1
Qualité de l’information
comptable et financière
et responsabilité pénale
des auditeurs en France
et aux États-Unis1
Un même enjeu en France et aux États-Unis
à deux périodes différentes
Audrey C
OUTURIER
Ancienne étudiante du Master 2 droit pénal financier promotion 2010
L
a qualité des informations financières et comptables : un enjeu primordial.
1. « La crise financière a renforcé la pression exercée sur les auditeurs légaux pris
souvent entre le marteau et l’enclume, écartelés entre les entreprises qu’ils contrôlent
et la Justice qui leur demande d’être les garants de l’ordre public économique. »
Les scandales financiers qui se sont multipliés depuis près d’une décennie ont fait
apparaître un écart important entre les informations données aux investisseurs et la
réalité économique des entreprises.
Quel est le rôle joué par l’information comptable et financière vis-à-vis de ses
destinataires dans leur décision d’investissement ? Ladite information semble jouer
un rôle secondaire dans la décision d’investissement : en effet, l’information est
complexe parce que trop abondante : « jamais les rapports annuels ou les documents
de référence n’ont été aussi lourds »
2
. De plus, l’information communiquée aux
actionnaires et investisseurs n’est plus exclusivement comptable et financière : les
informations non financières (notamment les informations sociales et
environnementales) jouent aujourd’hui un rôle prépondérant dans la décision
1
Apprentissage effectué chez Aon France. Mémoire dirigé par Jérôme Goy, Directeur d’Aon Professions,
et Anne-Dominique Merville, Maître de Conférences à l’Université de Cergy-Pontoise.
2
http://www.rerolle.eu/post/2010/05/24/Le-r%C3%B4le-de-l%E2%80%99auditeur-dans-le-
r%C3%A9tablissement-de-la-confiance-des-march%C3%A9s
2
d’investissement. Toutefois, la crise financière a relancé le débat et a eu pour effet de
remettre l’information comptable et financière au premier plan.
La crise financière a mis en exergue l’existence de failles au sein de la
communication des informations comptables et financières. De ce fait, les marchés
sont sujets à une crise de confiance. Les objectifs, suite à cette crise financière,
tendent à favoriser la transparence sur les marchés financiers et renforcer la qualité
de la communication financière afin de rétablir la confiance des investisseurs. Ce
rétablissement de la confiance des investisseurs s’avère être un long processus.
Le renforcement de la qualité de la communication financière, afin de rétablir la
confiance des investisseurs, est un enjeu international. En effet, suite aux scandales
financiers du début des années 2000 en Europe et aux États-Unis, les pouvoirs
publics se sont attachés à renforcer la qualité de la communication financière afin de
rétablir la confiance du public, des épargnants et des investisseurs. Ce vaste
mouvement s’est traduit par l’adoption d’un ensemble de textes dont l’objectif
commun est l’amélioration de la sécurité financière. L’année 2005 a ainsi vu
l’application des normes IFRS (International Financial Reporting Standards). Ces
normes sont destinées aux entreprises cotées ou faisant appel à des investisseurs afin
d’harmoniser la présentation et la clarté de leurs états financiers.
2. Le rôle de l’auditeur légal. Les entreprises ayant de plus en plus recours aux
marchés financiers comme moyen de financement, les investisseurs sont un élément-
clé de la vie économique. Ces investisseurs sont avides d’informations financières
fiables
3
. Il convient donc d’assurer leur protection et de rétablir et élever leur
confiance dans les informations comptables et financières qui leur sont
communiquées.
Lorsque l’on parle d’informations comptables et financières, il convient d’évoquer le
rôle de l’auditeur légal (notion commune aux commissaires aux comptes en France et
aux auditeurs externes aux États-Unis). En effet, l’audit comptable et financier est un
examen des états financiers de l’entreprise visant à vérifier leur sincérité, leur
régularité, leur conformité et leur aptitude à refléter l’image fidèle de l’entreprise.
Ainsi l’audit légal fait partie intégrante du contrôle de l’information comptable et
financière.
La dernière crise financière ayant mis à mal la confiance des investisseurs, nous
allons centrer notre étude sur la relation entre l’auditeur et l’investisseur.
Malgré la définition précise de l’audit comptable et financier, le rôle exact de
l’auditeur légal fait l’objet d’un débat. En effet, le commissariat aux comptes a connu
une évolution par le biais de l’élargissement du champ d’intervention et du contenu
de la mission du commissaire aux comptes et par le biais de mises en cause plus
fréquentes. Il y a eu une augmentation du nombre d’informations émises par les
entreprises en raison de la complexité croissante des opérations financières et de leur
traduction comptable. De plus, nous faisons face à une multiplication des missions
particulières. En vertu des nouvelles normes IFRS, il apparaît comme l’assurance de
la fair value c’est-à-dire de la fourniture de la valeur de marché de l’entreprise à tout
moment. Il est perçu comme une assurance contre les risques d’une mauvaise
3
Rapport d’activité 2007-2008 de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, « Le
commissariat aux comptes, une profession en pleine (r)évolution ».
3
information comptable et financière. De plus, la loi du 1
er
août 2003 relative à la
sécurité financière avait pour but de responsabiliser les acteurs de l’information
financière en rétablissant « une chaîne de sécurité financière rompue » : elle a, dans
cet objectif, renforcé le rôle des commissaires aux comptes en le plaçant « au cœur
du gouvernement d’entreprise ».
Se pose alors la question suivante (illustrée par la citation précédente) à laquelle est
confrontée la profession d’audit : quel est le rôle joué par l’auditeur légal dans la
communication d’informations financières (Chapitre 1) ? Ce débat a véritablement
émergé en France suite à la crise financière. L’étude comparée avec les États-Unis se
justifie par le fait que ce débat n’est pas nouveau aux États-Unis mais chaque crise
financière ou scandale financier qu’ont connu les États-Unis le fait redoubler
d’intensité. Ce débat reste donc une question d’actualité aux États-Unis.
Ces débats ont été portés devant les juridictions répressives américaines et françaises
qui se sont prononcées en faveur du rôle de gardien des marchés financiers des
auditeurs gaux. Elles attendent d’eux qu’ils certifient l’exactitude et la sincérité de
l’information comptable et financière qui est communiquée aux investisseurs.
Afin d’affirmer leur position, les juges américains et français ont fait application de
leur dispositif coercitif respectif sanctionnant les infractions à l’information
comptable et financière (Chapitre 2). Aux États-Unis, la réglementation boursière
impose des sanctions pénales à l’encontre de toute personne qui participerait à
l’établissement d’un prospectus défectueux. En France, le droit boursier et la
réglementation générale de l’Autorité des marchés financiers (AMF) imposent des
sanctions à l’encontre de toute personne (physique ou morale) qui communiquerait
au public des informations inexactes, imprécises et trompeuses. De plus, il existe un
délit d’informations mensongères : il s’agit d’une infraction spécifique à la qualité de
commissaire aux comptes qui sanctionne les failles dans le contrôle des informations
comptables et financières. Quelle application de ces infractions est faite par le juge
pénal français ?
Chapitre 1
Quel rôle doit être attribué
aux auditeurs légaux des comptes ?
3. À cette question, différentes réponses existent et s’opposent.
Cette différence de conception du rôle joué par les auditeurs gaux donne lieu à un
débat connu sous le nom d’expectation gap.
L’expectation gap est la différence qui existe entre les attentes du public et la
performance des auditeurs.
4
Ce débat, qui n’est pas nouveau aux Etats-Unis (I), a véritablement émergé en France
suite à la dernière crise financière et boursière (II).
I. L’expectation gap aux États-Unis :
un débat qui n’est pas nouveau
4. Le débat relatif à l’expectation gap n’est pas nouveau aux États-Unis. Il convient
d’analyser les fondements de ce débat (§1). Toutefois, ce débat reste d’actualité : en
effet, chaque scandale financier et crise financière que connaissent les États-Unis fait
redoubler d’intensité ce débat : il en est ainsi du scandale financier d’Enron (§2) et de
la faillite de la banque d’investissement Lehman Brothers (§3).
§1. LES FONDEMENTS DE CE DEBAT
5. Les premières réflexions relatives à ce débat sont apparues très tôt aux Etats-
Unis (A). Il convient alors d’analyser la conception de la profession d’auditeur qui se
trouve à l’origine de ce débat (B).
A. LES PREMIERES REFLEXIONS AMERICAINES RELATIVES A CE DEBAT
6. Origine du débat aux États-Unis. Aux États-Unis, ce débat n’est pas nouveau et
semble trouver ses origines dans les audiences relatives à la fraude McKesson
& Robbins qui a été découverte en 1937
4
.
7. Premières réflexions américaines relatives à ce débat. D’autres réflexions portant
sur la profession comptable et son rôle en matière d’audit des comptes ont é
menées à partir des années 1960
5
.
Suite aux réflexions menées par Metcalf et Moss, l’Association nationale
professionnelle des experts-comptables aux États-Unis
6
a nommé en 1974 la
commission Cohen afin d’examiner si un expectation gap existait aux États-Unis. La
commission a conclu à l’existence d’un expectation gap, mais a relevé que sa
présence n’était pas due aux utilisateurs de l’information financière. Elle a relevé que
les attentes de ces derniers étaient généralement raisonnables. Cependant, il est
apparu que beaucoup d’utilisateurs méconnaissaient la nature de la fonction de
certification, plus spécifiquement s’agissant de la certification sans réserve. Ainsi,
certains utilisateurs pensaient qu’une certification sans réserve signifiait que l’entité
4
« Auditors’ and Investors’ Perceptions of the “Expectation Gap” », John E. Mcenroe, Stanley C.
Martens; Accounting Horizons, Vol. 15, 2001
5
Parmi ces flexions, les plus renommées sont celles du sénateur Lee Metcalf (au cours des années
1970), du député John Moss (au cours des années 1970), du député John Dingell (au cours des années
1980 et 1990) et du U.S. General Accounting Office (GAO) (au cours des années 1990).
6
American Institute of Certified Public Accountants.
5
était financièrement saine. D’autres, quant à eux, attendaient de l’auditeur qu’il
effectue l’audit, mais également qu’il interprète les informations financières de
manière à permettre à l’utilisateur d’évaluer l’opportunité d’investir dans la société.
Enfin, les utilisateurs attendaient des auditeurs qu’ils suivent les procédures d’audit
suivantes dans leur mission de certification : s’immiscer dans la gestion de
l’entreprise, surveiller la direction et détecter les actes illicites et/ou des fraudes
émanant de la direction. La commission a conclu que ces différentes attentes des
utilisateurs n’étaient pas remplies et a fait pression sur les auditeurs, et autres
personnes participant à la communication des informations financières, afin qu’ils
réduisent cet écart.
B. LA CONCEPTION DE LA PROFESSION D’AUDITEUR LEGAL
A L’ORIGINE DU DEBAT
8. Les auditeurs légaux, gardiens privés des marchés financiers. La profession
d’audit est qualifiée de profession grandissante qui agit en qualité de gardien privé du
marché des capitaux. Il est soutenu que les auditeurs légaux jouent un rôle primordial
dans la présentation au public de rapports biaisés sur la situation financière d’une
société.
Le rôle premier d’un auditeur est de vérifier, analyser et déterminer la validité des
prétentions voulant être faites par son client (c’est-à-dire la direction de la société)
dans le prospectus. De façon plus déterminante, les auditeurs sont parfois considérés
comme étant des garants indépendants de l’exactitude et de la sincérité des
informations financières divulguées par les entreprises. Généralement, l’audit des
informations financières des entreprises a pour but de montrer la véritable situation
financière de l’entreprise aux tiers tels que les régulateurs financiers, les créanciers,
les actuels et futurs investisseurs en réalisant une présentation sincère de la situation
financière de l’entreprise. Dans la pratique, il est établi que les investisseurs utilisent
les informations financières auditées dans leurs décisions d’investissement. L’audit
est donc un élément central permettant d’assurer la confiance du public dans les
informations financières. Cette confiance absente, le système se paralyse. C’est la
raison pour laquelle l’auditeur est considéré comme un intermédiaire entre les
entreprises et les investisseurs au regard des informations financières de l’entreprise.
Autrement dit, les auditeurs sont, en théorie, des tiers à distance respectable et ils
sont supposés travailler à l’abri de toute pression hiérarchique indue.
9. La multiplication des poursuites. Ainsi, les auditeurs ont un rôle extrêmement
significatif à jouer en offrant des informations financières fiables au public sur les
marchés financiers. Compte tenu de ce nouveau rôle attribué aux auditeurs, les
poursuites pour faute professionnelle à l’encontre de ces derniers se sont
dramatiquement multipliées durant ces 20 dernières années, ils sont souvent
poursuivis par des tiers qui subissent un dommage alors qu’ils s’étaient fondés sur
des informations financières auditées. Bien que les victimes de la faillite d’une
entreprise sont habilitées à poursuivre d’autres personnes telles que les directeurs
généraux ou les avocats, les auditeurs sont particulièrement visés par les poursuites
lorsque l’entreprise a récemment fait l’objet d’un rapport d’audit positif.
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