ECPR, 14-19 avril 2005 Victoria Veguilla del Moral Doctorante en Sciences Politiques IEP Aix-en-Provence Université de Grenade Représentation et notabilité à Dakhla Nous proposons une étude sur le système de représentation dans un espace local, privilégiant une démarche analytique propre à l’anthropologie, et prenant comme site de recherche les processus électoraux marocains 2002-2003. Nous estimons qu’en nous plaçant dans une échelle analytique micro, ou en « jouant à changer l’échelle d’analyse », nous pouvons saisir les logiques locales et les enjeux locaux des élections passées, les registres de la représentation mobilisés et les rôles des représentants, du point de vue des significations sociales. Nous proposons davantage une autre manière d’approcher la « réalité sociale », nous permettant d’aborder « d’en bas » les processus qui participent à la définition de la représentation légitime et que contribueraient éventuellement à modeler les relations établies entre le centre et la périphérie1. Il s’agit en outre de contribuer à cet effort, déjà initié, de discerner ce que nous apprennent les processus électoraux inscrits dans un « territoire », à un moment précis. Ce faisant, nous proposons une analyse dont le prisme est situé dans une échelle locale et c’est à ce niveau d’analyse que nous saisirons d’autres processus sociaux et politiques nationaux, voire internationaux. En privilégiant une démarche anthropologique, centrée sur le local et plus spécifiquement sur l’action (interaction) des acteurs, dans toute leur complexité2, nous espérons pouvoir rendre intelligible une autre réalité sociale3. 1 Plutôt que de configurer un cadre fournissant un exemple de « la hiérarchie réelle des pouvoirs dans la société urbaine » (Abouhani p. 6) marocaine, cette étude cherche à saisir les significations cachées derrière une conception de l’exercice du pouvoir qui « émane[rait] de points multiples » (Abouhani p. 7). ABOUHANI Abdelghani, Pouvoir, villes et notabilités locales. Quant les notables font les villes, Rabat, 1999. 2 Compte tenu du contexte. Nous accordons à la notion de « contexte » une importance majeure. Elle a été utilisée par les micro-historiens, puis par des anthropologues comme A. Bensa, pour qui « Les comportements et les énoncés dont l’ethnologue prend note sont pourtant extraits du développement 1 Nos enquêtes à Dakhla nous ont permis de changer l’échelle d’analyse. Nous avons étudié les processus électoraux du point de vue des significations données par les acteurs locaux, des enjeux locaux, des rapports qui s’établissent entre candidats et électeurs, puis entre représentants et représentés4. Cette manière d’aborder le moment électoral a été révélatrice, entre autres, des critères de la notabilité, des critères de la représentativité, des différentes conceptions des rôles des représentants. En d’autres termes, elle a été révélatrice des « logiques » locales qui contribuent à la définition des rôles joués par les élites locales et de là, à une conception de la représentation légitime qui résulte des rapports sociaux, des actions et des interactions, inscrites dans un « contexte ». Cependant, il faut bien s’éloigner de conclusions simples. Le système de la représentation, tel que nous le montrerons, est davantage composite, complexe, son étude devient un défi pour l’analyste dans une société marquée par des clivages multiples, et faisant l’objet de dynamiques mouvantes, à de multiples niveaux, qui conditionnent ses systèmes relationnels horizontaux et verticaux, à un moment donné et dans le temps. Dans cette multiplicité complexe, nous avons remarqué un mode d’interaction autre que la redistribution par des réseaux de clientèle, et c’est cette piste que nous avons ici privilégiée, parce qu’elle nous est apparue tributaire des relations que les acteurs locaux établissent avec le centre, au moment de nos recherches5. En ce sens, nous rejetons l’idée d’un centre « tout-puissant », à côté d’espaces périphériques écrasés6. Nous avançons en revanche qu’il existe une complexité de rapports sociaux, continu des relations nouées de longue date entre les personnes qu’il observe et interroge ». BENSA Alban, « De la micro-histoire vers une anthropologie critique » in REVEL Jacques (dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Gallimard-Le Seuil, Paris, 1996, p. 44. 3 Vu « d’en bas », les élections au Maroc ne se réduisent pas « à des stratégies monarchiques de cooptation successive d’une catégorie sociale à une autre ». BENNANI-CHAÏRIBI Mounia, « Introduction » in BENNANI-CHRAÏBI Mounia, CATUSSE Myriam et SANTUCCI Jean-Claude (dir.), Scènes et coulisses de l’élection au Maroc. Les législatives 2002, IREMAM-Karthala, 2004, p. 32. 4 Au sens large, car nous nous intéressons également aux énoncés, en dehors des processus électoraux, des acteurs locaux se disant, par leurs discours, représentatifs de Dakhla. 5 Nous tenons compte de la temporalité des faits observés dans la mesure où « les catégories anthropologiques soi-disant stables (tribus, ethnie) sont en fait changeantes et doivent, de toute manière, être affinées au plus près de la réalité vécue au sein de laquelle elles sont bien sûr compliquées par d’autres variables (politiques, économiques, psychologiques, individuelles, etc.) non moins prégnantes » (Ahmed Salem, p. 205), et dans la mesure où les stratégies menées par l’Etat dans tous les domaines locaux varient, par exemple, en fonction des conjonctures internationales autour de la résolution du conflit. En ce sens, nous allons mettre l’accent moins sur « un trait structurel dominant et constant de l’organisation politique ou de la « culture » locales » (Ahmed Salem, p.209), que sur des interactions individuelles et contextualisées. AHMED SALEM Zekeria, « Sur la formation des élites politiques et la mobilité sociale en Mauritanie » in BONTE Pierre et CLAUDOT-HAWAD Hélène, Elites du monde nomade touareg et maure, Les Cahiers de l’IREMAM, nº 13/14, Aix-en-Provence, 2000. 6 Cette hypothèse nous renvoie à celle défendue par A. Signoles à propos de la Palestine et à celle défendue par A. Abouhani dans le contexte marocain. SIGNOLES Aude, Municipalités et pouvoir local 2 politiques et économiques, dont il faut rendre compte dans les relations établies entre les acteurs locaux et entre ceux-ci et les acteurs nationaux. En partant « d’en bas », et sans prétendre épuiser ici le sujet, nous présenterons au lecteur, dans un premier moment (1), les dynamiques historiques qui participent à la définition des processus actuels, en privilégiant surtout la variable identitaire et la variable économique. Cela va nous permettre de saisir l’historicité des énoncés que les acteurs de la représentation mettent en avant lors des processus politiques électoraux, et face aux situations de réussite sociale, économique ou/et politique individuelles. Dans une seconde étape (2), nous aborderons l’analyse des élections législatives de 2002 et des élections communales de 2003, à partir a) des énoncés des candidats (révélateurs des stratégies mises en place, des registres de la représentation mobilisés et des clivages socio-économiques, donc des enjeux locaux des élections), b) des candidatures présentées ainsi que c) des résultats électoraux (ces deux derniers révélateurs des critères de l’investiture). L’étude des élections législatives nous montre que les acteurs ont mis en place des stratégies multiples au moment de demander le vote, ayant recours à une multiplicité de registres de représentation qui mettent en exergue leurs conceptions de la domination politique et économique, inscrite à Dakhla. Quant aux critères de l’investiture, nous allons signaler leurs éléments de continuité et les changements observables. Dans l’étude des élections communales, nous avons fait le choix d’analyser deux circonscriptions : la municipalité de Dakhla et une commune rurale. Si les élections à la municipalité de Dakhla nous renseignent sur une éventuelle redéfinition des registres de la représentation, dans le sens d’un élargissement (la ville, les autochtones), les élections de communes rurales se jouent entre des familles appartenant à une même tribu, voir fraction de tribu. Dans ces circonstances, un individu Sahraoui peut être considéré par les membres de sa tribu comme étant un « étranger », nous le verrons, par rapport à la famille. Dans une troisième phase (3), nous prenons le choix de réduire l’échelle d’analyse et de nous focaliser sur les interactions entre individus, lors des échanges électoraux (entre des candidats Sahraouis et certains électeurs également Sahraouis). Il s’agit d’analyser les discours de la justification dans leur interaction avec les discours abstentionnistes (ceux-ci étant aussi contextuels que les autres), et les influences éventuelles que ces discours pourraient avoir sur les rôles des représentants et les dans les Territoires palestiniens. Entre domination israélienne et Etat en formation (1993 – 2004), Thèse de Doctorat en Sciences Politiques, Université Paris I, 2004, ABOUHANI A., op. cit. 3 critères de la notabilité. Pour conclure (4), nous formulerons des pistes de recherche sur les motivations des candidats à occuper un poste politique. 1. La prise en compte nécessaire du contexte. Historicité des interactions sociales à Dakhla L’analyse micro des processus sociaux et politiques proposée a pour point de départ l’individu et l’individu en interaction. Le système de relations qui résulte des actions des acteurs doit être analysé dans un certain contexte, défini au gré des interactions successives. La construction du contexte par l’analyste devient ainsi un travail d’objectivation des enjeux locaux à un moment donné et de leur évolution dans le temps. Il s’agit pour nous d’analyser les processus qui ont contribué à la configuration de la structure sociale et économique observée lors des élections 2002-2003 à Dakhla, toutes deux révélatrices des interactions entre acteurs pluriels et des enjeux locaux. Sans prétendre épuiser le sujet, nous ferons connaître aux lecteurs les dynamiques sociales à l’époque de la décolonisation espagnole du Sahara et les dynamiques économiques liées au secteur de la pêche dans les années 90. Nous assumons le fait que notre étude va consister à souligner deux moments historiques de la société étudiée. Mais nous analysons ces deux moment historiques sous l’aspect de leur potentiel explicatif des processus actuels. Les lignes qui suivent sont le résultat des enquêtes menées à Dakhla, celles-ci nous ayant permis, à travers les énoncés des enquêtés, de saisir ce qui devient aujourd’hui important et que nous ne pouvons comprendre que dans une perspective historique. Nous utilisons le terme « Sahraoui » pour nous référer aux individus originaires des tribus qui nomadisaient les régions qui furent colonisées par les espagnoles, des tribus qui, depuis les années 60, se disent et sont considérées comme « sahraouies ». Des facteurs pluriels à l’origine de la structure sociale et économique observée Il ne s’agit pas d’une sociologie de la genèse des structures observées. Ce que nous proposons, ce sont des éléments nous permettant de comprendre les interactions des acteurs lors des élections, les liens établis entre représentants et représentés, ainsi que les différentes manières de concevoir la représentation légitime et le sujet passif de 4 la représentation (qui sont les représentés ?)7. Pour cela, il convient de faire le point sur le moment qui marque le commencement de deux structures de pouvoir se disant toutes deux Sahraouies. C. Barona Castañeda a travaillé8 sur la construction d’une identité nationale au Sahara sous le Protectorat espagnol. Notre objectif ici demeure autre, à savoir la description du scénario d’une déstructuration sociale et politique, ainsi que des processus complexes de restructuration, individuels et collectifs. Cela nous intéresse dans la mesure où les rapports sociaux et politiques entre des individus appartenant aux élites politiques ou économiques (qui sont imbriquées dans une large mesure) et le reste de la société habitant Dakhla, vont être conditionnés, entre autres, par ce processus de déstructuration. L’élite locale, dans ses rapports avec la population, lors des élections ou à un autre moment d’interaction, développera des stratégies discursives plurielles révélatrices de critères de représentativité. Durant les jours où la décolonisation du Sahara se « joue », de nombreux Sahraouis fuient du territoire et s’installent sur le sol algérien, à un endroit connu aujourd’hui comme « les camps de réfugiés de Tinduf ». Nous ne savons pas quelles sont, au moment de la décolonisation, les motivations des individus qui décident de rester. Nous nous contentons, du fait du manque d’études sur ce sujet, d’avancer une thèse susceptible d’incorporer le degré de complexité observé, en postulant des motivations plurielles, pas nécessairement idéologiques mais plutôt de l’ordre des conjonctures individuelles ou familiales9. Quoi qu’il en soit, on ne peut analyser la division en faisant une distinction entre des groupes. Elle concerne des individus appartenant à des tribus et des fractions de tribu différentes, et aux membres d’une 7 La définition des « représentés » a été analysée par P. Bourdieu, qui écrit : « C’est parce que le représentant existe, parce qu’il représente (action symbolique), que le groupe représenté, symbolisé, existe, et qu’il fait exister, en retour, son représentant comme représentant d’un groupe » (p. 194). L’analyse que nous développons ici se veut illustrative de ces propos dans le sens, nous le verrons, où la définition du groupe de représentés fait l’objet à Dakhla d’un travail de redéfinition constant, influencé par des facteurs multiples. Sachant cela, il convient ici d’analyser les facteurs pouvant éventuellement participer à la configuration des représentations sociales locales du « bon représentant », ainsi que les registres pluriels de la représentation mobilisés, à un moment d’interaction, par les individus qui font partie de l’élite locale. BOURDIEU Pierre, Choses dites, Minuit, Paris, 1987. 8 BARONA CASTAÑEDA Claudia, Sahara al-Garbia 1958-1976. Estudios sobre la identidad nacional saharaui, thèse de doctorat, Université Autonome de Madrid, 1998. 9 Plusieurs individus interrogés à ce sujet ont mis en avant le fait que certains membres de la famille n’étaient pas à Dakhla au moment de prendre la décision, ou le fait qu’ils jouaient le rôle de gardiens des biens familiaux. Nous n’avons cependant pas suffisamment analysé cette problématique pour avancer ici des conclusions. 5 même famille10. Elle n’est pas non plus significative d’un clivage idéologique dans le sens d’une appartenance nationale. A Dakhla, la population qui reste au moment de la décolonisation est composite, en termes ethniques11, dont une majorité d’individus Sahraouis, appartenant davantage à la tribu Ouled Dlim. Nous n’avons pas de détails pour reconstruire l’histoire de gens de cette ville entre 1975 et 1979. Les ressources réduites de la Mauritanie auraient empêché ce pays de déployer un exercice réel de sa souveraineté sur le territoire cédé par les Espagnols en novembre 1975, en vertu des Accords de Madrid. Le manque d’importance accordé à cette époque par des individus interrogés à ce sujet nous amène à formuler cette hypothèse. C’est en août 1979, à la suite de l’accord de paix signé entre ce pays et le Front Polisario impliquant la renonciation mauritanienne à ces territoires, que le Maroc assume le contrôle de Dakhla et que des individus dont les origines se trouvent dans le Nord commencent à s’installer dans cette ville. Soumise à une logique de guerre, la vie des habitants de Dakhla reste, pendant les années 80, repliée sur ellemême12. Aucune activité économique importante ne se développe, leur survie restant dépendante des aides institutionnelles13, aussi bien pour les autochtones que pour les immigrants. Ce n’est que plus tard que quelques entrepreneurs commenceront à investir dans des activités de pêche à Dakhla (au début des années 90), et que la ville commencera à créer des infrastructures administratives (fin des années 90)14. L’élargissement de l’élite locale découlera de l’apparition de ces nouveaux entrepreneurs et de l’élargissement des services administratifs et des postes liés à la représentation, en marge des grandes familles au moment de la décolonisation. La genèse du secteur de la pêche au Maroc est tributaire de la question de la décolonisation : l’option d’une stratégie visant à donner la priorité à un secteur à 10 Un des constats qui nous a le plus choqués est justement le fait que presque toutes les familles, au sens restreint du terme (père, mère, frères des pères ou des mères, fils…) sont concernées par cette division. 11 En 1981, selon les chiffres avancés par B. López García (p. 76), les électeurs de la région d’Oued Eddahab étaient au nombre de 788. LOPEZ GARCIA Bernabé, Marruecos político. Cuarenta años de procesos electorales (1960-2000), Centre de recherches sociologiques, Madrid, 2000. 12 Il serait intéressant d’étudier cette période dans les termes établis par Dobry. DOBRY Michel, Sociologie des crises politiques, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1992. 13 Au sens large, car l’Etat met en place une politique de création d’infrastructures dont l’impact sur la structure socio-économique reste à analyser. 14 Le découpage administratif de la région d’Oued Eddahab-Ausserd (réformé en 1998) s’effectue très tôt. Cependant, les processus de construction des services et du personnel administratif impliquent une période plus large. 6 l’époque marginal ne peut être analysée qu’en fonction de facteurs économiques15. Dakhla reste pourtant écartée « du jeu » à cette époque. Il faudra attendre le début des années 90 pour que plusieurs entrepreneurs décident d’investir dans l’industrie de la congélation16, ce qui permet de congeler les prises des petites barques (« faloucas »), grâce à la distance réduite entre la ville et les lieux de pêche. Ils se spécialisent dans une espèce spécifique17, le poulpe, très demandé sur le marché international et dont les coûts de production demeurent très faibles. Les bénéfices obtenus par ces entreprises attirent l’intérêt d’autres personnes : des chefs d’entreprise de la région de Sidi Ifni ou de Tan Tan et d’autres chefs d’entreprise originaires des villes du Nord, commencent eux aussi à investir dans la congélation, de même que des notables autochtones, qui vont revendiquer leur droit à tirer des bénéfices de ce que l’on a appelé l’« or blanc »18, et qui seront financés pour faire leur propre « frigo ». En 1996, il n’y avait à Dakhla que 7 unités de congélation (nécessaires à cette exploitation). En 2003, elles s’élèvent à 7819. La main d’œuvre (marins pêcheurs) nécessaire à cette activité économique est importante. Elle génère aussi une demande de travail liée aux infrastructures sur la terre ferme (mécaniciens, électriciens, frigoristes, manipulateurs du poisson, classificateurs, intermédiaires, etc.) et liée également à la multiplication du nombre des habitants de la ville20. Le secteur de la pêche artisanale naît ainsi au Maroc, localisé à Dakhla. La ville devient à ce moment le paradis recherché par les demandeurs d’emploi21. Une vague « d’immigration économique » vient bousculer durant cette période la structure sociale préexistante. 15 « Les observateurs avisés savent en fait qu’à l’époque la création d’un secteur moderne de pêche hauturière a été la conséquence d’une conjonction de faits. D’abord, le Maroc voyait là une occasion de peupler les provinces du Sud », La Vie Economique, 14-20/11/2003, p. 10). L’accès aux eaux sahariennes, la concession des licences de pêche hauturière à certaines catégories sociales et l’adoption des mesures de financement pour l’acquisition des grands bateaux de pêche, seraient des circonstances liées à la question du Sahara. 16 Un Français spécialisé dans le secteur de la pêche (qui vit depuis longtemps en Afrique) commence à acheter de petites quantités de poulpe vivant qu’il exporte dans les îles Canaries. Un chef d’entreprise sahraoui lui propose de participer à la construction d’une unité de congélation (avec des matériaux recyclés). Puis un autre habitant à Dakhla (originaire de la région de Sidi Ifni) décide également d’y investir. Ce sont deux exemples des premiers « entrepreneurs de la pêche » à Dakhla. 17 Le poulpe représente plus du 80 % de la production des opérateurs de la pêche hauturière, ce qui met la pêche artisanale en concurrence directe avec la pêche hauturière. 18 Terme utilisé par les journaux marocains. 19 Selon un document fourni par le Centre Régional d’Investissement à Dakhla et l’Association des Industriels de Pêches Maritimes d’Oued Dahab (AIPMOD). 20 Les chiffres sur les immigrants attirés par le secteur de la pêche diffèrent. Selon les chiffres fournis par l’ancien ministre des Pêches Maritimes, Saïd Chbaâtou, ils s’élèvent à 60 000, La Gazette, Spécial Pêche, 22/11/2001, p. 39. 21 « De même que les familles envoyaient leurs enfants en Europe, à ce moment, Dakhla devenait au même titre, une destination des Marocains en chômage », Enquêtes menées en mai 2004. 7 Les clivages communautaires et économiques à Dakhla A l’époque précoloniale, la société qui nomadisait cet espace se caractérisait par une forte hiérarchie des individus et des groupes. Dans cette hiérarchie, les groupes d’individus installés sur la côte, pour qui la pêche était la principale activité, étaient peu valorisés22. Il ne s’agit pas pour nous de faire une thèse déterministe sur la genèse des structures socio-économique observée. Nous avons la ferme conviction que d’autres facteurs ont joué dans le temps (une politique de subvention de l’Espagne puis du Maroc, une conception de l’honneur et de la noblesse liée au processus de construction de l’identité sahraouie…). Tous ces facteurs auraient participé d’une façon ou d’une autre au fait qu’aujourd’hui à Dakhla, les Sahraouis (avec des cas exceptionnels) ne se consacrent pas à l’activité de la pêche. Ils ne sortent pas en mer pour pêcher. Cette activité est davantage pratiquée par les migrants du Nord. Ils n’occupent pas non plus les postes de travail intermédiaires. Les rapports qu’ont les individus sahraouis avec le secteur des pêches maritimes sont plutôt liés aux activités industrielles, connexes aux activités productives. De même que dans les années 80 le gouvernement marocain développe une politique de crédit pour l’obtention de licences de pêche et de bateaux (en 1992 le gouvernement décrète la fin des investissements), durant la deuxième moitié des années 90 et jusqu’en 2002, on assiste à une politique de financement pour le développement des infrastructures de congélation de poisson, dont les personnes appartenant à l’élite sahraouie ont le plus bénéficié. Le cadre décrit mérite pourtant d’être nuancé. Nous ne trouvons pas de cas où les producteurs sont des personnes venues du Nord et les Sahraouis des industriels. La réalité est beaucoup plus complexe. Nous trouvons par exemple des Sahraouis propriétaires de licences de pêche de petites barques, qu’ils louent aux marins pêcheurs venus d’ailleurs ; nous trouvons aussi des propriétaires d’unités de congélation qui profitent de licences de pêche côtière qu’ils utilisent pour congeler leurs propres produits (dans ce cas, les pêcheurs sont venus dans une large majorité du Nord) ; nous trouvons aussi, quoique très peu, des Sahraouis occupant des postes administratifs dans des entreprises, ou des intermédiaires entre pêcheurs et propriétaires d’unités de 22 Caro Baroja décrit la population du Sahara dans les années 50. Il analyse la population sédentaire, dont les pêcheurs (jahouarata) de quelques tribus côtières, soulignant que ces pêcheurs « han sido siempre muy mal considerados ». CARO BAROJA, Estudios Saharianos, Institut d’études africaines, Madrid, 1955, p.105. 8 congélation, des pêcheurs ou des manipulateurs de produits23. De même, nous trouvons des « non Sahraouis » dirigeant des entreprises consacrées aux activités de production et de traitement des ressources maritimes. Entre 1996 et novembre 2001, le secteur de la pêche artisanale, localisé à Dakhla, s’est caractérisé par une dynamique expansionniste. L’année 2002 marque pourtant un point d’inflexion. Les professionnels du secteur, les journaux, les autorités chargées des pêches et l’Institut National des Recherches Halieutiques (INRH), une institution étatique, commencent à parler d’une « crise des ressources maritimes », notamment du poulpe. Plusieurs facteurs pourraient être à l’origine de ce que nous analysons comme un processus de construction d’une « situation de crise ». Ce qui nous intéresse ici est le fait que, au moment des élections, le seul secteur économique moteur du développement local est soumis à un processus de négociation qui paralyse les activités24 et qui nuisent aux propriétaires d’unités de congélations ayant des dettes auprès d’établissements financiers25. L’intervalle entre les deux processus électoraux étudiés est représentatif de deux moments dans la conjoncture nationale que nous venons de décrire. En 2002-2003, lors des élections législatives et communales, la division communautaire s’avère marquée. Cette division ne répondrait pas, en fin de compte, à une logique binaire (eux-nous), et ne prendrait pas un caractère permanent. Les groupes se recomposent et se restructurent en fonction de chaque contexte particulier, ce qui se rapproche des observations faites par J-F. Bayart, pour qui « l’identification qu’effectue un acteur social est toujours contextuelle, multiple et relative »26. Nous trouvons ici l’un des clivages identifiés dans la société étudiée (clivage communautaire)27. Il a été utilisé par les candidats lors des élections législatives comme nous le verrons, mais il perd ses 23 Dans tous ces cas, une analyse en termes de réseaux de clientèle demeure pertinente. Sept mois d’arrêt biologique entre novembre 2001 et 2002. 25 Entre 2001 et 2002, trente unités de congélation se sont construites à Dakhla, financées par les établissements bancaires. 26 BAYART Jean-François, L’illusion identitaire, Fayard, Paris, 1996, p. 98. 27 Nous avons analysé ce clivage lors des élections législatives en utilisant trois catégories d’acteurs : Sahraouis, Norteños (qui trouvent leur origine dans les villes du nord du Maroc) et « Faux sahraouis » (qui appartiennent à des tribus recensées par les Espagnols en 1974 bien que leur identification comme des tribus sahraouies pose des problèmes). Ces catégories sont construites à partir des énoncés des acteurs Sahraouis. La nomenclature « Faux sahraouis » a été retenue car elle nous semble bien montrer une identité « à cheval » entre les deux autres. Nous reprenons les catégories construites au moment de la tenue des législatives, bien que des changements aient pu être repérés. Par exemple, les individus appartenant à la catégorie des Norteños ont pu devenir, dans certains contextes, des pêcheurs. Voir VEGUILLA Victoria, « Le pourquoi d’une mobilisation « exceptionnelle » : Dakhla » in BENNANICHRAÏBI Mounia, CATUSSE Myriam et SANTUCCI Jean-Claude (dir.), op. cit. 24 9 qualités explicatives dans d’autres contextes où nous le trouvons imbriqué à un autre clivage de type « autochtones/étrangers ». En ce sens, le premier groupe serait constitué par les individus habitant depuis longtemps Dakhla, et le deuxième, celui des « étrangers », les individus immigrants des années 90. Les structures sociales et économique résultant des dynamiques multiples signalées demeurent des variables indispensables à la compréhension des systèmes de la représentation à Dakhla, elles nous aident analyser les registres pluriels qui se cachent derrière le concept de représentation et qui sont liés à une pluralité de significations sociales de la « proximité »28 : une représentation liée à l’appartenance à un groupe défini en termes ethnico-culturels, une représentation fondée sur le rapport au lieu (la ville) et une représentation qui imbrique les deux : d’une part, elle lie aussi la représentation à l’appartenance à un groupe élargi, les autochtones, et d’autre part, elle redéfinit le groupe par le rapport « au sol ». Toutes trois sont contextuelles, mouvantes et peuvent être réclamées par les mêmes individus. 2. Clivages socio-économiques et enjeux locaux des élections L’analyse des élections législatives de septembre 2002 et des élections communales de septembre 2003 portera davantage sur les discours des candidats et sur les candidatures présentées, tous deux révélateurs des stratégies mises en place par les candidats et des critères de l’investiture. L’analyse des processus électoraux nous intéresse dans la mesure où ils ont participé et participent au processus de formation et de structuration de l’élite local par la voie d’un élargissement de cette couche sociale (l’analyse historique révèle une élargissement des postes impliquant le personnel politique local), et par la voie des systèmes d’interactions contextualisés qui se produisent au moment des échanges électoraux. « Vues d’en bas », les élections, comme processus de production des acteurs de la représentation, prennent leur sens dans le fait qu’elles constituent « un moment de choix » soumis à des logiques tant descendantes qu’ascendantes, dans un espace déterminé. Elles représentent un moment où certains individus conquièrent, maintiennent ou perdent un poste, en fonction de leurs attributs, 28 « [L]a référence à la « proximité » aussi indéterminée soit-elle, devient un élément central du répertoire de la représentation », CATUSSE M., CATTEDRA R. et IDRISSI-JANATI M., « Municipaliser les villes ? Le gouvernement des villes à l’épreuve du politique et du territoire au Maroc » in Le Bris (dir.), Les municipalités dans le champ politique local. Les effets des modèles exportés de décentralisation sur la gestion des villes en Afrique et au Moyen-Orient, PRUD, 2004, p. 242. 10 des trajectoires individuelles ou des qualités valorisées par l’Etat, dans une conjoncture historique donnée. Les élus à Dakhla, devant leur poste à un choix des votants ou/et aux critères de l’investiture, sont choisis à un moment bien précis de l’histoire de la ville. L’étude que nous présentons montre bien le caractère conjoncturel (changeant) des critères de la représentation et de l’investiture. Concernant le découpage électoral, à l’occasion des élections législatives, la région d’Oued Eddahab a été découpée en deux circonscriptions (l’une qui comprenait la municipalité de Dakhla et l’autre celle de Lagouira) avec deux sièges à pourvoir pour chacune d’elles. Les élections communales dans la région englobaient l’élection des membres de ces deux municipalités et des membres de onze conseils des communes rurales (cinq dans la province d’Aousserd-Lagouira : Aghouinite, Aousserd, Bir Gandouz, Tichla, Zoug ; et six dans la province d’Oued EdDahab : Bir Anzarane, El Argoub, Gleibat El Foula, Imlili, Mijik, Oum Dreyga). Nous signalons ici une « spécificité » de notre terrain. Ce découpage ne se traduit pas en termes démographiques. Lagouira demeure une ville « fantôme », la population rurale y est pratiquement inexistante, tout le corps électoral habite la ville de Dakhla où les processus électoraux se déploient à différents endroits (campagne, bureaux de vote, bâtiments publics des deux circonscriptions...)29. Comme cela s’est produit en 1997, le corps électoral des circonscriptions dans lesquelles la région était découpée est resté concentré dans la ville de Dakhla en 2002 et 2003. Si nous avions observé pour les législatives que ce découpage ne sert qu’en « termes administratifs »30, nous avons remarqué pour les communales une « ethnisation » des communes rurales qui a conditionné la façon dont l’événement s’est déroulé. Cette analyse-ci portera sur la municipalité de Dakhla et sur une commune rurale de la province d’Aousserd, quoique des tendances plus généralistes pourront être signalées du fait que notre regard, lors des élections, a été porté aussi ailleurs. 29 L’ensemble de la population inscrite dans cette région habite à Dakhla, où se trouvent les différents services administratifs, de la région à la commune ; par exemple, la municipalité de Lagouira et les bureaux des communes rurales de la région d’Oued Eddahab-Lagouira. Ainsi, l’analyse du processus électoral à Dakhla implique l’étude des deux circonscriptions pour les législatives et des deux municipalités et des onze communes rurales pour les communales. 30 Ce découpage ne répondant pas non plus au désir d’homogénéiser le corps électoral de deux circonscriptions, du point de vue ethnique, car ceux-ci sont constitués par des individus appartenant aux différentes communautés et groupes primaires de référence. Toutefois, la proportion des électeurs sahraouis par rapport au total des inscrits semblait plus élevée dans la circonscription d’Ausserd-Laguera que dans celle d’Oued Eddahab. 11 A. Les élections législatives 2002 Nous avons analysé les élections législatives à Dakhla sous le prisme de ce que nous avons appelé une « mobilisation exceptionnelle ». Nous avons étudié les facteurs qui nous permettent de comprendre une implication accrue des candidats et des électeurs au cours du processus. En ce sens, nous avons remarqué une « spécificité » des réformes électorales à Dakhla qui, loin d’éloigner les candidats des votants, ont intensifié les rapports entre eux31. En outre, nous avons aussi remarqué une localisation et une communautarisation des enjeux des élections, liées aux rapports de domination et aux structures de pouvoir inscrits dans cet espace. Il y a eu une utilisation (appropriation) du processus afin d’établir (rétablir) la position statutaire des individus, des groupes et des communautés dans la hiérarchie sociale. Du fait qu’à Dakhla la promotion individuelle passe nécessairement par la promotion du groupe social d’appartenance, ces élections ont été vécues comme une compétition entre communautés et entre tribus. Les solidarités tribales continuent à véhiculer les allégeances politiques et la variable communautaire a plus de sens que la variable partisane. Les candidatures En septembre 2002, à Dakhla, 18 candidats à Oued Eddahab et 17 à Ausserd étaient en concurrence. Sur ces 35 candidatures, 18 des têtes de liste appartiennent à la tribu Ouled Dlim, soit 51 % des candidatures (50 % dans la circonscription d’Oued Eddahab et 52,94 % dans celle d’Ausserd). Sur les 4 élus, 3 appartiennent à cette tribu, originaire de la région. La tribu Ouled Dlim, sahraouie, nomadisait l’espace de parcours nommé par les espagnols « Rio de Oro » (Oued Eddahab) à tel point que Dakhla est considérée comme la ville des Ouled Dlim. La quasi-totalité des individus qui en font partie habitent à Dakhla, mais ils sont également nombreux en Mauritanie. Concernant les divisions communautaires, 31 des 35 têtes de liste sont Sahraouis, soit 16 des 18 candidatures à Oued Eddahab et 15 des 17 candidatures à Ausserd. Sur les 31 La taille des circonscriptions, l’augmentation des sièges à pourvoir et la substitution de candidatures uninominales par des candidatures de listes ont intensifié les rapports sociaux. D’une part, le contrôle est plus fort car la proximité des acteurs impliqués est étroite, et d’autre part la relation sièges/électorat est réduite, ce qui augmente la valeur relative d’une voix. 12 4 candidats restants, 3 appartiennent aux tribus originaires de la région de Sidi Ifni. Même s’ils sont nés au Sahara, leurs origines se trouvent dans la région méridionale du Maroc ; ils n’appartiennent donc pas aux tribus traditionnelles de cette région, ils sont dialogiquement inclus dans la catégorie des « Faux sahraouis »32. Le quatrième candidat vient du Nord, il fait partie du syndicat des pêcheurs et est arrivé dans les années 90, à la suite de l’épanouissement des activités économiques liées à la production de céphalopodes. Cela a pu mobiliser les voix des votants, par un mécanisme d’identification lié à un groupe corporatiste. Ce candidat a obtenu 314 voix, soit près de 7 % des voix exprimées, ce qui le place à la sixième place dans la circonscription d’Aousserd-Laguera. Il s’est présenté sous le sigle du Congrès national ittihadi (CNI), créé en 2001. Les candidats qui ont obtenu plus de voix que ce candidat appartiennent tous à la tribu Ouled Dlim. En outre, il n’a pas de moyens économiques et n’a donc pas pu investir de grosses sommes d’argent lors des élections. Ces remarques nous permettent d’analyser le nombre de voix obtenus par le candidat Norteño comme étant le résultat de la mise en place de mécanismes d’identification communautaire et corporatiste, ainsi que sa proximité par rapport aux électeurs-pêcheurs, qui sont nombreux à Dakhla et qui appartiennent pour la plupart à sa communauté. Les stratégies des candidats L’étude des discours des candidats lors de la campagne électorale révèle les stratégies mises en place par les acteurs. Pour recueillir des voix, les candidats ont eu recours à une pluralité de registres, parmi lesquels on soulignera le recours à la variable identitaire. A Dakhla, le contenu des discours relève davantage des caractéristiques de la personne qui parle et de celles des personnes à qui les messages sont adressés. En ce sens, nous pouvons parler en termes de « répertoire discursif », étant donné que les candidats ont utilisé différents registres pour solliciter le vote. En outre, ce contenu n’a aucune correspondance avec une logique nationale, ou même régionale, liée aux particularités de l’événement électoral (il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’élections législatives). Ce contenu relève plutôt d’une logique du local. Les deux axes qui articulent le contenu des messages des candidats sont les problèmes de la ville (le 32 Des études établissent des liens entre ces tribus et la confédération Tekna, celle-ci formée par des tribus sahraouies. De fait, les catégories utilisées sont une construction des acteurs faite à travers les « mécanismes dialogiques » de la définition de Soi et de l’Autre. DENIS-CONSTANT Martin, « Le choix d’identité » in Revue Française de Science Politique, Des identités en politique, nº 42, 1992, p. 587. 13 fonctionnement des services publics ou la création de certaines infrastructures) et la façon de concevoir comment le pouvoir doit être distribué à Dakhla. Les candidats sahraouis, face aux électeurs sahraouis et à l’administration, ont développé une stratégie de défense d’acquis33 : d’une part, elles constituent une tentative de prolonger une politique de gestion de minorités qui consiste à assurer les postes liés à la représentation aux Sahraouis34 ; d’autre part, elles révèlent, quoique timidement, au moment des législatives35, une stratégie visant le contrôle par un groupe (les Sahraouis ? Les individus appartenant à la tribu Ouled Dlim ? Les habitants de Dakhla avant la vague des « migrants pêcheur » ?36) des affaires économiques de la ville dont la pêche demeure la plus importante. Or, compte tenu du caractère minoritaire des Sahraouis à Dakhla, les candidats originaires de la région ont été obligés de s’adresser aux électeurs hors de leurs groupes d’appartenance. Dans ce cas, ils privilégiaient, semble-t-il, un discours portant sur leurs qualités personnelles et sur leurs propositions pour améliorer la vie de la ville (usant par-là de différents registres discursifs), ou bien ils proposaient tout simplement un échange mercantile37. L’investiture Quant aux critères de l’investiture, (quelles qualités caractériseraient les candidats adéquats ou privilégiés pour l’accès au champ électoral ? Quelles sont les normes d’accès au champ politique, à Dakhla ?) nous avons parlé en termes de politique de gestion de minorités. Le fait que le centre privilégie les candidatures sahraouies et que la quasi-totalité des postes issus du rôle de représentation, directe ou indirecte, soit occupée par des Sahraouis, assurerait, pour les individus issus de cette communauté, la représentation de la ville de Dakhla, malgré leur caractère minoritaire. Cette 33 Le fait qu’un « non Sahraoui » soit devenu l’un des quatre élus dans la région a été à l’origine des protestations de certains candidats sahraouis une fois les résultats connus. 34 Malgré leur statut de minorité. 35 En 2002, même si la situation de crise avait déjà commencé à se définir, les intérêts des chefs d’entreprise de Dakhla commençaient seulement à la subir. 36 Nous trouvons ici un exemple de la volatilité des définitions identitaires. « Les autochtones » sont redéfinis dans les interactions individuelles. 37 Il s’agit d’un acte marchand qui engage simplement les individus concernés à remplir leur partie du contrat. Il a été utilisé par les candidats Sahraouis qui se sont adressés aux votants extérieurs à leur groupe de référence (ce qui implique qu’ils on parfois été obligés de payer les voix des membres de leur communauté afin de concourir avec les autres candidats également Sahraouis), ainsi que par la quasitotalité des autres candidats. L’introduction du bulletin unique n’a donc pas empêché cette pratique, faute de mécanismes de contrôle utilisés jusqu’à présent. Nous avons pu observer l’apparition d’autres moyens de contrôle, comme le recours au Coran ou « le vote en chaîne » à partir des bulletins circulant hors des bureaux électoral, ce qui nous permet de parler d’un phénomène de substitution plus que de disparition. 14 problématique tient compte des critères du centre au moment de sélectionner les « bons candidats » et de ce fait, elle tient compte des politiques, formelles ou informelles, mises en place afin de favoriser la présentation de certaines candidatures ou d’influencer l’élection de certains candidats par rapport à d'autres. En ce sens, le centre favorise les candidats qui ont un lien avec la population autochtone (sahraouie), appartenant plutôt à la tribu Ouled Dlim (représentation liée à l’appartenance à un groupe défini en termes ethnico-culturels). Nous avons néanmoins remarqué un changement dont il faut tenir compte prudemment. Il s’agit du fait qu’un « non sahraoui » a obtenu l’un des sièges à pourvoir dans la circonscription d’Oued Eddahab, ce qui permet d'entrevoir une transformation possible (ou l’élargissement) des critères de la cooptation (dans le sens des ressources-qualités privilégiées par le centre). Il s’agirait d’une représentation fondée sur le rapport au lieu, en concurrence avec d’autres critères : l’appartenance à certains groupes, le fait d'avoir une assise locale ou d'avoir une certaine réputation sociale, économique ou fondée sur une carrière politique, ainsi que le fait de partager les thèses marocaines concernant le territoire, dans l’« espace public ». B. Les élections communales 2003 Les élections communales ont impliqué deux municipalités et onze communes rurales, quoique toutes les activités électorales aient eu lieu à Dakhla. Nous analysons les élections à la municipalité de Dakhla, organisées selon le scrutin proportionnel et de liste, introduit par la première fois dans les élections communales au Maroc, ainsi que les élections dans une commune rurale, celles-ci organisées selon le scrutin uninominal à un tour. Les deux échanges révèlent des enjeux différents et leur analyse nous est apparue révélatrice du caractère pluriel des stratégies déployées par les candidats, des modes de mobilisation et des registres de la mobilisation revendiqués par les candidats. En outre, l’analyse synchronique de processus « différenciés » a été révélatrice du travail de définition et de redéfinition du groupe des représentés, de sa dimension contextuelle et interactionniste. Les élections des municipalités. La municipalité de Dakhla Les élections à la municipalité de Dakhla ont concerné 13 353 électeurs. Tandis que le seuil pour le scrutin proportionnel par listes était fixé à 25 000 électeurs, cette 15 circonscription était censée à présenter des candidatures de listes comprenant 25 candidats. Les candidatures présentées ont atteint le nombre de 30, mais deux d’entre elles ont été refusées (l’une pour présenter un candidat déjà inscrit, l’autre du fait qu’un des candidats « avait des problèmes avec la justice »). Nous avons cependant 28 candidatures en lice, donc 700 candidats. La présentation des candidatures a impliqué deux problèmes majeurs pour les personnes désireuses de participer à la compétition : les luttes entre les candidats voulant se présenter comme tête de liste et la recherche faite par les « candidats-tête » afin de remplir le nombre des candidats exigé. Les élections à la municipalité de Dakhla avaient une autre particularité concernant le corps électoral, car celui-ci est formé par une proportion de Sahraouis plus réduite que les autres circonscriptions (la municipalité de Laguera et les 11 communes rurales). Il convient toutefois d’analyser les stratégies mises en place par les candidats afin de s’assurer des voix en dehors de leur groupe d’appartenance. Ces stratégies sont perceptibles dès la configuration des listes et elles sont révélatrices de changements dans les modes de représentation, ceux-ci restant cependant toujours pluriels, contextuels et relatifs. Les candidatures Les luttes entre des candidats pour occuper la tête de liste ont été, comme ailleurs38, l’une des caractéristiques de ce scrutin. Nous avons observé que des candidats qui s’étaient présentés lors des scrutins passés pour un parti politique, se sont vus déplacés au deuxième ou au troisième rang, ce qui ne les a pas intéressés. Ils ont choisi dans ces cas de se présenter sous les sigles d’un parti politique différent ou sous les sigles SAP (Sans Appartenance Politique). La configuration des listes a fait partie des stratégies des candidats. D’une part, ils ont eu recours aux membres de leurs familles afin de satisfaire aux exigences du scrutin de liste (les 25 candidats), et d’autre part, cette configuration a été pensée en fonction des caractéristiques du corps électoral, des tendances de vote présumées et des critères de l’investiture possibles. Sachant que les électeurs originaires des villes du Nord manifestaient un refus à voter pour des candidats Sahraouis si ceux-ci ne leur 38 L’analyse des communales dans trois villes du Nord (Casablanca, Rabat et Fès) a mis en relief le déroulement d’une « bataille pour obtenir les têtes de liste [qui] fait rage, non sans conséquences sur la mobilisation électorale locale », CATUSSE M., CATTEDRA R. et IDRISSI-JANATI M. , op. cit. p. 244. 16 assuraient pas une amélioration de leur situation individuelle, les stratégies des candidats Sahraouis, face à leur statut minoritaire, visaient à s’adapter à un corps électoral composé en majorité de non-Sahraouis ainsi qu’à une possible élargissement des critères de l’investiture. Les pratiques observées pourraient être éventuellement comprises comme le résultat d’un apprentissage des comportements électoraux lors des élections tenues un an avant. Nous observons, lors de ces élections, le recours des candidats Sahraouis à incorporer des Norteños dans leur liste, afin d’avoir accès à une plus vaste proportion des votants. Sur les 28 candidatures, 8 ont présenté en tête un Norteño ou un Faux sahraoui, et les 20 restantes un Sahraoui. Ce qui devient intéressant dès lors, c’est que les candidatures ayant un Sahraoui en tête de liste ont décidé de choisir un non-Sahraoui (Norteño) pour occuper le deuxième poste de la liste. En ce sens, nous avons pu analyser 14 listes des 20 candidatures Sahraouies, et nous avons remarqué que 8 d’entre elles avaient un Norteño à la suite du candidat de tête. Sur les 6 restantes, au moins 4 plaçaient un Norteño en troisième position. A l’inverse, sur les 8 candidatures non Sahraouies, nous avons pu en analyser 7, dont 4 présentaient en tête des Norteños (sur ces 4, deux présentaient des Sahraouis en deuxième position et les autres deux ne contenaient pas de Sahraouis), et 3 des originaires de la région de Sidi Ifni. Les candidats Sahraouis ont estimé avoir plus de chances de gagner avec un candidat Norteño en deuxième ou en troisième position, car les élections communales ont mobilisé un nombre élevé des candidats dont la capacité à mobiliser de l’argent s’est vue atténuée par des circonstances aussi bien structurelles (ils étaient moins puissants économiquement) que conjoncturelles (la crise dans le secteur de la pêche artisanale). Les discours des candidats Les stratégies discursives des candidats ont essentiellement été multiples et contextuelles. Nos observations lors des législatives et des communales, ainsi qu’à l’issue des processus électoraux, nous ont permis de saisir le caractère volatil des identités mobilisées par les élites dans des contextes différents. Ici, les candidats et les électeurs impliqués dans l’élection des conseillers à la municipalité de Dakhla ont eu recours à des registres pluriels de mobilisation : la passivité des conseillers sortants, le statut minoritaire des Sahraouis dans la ville, la défense des intérêts de la ville par 17 rapport au secteur de la pêche dans un moment de crise (pour les autochtones et pour les pêcheurs qui doivent partir en cas de ralentissement des activités de pêche artisanale…). A noter cependant le recours à la variable identitaire ainsi qu’à la nécessité de défendre les intérêts économiques de la ville, dans un moment de crise, les deux clivages que nous avions signalés comme étant significatifs dans la société habitant Dakhla. Si lors de la configuration des candidatures, les stratégies choisies pourraient nous renseigner sur un élargissement des critères de la représentation par un choix composite en termes identitaires, nous voyons dans les discours des candidats des stratégies plus individuelles, relatives et variables en fonction des interlocuteurs. Ce n’est pas la même chose pour un candidat Sahraoui de s’adresser à un votant Sahraoui qu’à un votant Norteño. L’incorporation des Norteños leur ont permis de ne pas avoir besoin de s’adresser en solitaire aux électeurs venant du Nord (cela était confié au deuxième candidat ou à des intermédiaires) et ainsi de dépenser moins d’argent dans ces contacts. Cependant, le recours au paiement des voix a été aussi présent, bien que moyennant de sommes un peu plus réduites que lors des élections législatives. Le nombre élevé de candidats en concurrence ainsi qu’une baisse des ressources financières de ceux-ci par rapport aux dernières élections (législatives) en raison des attributs des candidats et de la crise qui traverse certains chefs d’entreprise-candidats suite à l’arrêt de pêche décrétée par le gouvernement marocain, ont encouragé des stratégies visant à embrasser un segment plus large des électeurs par l’introduction des candidats hors leurs groupe d’appartenance (communautaire). Les discours, en 2003, dans le cas des élections à la municipalité de Dakhla, ont été davantage axés sur la dénonciation de la situation de crise qui connaît la ville que sur une stratégie visant à occuper les postes en fonction des groupes d’appartenance, bien que toutes deux aient été observées. Ainsi, si nous avions souligné pendant les élections législatives le recours des candidats aux stratégies identitaires, il faut noter pour les communales le recours à une stratégie de défense des intérêts de la ville impliquant les autochtones (qui doivent bénéficier des richesses locales) et les migrants (qui se verront contraints de partir si l’activité s’arrête). L’investiture Nous allons analyser les critères de l’investiture, tel que nous l’avions fait dans l’analyse des élections législatives, en prenant comme variables les candidatures 18 présentées et les résultats des élections. Nous n’avons pas les données nécessaires pour une étude approfondie sur le renouvellement des postes ou sur les ex-conseillers en termes identitaires, ce qui constitue des limites aux tentatives d’analyse visant à repérer des changements possibles ou des continuités dans les critères de l’investiture lors des élections communales. Cependant nous faisons le choix de privilégier une démarche comparative par rapport aux derniers processus électoraux (les législatives), en assumant les risques que pourrait impliquer le fait de comparer deux processus différents. En outre, il convient de faire le point sur une affirmation maintes fois formulée sur les processus électoraux au Maroc, sur l’observation de deux dynamiques qui se combinent : la représentation et la cooptation. Nous ne savons quel serait le poids de l’une ou de l’autre dans ce cas d’étude. Nous savons que le centre a traditionnellement privilégié les candidatures qui ont un rapport avec un groupe défini en termes identitaires (les Sahraouis). Cependant, les candidats appartenant à ce groupe ont développé des stratégies différentes par rapport à celles utilisées lors des législatives, ils se sont adaptés aux nouvelles normes régulant ces élections (l’introduction du scrutin de liste) et ils se sont aussi adaptés à une structure sociale qui les place en minorité, du point de vue ethnique. Ces variations n’ont pas impliqué de changements dans les choix des appartenances revendiquées, toute deux culturelles (communautaires), mais plutôt une incorporation des individus qui partagent, en termes identitaires, des origines autres et des traits culturels autres, pour atteindre une fin. L’incorporation pourrait être une des conséquences du mode de scrutin choisi, du statut minoritaire des Sahraouis ou/et d’un élargissement des critères de l’investiture. Par contre, nous avons observé des changements dans les stratégies discursives des candidats pouvant avoir une incidence éventuelle, et non négligeable, sur les représentations sociales des rôles des représentants à Dakhla. Nous faisons référence à un discours qui va privilégier la défense des intérêts de la ville dans le secteur de la pêche, plus qu’un discours qui chercherait le maintien des politiques de discrimination positive en faveur d’un groupe défini en termes ethniques. Le caractère contextuel de ces discours se situe, lors des processus électoraux mais aussi en dehors de ces processus, dans les « propriétaires légitimes » de ces intérêts. Ici les clivages identitaires et socio-économiques apparaissent imbriqués: autochtones (Sahraouis, Ouled Dlim, ceux qui investissent à Dakhla…) / immigrants (les opérateurs du Nord, les pêcheurs qui finissent par migrer 19 vers leur région d’origine…). Nous estimons que cette question va nous permettre de nous familiariser avec la problématique de la représentativité à Dakhla. Ainsi, nous continuons à voir une surreprésentation des candidatures et des élus locaux Sahraouis (le 64% des élus), en particulier de la tribu Ouled Dlim (56,25% des élus Sahraouis appartient à cette tribu). Quant aux élus Norteños, ils ont été au nombre de 7 (5 candidats des candidatures avec tête de liste Norteño, 2 des candidatures Ouled Dlim). A noter que sur les 5 qui se sont présentés dans des « candidatures de Norteños », 2 figuraient sur une liste qui a obtenu 3 postes, et que même si cette candidature avait un Norteño en tête, elle était financée par un parlementaire Sahraoui, de la tribu Ouled Dlim, situé en deuxième position. Quant aux Faux sahraouis, ils ont été élus au nombre de 2, leurs candidatures étant composées de membres de leur groupe d’appartenance ou de Norteños. Nous ne les voyons pas faire partie des candidatures Sahraouies en nombre important (en comparaison avec des Norteños), ils ont occupé la tête de liste de 2 candidatures et ils ont obtenu 2 postes (peut-être du fait d’une concentration des votes de leur groupe d’appartenance). Les élections dans les communes rurales Les processus visant l’élection des conseillers des communes rurales se sont déroulés selon des paramètres différents de ceux analysés jusqu’ici, malgré les circonstances qui font coïncider les uns et les autres dans le même espace. Tel que nous l’avons déjà indiqué, les communes rurales de la région d’Oued Eddahab-Aousserd comprennent 11 communes rurales devant choisir 11 conseillers chacune. L’impossibilité de suivre les 11 processus nous a conduits à choisir une commune en tant que cas exemple, et dans cette commune, le processus impliquant l’élection d’un des postes concurrencés. Deux remarques s’imposent : l’une concernant l’ethnisation du corps électoral des « élections rurales » dans la région, et l’autre concernant la division des circonscriptions en arrondissements et ses conséquences. Quant à la première remarque, et selon nos enquêtes à Dakhla, chaque commune rurale a un groupe ethnique (tribu) dominant. Dans le cas des communes appartenant à la province d’Aousserd, ce groupe serait la tribu Ouled Dlim, tandis que dans le cas des communes appartenant à la province d’Oued Eddahab, le groupe dominant changerait. Dans ce second cas, Bir Anzarane et Imlili seraient dominées par la tribu Laârousiene, El Argoub par la tribu Ouled Dlim, Oum Dreyga et Mijik par la tribu Aït Lahcen et Gleibat El Foula par la 20 tribu Rguibat. Cette domination trouverait son origine dans une supériorité numérique des électeurs appartenant au groupe, ce qui aurait permis l’accès aux postes de personnes de la même origine, puis l’obtention du poste de Président du Conseil communal. Cela ne veut pas dire que tous les électeurs partagent les mêmes origines, mais qu’ils sont majoritaires, ou bien que les autres doivent leur inclusion dans cette circonscription à des circonstances contextuelles et variables. Nous verrons ces propositions au moment d’analyser comment se sont déroulées les élections dans un cas exemple. Quant aux facteurs à l’origine d’une telle ethnisation des communes, nous n’avons pas établi de conclusions. Les personnes interrogées à ce sujet ont plutôt mentionné des stratégies individuelles et familiales. Concernant à la deuxième remarque, nous avons trouvé un corps électoral éclaté du fait de la division de la commune en arrondissements. Chacune des communes est à son tour divisée en 11 arrondissements où les électeurs qui y sont inscrits doivent choisir un conseiller, selon le scrutin uninominal. Ainsi, si 29 candidats se sont présentés pour les 11 postes à occuper dans la commune analysée, dans la réalité, et selon les cas, le nombre de candidats en concurrence directe a oscillé entre 2 et 4. En outre, les élections dans les communes rurales sont considérées par les candidats comme une première étape d’un processus qui aboutit à l’élection du Conseil communal, car c’est à ce moment que les postes « de pouvoir » se distribuent. L’élection des conseillers constitue plutôt un repositionnement des candidats entre des groupes d’alliance qui vont se confronter au moment du vote pour le Président du Conseil. Ainsi, les candidats au poste de président encouragent et éventuellement financent les candidats qui voteront pour eux par la suite. Le but est de parvenir au minimum à une alliance de 7 conseillers et de s’assurer ainsi les postes qui seraient liés aux processus décisionnels et qui permettraient à leurs titulaires de développer un réseau de clientèle. Les autres postes de conseillers, ceux des perdants, ne sont valorisés par les candidats qu’au moment des élections indirectes, par exemple à la Chambre de Conseillers. Ce manque de valorisation de la part des candidats révèlerait une impossibilité d’accès à des biens qui pourraient plus tard être distribués entre leurs familles ou une impossibilités de participer à des décisions qui seront prises par les partenaires du président élu. L’enjeu des élections des conseillers trouve son reflet dans le fait de former une alliance entre candidats, puis d’essayer d’occuper des postes en majorité et de s’assurer ainsi le contrôle des Conseils communaux. 21 L’élection d’un conseiller dans une commune rurale L’analyse de l’élection d’un conseiller nous est apparu significative de la manière dont ces élections ont été vécues. Cette analyse constitue un cas exemplaire de processus synchroniques. La circonscription choisie confrontait deux candidats appartenant à la même fraction de la tribu Ouled Dlim : l’un voulant renouveler son poste, l’autre cherchant à l’occuper. Leurs familles se connaissent depuis toujours, ils sont cousins. Pourtant, pendant la campagne électorale, ils ont mené des stratégies diverses cherchant à augmenter leur nombre de votants, dans des marges très restreintes. Les électeurs étaient au nombre de 70 et comprenaient les membres des familles des deux candidats, les membres d’une autre famille et d’autres individus hors leurs groupes d’appartenance (des pêcheurs Norteños installés dans cette commune dont l’emplacement demeurait difficile à l’époque et des autres personnes habitant Dakhla). Les candidats comptaient dès le départ sur les voix des membres de leurs familles. Celui qui voulait renouveler son poste avait plus des difficultés du fait que son adversaire avait plus de voix assurées dans ce sens. Des stratégies Les candidats ont déployé des stratégies plurielles visant à capter les voix des électeurs qui n’appartiennent pas à leur famille. L’une des stratégies a consisté à faire inscrire des personnes leur permettant d’augmenter les voix potentielles. Cependant, cette pratique n’assurait pas la victoire. D’une part, le nombre n’était pas suffisant et d’autre part, rien n’assurait la fidélité des personnes inscrites. Les candidats ont été obligés non seulement d’identifier les personnes inscrites, mais aussi de cacher leur identité à leur rival, afin de que celui-ci ne leur fasse pas une proposition plus attrayante que la leur. Quant aux stratégies discursives, déployées pour essayer de capter les votes de l’autre maison sahraouie39, mais aussi dans le jeu d’alliance des candidats et comme justification d’une confrontation entre les membres des familles qui appartiennent à la même fraction de tribu, elles ont porté sur deux registre : l’un concernant le fait que l’ancien Conseil n’avait rien fait pour eux, votants, et l’autre concernant le fait que le 39 Les stratégies déployées afin de capter les votes des membres de cette famille ont été plurielles. Parmi celles-ci, soulignons celles discursives et celles relevant des échanges matériels ponctuels et de services. 22 groupe de candidats rival avait l’intention de voter, pour la présidence du Conseil communal, pour un « étranger », tandis qu’eux le feraient pour quelqu’un de la famille. Ici, l’« étranger » devient un Ouled Dlim, mais appartenant à une autre fraction. La campagne électorale a surtout porté sur les contacts directs et répétés entre candidats et votants, l’intensité de la mobilisation a été très élevée et le résultat très serré : le candidat qui postulait pour la première fois au poste a gagné, il a dépassé son rival en 7 voix. 3. A la recherche des rôles des représentants locaux. La représentativité et la notabilité Nous souhaitons approfondir le concept de représentation à partir des significations que les acteurs sociaux donnent aux pratiques de représentation, à Dakhla, en privilégiant une approche analytique interactionniste. Notre étude des élections nous a permis de discerner quelques pistes de recherche sur la représentation, les critères de l’investiture et sur les enjeux « locaux » des élections. En ce sens, nous avons vu dans une perspective comparative, au moment des élections législatives et des élections communales, 1. qu’il s’est produit une substitution des enjeux (locaux/communautaires/tribaux/familiaux), 2. que les candidats ont recours à une pluralité de registres de la représentation et mettent en place des stratégies plurielles et contextuelles, 3. que les postes issus de l’administration représentative sont occupés davantage par les Sahraouis, bien que des changement éventuels soient perceptibles. Il s’agit ici de privilégier une autre approche des élections visant à saisir les dynamiques cachées qui lient la représentativité et la notabilité, par des logiques qui véhiculent le respect et le prestige social dans le contexte local étudié, ou au moins pour une partie des personnes habitant Dakhla. Nous sommes conscients, et nous l’avons ainsi montré, que les appartenances identitaires sont contextuelles et que les registres de la représentation ne sont pas exclus de cette fluctuation. Nous ne pouvons pourtant pas ignorer des dynamiques qui, au-delà des sujets soumis à des processus de définition/redéfinition contextuels, participent à une conception locale (et actuelle) de ce qui mérite du respect et du prestige dans ce contexte local. Les rôles des représentants ne sont pas en marge de ces dynamiques. Nous voulons approfondir en analysant comment ces liens se construisent dans les relations établies entre une partie des 23 individus appartenant à l’élite (majoritaire) et une partie de la société locale (minoritaire), les Sahraouis. Sur la justification M. Catusse a analysé les raisons conjoncturelles et structurelles d’un déficit de représentativité des élus « en tant que membres du Parlement et représentants de partis » et la façon dont « ils mettent l’accent, tout comme les candidats en campagne, sur la légitimité de leur représentativité locale »40. Notre objectif est d’analyser comment cette représentativité se construit dans le cadre local analysé, car elle n’est pas acquise automatiquement ni par le nombre de voix obtenues, ni par le fait d’occuper un poste. Or, la représentativité, comme la notabilité, implique des exigences multiples qui se définissent au « quotidien ». Le prestige constitue un composant de deux catégories (représentant légitime et notable) qu’établissent des relations étroites dans la réalité. Il nous intéresse moins ici d’analyser ces catégories du point de vue des propriétés sociales et économiques qui définissent leurs statut (nous l’avons vu, le fait d’appartenir à un groupe défini soit en termes ethniques soit par rapport au sol, le cumul de richesse…), que du point de vu des conduites des élites et des représentations sociales qui les conditionnent – en rapport avec le maintien, l’acquis ou la perte du prestige social –, en vertu des rôles qu’ils jouent. Lors des analyses faites sur les élections 2002-2003, nous avons remarqué le rôle réduit des partis politiques dans la structuration des allégeances politiques, celles-ci étant véhiculées par des appartenances communautaires et corporatistes, toutes deux imbriquées. C. Parizot a souligné un processus de politisation véhiculé par les partis arabes lors des élections législatives israéliennes de 1999, dans son étude sur les bédouins du Néguev41. Nous estimons que ce processus n’est pas perceptible à Dakhla à travers l’étude des motivations au vote lors des dernières élections. Par contre, nous croyons pouvoir l’appréhender, lors des processus électoraux, par l’étude des énoncés 40 CATUSSE Myriam, « Les coups de force » de la représentation » in BENNANI-CHRAÏBI Mounia, CATUSSE Myriam et SANTUCCI Jean-Claude (dir.), op. cit., p. 98. 41 PARIZOT Cédric, Le mois de la bienvenue. Réappropriations des mécanismes électoraux et réajustements de rapports de pouvoir chez les bédouins du Neguev (Israël), Thèse de doctorat, EHESS, Paris, 2001. 24 de justification, par rapport à certains énoncés abstentionnistes42. Nous sommes conscients du fait que ce choix nous éloigne des dynamiques qui sont à l’origine de la formation des réseaux de clientèle, mais nous estimons que les possibilités d’en développer ou de s’insérer dans ces réseaux ne nous permettent pas à elles seules de comprendre la complexité des rapports de la représentation à Dakhla. Bien que les partis politiques ne véhiculent pas les appartenances politiques de l’électorat lors des processus analysés, il y a cependant une partie de l’électorat qui se dit ne pas être concernée par les élections du fait qu’elles n’incorporent pas la question de l’avenir du territoire. En marge des analyses sur le manque d’enjeux qui caractérise les élections pour ces électeurs (aucun proche est un candidat, refus d’accepter de l’argent en raison des coûts sociaux d’une telle acceptation), nous avons jugé intéressant de prendre aussi en compte cette attitude « abstentionniste », non pas dans une perspective statistique, mais comme élément nous révélant des représentations qui pourraient nous intéresser dans les analyses des croyances, des comportements, des angoisses, des antagonismes intrinsèques aux rôles des représentants (personnes qui décident de participer aux luttes par la conquête de postes issus de « l’administration représentative » marocaine). Dakhla, nous l’avons vu, est une ville soumise à un statut international indéterminé, « incertain ». Si nous jouons à changer l’échelle de l’analyse, tout en restant attachés au sujet ici analysé, cette incertitude prend une autre forme, plus quotidienne, liée aux expériences vitales, mais faisant partie intégrante des dynamiques sociales et politiques analysées, voire s’érigeant en facteur incontournable nous aidant à la compréhension de manières d’agir, de choix faits, des coûts et des bénéfices des actions accomplis, etc. En ce sens, nous avons remarqué une tendance de certains candidats Sahraouis, puis de certains élus, à essayer de justifier (face à nous – chercheurs étrangers dans l’univers local – mais aussi face aux électeurs/familiaux), leur intérêt à y participer. En analysant les discours « de la justification », ce qui nous a semblé intéressant est le fait même de justifier et les dynamiques qu’un tel discours semble induire dans le système local de la représentation. Les discours abstentionnistes portant su l’avenir du territoire sont essentiellement contextuels. Ils ont été mis en avant, par exemple, par des électeurs qui ont finalement voté pour un « proche », pour des personnes qui se sont présentés 42 Nous considérons, comme M. Bennani-Chraïbi, « que l’abstention peut être à la fois sociologique et politique, passive et active, conjoncturelle et structurelle », BENNANI-CHRAÏBI Mounia, CATUSSE Myriam et SANTUCCI Jean-Claude (dir.), op. cit., p. 178. Nous ajoutons, dans notre cas analysé, que l’abstention, comme énoncé politique ayant un lien avec le niveau international, est contextuelle. 25 comme candidats par exemple lors des élections aux Chambres professionnelles, pour des personnes ayant un poste administratif … leur contenu étant multiple, nous faisons la différence entre une composante internationale et une composante nationale. Pour la première, les discours abstentionnistes mettent en avant le fait que les élections ne posent pas les questions sur l’avenir du territoire ; par rapport à la deuxième composante, nationale, les discours mettent en avant le fait que « les élus sahraouis ne servent à rien car celui qui décide est le wali. Ils ne peuvent rien faire »43. De même, le contenu des discours de la justification est variable et contextuel. Il peut porter sur le fait que des Sahraouis préfèrent que des Sahraouis occupent les postes ou bien il peut porter sur le fait que les Sahraouis doivent défendre « leurs intérêts ». Sur la représentativité Il ne s’agit pas d’établir des liens stables et univoques entre la représentation et la notabilité à Dakhla, mais plutôt d’analyser la représentativité en privilégiant une approche sur les représentations sociales qui permettent que certains acteurs de la représentation soient « mieux considérés » que d’autres par certains secteurs de la société. C'est-à-dire qu’en fonction des rôles assumés, l’individu appartenant à l’élite est vu par les autres comme quelqu’un digne de leur respect. C’est en ce sens que nous nous intéressons à la distinction entre les pratiques de la notabilité, les trajectoires et les processus de la notabilisation, d’une part, et la catégorie de « notable »44 d’autre part. Une distinction analytique qui nous permet d’étudier la notabilité « par statut » ou « par les actes ». Si la première relève des caractéristiques sociales (famille, origines), économiques (la richesse) ou politique (le fait d’occuper un poste, d’avoir accès au centre), la notabilité « par les actes » relève des comportements des notables, valorisés par la société où ils s’inscrivent. C’est « le fait de valoriser » certains comportements que nous pouvons saisir lors des interactions, par des énoncés des acteurs sociaux, tout en sachant que « des facteurs conjoncturels ou de situation peuvent entrer en jeu »45. C’est dans ce contexte que les liens entre représentativité et notabilité, celle-ci liée aux concepts du respect ou du prestige social, peuvent être établis à Dakhla, au moment de nos recherches. Ces comportements étant liés à la pratique du don (le développement au 43 Enquêtes menées à Dakhla en 2002-2003. Editorial, Trajectoires de la notabilité, I. Pratiques et stratégies, Politix, vol. 17, nº65, 2004, 11-13 p. 45 Ahmed Salem, op. cit. p. 206. 44 26 quotidien d’un réseau de clientèle, en contraste avec les possibilités d’en développer46), au rôle de médiation privé ou public, au fait d’investir dans la ville (ce qui garantit un engagement de longue durée47) ou au fait d’avoir « une attitude active » dans leurs rapports avec des autorités centrales48. Cette attitude comprendrait un intérêt manifeste à essayer d’influencer les décisions qui auraient des effets sur la ville (le secteur de la pêche à Dakhla), en faveur d’une partie de la population qui y habite (les autochtones49), ou un intérêt manifeste à se faire entendre dans ces processus décisionnels, en vertu de la connaissance du terrain, des préoccupations des habitants, des « particularités » locales. Une attitude que les stratégies discursives électorales et les discours « de la justification » ont mis en avant. D’une part, ces énoncés ont une composante de défense des intérêts des représentés50 et d’autre part, ils sont liées à une logique que nous considérons « de justification » de réussite, toutes deux participant d’une façon (locale) de comprendre leurs rôles, en tant que représentants politiques ou qu’entrepreneurs du développement local. En fonction des conditions de la représentativité (le fait d’être considéré comme un « bon » représentant), l’individu Sahraoui qui occupe un poste d’élu est confronté à une double exigence : dans leur rapport avec les représentés, les exigences d’un réseau de clientèle, par exemple ; dans leur rapport avec les autorités centrales, une attitude active et revendicative au regard des décisions concernant Dakhla (le secteur des pêches maritimes). Dans la réalité, nous trouvons ces deux types d’exigences combinées de multiples manières. Ainsi, nous trouvons des individus (pour qui on a voté lors des élections et qui, du point de vue des populations, sont dignes de respect) qui doivent 46 Les possibilités des créer un réseau de clientèle sont liées à la richesse, ce qui ne garantit pas le fait que le notable développe effectivement un tel réseau. 47 Très valorisé localement du fait des incertitudes sur les structures politiques actuelles, en vertu du conflit qui demeure. 48 Ahmed Salem souligne les relations clientélistes comme étant déterminantes dans les relations sociales et politiques en Mauritanie et minimise l’attitude que nous décrivons. En ce sens, l’auteur établie que « la vision locale du politique demeure marquée chez les acteurs d’attentes clientélistes qui sont bien évidemment (au moins pour des raisons liées à la rareté) satisfaites de façon différentielle » (p. 219) op.cit. Or, nous estimons qu’à Dakhla, le potentiel explicatif des relations clientélistes demeure limité. Il doit être complété par des logiques autres, liées éventuellement au conflit qui continue. Notre propos naît d’une inquiétude analytique portant sur les implications qu’entraînerait un conflit se déroulant au niveau international, dans un espace local, ainsi que sur l’observation empirique des individus appartenant à l’élite locale, dont la pratique du don et du contre-don ne paraît pas être à l’origine de leur notabilité, soit parce qu’ils ne satisfont pas leurs exigences, soit parce qu’ils n’ont pas les moyens nécessaires pour les satisfaire. 49 Les habitants à Dakhla depuis longtemps, Sahraouis, les Ouled Delim… 50 Nous insistons sur l’idée que la définition des représentés apparaît comme un sujet contextuel et volatil, conditionné par les clivages communautaires et socio-économiques. 27 leur estime sociale en majorité au fait de la redistribution, et des individus qui le doivent au fait d’habiter à Dakhla, d’investir dans la ville, d’avoir des rapports dialogiques avec le centre ou de revendiquer des voies participatives aux décisions qui ont une répercussion sur la ville, notamment dans le secteur des pêches maritimes. 4. La signification d’un poste pour l’élite locale. En guise de conclusion Notre objectif premier a été de rendre compte de la complexité qui caractérise le local, « vu d’en bas », et partant de la pertinence d’en finir avec les conceptions anciennes qui pèsent sur le régime politique marocain eu égard aux rôles (écrasants) des autorités centrales dans la vie des espaces périphériques. Par ailleurs, et dans un second objectif, nous avons essayé de mettre l’accent sur les questions que nous avons jugées intéressantes pour évaluer ce que pourrait nous apporter, en termes analytiques et de résultats, une étude sur les processus électoraux axée sur un espace concret et un moment précis. Tout en sachant que ces processus sont soumis à des dynamiques descendantes (la cooptation) autant qu’ascendantes (la représentation)51, il est difficile de saisir laquelle de ces dynamiques prend le pas sur l’autre. D’une part, les critères de la cooptation ne sont ni univoques ni facilement identifiables. A Dakhla, l’analyse des deux processus électoraux, le législatif et le communal, ne nous a permis de repérer qu’un de ces critères, et au sens large : assurer une majorité des postes aux Sahraouis, essentiellement de la tribu Ouled Dlim. L’idéologie de ceux-ci ne se nous semble pas constituer un autre critère clair de l’investiture, car cette idéologie, analysée dans une perspective interactionniste, peut être contextuelle (espace privé/espace public). Il apparaît qu’« au retrait de l’intervention directe de l’administration dans l’issue des résultats, se substitue une marchandisation du vote »52. D’autre part, en nous situant du côté du système de la représentation, les élections n’apparaissent pas comme le seul mécanisme de production des acteurs de la représentation, et encore moins comme le seul facteur déterminant du processus de construction de la représentativité. Cependant, les processus électoraux sont bien un moment d’interaction, parmi d’autres, nous permettant de saisir des dynamiques qui participent à la définition locale du « bon candidat » et du « bon 51 « Dans ce contexte, l’idée est admise au Maroc que la légitimité s’acquière tant « par le haut » que « par le bas », tant par désignation que par élection », CATUSSE M., CATTEDRA R. et IDRISSIJANATI M., op. cit., p. 243. 52 CATUSSE M., CATTEDRA R. et IDRISSI-JANATI M., op. cit., p. 247. 28 représentant ». Mais de plus, les élections sont également productrices des représentations sociales locales dans la mesure où elles obligent aux candidats à déployer des stratégies discursives face aux électeurs (très proches de ces candidats et dans une conjoncture de crise économique), des stratégies traversées d’une certaine manière par la notion de « proximité » et qui auront une influence sur leurs conceptions des rôles des représentants. Ces stratégies se définissent autour des deux clivages déjà analysés et sont révélatrices des enjeux locaux à un moment précis. Il nous reste à poser la question portant sur les motivations des candidats à occuper un poste politique. Les analyses focalisées sur le rôle des élections dans les processus de légitimation de l’action de l’Etat ou qui réduisent ces rôles au choix des gouvernants ne nous permettent pas de comprendre l’intérêt manifeste (en termes de moyens mobilisés) des candidats pour la conquête d’un des postes disputés. La possibilité d’accès aux biens rares et de développer un réseau de clientèle ne nous satisfait non plus comme seule réponse à la question posée. D’une part, les critères de la notabilité, du respect social, sont pluriels, et exigeants ; d’autre part, les discours des acteurs, une fois le poste occupé, mettent en relief un intérêt prononcé à participer aux décisions qui pourraient les toucher individuellement (leurs intérêts dans la pêche53) ou collectivement (le développement du secteur des pêches à Dakhla et le fait qu’il soit profitable pour les autochtones). Cette étude ne sera pas développée ici. Néanmoins, nous présentons au lecteur les pistes de recherches que nous avons empruntées, en prenant pour objet un processus décisionnel concernant le secteur des pêches maritimes, qui influe largement sur les intérêts des entrepreneurs liés à la pêche artisanale du poulpe. Il existe une convergence des intérêts individuels et collectifs, d’une part, et une convergence relative des « entrepreneurs de la pêche » et des élites politiques locales d’autre part. Cela a permis aux interlocuteurs successifs des autorités centrales de mettre en place des stratégies visant l’assimilation de la politique des pêches à une politique de développement économique local, augmentant ainsi leur chance d’influencer les décisions54. Mais en marge des résultats des interactions ou des négociations, nous estimons que le statut des individus appartenant à l’élite locale et qui sont impliqués dans ces processus s’avère renforcé, et pas nécessairement par le fait d’être reconnu comme interlocuteur par le 53 Egalement dans le secteur immobilier, où le prix dépend de la demande, ou pour les revenus des collectivités locales, dépendant de la collecte des impôts liés au secteur des pêches maritimes. 54 Le développement des Provinces du Sud constitue un impératif fixé par le Palais. 29 centre car « la légitimation par le haut » pourrait être éventuellement confrontée aux critères, définis localement, du prestige et de l’honneur. En outre, le cumul de postes augmente les possibilités des individus de s’ériger en interlocuteurs légitimes des autorités centrales et de défendre ainsi leurs intérêts particuliers. Même dans un contexte comme celui de la convergence des intérêts individuels et collectifs, les agents économiques sont imprégnés d’une méfiance par rapport aux autres agents économiques (il s’agit d’un système industriel très compétitif55). Il est vrai qu’il existe une volonté de participer aux décisions qui les affectent. Mais cette volonté trouve ses origines davantage dans les exigences de la représentativité, les critères de la notabilité et la défense des intérêts individuels qu’au sein d’une communauté « non conflictuelle » qui souhaite prendre les rênes de son destin. Dans cet ordre d’idée, les candidats sont intéressés par les processus électoraux dans une logique de cumul de postes et de cumul de ressources de pouvoir découlant des registres multiples de légitimité (la compétence, leurs mandats « démocratiques »…). Cette multiplicité élargirait les possibilités de leur participation aux processus de définition de politiques publiques dans la mesure où l’Etat ne fixe pas par avance les règles d’accès aux champs de la décision. Le problème qui relève de cette incertitude serait ainsi abordé par une volonté de cumuler des postes et des mandats qui assureraient à la personne davantage de chances d’être incorporée aux processus décisionnels. Ses intérêts individuels et sa notabilité sont en jeu. 55 Au niveau local, il existe un « système industriel » des unités de congélation très concurrentiel ; au niveau national, la pêche artisanale se trouve en concurrence directe avec la pêche hauturière, en raison de l’espèce capturée (le poulpe). 30