Séance du séminaire POLINE « Inégalités et Politiques » : Les

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Séance du séminaire « Inégalités et Politiques » POLINE, 28 mai 2010
Compte-rendu par C. Bachelot (post-doctorante CEE)
Autour de Jim Sidanius (Harvard University) et Felicia Pratto (University of Connecticut)
« Les inégalités au prisme de la théorie de la dominance sociale »
Discutants : Fabio Lorenzi-Cioldi (Université de Lausanne) et Serge Guimond (Université
de Clermont-Ferrand)
Pour un résumé des acquis de la théorie de la dominance sociale de Sidanius et Pratto, voir M.
Dambrun (LAPSCO, Clermont-ferrand), « La théorie de la dominance sociale de Sidanius
et Pratto », http://www.prejuges-stereotypes.net/espaceDocumentaire/dambrunTDS.pdf)
J. Sidanius et F. Pratto ont présenté la théorie de la dominance sociale, en s’appuyant
principalement sur l’article « Person-Organization Congruence and the Maintenance of
Group-Based Social Hierarchy : A social Dominance Perspective » (Group Processes and
Intergroup relations, 8 (2), 2005).
Cette théorie récente (développée au début des années 1990) pose que toutes les sociétés
complexes sont caractérisées par une hiérarchie sociale composée de groupes dominants
et de groupes dominés. Les groupes dominants posséderaient des ressources sociales
disproportionnées (autorité politique, pouvoir, richesses, accès privilégié à la santé et à
l’éducation) alors que les groupes dominés ne bénéficieraient que de ressources faibles et
subiraient des sanctions négatives (exposition plus élevée aux sanctions pénales, à la
discrimination en matière d’emploi, etc.). Cette hiérarchie sociale serait à l’origine des
conflits intergroupes et de toutes les formes d’oppression sociale.
Elle est fondée sur trois systèmes :
- Le système d’âge (pouvoir disproportionné des parents par rapport aux enfants et
adolescents)
- Le système de genre (pouvoir disproportionné des hommes par rapport à celui des
femmes)
- Le système de « groupe arbitraire », différent d’une société à l’autre, qui se rapporte
aux groupes construits socialement et fondés sur des caractéristiques telles que
l’ethnie, la nationalité, la classe sociale, la religion…). Ce dernier système est associé
à un degré de violence et d’oppression beaucoup plus élevé que les systèmes d’âge et
de genre.
La théorie de la dominance sociale (TDS) repose sur le postulat que les systèmes sociaux
humains sont sujets à l’influence équivalente de deux types de « mythes
légitimateurs » :
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- Les mythes qui accentuent la hiérarchie sociale (racisme, sexisme, nationalisme…)
en justifiant intellectuellement et moralement les inégalités (hierarchy-enhancing HE)
- Les mythes qui atténuent la hiérarchie sociale (droits de l’homme,
multiculturalisme, socialisme….) en justifiant l’égalité sociale (hierarchy-attenuating
HA)
Les premiers mythes favorisent l’émergence ou le maintien des inégalités sociales, alors que
les seconds favorisent l’égalité sociale entre les groupes. Autrement dit, ces mythes ont
une fonction de maintien du système social et permettent de réguler les tensions entre
groupes.
La TDS repose par ailleurs sur le concept psychologique d’ « orientation de dominance
sociale » (SDO). La SDO est définie comme le degré auquel les individus désirent et
soutiennent la hiérarchie sociale entre les groupes, la domination de groupes inférieurs par les
groupes supérieurs et les inégalités sociales.
La SDO influence la nature et l’intensité de la hiérarchie sociale, parce qu’elle influence
les mythes légitimateurs, mais aussi les politiques sociales ; la SDO est donc liée aux
attitudes envers les idéologies, les croyances et les politiques sociales, avec une forte
implication sur la répartition des ressources entre les groupes. La SDO est ainsi très corrélée
avec le racisme envers les Noirs, le sexisme, le conservatisme politique, le nationalisme, et
inversement avec la croyance en une égalité des chances et la croyance en un monde juste.
Elle est également corrélée avec les politiques sociales (droits de la femme, des minorités
ethniques, politiques environnementales, etc.).
Selon la TDS, la SDO serait affectée par au moins quatre facteurs :
- le statut du groupe d’appartenance et l’identification : les membres de groupes de
haut statut auraient un niveau de SDO plus élevé que les membres de faible statut.
- la socialisation : la SDO est affectée par les expériences socialisantes telles que
l’éducation, la religion, les expériences de guerre… La recherche montre qu’après
neuf mois d’exposition à un milieu universitaire, les scores de SDO des étudiants
diminuent de manière notable.
- la personnalité et le tempérament : la SDO est affectée par le degré d’empathie et
l’altruisme des individus.
- le genre : la TDS montre que les hommes occupent toujours une position dominante
par rapport aux femmes, quelles que soient les variables culturelles et situationnelles ;
elle prédit donc que quel que soit le contexte les hommes auront toujours un niveau
supérieur de SDO par rapport aux femmes.
La TDS insiste également sur le rôle de la discrimination individuelle et institutionnelle
dans le mécanisme de production et de maintien de la hiérarchie sociale. La
discrimination institutionnelle désigne les pratiques discriminatoires (justice, hôpitaux, école,
entreprises…).
Mais cette théorie insiste surtout sur le fait que les groupes dominants ne sont pas les
seuls responsables des inégalités sociales : les groupes dominés contribuent à leur maintien.
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Questions de N. Mayer :
- Quel est le lien entre la SDO et l’échelle politique gauche/droite ?
- Quel est le rôle de la religion dans le degré de SDO ?
- La recherche prend-elle en compte les politiques sociales protégeant les personnes
défavorisées ou compensant les inégalités, différentes d’un pays à l’autre ?
Réponses de F. Pratto (FP) :
- Aux EU, le clivage gauche/droite est moins important qu’ailleurs, mais il est vrai que
la théorie de la SDO doit valoir de manière universelle. En fait il y a bien une
corrélation avec l’échelle gauche/droite, mais pas une équivalence stricte. La SDO a
une valeur prédictive au-delà du clivage.
Réponses de J. Sidanius (JS) :
- L’enquête ne prend pas en compte la religion. Mais les musulmans apparaissent
clairement comme un groupe dominé. La violence des musulmans peut ainsi être
interprétée comme une réaction à leur condition de dominés.
Questions et remarques de F. Lorenzi-Cioldi (FLC) :
- Il faut noter un important travail des psychologues sociaux américains sur le sujet des
inégalités et des relations de pouvoir depuis une vingtaine d’années. Un certain
nombre de recherches portent notamment sur la structure fondamentale de la
domination, dans la lignée de l’œuvre de C. Lévi-Strauss, qui prête davantage
attention aux dimensions invariantes qu’aux variations de la domination. De fait, les
perspectives évolutionnistes sont moins populaires en Europe qu’aux Etats-Unis,
malgré l’essor problématique de l’école anti-darwinienne.
- La recherche de JS et FP montre ainsi que les différences de genre ne sont pas liées au
contexte. Cela montre une possible contradiction avec la théorie des rôles sociaux, qui
a par exemple mis en relation l’augmentation du nombre de femmes aux postes à
responsabilité avec le changement des représentations liées au genre.
- L’échelle SDO est une échelle de « personnalité ». Même si on admet que les
institutions ont un impact sur elles et qu’elles varient, le taux de SDO reste stable.
L’approche de JS et FP révèle ainsi un subtil compromis entre prise en compte de la
« nature » et du « contexte ».
- Quand on regarde les items de la SDO, on peut s’interroger sur leur formulation. On
construit depuis vingt ans des questions et des indicateurs très subtils et indirects pour
mesurer l’appréciation des inégalités. En Suisse, les interrogés refuseraient de
répondre à des questions aussi explicites que celles du SDO. Comment les enquêteurs
ont-ils réussi dans ces conditions à obtenir des réponses ?
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- La SDO paraît compléter plutôt que concurrencer les autres théories de la domination.
Il semblerait en fait qu’elle puisse être située dans l’entre-deux des théories qui portent
sur les conflits inter-groupes, et celles qui insistent sur le consensus entre les groupes.
- La SDO semble reprendre l’idée que les dominés adhèrent encore plus que les
dominants à ces inégalités et à leurs représentations. Est-ce que cela signifie que
chaque groupe a ses propres théories légitimantes ? Est-ce que cela n’explique pas
mieux la stabilité des sociétés que leur évolution ?
- On a pu remarquer que les représentations de sa propre position varient selon les
groupes : chez les dominants, on constate une individualisation des représentations (on
attribue à sa propre individualité, voire son propre mérite, sa position sociale), alors
que les dominés se perçoivent davantage d’après des représentations collectives.
- Il faut noter l’ambivalence des représentations liées aux politiques de la discrimination
positive. La plupart des groupes valorisent ces politiques, mais au prix d’une
essentialisation des catégories discriminées ; c’est notamment le cas pour les
politiques de promotion sociale des femmes, qui sont acceptées à condition qu’elles
s’appliquent dans certains domaines perçus comme spécifiquement féminins (la
famille, la solidarité…).
Réponses de JS et FP :
- La SDO permet de comprendre le comportement humain dans ses invariants, et a en
effet une prétention à l’universalité. Ce qui ne signifie pas que le degré d’inégalité ne
varie pas selon les contextes (et il est vrai que cette théorie permet sans doute de
mieux appréhender les sociétés stables), mais seulement que certaines relations
inégalitaires (par exemple celles de genre) sont universelles.
FLC fait remarquer cependant que ce type d’inégalités varie en degré, mais aussi en
nature. Les inégalités de genre « verticales » ont par exemple tendance à régresser,
alors que les inégalités « horizontales » niveau social équivalent) ont plutôt
tendance à augmenter. Si cette tendance continue de s’affirmer, il est possible qu’on
s’achemine vers deux sociétés distinctes, l’une de femmes, l’autre d’hommes. Il n’est
donc pas certain qu’on puisse en rester à cette invariance des relations de genre. FP
répond que malgré leurs efforts d’investigation en ce sens, il a été impossible de
trouver des preuves de modération des inégalités. En même temps, ces inégalités en
tant que telles ne sont pas à la racine de la théorie de la dominance.
- Sur les représentations de ces inégalités chez les dominés, il faut surtout noter les
conflits entre loyauté à l’ensemble de leur groupe, et la volonté d’être considérés
comme des personnes à part entière.
- L’échelle de la SDO pose sans doute des problèmes de formulation… mais telle
quelle, elle a fonctionné dans vingt langues différentes !
Question de M. Duru-Bellat :
- Est-ce que le degré de mixité des sociétés/institutions influe sur le niveau de SDO des
individus ?
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Réponse de JS et FP :
- Il devrait y avoir un lien, si les individus y sont exposés assez tôt dans leur vie.
Certaines institutions transmettent mieux que d’autres l’art de coopérer avec les
relations de domination. Il y a donc des pratiques sociales plus ou moins favorables à
la SDO.
Questions et remarques de SG :
- Il est difficile d’être d’accord avec la thèse de l’invariance.
- La TDS fait un large usage du terme de « prejudice » (préjugé). Mais comment
expliquer cette notion ? Est-ce qu’elle est liée à celle d’inégalité ?
- La position des individus dans la hiérarchie sociale affecte leur perception des
inégalités. Plus on est dominant, plus on en a une perception favorable.
- Les différences entre institutions favorables/défavorables aux inégalités sont un point-
clé de la théorie. Elle permet d’aller plus loin que la théorie de Bourdieu, en montrant
que les dominants ne peuvent être appréhendés de manière univoque. On ne trouve pas
la même perception des inégalités chez les cadres de la finance et les universitaires.
Au sein même des universitaires, les orientations politiques varient en fonction des
sous-champs disciplinaires : on y trouve autant de diversité politique que dans le reste
de la société, entre riches et pauvres. Autrement dit, la position sociale ne suffit pas
pour prédire ces orientations ; il faut aussi prendre en compte le contexte plus ou
moins favorable à la SDO.
Pour JS, la question est en effet de savoir si les facteurs individuels et culturels sont
prédominants. Il y a un phénomène situationnel évident : plus la position est élevée,
plus le taux de SDO augmente. Mais cette stabilité est relative, le taux de SDO est plus
ou moins élevé selon les contextes.
- Pour SG, il faut continuer à travailler sur ce point. Pour les psychologues sociaux, le
lien est forcément évident avec la personnalité. En science politique, on assure qu’il
s’agit là d’une donnée fixe. Cette thèse est davantage débattue en psychologie, où l’on
s’interroge sur l’importance respective de l’origine biologique, des attitudes acquises.
- Pour FLC, la question n’est pas celle du poids relatif de l’inné et de l’acquis, de la
biologie et de la culture, mais plutôt celle de l’usage instrumental de ces concepts par
les groupes dominants et dominés : les dominants sont plus enclins à favoriser les
thèses essentialistes et biologiques. FP remarque qu’en effet, on s’intéresse beaucoup
plus à la façon dont les dominés transgressent les normes qu’à la manière dont les
dominants diffusent les normes.
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