une école « innovante » aux pratiques scolaires avant-gardistes engendre une pratique et
un discours différents donc discernables et classables.
Cette hypothèse d’un très fort capital culturel peut être affinée afin de vérifier sa
validité au travers d’une comparaison entre les valeurs de ces écoles et celles propres au
nouvel esprit du capitalisme.
B. Des familles pénétrées par l’éthos du nouvel esprit du capitalisme
Les pratiques éducatives des milieux supérieurs sont largement conditionnées par
leurs perceptions des exigences du monde du travail et les valeurs qui y sont associées. Les
valeurs diffusées par les pédagogies nouvelles pour exercer leurs pleins effets sociaux
supposent au préalable une forte inculcation familiale.
Or, les familles de milieux supérieurs forment selon Basil Bernstein des enfants tournés vers
certaines valeurs communes tout en oeuvrant à la formation d’enfants individuellement
différenciés: « l’enfant né dans ce milieu est considéré et se comporte comme un individu
doté de ses propres droits, c'est-à-dire comme un individu ayant un statut social
spécifique. »200 Cette mise en avant de la formation d’un individu doit être mis en relation
avec la transformation générale de la morale et style de vie qui passe par « l’intégration du
libéralisme spontanéiste et de l’idéologie technocratique » 201 dans les milieux supérieurs.
Selon Michel et Monique Pinçon Charlot, l’idéologie libérale se présente comme le meilleur
discours d’auto-justification que puisse tenir les classes supérieures. C’est ce même
spontanéisme qui marque la définition dominante de l’enfant comme un simple effet de la
diffusion de la psychologie qui souligne l’importance des apprentissages autonomes.202
200
Bernstein (Basil), Langages et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social op.cit.p.37.
Pinçon. M, Pincon-Charlot M, Sociologie de la bourgeoisie, op.cit.
202
Chamboredon (Jean-Claude) en collaboration avec Prévot (J), Le métier d’enfant, vers une sociologie du
spontanée, op.cit.
201
99
« L’éducation libérale avancée est un luxe que toutes les classes sociales ne peuvent
encore se permettre compte tenu de leurs conditions et de leurs horaires (…) l’enfant de
l’école active est un enfant choyé, aimé, bien dans sa peau, habitué à être écouté… »203
Cette affirmation de l’originalité d’un individu libre profondément travaillé par l’idée
de réalisation de soi s’inscrit dans l’analyse de « la cité par projet » réalisée par Luc
Boltanski et Eve Chiapello204. Au sein de cette cité prédomine certaines qualités: l’autonomie,
la spontanéité, la mobilité, la pluri-compétence, l’ouverture aux autres, la disponibilité, la
créativité, l’intuition, la sensibilité aux autres, l’attrait pour l’informel et la recherche de
contacts personnels. Ce répertoire emprunté à Mai 68 s’est ensuite autonomisé dans la
littérature du néo-management.
Il semble que la mise en parallèle des valeurs du nouvel esprit du capitalisme et celles
revendiquées par ces écoles, soit pertinente.
Luc Boltanski et Eve Chiapello montrent que les deux principales critiques adressées au
capitalisme l’une sociale et l’autre artistique, ont aujourd’hui été intégrées par la capitalisme
afin de se perpétuer. Il a ainsi repris à son compte la critique artistique de nature
anticapitaliste en renouvellent et adaptant certains de ses concepts clés : autonomie, liberté,
autogestion pour faire face aux réflexions menées au plan international qui stigmatisaient
l'inefficacité du management autoritaire et préconisaient de nouvelles méthodes de travail
axées sur les groupes de travail semi autonomes. Ce qui a entraîné un glissement d’une
représentation "collective" associée à une exigence de "justice social" à une représentation
"individuelle" 205 associée à une exigence de "justice", qui correspond à une bascule de la
sécurité (critique sociale) vers l'autonomie (critique artistique). Les mesures prises sont
centrées sur l'allégement de la hiérarchie, la prise en compte des potentialités "individuelles"
des individus et se substituent aux mesures assurant la sécurité des travailleurs.
Plusieurs éléments convergent autour de cette idée d’une pénétration du nouvel esprit du
capitalisme dans les écoles nouvelles: une paternité commune autour des écrits de Ivan Illich,
qui valorisent l’autonomie et ce que l’on pourrait appeler avec anachronisme l’auto
organisation. Une paternité jamais avouée du néo-management, il est cité à l’oral comme en
reconnaissance d’une dette de jeunesse; or il a beaucoup influencé le courant de l’éducation
nouvelle après 1968 avec son ouvrage Une société sans école. Par ailleurs, les notions clés
203
Careil (Yves), Ecole libérale, école inégale, Paris, éditions nouveaux regards, 2002, p.12
Boltanski (Luc), Chiapello (Eve), Le nouvel esprit du capitalisme, op.cit, p.171.
205
Ibidem.
204
100
autour desquelles s’articule la cité par projet (autonomie, innovation, projet, autocontrôle,
négociation, travail en groupe, auto organisation) sont au fondement des pratiques
pédagogiques de l’éducation nouvelle.
Dès lors, il semble que ces écoles investies dans les années soixante, soixante dix par
l’esprit de « mai 68 »206 soient aujourd’hui investies par « le nouvel esprit du capitalisme » ;
comme le montre la mise en parallèle suivante du mode d’organisation de ces écoles avec les
écoles nouvelles.
Cité par projet
Mode
d’organisation
Objectifs
Qualités
-Rejet de la hiérarchie
-promotion de l’autorganisation
-la question du contrôle avec
l’intériorisation de la contrainte
- implication du personnel
- réseau
-confiance : ce qui unit les membres « la
confiance est l’autre nom de
l’autocontrôle, elle désigne une relation
sûre. »
-Epanouissement personnel
chacun peut se développer
personnellement
-acquérir une vraie autonomie
- connaissance de soi-même.
autonomie, spontanéité, mobilité,
capacité rhizomique, la
pluricompétence, l’ouverture aux autres,
disponibilité, création, intuition, la
sensibilité aux différences, attrait pour
l’informel, la recherche de contact
personnel.
Ecoles nouvelles
-réseau avec les autres écoles nouvelles en
France, Europe.
-organisation souple, peu
codifiée, fluctuante et évolutive
- autocontrôle
-négociation de règles qui sont évolutives
-forte implication de tous les acteurs : personnel
éducatif et de services, parents et enfants.
-le contrôle du travail est basé sur la confiance
et l’autoévaluation.
-individuation
-réussite scolaire au travers de l’épanouissement
personnel, réalisation de soi
-l’échec est attribué à une inadéquation au
projet pédagogique.
Autonomie, sincérité, actif, ouverture,
expressivité, création, originalité.
Source : synthèse des plaquettes des écoles, et des données présentées dans l’ouvrage le nouvel esprit du
capitalisme.
Enfin, les pédagogies nouvelles viseraient plus à contribuer à la formation de l’habitus
d’un homme dont les qualités font « la grandeur » dans la cité par projet: le « grand » est un
homme qui s’engage, enthousiaste, impliqué, flexible, adaptable, polyvalent, évolutif; un
homme doté d’un esprit curieux et ouvert, qui possède une stratégie de conduite, de bonne
relation de soi, présentation de soi, adaptation par opposition à un « petit » fermé, autoritaire,
intolérant, rigidité (corporel), intolérant, immobile et préférence pour la sécurité.
Cette concordance est un élément d’explication de la surreprésentation des professions
intellectuelles qui sont traversées par cet ethos du nouvel esprit du capitalisme.
206
Ibid.
101
C. Des professions « intellectuelles » et internationales
Pour Philippe Perrenoud207, le système de valeurs que transmettent ces pédagogies
nouvelles s’associe aux valeurs prédominantes dans certaines professions : celles des salariés
du tertiaire travaillant dans l’enseignement, la santé, l’action sociale, l’animation culturelle, la
recherche, les médias, la publicité ou les relations publiques, mais aussi les métiers de la
communication ou du traitement des personnes qui participent au courant des relations
humaines tel qu’il prend source dans la psychologie ou la psychanalyse.
Ces valeurs ne se relient pas seulement à des éléments objectifs c'est-à-dire à un type
de pratiques professionnelles en particulier mais elles renvoient à un rapport au monde
particulier, avec des conditions sociales relativement privilégiées, qui mettent partiellement à
l’abri de la dureté du monde du travail : croire à la possibilité de la non-violence, à la
possibilité du dialogue, au droit à la différence impliquent de ne pas être confronté dans son
quotidien à des rapports sociaux conflictuels, de compétition ou de domination, qui sont au
fondement des principes de réalité et d’ambivalence des classes populaires.
Reproduction et transmission de capital symbolique.
Cette hypothèse d’une demande provenant pour sa grande majorité de professions
intellectuelles peut être prolongée par les enquêtes réalisées par le sociologue de l’éducation
britannique S. Anyon208 sur « l’origine sociale et le programme caché des activités scolaires ».
Il montre qu’il existe un curriculum caché à l’école qui loin de transmettre à tous des
connaissances et des compétences équivalentes prépare intellectuellement et moralement les
élèves issus des différents milieux à occuper au sein d’une société hiérarchisée, les mêmes
types de positions que leurs parents. Le curriculum des pratiques pédagogiques utilisées avec
l’école à clientèle issue de professions aisées (Affluent Professional school) se rapproche de
celui proposé par les écoles nouvelles avec le développement d’une relation potentielle avec
le capital qui est instrumentale, expressive et qui implique des négociations importantes.
Les enfants acquièrent du capital symbolique c'est-à-dire « des compétences socialement
légitimes, compétences cognitives et linguistiques qui confèrent la capacité de produire de la
207
Perrenoud (Philippe), La pédagogie à l’école des différences, op.cit.
Anyon S, « l’origine sociale des élèves et le programme caché des activités scolaires » in Forquin (JeanClaude), dir., Les sociologues de l’éducation américains et britanniques, Paris, De Boeck université, 1997.
208
102
culture dominante en matière scientifique, artistique ou de gérer des systèmes de production
industriels ou culturels. »
Les savoir-faire développés en matière d’expression, linguistique, artistique et scientifique
constituent des compétences nécessaires à la production de la culture ou pour devenir des
gens qui réussissent comme artistes, intellectuels, experts en droit en sciences et en
technologie puisqu’ils ont intériorisé au cours de leur apprentissage une relation au travail
créative et autonome. Or, « l’acte de créer comporte en lui-même l’affirmation d’un pouvoir
humain de conceptualisation et de décision qui est considéré comme étant lui-même, pour
l’individu une source de décision. » Les élèves issus de ces écoles s’orientent alors vers des
professions au sein des institutions culturelles (monde intellectuel, édition, médias ou arts,
bureaucratie juridique et étatique).
Par ailleurs, une relation de type expressif avec le système de propriété prévaut au sein de la
société parce que les idées et les autres produits de leur travail représentent souvent un moyen
important par lesquels les relations matérielles qui existent dans la société trouvent leurs
modes d’expression idéologique. La relation entre ceux qui détiennent le capital matériel et
ceux qui, dans la société créent ce qui est considéré comme la culture ou l’idéologie
dominante, implique aussi des négociations importantes: les producteurs de capital
symbolique ne possèdent souvent pas le capital matériel socialement disponible, ni l’usage
culturel qu’on en fait.
Par conséquent l’emploi habile de capital culturel peut faciliter l’accès aux positions
directoriales dans la société.
La comparaison établie par S.Anyon avec une école à clientèle issue de l’élite
d’affaires illustre l’acquisition et la transmission différenciées de capital symbolique au sein
des milieux supérieurs, ce qui amène à occuper des positions différenciées au sein de la
société.
Dans cette école à clientèle issue de l’élite d’affaires, le travail consiste à développer
les capacités d’analyse: il est demandé aux enfants de raisonner sur un problème, de réaliser
des productions intellectuelles qui soient à la fois d’une saine logique et d’une bonne qualité
scolaire. La différence conférée au travail et au savoir dans ces deux écoles peut s’illustrer par
l’exemple de l’étude des civilisations d’Egypte, Athènes et Sumer.
Dans l’école « Affluent Professional school », l’insistance est mise sur l’illustration et
la récréation des peuples d’autrefois: les élèves ont fait un film de 8 mm sur l’Egypte, qui a
été monté par l’un des parents. Une élève de cette classe a écrit le texte et la classe l’a joué;
103
ils ont sonorisé eux-mêmes; ils ont lu des histoires sur cette époque; ils ont écrit des
rédactions et des histoires sur la vie des gens en caractère cunéiformes; ils ont fait un rouleau
et en ont brûlés les bords pour faire plus authentique; chacun a choisi un métier et fabriqué
une plaque égyptienne représentant ce métier et simulant le style égyptien approprié; ils ont
gravé leur dessin sur un cylindre de cire, pris son empreinte dans l’argile qu’ils ont ensuite
fait cuire.
Dans l’école « executive elite school. »: l’Athènes antique et Sumer sont plutôt vues
comme des sociétés à analyser. Chaque élève mène une recherche indépendante avec comme
guide des questions qui mobilisent des éléments de réflexion et de conceptualisation. Par
conséquent, ce que donne cette école à ses élèves c’est la connaissance et la pratique d’outils
doués d’une légitimité sociale en vue de l’analyse des systèmes.
« Les ex-Sourceux » : le devenir professionnel des anciens
« Deux remarques s’imposent :
-D’une part la diversité des parcours : les anciens retrouvés ou identifiés couvrent trois
générations, répartis sur quatre continents dans au moins vingt-quatre pays. Ils sont
présents dans un grand nombre de secteurs d’activités : architecture, artisanat, associatif,
banque, professions juridiques, enseignement, édition, fonction publique, graphisme,
informatique, industrie, journalisme, recherche scientifique, professions de la santé,
social…des secteurs auxquels il convient d’ajouter les professions artistiques : peintres,
comédiens, artistes de cirque, écrivains…
-D’autre part, la spécificité de l’apport de l’école la Source : devant la diversité des
parcours, vous pourriez être tentés de penser que les anciens élèves n’ont plus de points
communs…bien au contraire! Nous avons pu mesurer toute l’importance de l’école à leurs
yeux à l’occasion des fêtes209 organisées par Re-source, la prochaine en mai 2006. Il était
fantastique de constater le fort attachement de ces centaines d’anciens élèves à leurs écoles
ainsi qu’à leurs professeurs.
Ce qui rassemble, c’est sans aucun doute, les souvenirs liés à leur scolarité ainsi qu’à leur
enfance ou adolescence. Ce qui caractérise, c’est bien sûr tout ce que la Source leur a
apporté notamment en termes de rapport aux autres tant dans la sphère professionnelle que
dans la vie sociale en général, mettant ainsi à profit, chacun à sa manière, la pédagogie de
l’école.
Extrait du bulletin d’information de novembre 2005 de l’école de la Source, dont il convient de
prendre avec précautions les informations apportées, elles ont été données dans le but de se dégager de
l’idée reçue que : « A la Source,ils sont tous littéraires(…) se dirigent principalement vers des carrières
artistiques. »
209
Fête prévue pour fin mai 2006 où j’ai été conviée mais qui ne peut rentrer dans nos résultats contenus de la
date.
104
Sociographie « qualitative » des parents d’élèves
L’impossibilité de constituer des données ou d’avoir accès à des sources statistiques
(absence de statistiques des écoles, de l’éducation nationale concernant l’origine sociale des
parents) ne permet pas de croiser ces éléments d’analyse qualitatifs avec des variables
objectives.
L’échantillon sur lequel a porté notre enquête reste faible même mis en rapport avec le
nombre marginal d’écoles nouvelles en France et en Suisse.
Cependant, les professions des parents qui ont été interrogés peuvent se classer en
trois sous catégories : métiers de la culture (des arts et du spectacle), métiers de la santé et du
social et métiers de l’enseignement. Ces trois domaines sont surreprésentés, on trouve ainsi
une prédominance d’enseignants chercheurs à la Prairie, de médecins, psychologues,
psychiatres, de professions artistiques: producteur, écrivains, bibliothécaire,
Toutefois, l’absence de statistiques précises invite à prendre des précautions. par
ailleurs, il existe des effets liés au contexte : l’exemple, l’école de la Prairie est située à
Rangueil qui est un fort quartier d’universitaires.
II. Les motivations parentales: des justifications plurielles
La production du discours des individus n’est pas indépendante de leurs
caractéristiques sociales analysées dans le point précédent. Ce qui implique que « le sens des
actions les plus personnelles, les plus transparentes n’appartiennent pas au sujet qui les
accomplit mais au système complet de relations dans lesquelles et par lesquelles elles
s’accomplissent » 210 . C’est ce principe de non conscience qui permet d’appréhender les
logiques à l’œuvre dans les discours de justification des parents, qui ne sont ni perçues, ni
voulues par les acteurs.
210
Bourdieu (Pierre), Chamboredon (Jean-claude), Passeron (Jean-Claude), le métier de sociologue, Paris,
Mouton-Bordas, 1968.
105
A. Un consensus autour de la centralité de l’enfant et du projet pédagogique.
La présence d’un projet pédagogique
L’élément déterminant dans le choix de l’école est la notion de « projet ». Le projet
pédagogique bien que présent dans d’autres écoles, constitue un élément clé du discours de
justification. Cela invite à s’interroger sur les représentations symboliques et imaginaires qui
sont en jeu concernant les écoles perçues sans projet, à savoir les écoles « traditionnelles »
(publique).
La principale représentation à laquelle est associée l’école publique est une école
incertaine: incertitudes dus à l’absence de maîtrise de l’environnement de l’enfant, le risque
d’avoir un enseignant de mauvaise qualité. A contrario, le fait que ces écoles présente une
réflexion explicite autour des méthodes pédagogiques, qui se matérialise dans un projet écrit,
distribué aux parents, en constante évolution; semble fournir aux parents une garantie du
sérieux de l’action éducative. Cela leur donne l’impression de pouvoir maîtriser même de loin
ce qui se passe au sein de la classe de leurs enfants, d’autant plus qu’il leur est offert la
possibilité de venir assister à une classe. Ils ont alors le sentiment d’une proximité avec les
enseignants qu’ils décrivent comme « accessibles, sympas, dynamiques et ouverts ». Il existe
une connivence certaine entre les familles et l’équipe pédagogique, d’ailleurs confie un parent
« c’est un peu une grande famille où l’on se sent bien ».
106
Le choix d’une école qui a un projet
« Notre première motivation c’est l’adhésion au projet, au départ on est allé voir
deux écoles : l’école de la prairie et l’école de l’IUFM, et l’école de la prairie était la seule
à nous proposer un projet. » entretien parent d’élève de l’école de la prairie.
« Autre point fort c’est qu’ils travaillent en équipe, autour d’un projet ; donc
équipe d’enseignants niveau maternelle, primaire, et du coup beaucoup d’échange entre
eux, différents points de vue sur les enfants, différents points de vue ou si il y des blocages :
ils sont pas tous seuls dans leur classe, ils peuvent aller chercher des solutions, ils ont mis
au place des outils qu’ils suivent donc pour l’enfant au fur et à mesure de son évolutions
retrouve ces mêmes façons; même si l’enseignant a toujours sa personnalité ou a euh bon
essaye suivant qu il a trouvé d’autres choses de mettre une touche ou une autre mais dans
l’ensemble ils vont retrouver suivant les niveaux, déjà les maternelles savent comment on
va enseigner à lire et écrire, c’est dans ce même prolongement, don c’est intéressant aussi
c’est espèce fil conducteur, outil qui s’affine au fil des apprentissages, et de plus en plus
chercher cette autonomie de l’enfant et qu’il devienne acteur de son apprentissage. »
Entretien parent d’élève de la prairie
Oui surtout dans la façon de considérer la parole qui n’a pas la même valeur que celle du
prof, à la Prairie c’est différent il y a un projet d’établissement commun, à Anatole France
il y a des professeurs qui considèrent la parole mais pas tous.
Je vois la différence dans les réunions parents/ profs, ils parlent en fonction des notes, ça
n’a rien à voir avec la durée de l’entretien oui ce qui est différent c’est la façon de les
considérer.
Entretien parent d’élève de la prairie
Par ailleurs, même si cela n’est jamais clairement avoué le projet pédagogique
représente aussi la garantie que les enseignants vont transmettre des valeurs qui sont aussi
celles des parents car l’école publique « c’est un peu la loterie » comme le rapporte une
parent d’élève. Ce jugement est parfois nuancé en affirmant que tous les enseignants de
l’école publique ne sont pas mauvais. Seulement, les enseignants des écoles publiques sont
perçus comme travaillant isolément les uns des autres, pouvant donner aux enfants une
éducation contradictoire, car chacun a ses méthodes, sa perception de l’enfant. Ils sont décrits
comme moins investis ou lorsqu’ils le sont leurs efforts sont annihilés par le manque de
moyens de l’enseignement public ou l’absence de solidarité entre les enseignants.
Cette représentation des enseignants de l’école publique permet de comprendre par opposition
la forte valorisation du travail enseignant au sein des écoles nouvelles, qui sont décrits comme
faisant plus que dans le public car « ils donnent plus de leurs temps par les réunions,
107
s’investissent réellement dans le projet pédagogique, sont innovants, se forment en
permanence et se remettent en cause »211.
L’école nouvelle peut représenter même si ce n’est jamais admis une garantie de
mettre son enfant à l’abri, de la crise scolaire et de certains publics.
Cette importance autour du projet renvoie aussi à la signification donnée aux objectifs
de l’école: la demande des familles est plus une demande éducative que scolaire, en raison de
l’importance qu’ils accordent au fait que leur enfant soit pris en compte avant tout comme
une personne, dans son intégralité.
Une équipe pédagogique impliquée dans le projet
« Non, ce qui est important dans cette école c’est qu’il y a un projet d’établissement,
l’équipe s’y tient, elle s’y implique, ils ont des réunions tous les mardis soirs, il y a aussi de
bons enseignants dans le publique mais bon parfois ils ne sont pas en cohérence les uns
avec les autres : dans un cours l’enfant entend tel discours dans un autre, un truc
complètement différent. »
Discussion informelle, journée portes ouvertes de la prairie.
« On savait que les enseignants ont choisi ce projet qu’ils s’impliquent dans ce
projet et ils nous proposent ce projet. Si jamais l’école d’à côté faisait ça, je n’aurais jamais
mis Léo à la Prairie.(…) là les enseignants sont tous d’accord sur le projet, il utilise
Freinet, Cousinet, Montessori, ils ont développé petit à petit les outils, ils ont pris ce qui
leur semblait intéressant, ils en ont fait une synthèse ça leur donne une particularité mais
qu’ils sont près je pense à partager. Je pense que c’est ça, c’est déjà difficile d’être
minoritaire,etc.… peut être après leur difficulté c’est de le partager , peut être de le diffuser
de l’essaimer leur demande déjà beaucoup d’énergie en interne donc après en externe ça
leur demandera du temps ils ont des réunions supplémentaires, des réunions avec les
parents attention même si dans le public il y a des gens qui se donnent, reçoivent le soir,
c’est pour ça je dis dans le public il y a des gens qui se donnent il y a des gens vraiment
valables mais qui ne sont pas reconnus , ils se donnent plus mais ils n’ont pas plus à la fin
du mois, pas de reconnaissance et pour peu les autres collègues attendent qu’ils se cassent
la gueule à la fin du mois il y a un souci quoi. »
Entretien parent d’élève de la prairie.
211
Synthèse des éléments présents dans les différents entretiens et questionnaires.
108
L’enfant comme personne et pas « un élève lambda »
L’attrait pour ces pédagogies nouvelles est à mettre en relation avec les perceptions et
formes de traitement de l’enfant. L’existence d’une vulgate de la psychologie de l’enfant et de
psychologie de la relation parent-enfant ainsi que le développement d’un marché culturel de
l’enfance a « favorisé une institutionnalisation et une intensification des préoccupations
autour du développement psychologique de l’enfant. » 212 Ce souci d’un respect de la
psychologie de l’enfant est récurrent dans le discours des parents autour du recours au
concept clé, devenu un lieu commun 213 du pédagogiquement correct: de la notion clé du
« respect du rythme de l’enfant ».
Cette expérience du rapport à l’école des milieux supérieurs a été analysée par François
Dubet 214 : les milieux supérieurs affirment l’unité de l’épanouissement personnel et de la
performance, leur conception de l’éducation est médiatisée par une forte culture
psychothérapeutique qui établit un accord entre le besoin de réalisation de l’enfant et sa
réussite scolaire. L’extension de cette culture psychothérapeutique n’est selon lui ni
superficielle ni marginale car quelle que soit sa valeur scientifique elle devient une véritable
manière de concevoir l’éducation. L’objectif des parents est alors moins de réaliser un modèle
humain que de s’assurer les compétences de l’enfant à gérer son rapport aux autres et aux
savoirs. Le langage psychologique a un double effet: il permet d’asseoir le sentiment de
maîtrise de l’action éducative et il exprime le désir d’épanouissement personnel.
Cette conception de l’éducation s’exprime avec beaucoup de force dans les justifications
parentales au travers de la « prise en considération en tant qu’individu », « personne dans son
intégralité », « respect du rythme de l’enfant ».
Les méthodes d’apprentissage de l’éducation nouvelle leur semblent une réponse aux besoins
d’épanouissement et développement personnel de l’enfant en proposant un respect de son
rythme, de ses besoins. Cela permet une valorisation de l’enfant pour ce qu’il est, de vivre ses
erreurs non pas comme des échecs mais comme des invitations à progresser, à se dépasser.
Les parents voient dans ces pratiques pédagogiques un moyen de rompre avec le stress des
écoles classiques et de donner à leur enfant la possibilité de s’épanouir comme un individu
autonome, peu importe qu’il soit ou non dans « le moule ».
212
Chamboredon (Jean-Claude) en collaboration avec Prévot (J), Le métier d’enfant, vers une sociologie du
spontanée, op.cit.p.7
213
Rayou, « l’enfant au centre. Un lieu commun pédagogiquement correct », op.cit.
214
Dubet (François), A l’école, sociologie de l’expérience scolaire, Saint Amand, éditions du seuil, 1996,351p.
109
« La prise en compte de l’enfant comme personne »
« Il y a des contrats pour respecter les différents niveaux, les enfants doués en
maths vont passer moins de temps sur cette matière et plus en français si par exemple ils
sont moins bons en français.
Chaque enfant doit aller à son rythme, des enfants ont besoin de plus de temps pour
certaines choses. » (Parent d’élève de l’école de la prairie)
« Ce qui m’a paru intéressant c’est qu’on prenait en compte l’enfant comme
acteur en fait, dans sa scolarité quoi, il y avait une attention particulière au fait que se soit
Léo, donc Léo et pas un élève lambda à qui on assène un savoir. Et bon,que se soit pas
grave qui y il soit, comment il s’appelle, donc moi c’est ça qui m’intéressait: la prise en
compte de la personne.
Ensuite, tout l’intérêt aussi de la mise en commun (silence) donc, il y a effectivement, on
fait attention à la personne : en arrivant on dit bonjour aux enfants un par un, ils ont
chacun leur place. » (Parent d’élève de l’école de la prairie)
« Alors tout d’abord une éducation qui respecte plus le rythme du gamin, moins
uniformisé, et qui est plus axée sur l’autonomie de l’enfant. »
(Parent d’élève de l’école de la prairie)
« Nette réduction des contraintes liées au programme scolaire, l'absence d'un
stress lié aux résultats (notes), prise en charge très personnalisée(…)possibilité de
l’épanouissement personnel avec des éléments non valorisés dans le publique mais surtout
éliminer le stress permanent de l’élève qui peut aller à son rythme. L’atout principal est
l’absence de contraintes stressantes qui avait dans le publique sévèrement perturbé ma
fille » (Parent d’élève de l’école de la chaux en suisse)
Des élèves pas dans la norme
Les valeurs et objectifs éducatifs qui insistent sur l’épanouissement, l’autonomie de
l’enfant, la réalisation personnelle en tant qu’individu, sont prédominants dans les milieux
supérieurs. Toutefois, le choix des écoles nouvelles traduit aussi le parti pris de former un
enfant, qui sera un individu « différent », dans le sens où il se distingue et se distinguera des
élèves qui auront reçu une scolarité plus traditionnelle. Les méthodes d’apprentissage et les
finalités revendiquées par ces écoles sont de développer des capacités qui ne soient pas
forcément « scolaires ».
Transparaît dans les discours de justification parentaux le « peu d’importance» qui masque en
fait l’importance de ne pas être dans la norme scolaire, de ne pas suivre le même chemin que
110
tout le monde afin que leur enfant devienne un individu différent et différencié des autres.
L’individu dans les milieux supérieurs est en effet « sommé d’être lui-même, de s’inventer,
de se construire son identité à travers tous les possibles. »215
« Pas forcément dans le moule… »
« Savoir s’exprimer etc.… bon dans certains endroits où on fait beaucoup moule,
est ce que ça donne des atouts ou pas ? Mais alors il y a tout ça, au bout de course je pense
que c’est des plus pour moi. Bon Léo peut être qu’il choisira pas une profession ou il faut
être un moule, Léo il choisira peut être une profession ou il peut plus s’extériorise ou bon
peut être il choisira quelque chose ou je serais surprise on peut pas le dire encore
L’idée avec Arnaud c’est de l’accompagner dans ce qu’il aime aujourd’hui »
(Entretien parent d’élève école de la prairie)
« Oui maintenant au lycée ce que les profs remarquent c’est qu’elle sait piocher
dans des connaissances pas scolaires, dans ce qui l’entoure et qui n’est pas forcément dans
le cadre dans le programme. »
(Discussion informelle avec parent d’élève, journée portes ouvertes à l’école de la
prairie).
Néanmoins, ce souci de différenciation se conjugue avec l’importance conférée par les
familles aux valeurs de solidarité, de communauté. Ce qui peut apparaître à première vue en
contradiction avec l’individualisme affiché.
Cette tension entre la formation d’un individu autonome et l’apprentissage de la coopération
peut être mis en parallèle avec la demande des entreprises qui attend de ses collaborateurs non
seulement qu’ils se comportent en individus autonomes capables d’initiatives mais aussi
qu’ils sachent « coopérer », « travailler en équipe ».216
Elle invite à s’interroger aussi sur la signification plus politique liée au choix de ces écoles.
« L’éducation nouvelle, c’est déjà que les enfants soient à l’aise à l’école, pas de
compétition scolaire, le respect mutuel(…)La curiosité, le respect de l’autre, l’ouverture
d’esprit, camaraderie attention je dis pas qu’ils apprennent pas il y a aussi la lecture, les
maths comme ailleurs.
On apprend à être plus tourné vers l’autre et moins sur soi même ; le partage surtout.
D’être solidaire aussi à son travail, de savoir dire quand ça plait pas , s’avoir s’exprimer le
plus adroitement possible, dire oui et non, s’engager sans subir, c’est des valeurs
importantes pour moi. »
Entretien parent d’élève, école de la prairie.
215
216
Pinçon (Michel), Pincon-Charlot (Monique), Sociologie de la bourgeoisie op.cit.
Boltanski (Luc), Chiapello (Eve), Le nouvel esprit du capitalisme,op.it.
111
B. les ambiguïtés d’un choix: du parent consommateur au militant convaincu
Rattacher le choix de l’école nouvelle à une certaine conception du monde renvoie
aussi à sa signification et ses implications politiques, car « consommer de l’école » ou
défendre des valeurs que l’on rattache à mai 68, s’inscrit aussi dans un univers de référence
rattaché à l’opposition traditionnelle droite/ gauche.
Néanmoins, il semble que l’analyse de ces deux profils invite à un dépassement de ce clivage
traditionnel.
Il convient de rappeler la valeur heuristique de la constitution d’idéal typique afin
d’expliciter les justifications différenciées qui accompagnent le choix de ces écoles.
Un acte de consommation
L’ouverture de possibilités de choix a développé chez les parents des conduites de
« consommateurs d’école » selon R.Ballion. La sociologie de l’éducation a analysé ces
pratiques au travers des concepts tels que papillonnage scolaire ou syndrome de zapping217.
Mis en évidence par Gabriel Langouët et Alain Léger218 le zapping scolaire prendrait racine
dans l’angoisse des familles inquiètes du devenir scolaire de leur progéniture, et rejoint l’idée
développée précédemment de l’incertitude engendrée par les représentations associées à
l’école publique. Dès lors, certains parents interrogés justifient le choix d’une école nouvelle
à la suite de nombreux échecs dans l’école publique qu’ils expliquent par le stress et
l’angoisse vécus par leur enfant dans l’école publique.
Cette attitude de « consommateur » a des répercussions sur l’engagement au sein des
activités de l’école: ce sont souvent des parents peu impliqués dans le fonctionnement de
l’école: association de parents d’élèves, commissions.
217
« Le syndrome du zapping scolaire », Le monde de l’éducation, N°341, novembre 2005.
Langouët Gabriel, Léger (Alain), Ecoles publiques ou écoles privées ? Trajectoires et réussites scolaires,
Fabert, 1994.
218
112
« On est des parfaits consommateurs et je n’ai pas honte de l’affirmer. »
« Toujours à l’école de la prairie, en fait on a connu l’école du quartier comme
bureau de vote, ils ont fait toute la maternelle et le primaire mais pour le collège on a
décidé de les changer.
Les raisons sont multiples, le niveau, l’entourage, je pense que c’est bien pour les
petits mais après il faut être solide intérieurement, il faut je pense pour l’adolescent un
cadre plus rigide. L’aîné est scolarisé en sixième au collège Anatole France.
Oui on sent la différence avec les autres enfants que l’on côtoie ou même les enfants qui au
collège ne sont pas passé par la Prairie.
D’ailleurs l’année prochaine je peux vous le dire on va le changer à saint Joseph c’est un
privé car ils ont un projet pédagogique au lycée, bon bien sur il y a moins de libertés
individuelles qu’à la Prairie.
A la prairie, on n’essaye pas de les faire rentrer dans un cadre, avec le fait de ce respect
absolu de l’avancement individuel on attend qu’il fasse d’eux même.
Le problème c’est comme en montagne l’enfant il veut pas marcher mais si on le force un
peu il est content d’arriver en haut. Là à la Prairie si il ne veut pas y aller, il faut attendre
qu’il décide…alors bon enfin on le pousse pas à l’effort enfin on bon si on le fait à la
maison. »
Entretien parent d’élève de la Prairie.
Par ailleurs, les motivations qu’ils avancent sont celles de la recherche d’un produit de
bonne qualité, ce qui explique l’importance accordée au cadre de l’école, dans la verdure. Les
méthodes de l’éducation nouvelle sont alors perçues comme des valeurs ajoutées par rapport à
l’offre éducative « classique ». Souvent ces écoles ont été connues par bouche à oreille, « des
amis qui en ont dit du bien. »
« Une école au vert »
« C’est très simple, ça fait longtemps on y est depuis septembre 1993, on habitait
dans un quartier avec la cour de m’école en béton et pas un grain d’herbe, on habitait à
l’époque en appartement et j’avais pas du tout envie que mes enfants grandissent sans
verdure. On est allé aux journées portes ouvertes, je ne sais pas si vous connaissez la cour,
le jardin avec cette idée que l’on plante à l’automne, on récolte au printemps c’est çà
l’éducation nouvelle. »
« Et puis lorsqu’on est allé à la prairie, elle a un parc gigantesque et nos enfants
n’ont plus voulu en repartir, alors que l’école en face de chez nous, c’est une cours
bétonnée, c’est quand même plus sympa en plus le temps de récréation fait partie du
projet. »
113
L’esprit soixante-huit…
L’après « Mai 68 » a vu fleurir de nombreuses écoles nouvelles souvent de manière
éphémère et ce en raison des querelles internes de gestion. L’école de la Prairie, du Chapoly,
de chaux en Suisse ont perduré et se sont adaptées aux exigences contemporaines.
L. Boltanski et E. Chiapello s’interrogent sur les raisons pour lesquels « les soixantehuitards » sont aussi à l’aise dans le nouveau système capitaliste: ils avancent que le
capitalisme a su récupéré la critique de Mai 68 en se renouvelant. Il semble que cette
hypothèse peut être étendue aux valeurs des écoles nouvelles219.
Ce glissement (récupération des valeurs) n’est pas forcément perçu par les acteurs, car
certains parents continuent à faire directement référence à ces valeurs, en présentant les
valeurs d’autogestion, comme des concepts un peu désuets à une interlocutrice plus jeune
qu’eux. Cela n’exclut cependant pas les doutes sur la persistance de ces valeurs.
Ainsi une concertation entre parents et enseignants « les Etats généraux de la Prairie » a été
organisée en 2003 afin de s’interroger sur la mutation ou non de l’esprit initial de la Prairie.
Ces parents revendiquent leur attachement aux valeurs de l’éducation nouvelle les ont
souvent rencontrées au travers du militantisme associatif ou de l’animation socioculturelle.
Dans cette optique, un thème récurrent est la difficulté du choix d’une école privée; car ils
affirment leurs croyances en l’école publique et laïque. Cette contradiction s’explique par le
fait que la plupart de ces parents sont issus de l’école publique laïque et s’en revendiquent
défenseurs. Toutefois leur croyance en cette école pèse moins que le choix pour leurs enfants
d’une école nouvelle et payante.
219
On peut se référer à la section précédente.
114
Où est l’esprit de soixante huit…
« Ah oui il y a quelque chose que je ne vous ai pas dit, j’ai pas mal de copains qui
ont fait la prairie après mai 68, ils ont un esprit très critique c’est fatiguant pour eux mais
c’est aussi un gros atout.
Je pense que ça c’est un atout quand je vois dans ma pratique quotidienne un amphi
bouche bé et qui avale.
On a encore les idées qui ne sont peut être plus de votre génération comme l’autogestion,
tous ces vieux concepts quoi…
D’ailleurs, il y a compte rendu qui pourrait vous intéresser il y a eu il y a deux ou trois ans
les états généraux de la prairie, il était question de savoir si l’esprit existait toujours après
mai 68 et si il n’avait pas été récupéré, savoir si il avait été réformé ou pas. »
Entretien parent d’élève de l’école de la Prairie.
Dépassement du clivage traditionnel
La présence de ces deux stratégies, qui rendent compte d’une vision de la société si
différente pourrait dans un premier temps apparaître contradictoire si elle ne se rapprochait
pas du processus décrit pas Yves Careil d’une récupération du « libertaire par le libéral ». Elle
est celui rendue possible par « cette capacité extraordinaire que possède le capitalisme à
esquiver les critiques qui lui sont adressées, tant par les mouvements sociaux que par les
milieux intellectuels et artistiques (…) en les intégrant. » 220 Il précise que la notion de
libertaire est ici entendue au sens large: de la manière dont on peut se sentir « libertaire »aux
milieux sociaux où est aussi très prégnant le personnalisme chrétien lui-même teinté de luttes
des classes.
L’ICEM (institut coopératif de l’Ecole moderne- l’autre nom du groupe Freinet) peut servir
illustrer ce rassemblement de courants idéologiques très différents (le mouvement comprend
tant des anti-cléricaux déclarés de l’Ecole émancipée (trotskistes de la ligue communiste
révolutionnaire ou libertaires adolescent) que des adhérents du SGEN-CFDT) autour des
valeurs de l’éducation nouvelle comme le travail coopératif.
Cette ambiguïté se retrouve dans les discours politiques qui accompagnent la promotion
d’une autre éducation: par exemple lors du 45ème congrès qui s’est tenu à Rennes en août
220
Boltanski (Luc), Chiapello (Eve), Le nouvel esprit du capitalisme, op.cit.
115
2000 où à la fois ont été dénoncé les nouvelles technologies comme étant « le cheval de Troie
des entreprises à l’école » mais également signé le manifeste pour « une école créatrice
d’humanité » soutenu tant par le « libertaire vert » G.Cohn-Bendit fondateur du lycée
différent de Saint Nazaire que par A. Madelin, incarnation française du néolibéralisme. »221
« Le choix douloureux du privé »
« Je pense que c’est plus le fait que j’ai réfléchis après dans l’animation sur
l’éducation novelle tout ça qui m’a incité à mettre Léo à la Prairie
(…) disons moi ce que j’aimerais c’est une école classique avec l’éducation nouvelle je
suis pour que quand même l’école soit laïque et ouverte à tous, c’est vrai que la première
fois choisir le privé c’était difficile car on croit vraiment à l’école de la République mais
c’est ce qu’on s’est dit c’est le côté loterie: il y a des supers enseignants et il y en a des
vraiment disjonctant quoi tandis que l’on s’avait que les enseignants ont choisis ce projet
qu’ils s’impliquent dans ce projet et ils nous proposent ce projet si jamais l 'école d’à côté
faisait ça, je n’aurais jamais mis Léo à la prairie(…) Car on est aussi des militants du laïc
et du public peut être on aurait été dans un village avec un instit Freinet ça aurait été peut
être différent. » Entretien parent d’élève, école du Chapoly.
221
« Pédagogie : le second souffle alternatif », Libération, 27.8.2000.
116
CONCLUSION
Dès lors il semble bien que le clivage gauche/droite suppose d’être dépassé dans le
cadre de cette analyse et que le choix de l’école nouvelle est bien un choix socialement situé
qui renvoie plus à l’habitus des milieux supérieurs cultivés qu’à une appartenance politique
bien définie.
Cela illustre la persistance des usages différenciés du courant d’éducation nouvelle qui
vise à former une avant-garde scolaire.
Ces usages différenciés pourraient dans le cadre d’une recherche plus longue
approfondie être élargis à une dimension internationale.
En effet, les idées de l’éducation nouvelle se retrouvent aussi sous une forme différente mais
avec un contenu similaire en Amérique Latine, en Colombie au travers de la fondation
« Escuelas nuevas, Volvamos a la gente ».
Il serait pertinent de s’interroger sur les conditions sociales de la circulation internationale des
idées du courant d’éducation nouvelle en s’appuyant sur le travail de Pierre Bourdieu sur
« l’import export intellectuel »222. Il montre que les échanges internationaux sont soumis à un
certain nombre de facteurs structuraux. Ainsi les écrits intellectuels, qui circulent dans un
contexte lorsqu’ils sont exportés n’emportent pas avec eux leur contexte, c'est-à-dire les
spécificités propres à leur champ de production. Par conséquent les récepteurs étant dans eux
même dans un champ de production mais différent les réinterprètent mais différemment en
fonction de la structure du champ de réception.
Bien que cela mériterait une recherche approfondie, on peut esquisser quelques pistes
de réflexion concernant l’échange intellectuel des idées de l’éducation nouvelle. La fondation
pour l’éducation nouvelle en Colombie valorise les mêmes principes223 que ceux véhiculés
dans toutes les écoles nouvelles de cette recherche (enfant au centre, gestion démocratique
par les assemblées, nouveau rôle de l’enseignant, accent sur la créativité).
222
Bourdieu (Pierre), « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », Conférence
prononcée le 30 octobre 1989 pour l’inauguration du Frankreich-Zentrum de l’université de Fribourg. Ce texte a
été publié en 1990 dans les Cahiers d’histoire des littératures romanes (14e année, 1-2, p. 1-10).
223
Détail en annexe I, p.XV.
117
Cependant, deux éléments montrent bien cette logique d’import-export. Tout d’abord, le
champ de réception de ces idées est très différent car ces méthodes s’adressent à des enfants
des milieux défavorisés. Par ailleurs, les récepteurs de ces idées ne revendiquent pas une
filiation avec les pères fondateurs européens mais présentent les concepts de l’éducation
nouvelle comme « d’application universelle », ce qui mériterait un travail d’investigation plus
approfondi.
Il conviendrait ainsi de s’interroger sur les conditions sociales de ce transfert afin
d’identifier les « gates keepers »
224
c'est-à-dire les sélectionneurs, les découvreurs de ces
idées. Une hypothèse semble se profiler qui est celle du rôle de médiateur joué par la banque
mondiale et l’UNESCO dans la promotion de ce modèle, au travers de la publication de
rapports qui le présentent comme une solution éducative pour le XXI siècle à propager en
Amérique Latine.
Écoles nouvelles en Colombie.
224
Bourdieu (Pierre), « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », op.cit, p3.
118
ANNEXES
119
BIBLIOGRAPHIE :
Ouvrages généraux :
Ariès Philippe, L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime, Paris, Plon, 1960.
Beaud (Stéphane), Pialoux (Michel), Retour sur la condition ouvrière enquête aux usines
Peugeot de Sochaux Montbéliard, Fayard, 1999.
Béra (Matthieu), Lamy (Yvon), Sociologie de la culture, Paris, Armand Colin cursus, 2003.
Boltanski (Luc), Chiapello (Eve), Le nouvel esprit du capitalisme, Saint Amand, Gallimard
nrf essais, 1999.
Bonnewitz (Patrice), Pierre Bourdieu. Vie, œuvres, concepts, Paris, ellipses éditions, 2002.
Bourdieu (Pierre), Choses dites, Paris, Les éditions de minuit, 1987.
Bourdieu (Pierre), Wacquant (Loïc), Réponses …pour une anthropologie réflexive, Paris, le
Seuil, 1992.
Bourdieu (Pierre), La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Editions de Minuit,
1979.
Elias (Norbert), Le processus de civilisation, la civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy
1973 (1ère ed.1939).
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Le Goff (Jean Pierre), Mai 68, l'héritage impossible, Paris, La découverte, 1998.
Mauss (Marcel), Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1985 (1re éd. : 1950).
Ouvrages sur l’école et la pédagogie :
Ecole et pédagogie traditionnelle :
Bernstein (Basil), Classes et Pédagogie, Paris, OCDE, 1975.
Bernstein (Basil), Langages et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social,
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www.ecole
124
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ................................................................................................ 1
I. Le flou scientifique et médiatique autour de ces écoles ................................................ 2
Le regard sociologique sur le statut de la pédagogie ...................................................................... 2
Un travail qui s’inscrit dans les travaux de Pierre Bourdieu sur la reproduction............................ 3
un objet inexploré par l’approche sociologique .............................................................................. 6
Etapes de la recherche..................................................................................................................... 6
II. le protocole d’enquête..................................................................................................... 7
A .les préalables............................................................................................................................................ 7
La pertinence d’une perspective européenne .................................................................................. 7
Conquérir un « objet » dominé par le sens commun....................................................................... 9
Choix des techniques d’enquête.................................................................................................... 10
B. Le terrain ................................................................................................................................................ 13
les écoles : entre méfiance et fermeture ........................................................................................ 13
Les parents d’élèves: la mise en confiance du cadre universitaire................................................ 15
Observations ethnographiques ...................................................................................................... 16
Les difficultés rencontrées: « la sociologie dérange » .................................................................. 16
CHAPITRE1 : Revendications d’une avant-garde scolaire ............................ 18
Section1: Le sous champ des écoles nouvelles ................................................................. 18
I. En marge de l’institution scolaire « traditionnelle ». .................................................. 18
A. Genèse de l’éducation nouvelle ......................................................................................................... 19
La formation d’une élite scolaire de la fin du XIX siècle ............................................................. 19
Le débat introduit par les idées « libertaires » de mai 68.............................................................. 21
Aujourd’hui, des méthodes d’avant-garde qui essaiment dans l’éducation nationale................... 24
B. Un réseau d’interconnaissance international......................................................................................... 28
Des équipes pédagogiques qui échangent ..................................................................................... 28
Avec des revendications pédagogiques parfois divergentes ......................................................... 30
II. Un espace de distinction : des usages différenciés des méthodes pédagogiques
nouvelles.............................................................................................................................. 34
A. Des écoles aux statuts variés: une reconnaissance institutionnelle différenciée.................................... 35
B. L’épanouissement au service de la réussite, ou la réussite comme source d’épanouissement ............... 38
L’école des Roches : école pionnière et archétype de l’éducation nouvelle ................................. 38
« Une pédagogie de la réussite » au service de l’épanouissement personnel................................ 40
Section 2 : une relation pédagogique « innovante»......................................................... 42
I. Les fondements théoriques de la relation pédagogique .............................................. 42
A. La construction sociale de l’enfance ...................................................................................................... 42
B. Le pouvoir pédagogique. ........................................................................................................................ 44
II. Un rapport pédagogique « invisible » aux effets sociaux visibles............................. 45
A. Les spécificités d’une « pédagogie invisible » ........................................................................................ 46
B. Un rapport d’autorité « atténué »........................................................................................................... 49
Un système de normes implicites ................................................................................................. 49
C. Les modalités de contrôle : évaluation et sanction................................................................................. 52
la prédominance de l’autoévaluation ............................................................................................ 52
Des sanctions « pédagogiques » ................................................................................................... 53
III. La figure de l’enseignant dans le rapport pédagogique........................................... 55
A.
Un enseignant d’avant-garde : un coach .......................................................................................... 56
B. Des innovateurs pédagogiques ............................................................................................................... 59
C. Une équipe militante............................................................................................................................... 61
Le principe de non conscience..................................................................................................... 63
125
Chapitre 2 : Les usages sociaux d’un modèle pédagogique « expressif et
spontané »........................................................................................................... 66
Section1: Cristallisation d’une définition de l’enfant « spontanée et expressive » dans
l’offre pédagogique de ces écoles ...................................................................................... 66
I. Le « métier d’enfant » dans les pratiques pédagogiques d’avant-garde. .................. 67
A. Un enfant « épanoui, citoyen, spontané et autonome » .......................................................................... 67
Un apprenti chercheur................................................................................................................... 67
Un enfant citoyen.......................................................................................................................... 70
un enfant épanoui.......................................................................................................................... 75
Un enfant « créateur incréé » ? ..................................................................................................... 77
B. Les présupposés de cette définition: rapport au langage, au savoir, au jeu, aisance corporelle. .......... 81
La parole comme instrument d’expression ................................................................................... 81
la maîtrise de soi ........................................................................................................................... 83
le désintéressement intéressé ........................................................................................................ 85
II. les conditions sociales et culturelles du bon usage de ces écoles. .............................. 88
A. Les compétences objectivement requises ................................................................................................ 88
Proximité sociale et intellectuelle ................................................................................................. 89
Compétences et dispositions artistiques........................................................................................ 90
B. Redéfinition du rôle pédagogique des parents: des partenaires privilégiés ........................................... 91
Des partenaires pédagogiques....................................................................................................... 91
L’école: une prolongation de la famille ; la famille: une prolongation de l’école ........................ 93
C. Une pédagogie éloignée du rapport et des attentes vis-à-vis de l’école des milieux populaires............ 94
L’approche de la sociologie de l’éducation .................................................................................. 94
Du vécu au travail aux représentations de l’école......................................................................... 95
Section2: Les parents d’élèves, des stratégies différenciées ........................................... 96
I. Des familles dotées d’un fort capital culturel .............................................................. 97
A. Les Stratégies familiales : un sens du placement aiguisé...................................................................... 97
Structure et volume du capital ...................................................................................................... 97
B. Des familles pénétrées par l’éthos du nouvel esprit du capitalisme ....................................................... 99
C. Des professions « intellectuelles » et internationales........................................................................... 102
Reproduction et transmission de capital symbolique.................................................................. 102
Sociographie « qualitative » des parents d’élèves....................................................................... 105
II. Les motivations parentales: des justifications plurielles ......................................... 105
A. Un consensus autour de la centralité de l’enfant et du projet pédagogique......................................... 106
La présence d’un projet pédagogique ......................................................................................... 106
L’enfant comme personne et pas « un élève lambda » .............................................................. 109
Des élèves pas dans la norme...................................................................................................... 110
B. les ambiguïtés d’un choix: du parent consommateur au militant convaincu........................................ 112
Un acte de consommation........................................................................................................... 112
L’esprit soixante-huit… .............................................................................................................. 114
Dépassement du clivage traditionnel .......................................................................................... 115
CONCLUSION................................................................................................. 117
ANNEXES ........................................................................................................ 119
BIBLIOGRAPHIE :......................................................................................... 120
TABLE DES MATIERES ............................................................................... 125
126
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