Une pensée économique russe ? Présentation de l`article

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Une pensée économique russe ? Présentation de
l’article « Science Économique » de TuganBaranovskij (1899)
François Allisson
OEconomia / Volume 2011 / Issue 01 / March 2011, pp 101 - 104
DOI: 10.4074/S2113520711011108, Published online: 11 May 2011
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François Allisson (2011). Une pensée économique russe ? Présentation de l’article «
Science Économique » de Tugan-Baranovskij (1899). OEconomia, 2011, pp 101-104
doi:10.4074/S2113520711011108
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Une pensée économique russe ?
Présentation de l’article « Science Économique »
de Tugan-Baranovskij (1899)
François Allisson∗
L’économiste russe Tugan-Baranovskij (1865-1919) a publié en 1899 une
notice sur le développement de la « science économique russe » pour la
première encyclopédie universelle russe, le Brockhaus-Efron. Sous la forme
d’un catalogue chronologique des économistes russes et de leurs ouvrages
tout au long du XIXe siècle, le récit de Tugan-Baranovskij représente une
des premières tentatives d’écrire une histoire de la pensée économique russe.
L’intérêt du texte se manifeste lorsqu’on s’interroge sur l’existence d’une
telle science « nationale » de l’économie politique. Nous présentons ici
en traduction française ce récit jamais encore traduit du russe, et nous
l’accompagnons de notes sur les auteurs et les ouvrages qui y sont signalés.
Mots clés : Tugan-Baranovskij, pensée économique russe
The Russian economist Tugan-Baranovsky (1865-1919) published
in 1899 an entry on the development of the “Russian economic
science” for the first universal Russian encyclopedia, Brockhaus-Efron.
Tugan-Baranovsky’s story is introduced as a chronological catalogue
of Russian economists and their works throughout the nineteenth
century, and represents one of the first attempt at writing a history
of Russian economic thought. The relevance of this entry becomes
evident when one considers the existence of such a “national” science
of political economy. We present here a French translation of this text,
never translated from the Russian, alongside with notes on the authors
and works reported.
Keywords : Tugan-Baranovsky, Russian economic thought
JEL : B10, B19
* Correspondence may be addressed to François Allisson, Centre d’études
interdisciplinaires Walras-Pareto, Université de Lausanne, [email protected].
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François Allisson |
Le texte proposé ci-après est la traduction française d’un article
qui a été publié originellement en 1899 en langue russe par
Tugan-Baranovskij (1865-1919) et qui n’avait jamais été traduit
jusqu’à ce jour dans une langue occidentale. Cet article de TuganBaranovskij est une entrée de l’encyclopédie russe Brockhaus-Efron.
Il s’agit de l’une des premières tentatives d’écrire une histoire
de la pensée économique russe. En effet, un historiographe
contemporain ne recense que deux articles antérieurs à celui
de Tugan-Baranovskij, ceux de Leshkov (1855) et de Gol’cev
(1885).
Le Brockhaus-Efron est une encyclopédie universelle coéditée par
Brockhaus à Leipzig et Efron à Saint-Pétersbourg. Après des débuts
malheureux (une traduction de piètre qualité du Konversations Lexikon
allemand), l’encyclopédie s’impose rapidement comme une œuvre
de référence. Les rédacteurs K.K. Arsen’ev et F.F. Petrushevskij
s’entourent des meilleurs savants russes pour écrire le plus grand
nombre d’articles originaux : Mendeleïev pour la chimie, Solov’ev
pour la philosophie, etc. L’encyclopédie répond à une double
carence d’encyclopédie universelle et de dictionnaires spécialisés.
Ses entrées sont parfois des monographies originales et font du
Brockhaus-Efron une source de référence encore fréquemment utilisée
de nos jours. La partie économique du Brockhaus-Efron est solide,
avec des entrées sur des économistes russes et surtout occidentaux,
et quelques articles sur des catégories et notions de l’économie
politique. Tugan-Baranovskij y rédige les biographies d’Adam Smith,
John Stuart Mill, Carl Menger, Malthus, Jean-François Melon et Le
Mercier de la Rivière ainsi que des articles sur trois sujets théoriques
importants : les crises économiques, la concurrence et l’article qui suit,
sur « la science économique ».
Tugan-Baranovskij fait débuter l’histoire de la pensée économique
russe avec la première traduction de la Richesse des nations d’Adam
Smith. Cette référence à une importation de l’Occident n’est pas
anodine. L’idée qu’il n’existerait pas de « science économique russe »,
mais seulement une science économique (nécessairement occidentale)
que le « génie national russe » ne ferait qu’importer, alimentait déjà
les esprits après le grand virage occidentaliste imposé par Pierre
le Grand, et continue à les alimenter de nos jours jusque dans les
couloirs de la vénérable Académie russe des sciences. Le récit de
Tugan-Baranovskij illustre à merveille les hésitations qui ont nourri
les débats d’idées en Russie au XIXe siècle entre l’Occident des
Lumières et la recherche d’une voie nationale, souvent spirituelle,
voire mystique.
L’occidentalisme, avec l’industrialisation, l’inévitable capitalisme, le prolétariat et donc le socialisme occidental, s’oppose au
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slavophilisme, avec ses traditions orthodoxes, le communautarisme
agraire et le socialisme russe d’un Chernyshevskij. Tout, ou presque,
est perçu comme les deux faces d’un même miroir et Marx, surtout
Marx, n’échappe pas au phénomène. Les débats des années 1890
sur l’avenir du capitalisme en Russie entre économistes marxistes et
populistes sont déroutants, puisque chacun des deux camps invoque
et se réclame de Marx, au point de faire hésiter jusqu’à ce dernier
dans ses lettres à Mikhaïlovsky et à Zassoulitch. La profession
d’économiste n’est embrassée à la fin de ce XIXe siècle que pour
prouver que l’un des deux camps a raison, et que l’autre se trompe
(Tugan-Baranovskij n’échappe pas à la règle), d’où une pléthore
d’initiatives « pour connaître le pays », comme l’indique le titre
d’un ouvrage du célèbre chimiste (et plus confidentiel économiste)
Mendeleïev.
La théorie pure reste ici inefficace, tant qu’elle n’est pas appliquée
aux conditions locales. Ces dernières sont-elles spécifiques au point
de nécessiter une science économique russe ? Des preuves vont
être recherchées jusque sur le terrain, ce qui explique largement
l’enthousiasme pour les appareils statistiques locaux (la fabuleuse
expérience des assemblées provinciales ou zemstvos) et centraux
(culminant avec la tenue d’une session de l’Institut international de
statistique à Saint-Pétersbourg en 1897 alors que s’achève le premier
recensement général). L’organisation de ces études statistiques, tant
du point de vue méthodologique que pratique, nécessitait des
compétences que la formation d’économiste n’offrait pas. Ainsi est
née, on voudrait dire spontanément, la génération des économistes
statisticiens russes.
Rien d’étonnant, dans cette configuration, à ce que l’on rencontre
dans le texte de Tugan-Baranovskij de nombreuses références à des
manuels d’économie « nationale » contre très peu de manuels exposant les « principes » de l’économie politique. Rien d’étonnant non
plus à la forte présence en Russie des idées des différentes générations
de l’école historique allemande. Ces économistes statisticiens ont-ils
découvert une économie particulière, dont ils ont rendu compte dans
une science économique singulière ? Le texte de Tugan-Baranovskij,
traduit et accompagné de notes sur les auteurs et ouvrages signalés,
outre le fait qu’il représente une des premières histoires de cette
« pensée économique russe », a le mérite d’esquisser, entre les lignes,
ces questionnements encore aujourd’hui ouverts aux spéculations.
Références bibliographiques
Gol’cev, V. A. 1885. « Nauchnyj obzor. Dvizhenie russkoj èkonomicheskoj nauki » (Revue scientifique. Évolution de la science
économique russe), Russkaja mysl’ (La pensée russe), n◦ 3.
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François Allisson |
Leshkov, V. N. 1855. Drevnjaja russkaja nauka o narodnom bogatstve i
blagosostojanii (L’antique science russe sur la richesse nationale et
la prospérité), Moscou.
Tugan-Baranovskij, M. I. 1899. Èkonomicheskaja nauka (Science
économique), in Dictionnaire encyclopédique Brockhaus-Efron (en
russe), tome 28, volume 55, pp. 851-854. Traduction française
ci-après.
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